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Décisions

CA Nîmes, 2e ch., 15 mai 1997, n° 95-3521

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mercedes Benz France (Sté)

Défendeur :

Michel de Chabannes (SARL), Automobiles avignonnaises (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mme Miquel-Pribile, M. Bestagno

Avoués :

SCP Pomies-Richaud-Astraud, SCP Guizard, SCP Fontaine-Macaluso-Jullien

Avocats :

Mes Faure & Associés, Aurenty, Bonnenfant

T. com. Avignon, du 19 mai 1995

19 mai 1995

Suivant bon de commande en date du 16-11-1990, la société Michel de Chabannes (en abrégé MDC) a acheté à la société Automobiles avignonnaises (en abrégé SAA) un véhicule Mercedes 250 D Turbo neuf qui lui a été facturé le 06-02-1991 pour un montant TTC de 246 705 F et a été mis en circulation le 12-02-1991.

Le 05-08-1991, la société MDC s'est plaint par lettre de son conseil de ce que le bruit anormal dans le pont arrière persistait malgré l'intervention du garage vendeur puis celle du technicien de Mercedes Benz France.

Le véhicule a été examiné par différents concessionnaires qui n'ont jamais pu remédier à ce problème de bruit.

Par acte du 09-01-1992, la société MDC a fait assigner la SAA en référé devant le Tribunal de grande instance d'Avignon afin de voir désigner un expert.

L'expert Bodineau, commis par ordonnance du 12-02-1992, a déposé son rapport le 25-08-1992.

Par acte du 02-11-1992, la société MDC a fait assigner la SAA devant le Tribunal de commerce d'Avignon en résolution de la vente, restitution du prix du véhicule et dommages-intérêts.

Par acte du 15-12-1992, la SAA a fait appeler en garantie la société Mercedes Benz France (en abrégé MBF).

Les instances ont été jointes.

Par jugement du 19-05-1995, le Tribunal de commerce d'Avignon:

- a déclaré recevable l'action de la société MDC;

- a dit n'y avoir lieu à résolution de la vente du 16-11-1990;

- a condamné la SAA à payer à la société MDC 75 000 F de dommages-intérêts et 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- a condamné la société MBF à relever et garantir la SAA des condamnations prononcées à son encontre.

Par acte du 3 août 1995, la société MDF a régulièrement fait appel de ce jugement.

Par conclusions signifiées le 1er décembre 1995 puis le 2 janvier 1997, elle demande à la cour:

- d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions;

- statuant à nouveau,;

- à titre principal, déclarer le rapport d'expertise du 2 août 1992 inopposable à la société MBF;

- en conséquence, mettre cette dernière purement et simplement hors de cause;

- subsidiairement, déclarer l'action de la société MD irrecevable pour ne pas avoir été intentée dans le bref délai exigé par l'article 1648-1 du Code civil;

- plus subsidiairement, déclarer les demandes de la société MDC mal fondées;

- en conséquence, débouter cette dernière de toutes ses demandes;

- condamner la société MDC à payer à la société MEF la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir:

- que le rapport de l'expert ne lui est pas opposable puisqu'elle n'a pas été mise en cause dans la procédure de référé et n'était ni présente ni représentée lors des réunions d'expertise;

- que les demandes de la société MDC sont irrecevables puisqu'elle n'a pas agi dans le bref délai édicté par l'article 1648-1 du Code civil, un délai de 17 mois s'étant écoulé entre la découverte du vice avant juin 1991 et l'introduction de son action au fond le 02-11-1992;

- que sa demande en résolution est mal fondée puisqu'elle s'appuie sur le rapport de l'expert qui ne permet pas de caractériser un vice caché rendant la chose impropre à son usage;

- que le bruit dont se plaint la société MDC ressort plus de l'impression subjective que du phénomène audible, ne rend pas le véhicule dangereux et ne nuit pas à sa conduite;

- que la société MDC ne peut demander la résolution pour vice caché et des dommages-intérêts pour défaut de conformité, ces deux actions étant exclusives l'une de l'autre;

- que le montant alloué par les premiers juges est égal à la valeur actuelle du véhicule ce qui ne correspond pas au préjudice allégué;

- que la société MDC fait état d'un préjudice résultant de la privation de jouissance du véhicule, mais ne justifie pas de l'immobilisation de celui-ci.

