Ministre de l’Économie, 19 août 2003, n° ECOC0400256Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils du groupe Laboratoire Marcel Mérieux-Socamed
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 15 juillet 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition de la société Tonkin Investissements (ci-après " TI ") par le groupe Laboratoire Marcel Mérieux-Socamed (ci-après " LMM ").
I. - Les parties à l'opération
LMM exploite un certain nombre de laboratoires d'analyses de biologie médicale, dont la plupart se situent en dehors d'établissements hospitaliers ou de santé. LMM a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires mondial d'environ 63 millions d'euros intégralement réalisé dans l'Union européenne, dont 62,7 millions d'euros en France (1).
TI, holding français du groupe allemand Hurlle, contrôle plusieurs sociétés françaises présentes dans le domaine des soins dispensés en cliniques. La quasi-totalité du chiffre d'affaires de TI est généré par sept sociétés d'exploitation de cliniques, implantées dans la région Rhônes-Alpes. En 2002, TI a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 101 millions d'euros, en France exclusivement.
Dans le cadre de la présente TI, LMM va créer la société Tonkin Patrimoine, qui détiendra, in fine, 50 % plus une action du capital de TI. Le groupe Hurlle, second investisseur de TI, détiendra moins de 40 % du capital de TI. Toutefois, il ressort des statuts de TI et du pacte d'actionnaire entre LMM et le groupe Hurlle que cette participation ne permettra pas à ce dernier d'exercer un contrôle conjoint avec LMM sur TI.
La présente opération conduira donc à l'acquisition du contrôle exclusif de TI par Tonkin Patrimoine, filiale de LMM, et constitue donc une concentration telle que définie à l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Les conditions de seuils de chiffres d'affaires posées par l'article L. 430-2 du Code de commerce sont satisfaites, sans que l'opération ne revête une dimension communautaire. L'opération est par conséquent soumise au contrôle français des opérations de concentration.
II. - Marchés concernés
Marchés de services
Selon les parties, il convient de distinguer deux marchés pertinents de services. Il y a, d'une part, celui des analyses de biologie médicale, sur lequel est présent LMM et, d'autre part, celui des soins médicaux dispensés en établissements hospitaliers et en cliniques, sur lequel TI est actif.
Cette segmentation se fonde sur le Code de la santé publique qui a défini de manière distincte et précise ces deux activités. Selon le Code de la santé publique, les analyses de biologie médicale sont " les examens biologiques qui concourent au diagnostic, au traitement ou à la prévention des maladies humaines " (art. L. 6211-1) alors que " les établissements de santé, publics et privés, assurent les examens de diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes en tenant compte des aspects psychologiques du patient. Ils participent à des actions de santé publique et notamment à toutes actions médico-sociales coordonnées et à des actions d'éducation pour la santé et de prévention. " (art. L. 6111-1).
Il convient de souligner que l'activité d'analyses de biologie médicale pourrait faire l'objet d'une segmentation plus fine, qui consisterait à distinguer un marché des analyses de biologie médicale dites de " routine " et un marché des analyses de biologie médicale spécialisées. De fait, l'activité des laboratoires de biologie médicale de routine ne peut se substituer à celle des laboratoires de biologie médicale spécialisée. Ces derniers se focalisent sur des actes de biologie rares, soumis à agrément particulier et nombre de laboratoires d'analyses de biologie de routine se voient ainsi dans l'obligation de sous-traiter, n'étant pas, techniquement et juridiquement, en mesure de les effectuer. Cette spécificité se confirme d'ailleurs en terme de différence de prix entre les deux types d'analyses : le test de marché mené dans le cadre de l'instruction de la présente opération a ainsi révélé qu'une analyse spécialisée a, selon la nomenclature des actes de biologie médicale, une valeur en moyenne trois fois supérieure à une analyse de routine. Toutefois, au cas d'espèce, la définition précise des marchés d'analyses de biologie médicale peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeureront inchangées, quelle que soit la délimitation de marché retenue.
Marché géographique
Si l'on devait retenir un marché des analyses de biologie médicale de routine, sa dimension géographique serait locale tant du point de vue de la demande que de l'offre (2).
Si l'on devait retenir un marché des analyses de biologie médicale spécialisées, ce marché serait plutôt de dimension nationale. En effet, le nombre d'offreurs sur ce marché est relativement limité compte tenu des spécificités de cette activité et l'offre émane principalement de LMM et du groupe Laboratoire Pasteur Cerba (3), qui disposent d'implantations locales afin d'assurer le maillage du territoire national. De fait, l'activité de transport et de collecte organisée sur le plan national pour ce type d'analyses démontre que la proximité géographique - notamment le fait d'être implanté dans la même région que la clinique ou laboratoire qui sous-traite - ne constitue pas un critère de sélection d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale spécialisées.
