CA Amiens, ch. com., 20 septembre 2002, n° 98-02166
AMIENS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
SACAR Car Club (SA)
Défendeur :
400 Tours Services (SARL), Leteurtre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chapuis de Montaunet
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Roche
Avoués :
SCP Million Plateau, Crepin, SCP Tetelin Marguet, de Surirey, SCP Le Roy
Avocats :
Mes Vansteelant, Laurent, Brazier.
Vu le jugement du 23 janvier 1998 par lequel le Tribunal de commerce de Saint-Quentin, saisi à l'initiative de la SARL 400 Tours Services:
- a déclaré coupables et M. Leteurtre et la société SACAR Club Services d'actes de concurrence déloyale envers la SARL 400 Tours Services,
- les a condamnés conjointement et solidairement à payer à la société 400 Tours Services la somme de 50 000 F à titre de provision sur dommages-intérêts,
- a nommé M. Ceschiutti en qualité d'expert aux fins d'évaluer le montant du préjudice subi par la SARL 400 Tours.
Vu l'appel interjeté par la société SACAR Car Club et ses conclusions enregistrées le 13 août 2001 et tendant à:
- dire et juger son appel recevable et bien fondé par ses soins,
- réformer le jugement;
- dire et juger, en application des articles 31 et 32 du nouveau Code de procédure civile, que la SARL 400 Tours Services n'avait pas qualité ni intérêt pour agir en concurrence déloyale à son encontre pour avoir cessé toute activité commerciale avant l'engagement de son action,
- à défaut, la débouter de ses demandes en ce qui la concerne, faute pour elle de démontrer, d'une part, qu'elle est à l'origine de quelconques actes de concurrence déloyale, ni, d'autre part, la réalité du préjudice qu'elle affirme avoir subi et son étendue,
- dire et juger qu'il n'y avait pas lieu de suppléer à la défaillance de preuves apportées par la SARL 400 Tours Services en ordonnant une mesure d'expertise,
- dire et juger qu'il n'y avait pas lieu à faire droit à la demande de condamnation provisionnelle et d'assortir le jugement de l'exécution provisoire, condamner dès lors la SARL 400 Tours Services à réparer le préjudice souffert de ce fait,
- à défaut de faire droit à ce qui précède, dire et juger qu'il n'y a pas lieu de retenir la solidarité entre elle-même et M. Leteurtre,
- subsidiairement, condamner M. Leteurtre à lui rembourser toute somme augmentée des intérêts légaux qu'elle aurait été amenée à verser en ses lieu et place et le condamner à la garantir contre toute condamnation,
- ordonner la production par la SARL 400 Tours Services des contrats visés par l'attestation de M. Bergues du 25 mars 1994,
- mettre les parties en demeure de conclure sur les points que la cour se propose d'évoquer,
- condamner la SARL 400 Tours Services à lui verser les sommes de 50 000 F pour procédure abusive et de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers frais et dépens, y compris les frais d'expertise et ceux inhérent à l'exécution provisoire dont était assorti le jugement, dont distraction au profit de la SCP Million Plateau et Crepin, en application des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Vu, enregistrées le 13 juin 2001, les conclusions présentées par M. Leteurtre et tendant à:
- réformer la décision dont appel,
- accueillir l'exception d'incompétence,
- dire que seul le Conseil de prud'hommes de Saint-Quentin était compétent aux fins de connaître le litige l'opposant à son ancien employeur, la SARL 400 Tours,
- dire et juger que la SARL 400 Tours n'avait pas qualité ni intérêt pour agir en concurrence déloyale à son encontre pour avoir cessé toute activité commerciale avant l'engagement de son action,
à défaut,
- la débouter de ses demandes à son encontre, faute pour elle de démontrer ni qu'il est à l'origine d'un quelconque acte de concurrence déloyale ni la réalité du préjudice qu'elle affirme avoir subi,
- dire et juger n'y avoir lieu à faire droit à la demande de condamnation provisionnelle,
- dire n'y avoir lieu à désigner expert,
- dire n'y avoir lieu à la demande tendant à le voir garantir les condamnations qui pourraient être mises à la charge de la société SACAR Car Club,
- condamner la SARL 400 Tours Services à lui verser les sommes de 20 000 F pour procédure abusive et de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers frais et dépens, y compris les frais d'expertise et ceux inhérents à l'exécution provisoire dont est assorti le jugement dont distraction au profit de la SCP Tetelin Marguet et de Surirey, avoué.