La société MDC demande à la cour, par conclusions signifiées le 9 février 1996 de:

- confirmer la décision rendue en ce qu'elle a jugé recevable l'action de la société MDC;

- pour le surplus, l'infirmer et prononcer la résolution de la vente, ordonner la restitution du véhicule par la société et la restitution du prix par le vendeur, la SAA, et ce avec intérêts de droit au taux légal à compter de la vente et en outre la condamner à 10 000 F à titre de dommages-intérêts et 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- subsidiairement, la condamner à 150 000 F à titre de dommages-intérêts et à 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- en toute hypothèse, la condamner aux entiers dépens en ce compris ceux de l'expertise;

- dire au surplus que la SAA sera relevée et garantie par la société MEF qui sera elle déboutée de toutes ses demandes, fins et conclusions.;

Elle fait valoir:

- que le rapport de l'expert est opposable à la société MEF dans la mesure où un inspecteur de la marque était présent lors des réunions avec l'expert qui ont eu lieu chez le concessionnaire représentant la marque;

- que l'article 1648-1 du Code civil imposant d'agir à bref délai a largement été respecté puisque la société MIX a tenté de faire jouer la garantie contractuelle d'avril à novembre 1991, puis a très rapidement demandé une expertise judiciaire dès le 09-01-1992;

- qu'il existe bien un vice propre au véhicule relevé par l'expert consistant en un bruit réel, irréparable et caché rendant possible l'action rédhibitoire de l'article 1641 du Code civil;

- que le vendeur professionnel est présumé de mauvaise foi, ce qui permet l'entière application de l'article 1645 du Code civil et le réparation des préjudices qui ont résulté du vice;

- que la somme de 10 000 F est demandée à titre de dommages-intérêts pour les désagréments causés par les différentes interventions sur le véhicule;

- qu'au subsidiaire, il y aurait lieu à tout le moins d'allouer à la société MDC 150 000 F de dommages-intérêts, le véhicule haut de gamme qui lui a été vendu étant grevé d'un vice non réparable qui le prive du confort de conduite contractuellement prévu.

Par conclusions du 25-09-1996, la société SAA demande à la cour de:

- réformer la décision rendue par le Tribunal de commerce d'Avignon le 19 mai 1995;

- déclarer irrecevable la demande de la société MDC;

- subsidiairement, rejeter toutes ses demandes, fins et conclusions;

- subsidiairement encore, si des condamnations étaient prononcées à l'encontre de la concluante, condamner la société MBF à la relever et garantir de toutes les condamnations, intérêts et frais qui pourraient être prononcés à son préjudice;

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle soutient:

- que l'action de la société MDC est irrecevable car elle n'a pas respecté le bref délai de l'article 1641, l'assignation au fond étant du 2 novembre 1992 et la connaissance du vice du 5 août 1991;

- que l'expertise est opposable à la société MEF puisqu'elle s'est déroulée dans ses locaux en présence de ses représentants;

- que la résolution de la vente ne peut intervenir puisque le vice allégué est une sensation sonore qui ne rend pas la chose impropre à son usage et ne le diminue pas;

- qu'il n'est pas prouvé que le vice existait avant la vente;

- qu'il ne peut y avoir condamnation à dommages-intérêts conformément à l'article 1646 du Code civil puisque le vendeur ignorait le vice;

- que la demande de dommages-intérêts pour l'inconfort de conduite n'est pas justifiée en l'état des constatations de l'expert.

