Livv
Décisions

CA Rennes, ch. com., 22 mai 2002, n° 0217416

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bretagne ventes immobilier (SA)

Défendeur :

Véronique Le Helley (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

Mme Nivelle, M. Poumarède

Avoués :

SCP d'Aboville, de Moncuit & Le Callonec, SCP Gauvain & Demidoff

Avocats :

Mes Chevalier, Massart.

T. com. Rennes, du 24 avr. 2001

24 avril 2001

1. Exposé des faits - procédure - objet du recours:

Par acte du 10 mai 2001, la société Bretagne ventes immobilier (BVI) a interjeté appel d'un jugement rendu le 24 avril 2001 par le Tribunal de commerce de Rennes, qui a déclaré recevable l'action en concurrence déloyale intentée à son encontre par l'EURL Le Helley, qui l'a condamnée sous astreinte à cesser toute publicité comportant l'appellation "rennesimmo", à payer à la société Le Helley la somme de 20 000 F au titre du préjudice subi, et la somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles et a ordonné la publication de la décision.

La société Bretagne ventes immobilier (BVI) demande la réformation du jugement et le rejet de l'ensemble des demandes de l'EURL Véronique Le Helley et la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 3 050 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

L'EURL Véronique Le Helley sollicite au contraire la confirmation du jugement entrepris sauf quant au montant des dommages et intérêts octroyés; elle demande son infirmation sur ce point et la condamnation de BVI à lui verser la somme de 15 000 euros au titre du préjudice subi et la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du NCPC.

2. Moyens proposés par les parties:

Considérant que la société Bretagne ventes immobilier, expose au soutien de son recours qu'elle avait déposé et utilisé comme nom de domaine "rennesimmo.com" antérieurement au dépôt de la marque "Rennes immobilier" par l'EURL Le Helley;

Qu'elle ajoute que la dénomination commerciale de la société Le Helley, telle qu'elle résulte de ses statuts et de l'inscription au registre du commerce, n'est pas "Rennes immobilier" comme cette dernière le prétend mais "Cabinet Rennes immobilier" et que les pratiques internes de dénomination abrégée de ce cabinet, concomitantes au dépôt du nom de domaine contesté, ne sauraient faire obstacle au droit de l'appelante d'utiliser ce même nom et qu'il ne saurait exister de risque de confusion entre les deux dénominations étant observé que "Rennes" et "immobilier" sont des termes génériques que la société Le Helley ne peut s'approprier pour son usage exclusif;

Qu'elle rappelle également que la dénomination commerciale litigieuse "Rennes immobilier" était déjà utilisée il y a plus de 60 ans par Monsieur Rémy Grégoire et qu'il en résulte que la société Le Helley ne détient aucune antériorité d'usage sur cette appellation;

Qu'elle souligne enfin que la société Le Helley a toujours affirmé ne pas vouloir créer de site internet et utiliser ce moyen de communication, et qu'en conséquence il ne peut y avoir de concurrence déloyale entre leurs deux sociétés;

Considérant que l'EURL Véronique Le Helley, intimée, soutient au contraire que l'utilisation par BVI du signe distinctif abrégé de son entreprise comme nom de domaine, constitue un acte de concurrence déloyale lui portant préjudice;

Qu'elle ajoute que BVI s'est emparé de façon consciente et volontaire de la dénomination "Rennesimmo" dans le but de s'approprier la clientèle de l'intimée, les deux entreprises ayant la même activité commerciale;

Qu'elle rappelle en outre qu'elle dispose de l'antériorité de l'usage de la dénomination "Rennes immobilier" dès lors que ce signe distinctif avait été enregistré par son prédécesseur à l'INPI le 10 septembre 1987, et qu'en dépit du fait de ne pas avoir procédé au renouvellement nécessaire du dépôt par ignorance, elle en a toujours eu l'usage;

3. Motifs de l'arrêt:

Considérant que l'EURL Véronique Le Helley a acquis en 1994 un fonds de commerce d'agence immobilière et l'enseigne y attachée "Cabinet Rennes immobilier" devenue "Rennes immobilier" par usage et commodité de langage;

Que, dès 1998, les clients et interlocuteurs de l'agence et principalement les vendeurs ont usé du vocable "Rennesimmo" pour désigner la société comme en attestent les pièces versées aux débats;

Considérant par ailleurs que la société BVI qui exerce l'activité "d'intermédiaire en ventes d'immeubles et de fonds de commerce, gérance d'immeubles, réalisation de lotissements, construction ou achats de tous immeubles..." sous l'enseigne BVI, a créé un site internet accessible par l'adresse "www.bvi.communication" puis a fait p re dans la presse au cours du mois d'octobre 2000, de multiples publicités se référant au site "www.rennesimmo.com", site en voie de création et dont le nom de domaine avait été réservé dès le 8 août 2000;