Vu, enregistrées le 22 octobre 2001, les conclusions présentées par la société 400 Tours Services et tendant à:
- déclarer la société SACAR mal fondée en son appel,
- confirmer le jugement,
- évoquant pour le surplus, par application de l'article 568 du nouveau Code de procédure civile, renvoyer la cause à la mise en état et enjoindre aux parties de conclure sur le vu du rapport d'expertise judiciaire,
- condamner la société SACAR à lui verser la somme de 8 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct pour ces derniers au profit de la SCP Le Roy, avoué aux offres de droit.
Sur ce,
Attendu qu'il ressort de l'instruction les faits suivants:
La SARL 400 Tours Services a été immatriculée au RCS de Saint-Quentin le 26 avril 1988.
Elle avait pour activité "l'organisation et la commercialisation de voyages, toutes activités se rapportant au tourisme en général".
Par acte sous seing privé du 15 octobre 1992, elle a embauché M. Leteurtre en qualité de sous-directeur.
Le 28 décembre 1993, elle procédait à son licenciement pour faute grave.
M. Leteurtre a ensuite travaillé en qualité de directeur général de la société SACAR, créée en janvier 1994.
C'est dans ce contexte que la SARL 400 Tours a cru devoir assigner M. Leteurtre et la SA SACAR Car Club devant le Tribunal de commerce de Saint-Quentin, estimant que plusieurs de ses clients l'auraient quittée pour devenir membres de cette nouvelle société, M. Leteurtre ayant selon elle utilisé de manœuvres dolosives pour obtenir leur adhésion.
La SARL 400 Tours sollicitait la condamnation solidaire de la société SACAR Car Club et de M. Leteurtre à lui régler une somme de 431 000 F au titre du préjudice économique subi, outre une somme de 100 000 F au titre du préjudice moral.
Subsidiairement, elle sollicitait la désignation d'un expert comptable avec pour mission de déterminer l'importance du préjudice qu'elle aurait subi.
Elle demandait encore l'octroi d'une provision de 100 000 F.
C'est dans ces conditions que, par le jugement présentement déféré, le tribunal de commerce saisi, faisant partiellement droit aux prétentions de la demanderesse, a condamné solidairement M. Leteurtre et la société SACAR Car Club à lui verser une somme de 50 000 F à titre de provision sur les dommages-intérêts pour concurrence déloyale et, avant dire droit, a ordonné une expertise.
Sur l'exception d'incompétence soulevée par M. Leteurtre:
Attendu que celui-ci constate que les faits qui lui sont reprochés par la société 400 Tours Services concernent exclusivement la période antérieure au 28 décembre 1993 alors qu'il était encore son salarié; que s'il en conclut que le contentieux né, entre lui-même et cette entreprise ne pourrait relever que de la juridiction prud'homale, il sera observé que cette exception n'a pas été soulevée avant toute défense au fond ainsi que l'exige l'article 74 du nouveau Code de procédure civile; que, par suite, celle-ci ne peut qu'être écartée.
Sur l'absence de qualité à agir de la société 400 Tours Services alléguée par la société SACAR Car Club:
Attendu qu'aux termes de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile, "l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé";
Attendu que, constatant que par décision d'assemblée générale extraordinaire du 21 septembre 1993, la SARL 400 Tours Services avait cédé son fonds de commerce à la SA 400 Tours Services, la société appelante soutient que la demanderesse n'avait plus qualité ni intérêt à agir devant le tribunal de commerce pour solliciter l'indemnisation d'actes de concurrence déloyale prétendument commis au cours du 4e trimestre 1993 alors qu'elle n'avait, à cette date, aucune activité commerciale; que, toutefois, les faits reprochés, à les supposer établis, auraient nécessairement eu un impact négatif sur la valorisation du fonds concerné et, dès lors, la SARL 400 Tours Services doit être regardée comme ayant qualité et intérêt à engager la présente action.
