CA Lyon, 3e ch. civ., 19 septembre 2002, n° 98-03980
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Blanchard (ès qual.), La Bio gourmande (Sté)
Défendeur :
Bonneterre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moussa
Conseillers :
MM. Kerraudren, Santelli
Avoués :
SCP Brondel & Tudela, SCP Dutrievoz
Avocats :
SCP Brumm, Amiet, Briatta, Cerato, Me Rousset
Exposé du litige - procédure et prétentions des parties:
Par arrêt du 26 mai 2000, auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits de la cause de la procédure ainsi que des prétentions des parties, la cour d'appel de céans a déclaré la société Distriborg irrecevable en son appel et l'en a débouté, puis avant dire droit sur les demandes de Maître Blanchard, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Bio gourmande, dirigées contre la société Bonneterre a enjoint à ce dernier de produire aux débats tous les documents permettant d'évaluer le montant des ventes réalisées en 1995, 1996 et 1997 avec la société Bonneterre, réservant les dépens à l'exception de ceux résultant de l'appel de la société Distriborg qui resteront à sa charge.
La cause a été renvoyée devant le conseiller de la mise en état.
Les parties ont de nouveau conclu.
Vu l'article 455 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 28 décembre 1998,
Vu les prétentions et les moyens développés par Me Blanchard, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Bio gourmande, du 20 novembre 2001 tendant à faire juger que la société Bonneterre avait failli à ses obligations en rompant brutalement et sans motif réel et sérieux les relations contractuelles avec la société Bio gourmande; qu'il en était résulté un préjudice; qu'il doit être réparé; qu'à cet effet la société Bonneterre doit être condamnée à lui payer ès qualités, la somme de 263 633,43 F TTC à titre d'indemnité de préavis ainsi que celle de 361 151,34 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la perte sur marge jusqu'à la fin de l'année 1997;
Il réclame que la société Bonneterre soit déboutée de sa demande reconventionnelle tendant à voir fixer sa créance au passif de la société Bio gourmande pour la somme de 90 630,68 F.
Vu les prétentions et les moyens développés par la société Bonneterre dans ses conclusions du 7 mai 2001 tendant à faire juger que la rupture des relations contractuelles avec la société Bio gourmande n'a été ni abusive, ni fautive mais au contraire justifiée par des difficultés à se mettre d'accord sur les prix de vente des produits qu' elle commandait à la société Bio gourmande; qu'elle a continué à s' approvisionner après la rupture des relations le 30 avril 1997; que Maître Blanchard, ès qualités, doit être débouté de toutes ses demandes; que doit lui être allouée une somme de 90 630,68 F correspondant à la remise de 6 % que lui avait accordée la société Bio gourmande; que soit fixée cette créance au passif de la société Bio gourmande;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 décembre 2001.
Motifs et décision:
I°) Sur l'état de dépendance économique de la société DAO, devenue société Bio gourmande:
Attendu qu'il appartient à Maître Blanchard, qui agit dans l'instance comme mandataire liquidateur de la société Bio gourmande, fabricante de produits biologiques et qui soutient, en cette qualité, que cette société était dans un état de dépendance économique à l'égard de la société Bonneterre qu'elle approvisionnait régulièrement à mesure des commandes que lui faisait l'intimée, de rapporter la preuve d'une telle dépendance et que la rupture des relations contractuelles existant entre elles a été fautive et qu'il en est résulté pour elle des conséquences dommageables;
Attendu que la cour de céans dans son arrêt du 26 mai 2000, estimant que les éléments produits aux débats par la société Bio gourmande étaient insuffisants à établir le bien-fondé de ses demandes pour se voir allouer des dommages et intérêts au titre des préjudices qu'elle prétendait avoir subis du fait de la société Bonneterre, enjoignait à Maître Blanchard, ès qualités, de communiquer tous les documents permettant d'évaluer le montant des ventes réalisées en 1995, 1996 et 1997 avec la société Bonneterre;
Attendu qu'il y eu lieu d'observer que Maître Blanchard, ès qualités, se contente de fournir dans l'instance les bilans de la société DAO pour les périodes du 1er juillet 1994 au 30 juin 1995 et du 1er juillet 1995 au 30 juin 1996, lesquels étaient déjà en possession de la cour avant qu'elle ne rende la décision sus-énoncée, de sorte que Maître Blanchard n'a pas satisfait à l'injonction qui lui était faite en vertu de l'arrêt;