Au cas d'espèce, les dimensions géographiques des marchés pertinents pour les analyses de biologie médicale spécialisées et de routine peuvent être laissées ouvertes, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées quelles que soient les dimensions géographiques retenues.
S'agissant du marché des soins médicaux dispensés en établissements hospitaliers et en cliniques, les parties proposent un marché de dimension régionale dans la mesure où la réglementation en vigueur pour l'activité et l'implantation de ces établissements s'appuie sur une logique régionale, avec notamment des instruments comme la carte sanitaire (4) et le schéma régional d'organisation sanitaire (SROS) (5). Cette délimitation géographique a également été retenue par le ministre dans sa décision du 14 novembre 2002 relative à la prise de contrôle des sociétés Hôpital Clinique Claude Bernard et SC La Cheneau par la société Medi-Partenaires. La dimension géographique du marché pertinent peut cependant également être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées quelle que soit la dimension géographique retenue.
III. - Analyse concurrentielle
D'un point de vue horizontal, la présente opération ne conduit à aucune addition de parts de marché, les parties concernées opérant sur des marchés de services distincts.
Elle doit néanmoins être analysée d'un point de vue vertical, dans la mesure où à la suite de l'opération, LMM contrôlera à la fois des cliniques, dont les praticiens sont prescripteurs d'actes de biologie médicale, et des laboratoires qui effectuent ces actes. Cependant, le test de marché a révélé que, dans la pratique, les cliniques font réaliser ces actes par des laboratoires dans le cadre de contrats d'exercice, conclus pour une durée indéterminée (6), qui confèrent aux laboratoires en question une exclusivité pour les analyses de biologie médicale (7). Ainsi, à la suite de l'opération, les cliniques TI objets de l'acquisition seront donc fortement incitées à faire réaliser, lorsque ce n'est pas déjà le cas, leurs analyses de biologie de routine et de biologie spécialisées par un laboratoire de LMM, limitant ainsi l'accès des autres laboratoires concurrents à cette clientèle.
On constate que trois des cliniques de TI (la clinique du Tonkin à Villeurbanne et les cliniques Saint Louis et Sainte Marie-Thérèse à Bron) fonctionnent déjà en contrat d'exercice avec des laboratoires de LMM. En tout état de cause, les sept cliniques objets de la présente opération ne détiennent pas une position suffisamment forte sur le marché des soins médicaux en Rhône-Alpes de nature à conférer un avantage concurrentiel à LMM, tant sur le segment des analyses biologiques de routine que sur celui des analyses biologiques spécialisées, dans l'hypothèse où LMM récupérait les volumes d'actes de biologie médicale de ces cliniques.
En conclusion, il ressort de l'ensemble de ces éléments que la présente opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe par conséquent que je l'autorise.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.
(1) Un peu plus du tiers de ce chiffre d'affaires est réalisé exclusivement dans la région Rhône-Alpes.
(2) Il convient de souligner que le contrôle des implantations des laboratoires d'analyses médicales est exercé au niveau local via l'autorisation des services départementaux du ministère de la Santé (DDASS).
(3) On note également la présence de plus petits opérateurs tels que l'Institut Pasteur de Lille.
(4) La carte sanitaire détermine les limites des régions et secteurs sanitaires ainsi que la nature et l'importance des équipements à mettre en ouvre pour répondre aux besoins de la population. Elle organise ainsi, à l'intérieur de chaque région et secteur, la répartition géographique des installations (lits, places et équipements matériels lourds) ou des activités de soins.
(5) Le schéma régional d'organisation sanitaire vise à organiser la recomposition hospitalière dans une région donnée, en attachant notamment une grande importance à la cohérence et complémentarité du dispositif hospitalier, public et privé, mis en place.
(6) En cas de résiliation, un préavis de 12 mois est généralement prévu et ces contrats d'exercice stipulent soit une installation du laboratoire au sein de la clinique soit la mise à disposition par la clinique de locaux pour le laboratoire.
(7) Cette exclusivité ne joue pas pour les actes d'anatomie et de cytologie pathologique. En contrepartie de cette exclusivité, les laboratoires versent aux cliniques une redevance annuelle sur le montant des honoraires qu'ils perçoivent.