Au fond:
Attendu qu'il convient, tout d'abord, de relever qu'il ressort des pièces du dossier que la SARL 400 Tours Services reproche exclusivement à M. Leteurtre la commission d'agissements concurrentiels qui lui étaient contractuellement défendus;que le jugement déféré n'évoque d'ailleurs, à aucun moment, la commission par l'appelante d'actes de concurrence déloyale mais se borne, pour retenir une condamnation solidaire de cette dernière et de M. Leteurtre, à constater que celui-ci exerçait les fonctions de Directeur Général de la société en cause et qu'il avait utilisé des manœuvres pour obtenir l'adhésion à la nouvelle entité mise en place des sociétés et organismes précédemment affiliés auprès de la demanderesse;que l'appelante ne saurait, ainsi, se voir reprocher des faits nécessairement antérieurs au 28 décembre 1993 et, par-là même, antérieurs à sa propre constitution; qu'au demeurant, les attestations versées aux débats par la SARL 400 Tours Services ne la concernent pas et il ne saurait lui être imputé un détournement d'adhérents, lesquels n'ont fait que décider librement à la rejoindre et d'abandonner leur partenariat avec l'intéressée, qu'aucun élément du dossier ne permet d'accuser l'appelante d'avoir frauduleusement influencer de futurs adhérents dans un choix de stratégie commerciale qui leur était propre et antérieur.
Attendu, par ailleurs, que si, à l'appui de ses critiques dirigées à l'encontre de M. Leteurtre, la SARL 400 Tours produit les attestations susmentionnées émanant de MM. Tersou, Larronde, Cauchy, Brouens, Lebosse, Lemback et Marjot et ainsi que de Mme Gaudin, il échet d'observer que leur lecture ne permet de retenir qu'un seul fait suffisamment précis, circonstancié et daté, consistant en la détention par l'intéressé d'un chèque qui lui aurait été remis par M. Gaudin représentant la société Issoudun Tourisme courant octobre 1993 dans le but d'adhérer à la société 400 Tours Services;que, cependant, outre les contradictions existant entre lesdites attestations quant à la personne à laquelle le chèque en cause a été remis et les explications apportées par M. Leteurtre, ce seul fait, utilement avancé, ne peut caractériser l'existence de manœuvres déloyales prétendument exercées pour démarcher une clientèle d'adhérents qui se sont volontairement réunis, ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé, pour créer leur société et ont fait postérieurement appel à M. Leteurtre pour en assurer la direction générale;que, dans ses conclusions, la société SACAR Car Club souligne, elle-même, que ce dernier n'a pas participé à sa création, laquelle est intervenue du fait de la non-acceptation par les affiliés à la SARL 400 Tours Services du remaniement proposée et de sa transformation en société anonyme coopérative à capital variable.
Attendu qu'il convient, en conséquence, tout en confirmant le jugement en a qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. Leteurtre, de l'infirmer pour le surplus - et ce, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur la nature et l'étendue du préjudice allégué - et de débouter la SARL 400 Tours Services de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de M. Leteurtre et de la société SACAR Car Club.
Attendu, en revanche, que ni la société SACAR Car Club ni M. Leteurtre ne rapportant la preuve de la réalité du préjudice dont ils sollicitent réparation du chef de "procédure abusive" de la part de la SARL 400 Tours Services, leurs demandes indemnitaires respectives présentées à ce titre, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
Attendu que la SARL 400 Tours Services, condamnée aux dépens de l'instance et d'appel, versera tant à la société SACAR Car Club qu'à M. Leteurtre une somme de 1 000 euros.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Reçoit l'appel jugé régulier en la forme; Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence présentée par M. Leteurtre et dit recevable l'action de la demanderesse; L'infirme pour le surplus; Et statuant à nouveau; Déboute la société 400 Tours Services de l'ensemble de ses demandes dirigées contre M. Leteurtre et la société SACAR Car Club; Rejette les demandes en dommages-intérêts présentées par M. Leteurtre et la société SACAR Car Club; Condamne la société 400 Tours Services aux entiers dépens de première instance et d'appel avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit des SCP Million Plateau et Crepin et Tetelin Marguet et de Surirey, avoués; La condamne aussi à verser au titre des frais hors dépens une somme de 1 000 euros tant à M. Leteurtre qu'à la société SACAR Car Club.