CA Bastia, ch. civ., 18 novembre 2002, n° 758
BASTIA
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Chaumet international (SA)
Défendeur :
Diperi Claret (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brenot
Conseillers :
MM. Rousseau, Huyette
Avoués :
SCP Ribaut-Battaglini, Me Canarelli
Avocats :
Mes Rinieri, Hoffman, Maurel.
Les faits et la procédure:
La société Chaumet international a déposé auprès de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle le 11 septembre 1995 un modèle de bague "Lien" dans sa ligne de collection sur ce thème.
Exposant que la SARL Diperi Claret, bijoutier à Bastia, s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon en commercialisant une copie servile de cette bague réalisée dans son atelier, la société Chaumet international, après avoir procédé à une saisie-contrefaçon du bijou le 16 juillet 1999, l'a faite assigner en contrefaçon et concurrence déloyale et en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 18 mai 2001, le Tribunal de commerce de Bastia:
- a mis hors de cause Monsieur Bruno Claret,
- a déclaré l'action recevable en la forme,
- au fond, a débouté la société Chaumet international de ses demandes envers la société Diperi Claret,
- a rejeté la demande reconventionnelle de la société Diperi Claret,
- a condamné la société Chaumet international à payer à la société Diperi Claret la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- a condamné la société Chaumet international aux dépens.
Par déclaration du 4 juillet 2001, la SA Chaumet international a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Les demandes des parties:
Par conclusions du 18 octobre 2001 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens, la société Chaumet international fait valoir pour l'essentiel:
- que le modèle de bague "Lien" déposé à l'OMPI le 11 septembre 1995 est un modèle original et nouveau, digne de bénéficier de la protection du Code de la propriété intellectuelle,
- que la société Diperi Claret, en commercialisant un modèle de bague exactement semblable à celle lui appartenant, s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon au sens des dispositions du Code de la propriété intellectuelle,
- que la société Diperi Claret s'est également rendue coupable d'actes de concurrence déloyale au sens de l'article 1382 du Code civil.
La société Chaumet international demande:
- qu'il soit fait interdiction à la société Diperi Claret de poursuivre la commercialisation du modèle contrefaisant sous astreinte de 10 000 F par modèle, soit 1 524,49 euro,
- la condamnation de la société Diperi Claret à lui verser la somme de 300 000 F, soit 45 734,71 euro, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la contrefaçon et celle de 300 000 F, soit 45 734,71 euro, en réparation du préjudice du fait des actes de concurrence déloyale,
- l'insertion de la décision à intervenir dans dix journaux au choix de la société Chaumet international et aux frais de la société Diperi Claret sans que le coût total de ces insertions n'excède la somme de 250 000 F hors taxes, soit 38 112,25 euro,
- la condamnation de la société Diperi Claret à lui verser la somme de 7 622,45 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 16 novembre 2001 auxquelles il convient de se référer, la SARL Diperi Claret invoque le défaut de qualité pour agir de la SA Chaumet qui, en tant que personne morale, ne peut être auteur et l'absence totale de contrefaçon, la bague saisie ne correspondant nullement au modèle "Lien" de Chaumet.
Elle sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de la SA Chaumet à lui payer la somme de 22 867,35 euro à titre de dommages et intérêts ainsi que 3 048,98 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision:
Sur la qualité pour agir de la société Chaumet international:
La société Chaumet international justifie avoir déposé auprès de l'OMPI le modèle de bague "Lien" le 11 septembre 1995 ainsi que le démontre le récépissé versé aux débats.
En application de l'article L. 513-2 du Code de la propriété intellectuelle, l'enregistrement de ce modèle lui confère un droit de propriété sur celui-ci et la société Chaumet est présumée en être le créateur. Au surplus, il est constant qu'une personne morale bénéficie non seulement de la présomption de l'article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle concernant les œuvres collectives mais d'une présomption de propriété résultant de la simple exploitation de l'œuvre.
La société Chaumet produit aux débats de nombreux catalogues et publicités parues dans de nombreux journaux féminins qui établissent d'une façon incontestable que le modèle de bague litigieux est divulgué sous son nom.
Ainsi, la société Chaumet, qui démontre avoir divulgué sous son nom le modèle de bague "Lien" et l'avoir déposé à l'OMPI le 11 septembre 1995, a une qualité pour agir qui ne peut lui être déniée. Son action est parfaitement recevable.
Sur la contrefaçon:
L'article 511-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que "seul est protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre".
La société Diperi Claret ne démontre nullement que le modèle de la société Chaumet ne soit pas nouveau. Elle ne produit aucune pièce établissant une antériorité.
En effet, les catalogues Maud Bijoux et Masviel qu'elle verse aux débats datent de 1999 pour le second et est sans date pour le premier et ne présentent nullement des bagues pouvant ressembler à la bague litigieuse.
