CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 1 juillet 2003, n° 2003-01776
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Banque Populaire Toulouse Pyrénées (Sté)
Défendeur :
France Acheminement (SA), Rey (ès qual.), Vigreux (ès qual.), Caviglioli (ès qual.), Vinceneux (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lebreuil
Conseillers :
MM. Baby, Grimaud
Avoués :
SCP Nidecker Prieu, SCP Sorel Dessart Sorel
Avocats :
Mes Rachez, SCP Marty, Bouix.
Statuant sur l'appel interjeté par la Banque Populaire Toulouse Pyrénées (la banque ou la BPTP) d'un jugement en date du 1er avril 2003 par lequel le Tribunal de commerce de Toulouse a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 25 février 2003 par le juge-commissaire dans l'instance l'opposant à la société anonyme France Acheminement Exploitation et à ses mandataires de justice et l'a condamnée au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que les faits de la cause ont été exactement relatés par les premiers juges en des énonciations auxquelles la cour se réfère expressément et qu'il suffit de rappeler:
- que le groupe France Acheminement exerce une activité de franchiseur dans le domaine du transport et a constitué à cet effet un réseau de franchisés sur l'ensemble du territoire national;
- qu'aux termes des accords de franchise il facture pour le compte des franchisés les transports effectués puis leur reverse les sommes perçues sous déduction des frais et des royalties;
- qu'il est titulaire de plusieurs comptes bancaires dans les livres de la BPTP et spécialement d'un compte réseau et d'un compte d'exploitation;
- que le premier de ces deux comptes est destiné à recevoir les paiements des factures émises par France Acheminement pour le compte des franchisés;
- que ces paiements prennent la forme soit de chèques soit de LCR magnétiques;
- que c'est à partir de ce compte réseau que le 10 et le 20 de chaque mois sont émis par chèques les paiements aux franchisés sous déduction des frais et royalties dirigées vers le compte d'exploitation;
- que la situation de la société France Acheminement Exploitation s'est sérieusement dégradée courant 2002 et que son redressement judiciaire a été prononcé par jugement du 17 décembre 2002;
- que quelques jours plus tôt soit le 2 décembre 2002 elle a autorisé la fusion de ses comptes et que le 4 décembre la banque a dénoncé tous ses concours;
- que c'est dans ces conditions que reprochant à la BPTP d'avoir vidé le compte réseau de toute sa substance et d'avoir ainsi empêché tout paiement au profit des franchisés des sommes qui leur sont dues, non seulement en affectant la somme de 1 650 000 euro figurant au crédit du compte réseau au paiement des soldes débiteurs de la société anonyme mais aussi en mobilisant à son seul profit à hauteur de 3 854 080 euro des créances appartenant aux franchisés et enfin en se remboursant du montant d'un billet à ordre de 457 000 euro pendant la période suspecte, la société France Acheminement Exploitation représentée par ses administrateurs judiciaires a fait assigner la banque devant le président du tribunal de commerce statuant en référé sur le fondement des articles 872 et 873 du nouveau Code de procédure civile;
- que par ordonnance du 20 janvier 2003 le juge des référés a condamné la défenderesse à verser sous astreinte à titre provisionnel à la société France Acheminement Exploitation la somme de 1 650 000 euro et à lui restituer les sommes encaissées dans la limite de 3 854 081 euro au titre de lettres de changes escomptées ou d'une loi Dailly;
- que la cour, par arrêt du 4 février 2003, a fixé à la somme de 1 635 000 euro au lieu de 1 650 000 euro le montant de la provision que la BPTP doit être condamnée à payer à la société France Acheminement Exploitation à raison des virements opérés les 4 et 6 décembre 2002; qu'elle a de surcroît condamné la banque à payer à la société France Acheminement Exploitation une indemnité provisionnelle de 457 000 euro correspondant au montant du billet à ordre et qu'elle a confirmé l'ordonnance du 20 janvier 2003 dans toutes ses autres dispositions;
- que la banque s'est acquittée des obligations mises à sa charge et que par ordonnance sur requête du 5 février 2003 Maître Jean-Claude Marty avocat a été désigné en qualité de séquestre avec pour mission :
* de consigner sur son compte Carpa toutes sommes versées par la BPTP en exécution des décisions susvisées,
* de se dessaisir de ces sommes entre les mains de la personne désignée par le juge-commissaire pour effectuer la répartition aux franchisés des sommes leur revenant;
- que le 25 février 2003 le juge-commissaire a rendu une ordonnance aux termes de laquelle il était enjoint :
* à Maître Jean-Claude Marty de déconsigner la somme de 2 699 154 euro au bénéfice de la société France Acheminement Exploitation,
* à Maître Caviglioli et à Maître Vigreux, administrateurs judiciaires, de répartir la somme de 3 470 527, 25 euro entre les franchisés dont les facturations correspondantes ont pu être identifiées;
- que la BPTP a fait opposition à l'ordonnance ainsi rendue par le juge-commissaire mais que le tribunal, par la décision dont appel, l'a déboutée de toutes ses demandes;
Attendu que la banque fait grief aux premiers juges de s'être ainsi prononcés alors pourtant
- que le juge-commissaire ne s'était pas prononcé contradictoirement et que le débat contradictoire instauré devant le tribunal à la suite du recours qu'elle avait formé contre l'ordonnance n'avait pas sauvé celle-ci du vice dont elle était irrémédiablement entachée;
- que le juge-commissaire avait ordonné la répartition des fonds au profit de certains franchisés sans se soucier de savoir s'ils avaient obtenu l'admission définitive de leurs créances, sans rechercher les raisons pour lesquelles ils pouvaient échapper à la rigueur du principe de l'égalité des créanciers chirographaires et sans vérifier s'ils pouvaient légalement recevoir un paiement pendant la période d'observation, c'est-à-dire avant l'adoption du plan de redressement ou le prononcé de la liquidation judiciaire;
