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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 7 mai 2003, n° 2001-19290

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Exacod (SA)

Défendeur :

L'inventoriste (SA), Pages Jaunes (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Regniez

Avoués :

SCP Bommart-Forster, SCP Moreau, Me Huyghe

Avocats :

Mes Szleper, Moatty, Quenet.

TGI Paris, 32e ch., du 15 juin 2001

15 juin 2001

Vu l'appel interjeté par la société Exacod du jugement rendu le 15 juin 2001 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a:

- dit que la société L'inventoriste en réservant le nom de domaine "Exacod.com" lequel est relié à son site "L'inventoriste" a commis des actes de contrefaçon de la marque "Exacod" n° 99.796.368 dont la société Exacod est titulaire et a porté atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial de cette dernière,

- interdit la poursuite des actes illicites sous astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter de la signification de la décision,

- condamné la société L'inventoriste à justifier de la radiation du nom de domaine "Exacod.com" sous astreinte de 1 000 F par jour de retard passé un délai de vingt jours à compter de la décision,

- condamné la société L'inventoriste à verser à la société Exacod les sommes de 30 000 F à titre de dommages-intérêts et de 18 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- autorisé la société Exacod à titre de complément de dommages-intérêts à faire publier le dispositif du jugement dans un quotidien ou une revue de son choix sans que le coût de cette insertion ne dépasse la somme de 20 000 F,

- condamné la société Pages jaunes à garantir la société L'inventoriste à hauteur de la moitié du montant de l'ensemble de condamnations financières précitées;

Vu les dernières écritures signifiées le 3 février 2003 par lesquelles la société Exacod poursuit l'infirmation du jugement entrepris sur le montant des condamnations prononcées à l'encontre de la société L'inventoriste et demande à la cour de:

- interdire à la société L'inventoriste d'utiliser, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, la dénomination "Exacod", sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société L'inventoriste à lui payer la somme de 75 000 euros à titre de provision en réparation du préjudice subi tant du fait des actes de contrefaçon de marque que des actes de concurrence déloyale,

- nommer un expert aux fins de déterminer précisément l'étendue du préjudice qu'elle a subi du fait des actes illicites commis par la société L'inventoriste,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux de son choix, aux frais de la société L'inventoriste,

- condamner la société L'inventoriste à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières conclusions signifiées le 13 février 2003 aux ternies desquelles la société L'inventoriste sollicite la réformation du jugement déféré en ce qu'il a retenu à son encontre les griefs de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale, demandant à la cour de:

- dire que la seule réservation du nom de domaine "Exacod.com" indépendamment de son éventuelle utilisation pour accéder à un site Internet ne constitue ni la contrefaçon de la marque "Exacod", ni l'usurpation de la dénomination sociale ou du nom commercial "Exacod",

- prononcer en conséquence sa mise hors de cause au regard des agissements incriminés,

- à titre subsidiaire, condamner la société Pages jaunes à la garantir de l'intégralité de condamnations susceptibles d'intervenir à son encontre au titre de l'usage du nom de domaine "Exacod.com",

- débouter la société Pages jaunes de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Exacod subsidiairement la société Pages jaunes, à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières écritures signifiées le 16 janvier 2003 par lesquelles la société Pages jaunes prie la cour de:

* à titre principal,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à garantir la société L'inventoriste à hauteur de 50 % des condamnations pécuniaires mises à sa charge et débouter cette dernière de l'ensemble de ses demandes,

* à titre subsidiaire,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté l'application de la clause limitative de responsabilité contenue au chapitre "Obligation et responsabilité d'ODA" des conditions particulières Site faisant la loi des parties,

- dire que son obligation de garantie ne saurait excéder la somme de 1 759,48 euros,

* En tout état de cause,

- prendre acte de ce qu'elle ne dispose pas de statistiques permettant de mesurer le nombre de consultations du site "L'inventoriste" pendant la période litigieuse et débouter la société Exacod de sa demande d'expertise,

- condamner la société L'inventoriste à lui payer la somme de 3 800 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

sur ce, LA COUR

- Sur la contrefaçon de marque

Considérant que la société Exacod, constituée le 15 avril 1998, exerce une activité d'organisation des inventaires pour les entreprises ; qu'elle est titulaire de la marque semi-figurative "Exacod", déposée le 3 juin 1999, enregistrée sous le n° 99.796.368, pour désigner notamment les appareils pour le traitement de l'information des ordinateurs, la gestion des affaires commerciales, l'administration commerciale, les travaux de bureau, les conseils, informations ou renseignements d'affaires, la gestion des fichiers informatiques, la programmation pour ordinateurs, les inventaires chiffrés, la location de temps d'accès à un serveur de base de données, produits et services relevant des classes 16, 35, 36 et 42;

Considérant qu'invoquant ses droits sur cette marque, la société Exacod reproche à la société L'inventoriste d'avoir procédé à l'enregistrement du nom de domaine "exacod.com" pour désigner un service informatique identique ou à tout le moins similaire aux services désignés par sa marque;

Considérant qu'il ressort des deux procès-verbaux de constat dressés les 23, 24 mars et 20 avril 2000 par Maître Avalle, huissier de justice, que le nom de domaine "exacod.com" permet d'accéder au site Internet de la société L'inventoriste sous lequel elle offre des travaux de réalisation ou d'aide à la réalisation d'inventaires destinés aux entreprises;

Considérant que ce nom de domaine reproduit sur le plan phonétique la marque appartenant à la société Exacod; que le fait que les deux premières syllabes "EXA" et la troisième syllabe "COD"de la marque soit présentées sur deux lignes et qu'une barre sépare les lettres X et A, ne modifie pas sensiblement son aspect visuel et n'affecte pas la lecture qui en est faite;

