CA Chambéry, ch. civ., 15 octobre 2002, n° 99-01418
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupe Volkswagen France (SA)
Défendeur :
Batimur (SA), Meynet (ès qual.), Annecy Automobile Diffusion (SA), Blanchard (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Beraudo
Conseillers :
Mme Cuny, M. Betous
Avoués :
SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon, Me Dantagnan, SCP Buttin-Richard/Fillard
Avocats :
SCP Vogel & Vogel, Me Rousset-Bert, SCP Gosset & Ecuvillon.
Vu le jugement rendu par le Tribunal de grande instance d'Annecy, statuant en matière commerciale, le 30 mars 1999, qui a:
- condamné la SA Groupe Volkswagen France à payer à Maître Robert Meynet et Maître Jean Blanchard ès qualités les sommes de:
* 7 149 986,79 F à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 28 mai 1997
* 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- sursis à statuer sur le surplus de la demande principale, dans l'attente de l'intervention d'une décision définitive sur l'admission de la créance de la SA Batimur au passif de la SA AAD,
- rejeté toutes les demandes dirigées contre la SA Batimur et mis cette partie hors de cause,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en sa faveur,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
Vu l'appel interjeté par la société Groupe Volkswagen France et ses conclusions déposées le 12 juin 2002,
Vu les conclusions déposées par Me Meynet, commissaire à l'exécution du plan de la société Annecy Automobile Diffusion (AAID) et par Me Blanchard, représentant des créanciers, le 22 mai 2002,
Vu les conclusions de la société Batimur en date du 18 avril 2002,
Les conclusions des parties postérieures à la clôture prononcée le 26 juin 2002 ayant été écartées des débats,
Sur la recevabilité des demandes formulées par Me Blanchard, ès qualités, et le principe du non cumul de l'action en responsabilité de droit commun et de celle fondée sur l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985,
Attendu qu'avant de statuer sur ces moyens opposés par la société Groupe Volkswagen France, il convient de définir l'objet du litige;
Attendu, en effet, que le tribunal a condamné la société appelante au paiement de dommages-intérêts sans préciser clairement le fondement juridique de sa décision; que l'assignation du 3 juin 1997 était fondée à la fois sur le caractère erroné des études prévisionnelles et les dispositions de l'article 1382 du Code civil, sur la notion de gestion de fait et sur la notion de soutien abusif; que le tribunal a écarté la gestion de fait et le soutien abusif pour ne retenir que des fautes commises au moment de la négociation du contrat de concession;
Attendu que devant la cour, les intimés reprennent leurs trois griefs et invoquent alternativement à la gestion de fait, une immixtion de la société appelante dans la gestion de la société AAD;
Que la société Groupe Volkswagen France fait valoir que le grief relatif à la gestion de fait ne peut se fonder que sur les dispositions de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 (devenu l'article L. 624-3 du Code de commerce), dont l'application est exclusive de celle des dispositions de l'article 1382 du Code civil;
Que pour leur part, les mandataires intimés ne réclament pas l'application de l'article L. 624-3 du Code de commerce mais se fondent exclusivement sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil;
Attendu que le tribunal ne s'est pas fondé sur la gestion de fait puisqu'il a écarté ce grief; que c'est donc à tort que l'appelant sollicite, page il de ses écritures, la réformation du jugement sur ce point;
Attendu, en revanche, que la société Groupe Volkswagen France, aux droits de la société Seat France, est fondée à soutenir qu'elle ne pourrait être poursuivie en qualité de dirigeant de fait que sur le fondement des dispositions de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 devenu L. 624-3 du Code de commerce;
Attendu, cependant, que si la société Groupe Volkswagen France n'a pas la qualité de dirigeant de fait, les griefs, autres que la gestion de fait, sont recevables sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil;