Motifs

Sur l'opposabilité à la société MEF du rapport d'expertise déposé pat Monsieur Bodineau le 25-08-1992

Il résulte des énonciations du rapport d'expertise de Monsieur Bodineau, p. 9, que l'expert a tenu son accédit technique dans les locaux de la société Masa concessionnaire Mercedes à Marseille, en présence notamment de Monsieur Gallo, responsable de l'atelier mécanique de la société Masa, et de Monsieur Poser, inspecteur technique Mercedes Benz;

La société MEF représentée par son concessionnaire et soc inspecteur technique a donc pu être entendue par l'expert et faire valoir ses observations;

Ces circonstances établissent suffisamment la participation de la société MEF aux opérations d'expertise et permettent de lui déclarer opposable le rapport déposé le 25-08- 1992 par Monsieur Bodineau;

En outre le rapport d'expertise a été régulièrement communiqué à la société MEF qui a pu le critiquer dans ses écritures;

Le principe du contradictoire est donc respecté;

La société MEF doit dès lors être déboutée de son moyen tendant à lui voir déclarer inopposable le rapport de Monsieur Bodineau et à obtenir sa mise hors de cause.

Sur la recevabilité de l'action de la société MDC

Le véhicule dont s'agit a été mis en circulation le 12-02-1991.

Le vice signalé par la société MIX, consistant en un bruit anormal au niveau du pont arrière, a provoqué de nombreuses interventions ayant pour but d'ôter cette nuisance.

Sont ainsi intervenus le concessionnaire Mercedes Benz d'Avignon, vendeur, du 9 au 12 avril 1991, le concessionnaire Mercedes Benz de Salon le 4 juin 1991, le concessionnaire d'Avignon les 11 juin, 14 juin, 23 juillet et 17 août 1991, le concessionnaire de Salon le 11 septembre 1991.

La société MDC a déploré l'inefficacité de ces interventions par lettres de son conseil du 5 août 1991 à son vendeur, du 30 octobre 1991 à la société MEF, a assigné son vendeur en référé à fin d'expertise le 9 janvier 1992, puis au fond~ le 2 novembre 1992 sur la base du rapport d'expertise déposé le 25-08-1992.

Il résulte de cette chronologie, des nombreuses et vaines tentatives de remédier au vice dans le cadre de la garantie contractuelle, et de la nécessité de recourir à une expertise pour déterminer l'origine et la nature de l'anomalie sonore alléguée, que la société MDC a agi à bref délai eu égard à la nature du vice rédhibitoire invoqué conformément aux dispositions de l'article 1648 al. 1er du Code civil et que son action a été à bon droit déclarée recevable par les premiers juges.

Sur la demande principale de la société MDC en résolution de la vente, restitution du prix et paiement de 10 000 F de dommages-intérêts

Aux termes de l'article 1641 du Code civil, "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus".

Il résulte du rapport d'expertise:

- que l'expert a constaté la réalité de la nuisance sonore alléguée;

- que le véhicule fait un bruit anormal à l'arrière, un à-coup anormal, principalement audible sur le rapport le plus élevé lors de décélération ou de reprise d'accélération;

- que ce phénomène ne résulte pas d'un défaut d'entretien;

- qu'il constitue un défaut propre du véhicule;

- qu'il n'a jamais pu être supprimé malgré les nombreuses interventions effectuées par les concessionnaires Mercedes d'Avignon, Salon de Provence puis Marseille;

- que sa cause provient d'une liaison trop souple entre le berceau supportant le pont arrière et l'habitacle du véhicule;

- qu'il ne rend pas le véhicule dangereux ou impropre à la conduite mais constitue un défaut désagréable pour l'utilisateur;

Il apparaît ainsi que le véhicule dont s'agit produit un bruit anormal au niveau du pont arrière dans son fonctionnement en 5e vitesse, que cette anomalie est inhérente au véhicule et irréparable et constitue un vice caché;

Le fait que ce vice se soit révélé dès les premiers n'ois d'utilisation sur un véhicule neuf et bien entretenu confirme en tant que de besoin son origine antérieure à la vente;

Cette nuisance sonore ne rend pas le véhicule impropre à son usage ; la société MDC ne peut donc se voir reprocher d'avoir parcouru 47 000 kms lors de l'expertise et de continuer à rouler avec le véhicule litigieux pendant la durée du procès dès lors que ni son vendeur ni la société MEF n'ont amiablement consenti à la reprise du véhicule.

