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Décisions

CA Caen, 1re ch. sect. civ., 29 novembre 2001, n° 99-03225

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dugue

Défendeur :

Prodim (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maron

Conseillers :

MM. Fabre, Reynaud

Avoués :

SCP Sebire Terrade, SCP Grandsard Delcourt

Avocats :

Mes Nakache, Guillemin.

T. com. Caen, du 8 sept. 1999

8 septembre 1999

Par ordonnance du 29 mai 1996, le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de la société Félix Potin, prononcée au mois de décembre précédent, a ordonné la vente aux sociétés Prodim et Cogesfild de cent-huit fonds de commerce. La société Prodim a, le 10 juillet 1996, conclu avec Gérard Dugue, un contrat de franchise et, le 31 du même mois, un contrat d'approvisionnement non exclusif et un contrat de prestations de services spécifiques, relatifs à l'exploitation d'un de ces fonds, sis 134 boulevard Berthier à Paris (17e arrondissement). Elle a consenti par ailleurs, le 30 septembre 1996, aux époux Dugue un contrat de location-gérance sur ce fonds, pour une période de six mois à compter du 15 octobre 1996, renouvelable pour une durée indéterminée. Le 7 octobre 1997, la société Prodim a dénoncé le contrat de location-gérance en respectant le préavis de trois mois prévu contractuellement.

Gérard Dugue a alors assigné la société Prodim devant le Tribunal de commerce de Caen pour faire requalifier le contrat de location-gérance en contrat de bail commercial puis pour solliciter l'annulation de l'ensemble des contrats et obtenir l'indemnisation du préjudice subi. La société Prodim s'est opposée aux demandes et a demandé au tribunal de constater la résiliation du contrat de location-gérance à effet du 9 janvier 1998 et d'ordonner l'expulsion. Par le jugement déféré rendu le 8 septembre 1999, le Tribunal de commerce de Caen a débouté Gérard Dugue de sa demande tendant au prononcé de la nullité des contrats et a dit que la résiliation par la société Prodim du contrat de location-gérance, qui devait être poursuivi, était contraire aux dispositions de l'article 1134 § 3 du Code civil.

Sur l'appel des deux parties, la cour de ce siège a, par arrêt en date du 1er mars 2001, confirmé le jugement déféré en ce qu'il avait débouté Gérard Dugue de sa demande en nullité des contrats de franchise, d'approvisionnement et de prestations de services spécifiques et, l'infirmant pour le surplus, a annulé le contrat de location-gérance du 30 septembre 1996, ordonné en conséquence l'expulsion de Gérard Dugue et de tous occupants de son chef à l'expiration d'un délai de six mois après signification de l'arrêt, débouté Gérard Dugue de sa demande de requalification du contrat et rouvert les débats pour permettre aux parties de conclure sur les conséquences de la nullité du contrat de location-gérance.

Vu les conclusions et demandes des parties en dates des:

* 15 octobre 2001 pour Gérard Dugue

* 18 octobre 2001 pour Prodim.

Attendu que, contrairement aux prétentions de Gérard Dugue, l'exploitation de son activité faite par lui avant que la cour de ce siège n'annule le contrat de location-gérance pour avoir été conclu au mépris des dispositions de l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 devenu l'article L. 143-3 du Code de commerce, l'a été, compte tenu du caractère rétroactif de l'annulation, non en vertu d'un "contrat sui generis", mais sans titre, encore que de bonne foi;

Attendu que le caractère précaire de la jouissance du fonds rétroactivement assigné à celle-ci justifie, contrairement aux prétentions de Prodim que l'indemnité due en contrepartie de la mise à disposition de celui-ci soit évaluée de façon spécifique et indépendante de celle décidée par les parties dans le contrat anéanti;

Attendu que cette indemnité doit en outre prendre en considération le fait que si Gérard Dugue a profité de la mise à disposition du fonds, il a, par ailleurs, contribué par son travail, à le valoriser;

Attendu que la jouissance du fonds ne saurait, non plus, être appréciée, contrairement aux demandes de Gérard Dugue, à la valeur locative des locaux;

Attendu que ces conditions de jouissance conduisent à évaluer cette indemnité à 90 % du montant de la redevance prévue par le contrat annulé;que dès lors, Gérard Dugue est bien fondé à réclamer remboursement du trop perçu à hauteur de 10 % des sommes versées jusqu'à la date à laquelle, en exécution de l'arrêt de la cour de ce siège en date du 1er mars 2001, il aurait dû quitter les lieux soit, l'arrêt ayant été signifié le 8 mars 2001, jusqu'au 10 septembre 2001, soit 13 261,04 F;

Attendu que, depuis cette date, Gérard Dugue a joui du fonds dont s'agit de mauvaise foi, sans droit ni titre ; qu'il y a lieu de faire en partie droit à la demande de Prodim et de fixer une indemnité pour cette jouissance en tenant compte non seulement du profit que Gérard Dugue en retire, mais aussi du préjudice qu'il cause à Prodim en se maintenant dans les lieux au mépris des droits de cette dernière ; que ces éléments conduisent à fixer le montant de cette indemnité au double de la redevance qui aurait été versée en vertu du contrat annulé;

Attendu, que les demandes de Gérard Dugue en paiement des sommes de 750 000 F et de 112 500 F de dommages et intérêts procèdent de l'idée, écartée par la cour dans son arrêt définitif du 1er mars 2001, selon laquelle l'annulation du contrat de location-gérance permettrait de "requalifier" la situation des parties en faisant naître entre elles, sans qu'elles aient sur ce point échangé quelque consentement que ce soit, un contrat de bail commercial;

Attendu que l'annulation du contrat doit seulement conduire à ce que la prestation dont a bénéficié Gérard Dugue - la mise à sa disposition du fonds - soit remplacée, dans le patrimoine de Prodim, par sa contrepartie monétaire, laquelle a été précédemment évaluée, et que la prestation fournie par Gérard Dugue soit, elle aussi, remplacée par sa contrepartie monétaire, laquelle a, aussi, été prise en considération dans l'évaluation, précédemment effectuée, de l'indemnité par lui due ; que dès lors, les demandes de 750 000 F et de 112 500 F de dommages et intérêts ne sauraient être admises;

Attendu que l'équité s'oppose à condamnation sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu qu'il y a lieu de laisser ses propres dépens à la charge de chacune des parties;

Par ces motifs: Condamne la société Prodim à restituer à Gérard Dugue la somme de 13 261,04 F (2 021,63 euros); Fixe au double de celle qui résulterait du contrat de location-gérance, s'il n'avait été annulé, l'indemnité due par Gérard Dugue du fait de la jouissance, par lui, du fonds situé à Paris, 134 Boulevard Berthier; Déboute les parties du surplus de leurs demandes; Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens; Admet les avoués en la cause au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.