- qu'il avait ainsi violé le principe de l'égalité des créanciers chirographaires mais aussi les dispositions de l'article L. 621-24 du nouveau Code de commerce interdisant à l'administrateur de payer des créances antérieures au jugement si ce n'est pour "retirer le gage ou une chose légitimement retenue, lorsque ce retrait est justifié par la poursuite de l'activité", les dispositions de l'article L. 621-25 du même Code aux termes desquelles le paiement provisionnel de tout ou partie d'une créance n'est possible que si certaines conditions sont réunies, ce qui n'était pas le cas en l'espèce et enfin les dispositions de l'article L. 621-46 aux termes desquelles, à défaut de déclaration de leurs créances dans les délais fixés, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de la forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait;
- que la violation de ces textes caractérisait un excès de pouvoir et que pour les mêmes raisons les demandes présentées ne relevaient pas de la compétence du juge-commissaire; que le jugement devait être annulé une seconde fois pour avoir confirmé une ordonnance rendue illégalement par le juge-commissaire en dehors de ses attributions;
- que de toute façon la violation du principe du contradictoire et celle des règles d'ordre public gouvernant le paiement des créanciers dans les procédures collectives rendaient recevable l'appel nullité formé contre le jugement du 1er avril 2003;
Attendu qu'elle conclut en conséquence à l'annulation du jugement et à la condamnation de la société France Acheminement Exploitation au paiement de la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que la société France Acheminement Exploitation, Maître Caviglioli et Maître Vigreux, administrateurs judiciaires, Maître Rey et Maître Vinceneux, liquidateurs, concluent au contraire à l'irrecevabilité de l'appel ou subsidiairement à son rejet et à la condamnation de la banque au paiement des sommes de 10 000 euro pour procédure abusive et 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur quoi
Attendu que les jugements par lesquels le tribunal de commerce statue sur les recours formés contre les ordonnances rendues par le juge-commissaire dans des limites de ses attributions ne sont pas susceptibles d'appel;
Que l'appel interjeté par la BPTP ne pourrait donc être déclaré recevable que s'il était démontré que le juge-commissaire a méconnu les limites de ses attributions ou si la preuve était rapportée d'une violation du principe du contradictoire ou d'un excès de pouvoir, susceptibles d'ouvrir la voie de l'appel nullité;
Or attendu :
- que le juge-commissaire était en droit de statuer sans convoquer la banque et que, quoi qu'en dise cette dernière, les administrateurs n'ont pas commis un véritable détournement de procédure en le saisissant par voie de requête; qu'il lui appartenait d'exécuter l'arrêt du 4 février 2003 et qu'il est resté dans les limites de ses attributions en procédant par voie d'ordonnance sur requête à la répartition ordonnée par la cour; qu'il ne peut pas lui être fait grief d'avoir violé le principe du contradictoire;
- que de même il ne peut pas lui être reproché d'avoir excédé ses pouvoirs en entérinant la requête des administrateurs sans vérifier quelles diligences ils avaient faites auprès des franchisés pour parvenir à la répartition sollicitée; que d'une part les requérants ont fait état devant lui des informations qui leur avaient été communiquées par Monsieur Hersen, dirigeant de la société France Acheminement Exploitation et que d'autre part le défaut de vérification dont se plaint la banque ne saurait l'autoriser, même s'il était caractérisé, à soutenir que l'on est en présence d'un excès de pouvoir;
- que pour le surplus la BPTP ne saurait se plaindre d'une violation des règles d'ordre public gouvernant les procédures collectives;que son argumentation à cet égard ne pourrait être prise en considération que si les fonds dont s'agit étaient effectivement entrés dans le patrimoine de la société France Acheminement Exploitation alors au contraire qu'il a été jugé par la cour dans son arrêt du 4 février 2003 que cette société n'est jamais intervenue que comme le mandataire des franchisés, que les fonds qui transitaient par le compte réseau n'étaient pas sa propriété et qu'elle n'avait aucune qualité pour les appréhender;
- que les franchisés ne sont pas créanciers de la société France Acheminement mais propriétaires de sommes qu'elle doit leur restitueret que, s'agissant des modalités de cette restitution, les règles qui gouvernent l'admission des créances ou leur paiement dans le cadre des procédures collectives sont inapplicables
- qu'en décider autrement reviendrait à revenir sur la chose jugée;
Attendu que l'appel est donc irrecevable;
Attendu que la BPTP qui succombe en toutes ses prétentions doit être condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à ses adversaires la somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu en revanche que le droit d'agir ou de se défendre en justice ne peut donner lieu au paiement de dommages-intérêts que s'il est exercé dans l'intention exclusive de nuire à autrui autrement dit s'il dégénère en abus de droit; que tel n'est pas le cas en l'espèce et que les intimés seront donc déboutés de leur demande en paiement de la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive;
Par ces motifs, LA COUR, Déclare l'appel irrecevable, Condamne la BPTP aux dépens d'appel et autorise la SCP Sorel Dessart, avoués, à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision suffisante; La condamne en outre à payer à Maître Caviglioli et à Maître Vigreux, administrateurs judiciaires, à Maître Rey et à Maître Vinceneux, liquidateurs la société France Acheminement Exploitation, la somme supplémentaire de 1 500 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples des parties.