Attendu qu'en tout état de cause, en vertu de l'article 67 alinéa 2 de la loi du 25 janvier 1985 alors applicable (devenu l'article L. 621-68 du Code de commerce), au moment de l'introduction de l'instance, postérieure à l'adoption du plan de redressement, le représentant des créanciers, dont les pouvoirs sur ce point avaient été transférés au commissaire à l'exécution du plan, n'avait plus qualité pour engager une action en responsabilité contre la société Groupe Volkswagen France ;
Que le même principe serait d'ailleurs applicable, par application combinée de ce texte et de l'article 183 de la même loi (devenu l'article L. 624-6 du Code de commerce), à une action fondée sur les dispositions de l'ex-article 180;
Que les demandes de Me Blanchard, ès qualités, seront déclarées irrecevables;
Attendu, sur la recevabilité des demandes de Me Meynet, qu'aucun élément du dossier ne révèle de la part de la société Seat France, aux droits de laquelle se trouve la société Groupe Volkswagen France, une gestion de fait de la société AAD;
Que l'examen des correspondances échangées révèle, au contraire, que les dirigeants de la société AAD sont toujours restés les maîtres de leur affaire, même s'ils étaient, en tant que concessionnaires, dépendants économiquement de leur concédant, et soumis à un rigoureux contrôle financier, et si les difficultés qu'ils ont rencontrées ont aggravé cette dépendance;
Que c'est la société AAD qui a demandé à plusieurs reprises à la société Seat France de lui consentir certains avantages commerciaux, afin de pouvoir surmonter ses difficultés;
Qu'à aucun moment celle-ci n'a pris en mains la direction de la société AAD;
Attendu que les demandes de Me Meynet autres que celle fondée sur la gestion de fait sont donc recevables;
Attendu que Me Meynet invoque tout à la fois une immixtion fautive dans la gestion de la société et un soutien abusif;
Attendu que le grief d'immixtion dans la gestion concerne le contrôle de la gestion comptable et financière de la société
Attendu, cependant, que le contrôle financier exercé, fût-ce avec une périodicité rapprochée, sur les comptes de la société ne saurait suffire à caractériser une immixtion dans la gestion;
Attendu que pour illustrer cette prétendue immixtion, Me Meynet invoque les conseils donnés à la société AAD ainsi que aides commerciales et financières qui lui ont été consenties par son concédant;
Attendu que les conseils sont le corollaire du contrôle financier ;qu'ils ne caractérisent pas une immixtion fautive du concédant, dès lors que, d'une part, il n'est pas prétendu que celui-ci aurait exercé des pressions pour obliger la société AAD à les appliquer, et que, d'autre part et surtout, il n'est pas prétendu non plus que l'un quelconque des conseils donnés ponctuellement à la société pour l'aider à surmonter ses difficultés était mauvais;
Attendu que s'agissant des aides commerciales et financières, elles ont été analysées comme efficaces par l'expert, et comme ayant procuré un soutien non négligeable à la société AAD;
Attendu que ces aides, qui ont certainement eu pour effet de retarder le dépôt de bilan, ne pourraient être critiquées que si elles présentaient le caractère d'un soutien abusif;
Or, attendu que ce soutien, qui résulte également, et principalement, des délais de paiement consentis par la société concédante, ne présente pas un caractère abusif dès lors que la situation de la société concessionnaire n'était pas irrémédiablement compromise;
Attendu que la société AAD a rencontré des difficultés dès le premier exercice d'exploitation, en raison du fait que le nombre de véhicules neufs vendus a été sans commune mesure avec les prévisions ; qu'elle a ensuite été confrontée à la crise du marché de l'automobile en 1993 ; que, néanmoins, elle a connu une augmentation de ses ventes de véhicules neufs au cours de cette année difficile, ce qui révélait, eu égard au contexte de la baisse générale des ventes dans la profession, une progression significative dans la pénétration du marché local; que le nombre de véhicules neufs vendus a encore augmenté, dans des proportions importantes, en 1994, tout en restant inférieur au chiffre qui aurait permis d'obtenir un résultat équilibré ; que, malheureusement, la société AAD a vu corrélativement ses