Considérant que ces publicités ont créé une réelle confusion dans l'esprit de la clientèle de l'EURL Véronique Le Helley, au point de penser que cette dernière avait créé son propre site internet;

Que le nom de domaine utilisé par BVI, est un vocable imitant l'enseigne et le nom commercial de l'EURL Véronique Le Helley de telle sorte que le peu de différences, existant entre les deux dénominations, engendre la confusion dans l'esprit d'un client d'attention moyenne;

Considérant que, pour se défendre, BVI dénie tout caractère déloyal à ses agissements, et conteste à l'EURL Le Helley, l'antériorité de l'usage de la dénomination "Rennes immobilier", dès lors que la marque "Rennes immobilier déposée auprès de l'INPI en 1987 par le prédécesseur de Véronique Le Helley n'avait pas été renouvelé par cette dernière, ce qui explique qu'elle a du procédé à un nouveau dépôt le 24 octobre 2000, alors même que le site internet "rennesimmo" de BVI était déjà en exploitation;

Considérant que seul l'enregistrement d'une marque confère à son titulaire un droit de propriété sur la marque;

Considérant qu'en l'espèce, l'EURL Véronique Le Helley, ne peut venir exciper d'une marque qui n'était pas encore déposée lors de la réservation du nom de domaine contesté;

Que le dépôt de la marque "Rennes immobilier" en 1987, devenu caduc faute de renouvellement, et que celui effectué le 24 octobre 2000 par la société Véronique Le Helley, soit postérieurement à la réservation de l'adresse internet "rennimmo.com" par la société BVI, ne peuvent constituer un obstacle à l'utilisation de ce nom, le principe "premier arrivé, premier servi" s'appliquant en matière de nom de domaine;

Considérant que si le nom de domaine n'est pas reconnu en tant que tel par la loi, la jurisprudence lui accorde toutefois la même force juridique qu'une marque déposée;

Qu'il en résulte que BVI peut revendiquer la protection du signe "rennesimmo.com" et en sa qualité de propriétaire de se signe, et s'opposer à l'enregistrement d'une marque similaire;

Mais considérant par ailleurs qu'il est de principe en droit que le nom commercial et l'enseigne, signes distinctifs permettant l'identification de l'entreprise dans ses rapports avec les tiers et notamment la clientèle, s'acquièrent sans autre formalité par l'usage, et que le nom commercial local antérieur tout comme l'enseigne sont protégés dans la zone géographique où ils sont connus;

Que l'utilisation d'un nom commercial dans un nom de domaine, qui porte atteinte à la fonction d'identification ou de publicité du nom commercial antérieurement utilisé, par un concurrent exerçant dans un même secteur d'activité et sur une même zone géographique, en l'espèce l'agglomération de Rennes, alors qu'il a parfaitement connaissance de l'existence du nom commercial concerné, constitue un fait de concurrence déloyale dont il doit être obtenu réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des pièces produites par la société Le Helley, que l'usage des termes "Rennes immobilier" est établi, et présente un caractère personnel, continu et public, et que ces éléments sont suffisants pour déterminer un droit particulier sur cette appellation qui a valeur de nom commercial protégeable en tant que tel, étant souligné que, depuis 1994, la société Le Helley bénéficie d'une antériorité d'usage sur ce nom;

Que l'appellation Rennes immo ne peut être considérée que comme l'abréviation de Rennes immobilier et qu'en conséquence la protection liée au nom commercial doit être étendue à son abréviation;

Considérant en outre que BVI ne peut se prévaloir d'une antériorité d'usage du vocable Rennes immobilier utilisé par M. Rémy Grégoire, parent des dirigeants de BVI, celle-ci ne venant pas aux droits ce dernier;

Qu'il en résulte que le titulaire du nom commercial peut s'opposer à l'usage de signes similaires lorsqu'un risque de confusion existe;

Considérant que, par ailleurs, la société Véronique Le Helley ne justifie pas d'un préjudice à hauteur du montant de dommages et intérêts réclamé;

Qu'en conséquence, le jugement critiqué sera confirmé dans toutes ses dispositions;

Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties l'intégralité des frais irrépétibles qu'elles ont dû engager à l'occasion de la présente procédure; qu'elles seront déboutées de leurs demandes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Décision

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, Déboute l'EURL Le Helley de ses autres demandes, Condamne la société Bretagne ventes immobilier aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.