Attendu qu'au surplus, ces bilans n'ont pas été certifiés par l'expert comptable de la société, de sorte qu'il n'est pas possible de leur accorder un crédit absolu de sincérité et alors même que l'on peut s'interroger sur les raisons pour lesquelles les comptes n'ont pas fait l'objet du dépôt au greffe du Tribunal de commerce de Bonneville, comme les dirigeants de cette société en avaient l'obligation;
Attendu qu'en conséquence, l'état de dépendance de la société DAO à l'égard de la société Bonneterre n'est pas démontré, puisque cette démonstration aurait supposé, ce que Maître Blanchard, ès qualités, ne fait pas, qu'il soit établi que le chiffre d'affaires réalisé par la société DAO avec la seule société Bonneterre, mis en comparaison avec l'ensemble de son chiffre d'affaires, soit tel que la société Bonneterre aurait été dans une position dominante par rapport à la société DAO;
Attendu que cette dépendance n'est ainsi pas rapportée;
II°) Sur la rupture des relations contractuelles et ses conséquences:
Attendu que la société Bonneterre ne fournit aucune pièce attestant qu'elle a informé la société DAO de la mauvaise qualité des produits qu' elle lui livrait, de sorte qu'elle ne peut maintenant prétendre sérieusement que de tels griefs aient existé, alors même qu'elle avait la faculté de renvoyer à la société DAO les produits qu'elle considérait comme impropres à la consommation, ce qu'elle n'a pas fait, démontrant ainsi le peu de crédit qu'il convient d'accorder à ses allégations;
Attendu que le moyen développé par la société Bonneterre doit être en conséquence écarté;
Attendu qu'il apparaît des différentes correspondances qui ont été échangées entre les parties que des désaccords persistants sur les conditions dans lesquelles les prix et les remises devaient être fixés n'ont pas permis la poursuite des relations contractuelles;
Attendu qu'en effet, il ne peut être reproché à la société Bonneterre d'avoir cherché à obtenir les meilleurs conditions de prix et de remise possible avec son fournisseur;
Attendu que c'est ainsi à bon droit que la société Bonneterre a contesté dans un courrier du 23 juillet 1996 le barème des remises des prix que la société DAO entendait appliquer pour la fin de l'année 1996;
Attendu qu'il résulte des courriers des 9 avril 1996 et 27 juillet 1996, que la société DAO adressait à la société Bonneterre, que sa position quant aux remises de prix était irréductible et ne pouvait par conséquent être négociée;
Attendu que la société Bonneterre a considéré que dans ces conditions la société DAO remettait en cause sa politique de remise sur les prix qu' elle avait pratiquée sur l'année 1995 et qu'elle ne serait pas en mesure de la faire bénéficier de remises autres que celles qui avaient été prévues allant de 1 % à 3 % en fonction du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'année;
Attendu quo la société Bonneterre entendait obtenir une remise exceptionnelle de 10 % sur ses commandes, et non celle de 6 % que la société DAO lui proposait, pour compenser la perte qu'elle allait subir en ne recouvrant pas une créance qu'elle détenait sur la société Agora qui faisait partie du groupe constitué par la société DAO et qui venait d'être mise en redressement judiciaire;
Attendu que Maître Blanchard, ès qualités, ne conteste pas dans ses écritures que des discussions aient eu lieu à propos des prix à appliquer dans les transactions avec la société Bonneterre et qu'elles n'avaient pu aboutir à raison de désaccords insurmontables;
Attendu qu'au vu de tous ces éléments, la rupture des relations par la société Bonneterre avec la société DAO ne peut être qualifiée d'abusive, dès lors qu'il n'est pas démontré que la société Bonneterre ait cherché à nuire à la société DAO et qu'il n' était pas illégitime que la société Bonneterre défende ses intérêts;
Attendu que d'ailleurs il convient de souligner qu' il n' existait entre les sociétés DAO et Bonneterre aucun engagement imposant à la société Bonneterre de réaliser un minimum de commandes avec la société DAO;
Attendu que, s'il ne peut être fait grief à la société Bonneterre d'avoir interrompu ses relations contractuelles avec la société DAO, il n'en reste pas moins que la société Bonneterre ne pouvait rompre ses relations contractuelles sans respecter un préavis suffisant pour permettre à la société DAO de prendre ses dispositions pour faire face à cette nouvelle situation et pallier les difficultés qui en résultaient, le fait que la société Bonneterre ait continué depuis la rupture des relations avec la société DAO, mais dans des proportions très limitées, de passer des commandes à cette dernière pour des produits secs n'étant pas significatif et en conséquence sans incidence sur la solution à donner à la demande de la société DAO;