marges commerciales se réduire; que, néanmoins, elle pouvait encore espérer qu'en réduisant notablement ses charges financières (changement de locaux), et grâce à la poursuite de l'augmentation du nombre de ventes, elle arriverait à surmonter ses difficultés; que tel n'a pas été le cas, la pénétration du marché n'ayant pas progressé en 1995, pour des raisons diverses liées notamment aux mesures internes que la société AAD avait dû prendre pour limiter ses engagements de dépense; que la société Batimur, crédit-bailleur, n'ayant pas accepté de consentir un sacrifice financier comparable à celui que la société concédante était prête à réaliser par une importante remise de dette, la société AAD a donc été dans l'obligation de déposer son bilan;
Attendu que les difficultés de la société AAD étaient liées à un démarrage d'activité dans un contexte de crise de tout le secteur de l'automobile ;que cette situation s'est améliorée en 1994 avec l'aide des pouvoirs publics;qu'il n'était donc pas déraisonnable d'escompter que l'exploitation de la concession pourrait devenir rentable dans le cadre d'une reprise économique;
Attendu qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté toute notion de soutien abusif dans cette affaire;
Sur la responsabilité encourue par la société Groupe Volkswagen France en raison du caractère erroné des études prévisionnelles,
Attendu qu'ainsi que l'a relevé l'expert, les études prévisionnelles réalisées par la société Seat France étaient exagérément optimistes,puisqu'elles aboutissaient à la conséquence que le "point mort" d'environ 270 véhicules neufs vendus sur douze mois, à partir duquel les résultats devaient être non déficitaires, serait atteint, et ce dès le premier exercice ;
Que les résultats ont été bien inférieurs aux prévisions(132 véhicules pour 10 mois 1/2 d'activité effective en 1992), alors que la crise du secteur n'est pleinement apparue qu'en 1993 ; qu'en outre, la société AAD n'a jamais pu atteindre ledit "point mort" ;
Attendu, cependant, que de telles prévisions présentent par nature une part d'aléa,et que les époux Cheveu d'Or, principaux associés et dirigeants successifs de la société AAD, étaient bien placés, compte-tenu des fonctions antérieurement exercées par Mine Cheveu d'Or à un poste de responsabilité du service marketing de la société concédante, pour apprécier le risque qu'ils prenaient, même s'ils ne possédaient pas une vue d'ensemble aussi affinée de l'implantation de la marque et des possibilités de pénétration du marché ;que cette conscience du risque ressort clairement d'un courrier de Mme Cheveu d'Or adressé la société Seat France le 2 février 1995, dans lequel elle s'exprime ainsi "la malchance a voulu que nous commencions cette activité en pleine crise du marché automobile, alors que tous nos projets basés sur les prévisionnels de Seat France et selon les nonnes préconisées étaient calculés sur un volume de 300 VN bien que notre prédécesseur (Groupe Maurin) ait réalisé 104 VN à 0,94 % de pénétration S'il vous plaît, ne laissez pas la marque s'effondrer sur le secteur pour la 3e fois, après le travail que nous avons fait pour reconstituer le fonds de commerce" ; que, cependant, jamais les époux Cheveu d'Or, au cours de leur exploitation, n'ont reproché à la société Seat France de les avoir induits en erreur; qu'au contraire, à plusieurs reprises, ils l'ont remerciée de sa compréhension et de son soutien;
Attendu que si l'on s'en tient aux principes du droit commun de la responsabilité, la société Seat France n'a commis aucune faute;
Attendu, cependant, que l'article 1er de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989, devenu l'article L. 330-3 du Code de commerce, qui, bien que non invoqué par Me Meynet, ès qualités, paraît applicable en l'espèce au vu des termes du contrat de concession (article IV), impose à toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, de lui fournir, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ; que ce document précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants;
