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Décisions

CA Rouen, 1re ch. 1er cabinet, 24 octobre 2001, n° 97-00488

ROUEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Auchan France (Sté), Docks de France (Sté), Ruche Picarde (Sté), Paridoc (Sté)

Défendeur :

Levi Strauss & Co (Sté), Levi Strauss Continental (SA), Baumgartner (ès qual.), SMT (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunhes

Conseillers :

Mme Jourdan, M. Gallais

Avoués :

SCP Colin Voinchet Radiguet Enault, Me Couppey, SCP Hamel Fagoo

Avocats :

Mes Lubet, Gaussu.

TGI Le Havre, du 17 oct. 1996

17 octobre 1996

- Sur l'action engagée par les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental à l'encontre notamment des sociétés Docks de France Ruche Picarde (DFRP), Paridoc, et SMT (cette dernière en procédure collective),

- en contrefaçon de marques et concurrence déloyale.

- suite au jugement rendu le 17 octobre 1996 par le Tribunal de grande instance du Havre qui a fait droit au principe de la demande,

- et à l'appel relevé par les sociétés Paridoc et DFRP,

- notre cour a rendu le 16 décembre 1998 un arrêt partiellement avant dire droit.

Les débats se poursuivent après cet arrêt et la cour fait ici référence au jugement et à l'arrêt précédemment cités en ce qui concerne l'exposé des faits, ainsi que les moyens et prétentions des parties alors présentés.

Par arrêt du 16 décembre 1998, notre cour, a, notamment,

- reçu l'appel,

- dit que les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental sont recevables à agir pour les faits de contrefaçon constatés à Dury les Amiens et Montivilliers et, aussi, relatifs au lot de 5 832 pantalons achetés par DFRP le 8 février 1993, dont à déduire les 9, 12 et 63 pantalons saisis à Bessoncourt, Woippy et lllkvich,

- confirmé le jugement en ce qu'il a constaté la nullité de la saisie contrefaçon du 14 mai 1993,

- déclaré bonne et valable la description avec prélèvement d'échantillons et appréhension de copies de documents du 19 mai 1993,

- invité les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental à fournir à la cour toute explication de droit et de fait quant

* au fondement exact de leur action en contrefaçon, s'agissant spécialement des faits imputés à Paridoc,

* à la "mise en vente et à la vente", "sciemment", par les sociétés appelantes des produits argués de contrefaçon,

* à la moins bonne qualité des produits argués de contrefaçon,

- renvoyé à cet effet le dossier à la mise en état,

- sursis à statuer pour le surplus.

En exécution de cet arrêt, visant les articles L. 713-1, L. 713-2a), L. 716-1, L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle, et 1382 et suivants du Code civil, les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental ont conclu les 28 octobre 1999 et 25 janvier 2000. Elles ont alors repris leurs prétentions initiales et demandé à la cour de :

- dire qu'elles sont bien fondées en toutes leurs demandes,

- constater qu'elles ont précisé le fondement exact de leur action en contrefaçon tant en droit qu'en fait,

- constater que la société Paridoc, centrale d'achat ou centrale de référencement, se trouve à l'origine de la commercialisation et de la vente de jeans litigieux, et a donc commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Levi Strauss & Co et, de concurrence déloyale au préjudice de la société Levi Strauss Continental,

- Constater que les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental démontrent que la qualité moindre des produits contrefaisant leur cause en préjudice considérable,

- débouter les sociétés Paridoc et Docks de France Ruche Picarde et Me Baumgartner, ès qualités, de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance du Havre en toutes ses dispositions, sauf quant au quantum des dommages-intérêts alloués aux sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental,

et statuant à nouveau,

- condamner in solidum les sociétés Paridoc France Ruche Picarde et Me Baumgartner payer à la société Levi Strauss & Co suivantes :

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque dénominative n° 1 243 900,

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque dénominative n° 1 714 281,

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque figurative n° 1 266 773,

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque figurative n° 1 258 133,

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque figurative n° 1 714 284,

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque figurative n° 1 258 127,

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque figurative n° 1 469 536

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque figurative n° 1 385 183,

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque figurative n° 1 266 399,

* 200 000 F pour l'atteinte à la marque figurative n° 1 220 500,

- condamner in solidum les sociétés Paridoc et Docks de France Ruche Picarde et Me Baumgartner, ès qualités à payer à la société Levi Strauss & Co la somme de 500 000 F à titre de réparation de son préjudice commercial,

- condamner in solidum les sociétés Paridoc et Docks de France Ruche Picarde et Me Baumgartner, ès qualités à payer à la société Levi Strauss Continental la somme de 500 000 F à titre de réparation des actes de concurrence déloyale qu'elle a subis,

- condamner in solidum les sociétés Paridoc et Docks de France Ruche Picarde à payer aux sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental la somme de 50 000 F complémentaires, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- dire que les condamnations pécuniaires mises à la charge de Me Baumgartner ès qualités, vaudront fixation de la créance des sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental au passif de la liquidation de la société SMT.