Attendu qu'il en est résulté un préjudice pour la société DAO du fait que cette rupture est survenue avec une soudaineté telle que la société DAO n'a pas été en mesure de la prévoir, ne serait-ce qu'à raison du maintien de certaines relations commerciales entre les parties qui pouvait laisser penser qu'elles se poursuivraient;
Attendu qu'en effet l'absence de préavis a bien été pour la société DAO à l'origine d'une perte égale au montant de la marge brute qu'elle dégageait de son exploitation calculée sur le chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec son client, la société Bonneterre en retenant que cette perte doit être limitée à la période que dure habituellement le préavis lorsque les conditions de la rupture se réalisent pour laisser le temps nécessaire à la partie qui en est victime de mettre en œuvre une solution de remplacement;
Attendu qu'il paraît ainsi raisonnable de prévoir un préavis d'une durée de trois mois;
Attendu que le chiffre d'affaires réalisé mensuellement par la société Bio gourmande, anciennement dénommée DAO, au titre des commandes de la société Bonneterre ayant été de 73 476,43 F HT au vu des pièces du dossier pour la période d'activité qui venait de s'achever et la marge brute mensuelle étant égale à 0,6144, c'est une perte de marge de 45 143,92 F qu'a ainsi subie mensuellement la société Bio gourmande, en appliquant ce taux au chiffre d'affaires, de sorte que sur les trois mois de préavis le préjudice s'établit à 45 143,92 F X 3 = 135 431,76 F, soit en euros la somme de 20 646,44;
Attendu qu'il convient en conséquence de condamner la société Bonneterre à payer à Maître Blanchard, ès qualités, la somme de 20 646,44 euros représentant l'indemnité compensatrice de préavis, réformant sur ce point le jugement déféré, lequel doit être en revanche confirmé en ce qu'il a débouté Maître Blanchard, ès qualités, du surplus de sa demande pour obtenir une indemnité de rupture du contrat, alors même qu' aucune faute n'a été retenue du fait de la société Bonneterre qui était en droit de résilier ses engagements et que Maître Blanchard, ès qualités, ne démontre pas que cette rupture soit à elle seule à l'origine des difficultés dans lesquelles s' est trouvée la société Bio gourmande, de sorte qu'il ne peut alléguer un préjudice qui résulterait de cette situation;
III°) Sur la demande reconventionnelle de la société Bonneterre:
Attendu que la société Bonneterre ne peut réclamer que lui soit allouée une somme de 90 630,69 F correspondant à 6 % du montant des commandes qu'elle a passées à la société DAO, sans démontrer qu'un accord est intervenu avec la société DAO pour qu'une telle remise soit pratiquée, le fait que cette remise ait été évoquée et même envisagée par la partie adverse ne suffisant pas à qualifier un accord entre les parties sur ce point;
Attendu que faute de satisfaire à cette exigence de preuve la société Bonneterre doit être déboutée de sa demande en ce qu'elle est dépourvue de fondement, la fixation de cette somme dans l'état des créances de la société DAO ne pouvant de ce fait intervenir;
Attendu qu'il convient de confirmer de ce chef le jugement déféré qui avait rejeté la demande de la société Bonneterre;
IV°) Sur les autres demandes:
Attendu que l'équité commande d'allouer à Maître Blanchard, ès qualités, une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que la société Bonneterre doit supporter les dépens.
Par ces motifs: LA COUR, Vu l'arrêt de la cour de céans du 26 mars 2002, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Maître Blanchard, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Bio gourmande, anciennement dénommée société DAO, de sa demande en dommages et intérêts pour rupture abusive des relations contractuelles du fait de la société Bonneterre à l'égard de son fournisseur et en ce qu'il a débouté la société Bonneterre de sa demande re conventionnelle formée contre Maître Blanchard, ès qualités, pour obtenir le paiement d'une créance alléguée au titre d'une remise, Le réforme pour le surplus, Et statuant à nouveau, Déclare bien fondé Maître Blanchard, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Bio gourmande, anciennement société DAO, dans sa demande formée contre la société Bonneterre pour une indemnité compensatrice de préavis lors de la rupture d'engagements contractuels, Condamne en conséquence la société Bonneterre à payer à Maître Blanchard, ès qualité, la somme de 20 646,44 euros (135 431,76 F) à ce titre; Condamne la société Bonneterre à payer à Maître Blanchard, ès qualités, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que les dépens qui seront recouvrés par la SCP Brondel & Tudela, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.