Attendu que si, pour partie, ces informations ont été fournies ou étaient connues des époux Cheveu d'or du fait des fonctions antérieurement exercées par Mme Cheveu d'Or, il est permis de s'interroger sur le point de savoir si les études prévisionnelles relativement sommaires - ainsi que le relève l'expert - établies par la société Seat France répondaient, à elles seules, aux exigences de ce texte en ce qui concerne l'information due par le concédant notamment sur l'état et les perspectives de développement du marché concerné ;que la cause essentielle de l'échec de la concession résulte, en effet, d'une mauvaise appréciation des perspectives de développement;
Attendu que ces dispositions légales d'ordre public sont de nature à invalider la clause du contrat de concession (article VI) aux termes de laquelle "les budgets ou études prévisionnels établis avant signature ou en cours de contrat ne constituent que de simples simulations standards. Il appartient au concessionnaire et sou; sa seule responsabilité de fournir les éléments précis nécessaires à leur établissement et de les vérifier ou faire vérifier par des professionnels compétents. Le concédant ne pourra, de convention expresse être tenu pour responsable qu'en cas de faute dolosive grave prouvée...";
Attendu qu'il convient donc d'inviter les parties à s'expliquer sur l'application en la cause des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce;
Attendu que s'agissant de la responsabilité encourue par la société Batimur, qui fait l'objet à la fois d'une demande de condamnation solidaire avec la société Groupe Volkswagen France et d'une action récursoire de cette dernière, il est clair, ainsi que l'a relevé le tribunal, que cette société ne possédait pas les éléments d'information de la société Seat France sur l'état du marché automobile et les possibilités de vente de véhicules neufs ; qu'elle était fondée à se fier aux états prévisionnels établis par la société Seat France ; que les résultats prévisionnels établis par la société Seat France et à sa suite par l'expert-comptable de la société AAD l'ont été en tenant compte des engagements financiers qui devaient être pris auprès de la société Batimur ; qu'en l'état de ces prévisions, l'entreprise était viable ; que la création d'une SCI et le recours au crédit-bail étaient un procédé usuel et classique de financement et de paiement de la construction; que l'expert a relevé que la société AAD avait respecté les standards financiers de Seat France en matière de capitaux propres (4 000 F par voiture neuve du potentiel du secteur concédé) puisqu'elle avait au démarrage un capital de 500 000 F et 700 000 F en compte-courant; que la société Batimur n'a donc commis aucune faute en adhérant au projet; que c'est seulement en raison de l'inexactitude des prévisions concernant les ventes que la charge financière représentée par le crédit-bail n'a pu être supportée par la société AAD ; que la mise hors de cause de la société Batimur doit donc être confirmée
Qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge l'intégralité de ses frais irrépétibles d'appel;
Par ces motifs, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare irrecevables les demandes de Me Blanchard, en qualité de représentant des créanciers, Déclare irrecevables les demandes dirigées contre la société Groupe Volkswagen France sur le fondement de l'article 1382 du Code civil en ce qu'elles sont fondées sur sa qualité de dirigeant de fait, Confirme le jugement en ce qu'il a mis hors de cause la société Batimur, Condamne la société Groupe Volkswagen France, envers la société Batimur, aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Dantagnan, avoué, La condamne en outre à payer à la société Batimur une indemnité de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC, Confirme également le jugement en ce qu'il a écarté le grief de soutien abusif formulé contre la société Seat France aux droits de laquelle se trouve la société Groupe Volkswagen France, Dit qu'il n'y a pas eu non plus, de la part de la société Seat France, immixtion fautive dans la gestion de la société Annecy Automobile Diffusion, Avant-dire droit sur le grief relatif au caractère erroné des études prévisionnelles, invite les parties à s'expliquer sur l'application en la cause des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, Renvoie l'affaire à la mise en état.