Mais cette nuisance sonore dans le rapport le plus élevé, dont la réalité et le caractère irréparable sont établis par les constatations de l'expert, caractérise pour le véhicule dont s'agit, neuf, haut de gamme et d'une marque de prestige, un vice caché générateur d'une atteinte grave au confort de conduite et de conditions d'utilisation désagréables qui diminuent tellement l'usage du véhicule que l'acheteur ne l'aurait pas acquis s'il l'avait connu.

Il convient d'ailleurs de noter que la société MEF avait admis la réalité et la gravité du vice invoqué puisque dans sa lettre du 14-08-1991, en réponse au courrier de réclamation du conseil de la société MDC daté du 05-08-1991, la société MEF écrivait "après renseignements, nous avons appris que ce véhicule est actuellement en vérification chez notre concessionnaire de Salon de Province, les établissements Masa, qui met tout en œuvre pour le rendre conforme à la série".

L'article 1644 du Code civil donne le choix à l'acquéreur qui agit en garantie des vices cachés de rendre la chose et de se faire restituer le prix ou de garder la chose et se faire rendre une partie du prix.

En l'espèce, il y a lieu, vu la gravité du vice invoqué, d'accueillir la demande principale de la société MDC en résolution de la vente, restitution du véhicule par l'acquéreur et du prix par le vendeur.

Le prix restitué par le vendeur, soit la saune de 246 705 F TTC, portera intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 1992, date de l'acte introductif d'instance en application de l'article 1153 al. 3 du Code civil.

La société SAA est un vendeur professionnel tenu de connaître les vices de la chose, qui doit réparer l'intégralité du préjudice provoqué par le vice affectant la chose vendue en application de l'article 1645 du Code civil.

Le préjudice de la société MDC est caractérisé par les désagréments résultant des multiples interventions sur le véhicule pour tenter de remédier au vice qui sont décrites dans ses écritures et par l'expert, et sont nécessairement génératrices de pertes de temps et de jouissance.

Ce préjudice justifie l'allocation de 10 000 F de dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires de la société MDC

La société SAA qui succombe devra supporter les entiers dépens de première instance et d'appel et les frais d'expertise et payer la somme globale de 10 000 F à la société MDC au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur l'appel en garantie formé par la société SAA contre la société MEF

Il est établi que le défaut du véhicule Mercedes vendu par la société SAA à la société MDC est propre au dit véhicule; la société MBF en est donc responsable en sa qualité de constructeur et doit être condamnée à relever et garantir la société SAA des condamnations prononcées à son encontre, et aux entiers dépens de l'appel en garantie.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort; En la forme, reçoit l'appel; Au fond, - déclare opposable à la société Mercedes Benz France le rapport d'expertise de Monsieur Bodineau déposé le 25-08-1992; - confirme le jugement entrepris en ce qu'il a jugé recevable l'action de la société Michel de Chabannes; - l'infirme pour le surplus; Statuant à nouveau; Prononce la résolution de la vente conclue le 16-11-1990 entre la société Automobiles avignonnaises et la société Michel de Chabannes; Ordonne la restitution du véhicule par la société Michel de Chabannes à la société Automobiles avignonnaises; Condamne la société Automobiles avignonnaises à restituer à la société Michel de Chabannes la somme de 246 705 F outre intérêts légaux à compter du 02-11-1992; Condamne la société Automobiles avignonnaises à payer à la société Michel de Chabannes la somme de 10 000 F de dommages-intérêts et de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Automobiles avignonnaises aux dépens de première instance et d'appel et au paiement des frais d'expertise exposés par la société Michel de Chabannes; Autorise la SCP Guizard à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision; Déboute la société Mercedes Benz France de ses demandes; Condamne la société Mercedes Benz France à relever et garantir la société Automobiles avignonnaises des condamnations prononcées à son encontre; Condamne la société Mercedes Benz France aux dépens de première instance et d'appel afférents à son appel en garantie.