Que si l'enregistrement d'un nom de domaine est un acte neutre non constitutif en soi de contrefaçon, l'exploitation du site ainsi nommé, en lien avec le site Internet "L'inventoriste", sert à présenter des services d'inventaires, identiques à ceux désignés par la marque;

Qu'il existe dès lors un risque réel de confusion entre ces deux dénominations, pour un consommateur moyennement attentif qui ne dispose pas des deux signes sous les yeux;

Que la société L'inventoriste a donc commis des actes de contrefaçon en exploitant le nom de domaine "exacod.com";

- Sur la concurrence déloyale

Considérant que la dénomination "Exacod" constitue la dénomination sociale de la société appelante;qu'en faisant enregistrer, à titre de nom de domaine, cette dénomination, la société L'inventoriste a agi dans l'intention de priver son concurrent de la faculté de développer ses activités de réalisation d'inventaires, domaine dans lequel elles se trouvent en situation de concurrence, sur le réseau Internet; que cette usurpation illicite de dénomination sociale est fautive;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant que les deux constats d'huissier établissent que les faits litigieux ont perduré du mois d'octobre 1999 à la fin du mois d'avril 2000;

Considérant que l'usurpation du nom commercial de la société Exacod et l'atteinte portée à la marque dont elle est titulaire lui ont causé un trouble commercial indéniable, en laissant accroire à la clientèle que les deux entreprises étaient économiquement liées; que le préjudice subi par la société Exacod sera entièrement réparé par l'allocation d'une indemnité de 30 000 euros sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise;

Que les mesures d'interdiction, de radiation et de publication prononcées par les premiers juges seront confirmées sauf à préciser qu'il sera fait mention du présent arrêt;

- Sur l'appel en garantie de la société Pages jaunes

Considérant que le 29 avril 1998, la société L'inventoriste a souscrit un ordre d'insertion auprès de la société ODA, devenue Pages jaunes, pour la création et mise en ligne d'un site Internet accessible par le nom de domaine "www.l'inventoriste.fr"; que le 21 janvier 1999, la société L'inventoriste a demandé le renouvellement de cette prestation pour l'édition 1999; que le 9 octobre 1999, la société L'inventoriste a signé un nouveau bon de commande pour un montant HT de 900 F;

Considérant que les parties s'accordent pour reconnaître que cette commande a pour objet la récupération du nom de domaine "l'inventoriste.com" déposé auprès d'un autre prestataire et la réservation du nom de domaine "exacod.com"; que la société L'inventoriste fait valoir qu'elle n'a pas sollicité la connexion du nom de domaine "exacod.com" avec son site Internet, la société Pages jaunes prétendant au contraire que les deux noms de domaine ont été attribués à la société L'inventoriste et liés à son site, sans qu'elle n'émette de contestation à la réception de la facture du 18 octobre 1999;

Mais considérant que le bon de commande du 9 octobre 1999 ne mentionne que la récupération du nom de domaine "l'inventoriste.com"; que la facture émise le 18 octobre suivant, sur laquelle figurent les indications suivantes : "Frais techniques Sites Internet", n'apporte aucune précision sur le contenu des prestations fournies;

Que la société Pages jaunes prétend à tort que l'objet des conventions consistait en la diffusion d'un site Internet au moyen d'un nom de domaine et qu'exclure tout lien entre ce nom de domaine et le site revenait à commander une prestation qui ne produisait aucun effet alors que la somme réglée par la société L'inventoriste correspond à la réservation d'un nom de domaine, prestation qui peut être facturée de manière autonome, ainsi qu'il résulte du tarif de la société Pages jaunes;

Que la preuve n'est donc pas établie que la société L'inventoriste avait donné instruction à la société Pages jaunes de créer un lien entre le nom de domaine "exacod.com" et son site "l'inventoriste.com"; que la simple mention "MO+" portée sur le bon de commande du 9 octobre 1999 ne peut s'analyser comme une modification apportée au précédent contrat; que le moyen tiré de l'absence de protestation de la société L'inventoriste est inopérant, la facture du 18 octobre 1999 correspondant à la prestation demandée;

Que la société Pages jaunes a donc commis une faute en créant de sa propre initiative un lien entre le nom de domaine "exacod" et le site "l'inventoriste.com", alors que la seule prestation demandée et facturée consistait en la réservation d'un nom de domaine;

Que les premiers juges ont à juste titre estimé que la société Pages jaunes qui, en méconnaissant les instructions de sa cliente, s'est délibérément placée hors du champ contractuel, ne peut exciper des clauses contractuelles limitatives de sa responsabilité; qu'ils ont également pertinemment limité la responsabilité de la société Pages jaunes en la condamnant à garantir la société L'inventoriste à concurrence de 50 %, relevant que le choix de la dénomination litigieuse était le fait de la société L'inventoriste et qu'elle avait négligemment omis de s'enquérir des conditions d'accès à son site;

Que le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Exacod, la somme complémentaire de 10 000 euros devant lui être allouée à ce titre;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par la société L'inventoriste et la société Pages jaunes;

Par ces motifs: Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts; Le réformant sur ce point et statuant à nouveau; Condamne la société L'inventoriste à payer à la société Exacod la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon et d'atteinte à son nom commercial; Dit que la publication fera mention du présent arrêt; Y ajoutant; Condamne la société L'inventoriste à verser à la société Exacod la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Dit que la société Pages jaunes devra garantir la société L'inventoriste de cette condamnation ainsi que des dépens à concurrence de moitié; Condamne la société L'inventoriste aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.