La société Auchan France, venant aux droits des sociétés DFRP et Paridoc, a conclu le 12 mai 2000 demandant à la cour de

- constater que les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental ne rapportent pas la preuve d'une éventuelle contrefaçon, que la preuve du caractère contrefaisant des jeans litigieux n'est pas rapportée, qu'aucun acte de contrefaçon et/ou de concurrence déloyale n'a été commis à leur encontre,

- en conséquence, infirmer le jugement et rejeter les prétentions de ces sociétés,

- subsidiairement infirmer le jugement sur ce point et condamner la société SMT à les relever indemne de toute condamnation qui seraient prononcées contre elles en faveur des sociétés Levi Strauss,

- infirmer le jugement au titre de leurs demandes reconventionnelles et ainsi condamner les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental à leur payer :

* un franc à titre de dommages-intérêts à la société Paridoc pour procédure abusive,

* 250 000 F à titre de dommages-intérêts à la société DFRP pour saisie et procédure abusives,

* 50 000 F à chacune pour les frais hors dépens.

Les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental ont conclu à nouveau le 15 juin 2001, jour de l'ordonnance de clôture, en fournissant de nouvelles explications, exposant de nouveaux moyens, et formulant des demandes supplémentaires.

Par conclusions du 21 août 2001, la société Auchan France a demandé le rejet de ces dernières conclusions pour non-respect du principe du contradictoire.

Alors que la date de clôture était bien sûr connue d'avance des parties, qu'aucune cause grave n'est invoquée, ce non-respect est patent puisque les sociétés Levi Strauss ont conclu le jour de la clôture ce qui ne permettait pas aux sociétés appelantes de répondre à propos des nouveaux moyens et des nouvelles prétentions exprimées.

Dans ces conditions les conclusions du 15 juin 2001 et les pièces nouvelles communiquées le même jour, ainsi que les conclusions ultérieures des sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental sont irrecevables.

Dans ses écritures du 23 août 12001 Me Baumgartner a demandé qu'il lui soit donné acte de ce qu'il n'a plus la qualité de liquidateur judiciaire de la société SMT, la liquidation judiciaire ayant été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 12 mars 1997.

Il convient de noter que sur incident engagé par les sociétés Levi Strauss, par ordonnance du 22 février 2000, le magistrat de la mise en état de la cour a rejeté la demande de ces sociétés de faire effectuer le prélèvement dans la réserve du magasin Mammouth de Montivilliers d'un nouvel échantillon dans les jeans saisis lors des opérations du 19 mai 1993 ; cette décision indique dans ses motifs que les scellés n'ont pas été apposés sur ces jeans placés en réserve du magasin et qu'ils ne peuvent dès lors être identifiés précisément.

Sur ce, LA COUR,

Vu les conclusions et pièces recevables dans le débat,

Répondant dans ces conclusions à la question posée par notre précédent arrêt du 16 décembre 1998 sur le fondement de leur action en contrefaçon, les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental ont cité à nouveau les articles L. 716-1 et L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, déjà visés par le jugement, invoquant l'usage illicite de marques du fait de la commercialisation en France des articles revêtus des marques contrefaisantes et l'examen des jeans litigieux montrant qu'ils ne sont pas authentiques.

Les sociétés Levi Strauss ont également indiqué, suite à l'arrêt, qu'en matière civile la bonne ou mauvaise foi du contrefacteur est indifférente.

Il est exact d'une part que toute atteinte portée aux droits sur une marque engage la responsabilité civile de son auteur par le seul fait dommageable et ce indépendamment de toute intention frauduleuse, même si notamment il indique s'être renseigné auprès de son fournisseur et avoir recueilli telle ou telle assurance sur l'authenticité des produits.

Il n'en demeure pas moins d'autre part, comme le font observer les sociétés DFRP et Paridoc, que celui qui poursuit en contrefaçon doit rapporter la preuve de ce fait dommageable c'est-à-dire de la réalité de la contrefaçon.

Selon les décisions déjà rendues, le jugement dont appel et l'arrêt du 16 décembre 1998 le confirmant sur ce point, la saisie contrefaçon du 14 mai 1993 réalisée au magasin Mammouth de Dury les Amiens a été annulée ; de plus aucun échantillon prélevé ce jour là n'est à présent joint aux débats Par contre au titre de la saisie réalisée le 19 mai 1993 au magasin Mammouth de Montivilliers, un pantalon jean est produit, et le procès-verbal de description de l'huissier est fourni.

A l'examen comparatif de ce jean et du jean authentique fourni, il apparaît alors à la cour, suivant en cela l'appréciation du premier juge, que le premier reproduit pratiquement à l'identique les marques de la société Levi Strauss & Co.

En effet cet examen révèle que :

- l'étiquette rouge cousue sur le bord de la poche arrière droite (le "TAB) n'est pas conforme à celle du jean authentique quant à la manière selon laquelle apparaissent les lettres du terme "Levi's",

- les étiquettes code barre ne sont pas fixées par des fils nylon,

- la tige des boutons est noire,

- la ceinture ne possède pas deux surpiqûres verticales coté bouton, mais une seule,

- l'étiquette en simili cuir (le Patch) présente un aspect neuf ce qui n'est pas le cas sur l'authentique ; de plus le dessin y figurant fait apparaître un certain nombre de différences relatives à la robe du cheval de droite plus foncée, au harnais, aux personnages, à la queue du cheval de gauche.