C'est à tort que le premier juge a considéré que le modèle de bague litigieux était dans le domaine public.
Si une bague se présente habituellement comme un anneau décoré d'une pierre précieuse ou semi-précieuse et si le thème du lien est classique en bijouterie, la combinaison qui en est faite dans le modèle Chaumet, qui juxtapose deux anneaux reliés entre eux par un lien en X serti de diamants, présente un caractère nouveau et original permettant de le distinguer de modèles antérieurs et lui assurant la protection prévue par le Code de la propriété intellectuelle.
Il est constant que la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non par les différences. En l'espèce, la ressemblance entre les deux modèles est flagrante et leur aspect est quasiment identique. Il s'agit de deux anneaux plus étroits à l'intérieur de la main qu'à l'extérieur liés entre eux par un X sur lequel sont sertis des diamants.
Peu importe que dans le cas de la bague Chaumet il s'agisse de deux anneaux, que l'or soit très brillant et qu'il y ait deux rangées de diamants sur le lien alors que la bague Diperi Claret n'est composée que d'un anneau godronné, c'est-à-dire ayant un pli lui donnant l'apparence de deux anneaux, qu'il n'y ait qu'une rangée de diamants sur le lien et que l'or soit plus terne. Ces différences minimes n'atténuent pas la parfaite ressemblance entre les deux bagues et le risque de confusion dans l'esprit du consommateur. En commercialisant une copie quasi-servile de la bague lien de la société Chaumet international, la société Diperi Claret a commis un acte de contrefaçon.
Sur la concurrence déloyale:
Il est constant que l'action en concurrence déloyale fondée sur l'article 1382 du Code civil peut être accueillie en présence de faits distincts des faits de contrefaçon lorsqu'en commercialisant des copies à vil prix ou à un prix moindre, l'imitateur a utilisé le travail de création d'autrui sans avoir à le financer et a cherché à détourner la clientèle de son concurrent par cette pratique de prix bas. En l'espèce, la société Diperi Claret est située sur le même boulevard que la bijouterie concessionnaire de la marque Chaumet sur Bastia.
La bague Chaumet est vendue au prix de 17 600 F et la bague Diperi Claret au prix de 4 750 F. La seule comparaison de ces deux prix suffit à établir l'acte de concurrence déloyale.
Sur les demandes:
Pour mettre fin à tout acte de contrefaçon et de concurrence déloyale, il sera fait interdiction à la société Diperi Claret de commercialiser la bague litigieuse sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée.
La saisie-contrefaçon n'a porté que sur un modèle. Néanmoins, le modèle contrefait figure dans le catalogue de Monsieur Bruno Claret qui fabrique pour la société Diperi Claret.
Il convient de fixer à la somme de 50 000 F le préjudice subi par la société Chaumet du fait de cette contrefaçon et à la même somme son préjudice pour les faits de concurrence déloyale, la société Chaumet international justifiant par la production de ses catalogues et la publicité faite autour de sa marque de ses investissements importants, notamment autour de sa gamme "Lien" et du préjudice que lui fait subir toute atteinte à son modèle prestigieux.
La publication de la présente décision ne sera pas ordonnée à titre de dommages et intérêts complémentaires, les sommes allouées à la société Chaumet international couvrant son préjudice et le dommage ayant eu un impact assez faible, la Corse étant peu peuplée et très éloignée de Paris.
Il y a lieu de fixer à la somme de 10 000 F le montant des frais non compris dans les dépens que l'équité commande de ne pas laisser à la charge de la société Chaumet international en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, contradictoirement, Déclare recevable l'action de la société Chaumet international, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Dit que le modèle "Lien" déposé à l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle le 11 septembre 1995 par la société Chaumet international bénéficie de la protection du Code de la propriété intellectuelle, Dit que la société Diperi Claret, en commercialisant un modèle imitant de façon quasi-servile la bague de la société Chaumet international bénéficiant de la protection du Code de la propriété intellectuelle, s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon, Dit que la société Diperi Claret en commercialisant ladite bague à un prix nettement inférieur, s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale, Fait interdiction à la société Diperi Claret de poursuivre la commercialisation du modèle contrefait sous astreinte de sept cent soixante-deux euro et vingt-cinq cents (762,25 euro) par infraction constatée, Condamne la société Diperi Claret à payer à la société Chaumet international la somme de sept mille six cent vingt-deux euro et quarante-cinq cents (7 622,45 euro) à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon et de sept mille six cent vingt-deux euro et quarante-cinq cents (7 622,45 euro) pour concurrence déloyale ainsi que celle de mille cinq cent vingt-quatre euro et quarante neuf cents (1 524,49 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute la société Chaumet international du surplus de ses demandes, Condamne la société Diperi Claret aux dépens de première instance et d'appel.