Ces éléments établissent la réalité de la contrefaçon.

Pour avoir commercialisé ce produit contrefait, la société DFRP, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Auchan France, a donc engagé sa responsabilité civile, pour les atteintes portées aux droits sur ses marques vis-à-vis de la société Levi Strauss & Co, et pour concurrence déloyale vis-à-vis de la société Levi'Strauss Continental. La société Paridoc, jouant son rôle de centrale de référencement en servant de lien entre le vendeur société SMT et l'acheteur société DFRP et en établissant la commande, a participé à la commercialisation ci-dessus citée des produits contrefaits. Sa responsabilité civile est donc engagée dans les mêmes conditions que celle de la société DFRP comme l'a jugé le tribunal, étant observé que désormais la société Auchan France vient aux droits de la société Paridoc.

Par contre il est à présent précisé, à propos de la situation juridique de la société SMT, que sa procédure collective est clôturée pour insuffisance d'actif depuis jugement du 12 mars 1997 c'est-à-dire peu après que le jugement dont appel ait été rendu.

Dans ces conditions il n'est plus possible de prononcer condamnation de cette société SMT ou de fixer une créance à son encontre, et donc de donner suite à la demande de garantie faite contre elle par les sociétés DFRP et Paridoc.

Au titre de la réparation des préjudices, la société Levi Strauss & Co est victime de l'atteinte au pouvoir attractif de celles-ci ; ces atteintes se retrouvent cependant sur le même produit vendu de sorte que son préjudice doit être apprécié pour l'ensemble et non marque par marque ; de plus elle ne commercialise pas elle-même le produit sur le territoire métropolitain de sorte qu'elle ne souffre pas elle-même de préjudice commercial stricto sensu. Compte tenu des circonstances de la cause et de ces éléments, son préjudice pour atteintes portées aux droits sur ses marques sera chiffré à 300 000 F.

Pour ce qui concerne la concurrence déloyale à l'égard de la société Levi Strauss Continental, bénéficiaire du contrat de licence des marques, elle consiste en la diminution de la valeur de cette licence par l'avilissement des marques, le trouble à son organisation commerciale et les ventes perdues.Les décisions déjà rendues, le jugement dont appel et l'arrêt précédent, ont rappelé que dans le cadre de la présente procédure il fallait tenir compte de l'acquisition par les sociétés DFRP et Paridoc de plus de 5 000 jeans Levi's 501 à la société SMT. Dans ces conditions le préjudice de la société Levi'Strauss Continental sera fixé à 300 000 F.

Il y a lieu de confirmer les mesures complémentaires décidées par le jugement :

- d'interdiction de l'usage des marques tout en précisant, comme l'indique la société Auchan France dans son subsidiaire, que cette interdiction porte sur les marques énumérées par la société Levi Strauss & Co,

- de destruction des articles contrefaits,

- de publication.

Dans le cadre de l'appel la société Auchan France succombe. Elle sera donc condamnée aux dépens de l'appel et à verser la somme de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Vu l'arrêt précédemment rendu le 16 décembre 1998 et dans les limites de l'appel et des points restant à juger, Rejette des débats pour non-respect du contradictoire les conclusions déposées le 15 juin 2001, jour de la clôture, par les sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental, Confirme le jugement en ce qu'il a - dit que les sociétés Paridoc, DFRP et SMT, ont commis des actes de contrefaçon pour les marques alors énumérées dont est titulaire la société Levi Strauss & Co, - dit que ces mêmes sociétés ont commis au travers de ces mêmes faits des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Levi Strauss Continental, Infirme le jugement sur les montants des dommages-intérêts Condamne in solidum les sociétés DFRP et Paridoc, aux droits des quels se trouve aujourd'hui la société Auchan France à payer, - la somme de 300 000 F à la société Levi Strauss & Co pour atteinte aux droits sur ses marques, - la somme de 300 000 F à la société Levi Strauss Continental pour concurrence déloyale, Confirme le jugement: - au titre de la mesure d'interdiction prononcée de faire usage des marques de la société Levi Strauss & Co sous astreinte, en précisant que cette mesure vise les marques énumérées au dispositif du jugement, - pour les mesures de destruction des produits contrefaits, et de publication, - pour les condamnations prononcées en faveur des sociétés Levi Strauss au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - pour la condamnation aux dépens. Dit qu'en raison de la clôture pour insuffisance d'actif prononcée par jugement du 12 mars 1997 de la liquidation judiciaire de la société SMT, les demandes en garantie formées contre cette dernière société par la société Auchan France venant aux droits des sociétés DFRP et Paridoc ne peuvent avoir de suite, Condamne la société Auchan France aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile en faveur de Me Couppey, avoué, Condamne cette même société à verser aux sociétés Levi Strauss & Co et Levi Strauss Continental la somme de 10 000 F pour frais hors dépens en cause d'appel.