CA Paris, 5e ch. A, 3 juillet 2002, n° 2000-22037
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lamy Moto (SARL)
Défendeur :
Suzuki France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Annie Baskal
Avocats :
Mes Fourgoux, Karsen M-Ricard.
Monsieur Lamy, puis la société Lamy Moto étaient depuis 1976 concessionnaires multimarques de véhicules à deux roues. A ce titre entre autre engins la société Lamy Moto vendait ceux de marque Suzuki société avec laquelle elle a conclu le 10 avril 1997 un contrat de concession à durée indéterminée qui a été résilié par la société Suzuki France (la société Suzuki) le 28 juillet 1998 pour faute. Auparavant, le 9 juin 1998, la société Lamy Moto avait assigné la société Suzuki devant le Tribunal de commerce de Paris pour violation de certaines des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Par jugement du 1er décembre 1996 le tribunal a:
- condamné la société Suzuki à payer à la société Lamy Moto la somme de 350 000 F à titre de dommages et intérêts,
- condamné cette société à reprendre à leur valeur comptable les stocks de moto Suzuki et les pièces de rechanges correspondantes existant chez la société Lamy Moto à la date de la signification du jugement.
Appelante la société Lamy Moto prie la cour de :
- débouter la société Suzuki de ses demandes et de la condamner à lui payer les sommes de 609 800 euros sauf à parfaire à titre de dommages et intérêts et de 11 435 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à lui reprendre et rembourser, à la valeur prix achat au jour de la reprise, l'ensemble des pièces et accessoires constituant le stock.
La société Suzuki demande à la cour:
- de dire qu'elle était bien fondée à résilier le contrat de concession avec un préavis d'un mois et en conséquence, de débouter la société Lamy Moto de ses demandes,
- subsidiairement de constater que le préjudice éventuellement subi ne saurait en toute hypothèse excéder la somme de 32 702,60 euros,
- de lui allouer la somme de 11 433,67 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Cela étant exposé,
Considérant que la société Lamy Moto fait valoir que la fermeture de son établissement, devenu contre son gré monomarque Suzuki, a été la conséquence directe et inéluctable du trouble apporté par le concédant dans la gestion de l'entreprise dans la mesure où il n'a pas respecté ses obligations de livraison et a résilié brutalement le contrat pour des motifs fallacieux après lui avoir refusé de façon illégitime et discriminatoire et, alors qu'il était en situation de dépendance économique, la représentation de la marque Kawazaki destinée à combler le grave déséquilibre économique né de la rupture en 1997 des liens contractuels l'unissant à Yamaha et MBK et lui avoir imposé des objectifs irréalistes;
Considérant que la société Suzuki réplique qu'elle était bien fondée à suspendre ses obligations contractuelles puis à résilier le contrat de concession (ce qu'au demeurant la société Lamy Moto avait anticipé en cessant toute activité depuis le 30 juin 1998) dès lors qu'elle n'avait plus la possibilité de poursuivre des relations contractuelles normales avec ce concessionnaire qui refusait systématiquement depuis le mois de novembre 1997 toute solution alternative à la distribution des motos Kawasaki, toute mise en place d'un plan de gestion et d'un dialogue raisonnable sur les objectifs et bloquant ainsi le système de commande et d'objectifs mis en place au sein du réseau de distribution, dès lors enfin qu'elle n'a commis aucune faute; Considérant qu'il est constant, d'une part, que les rapports entre les deux parties ont toujours été excellents et productifs - la société Suzuki a à plusieurs reprises félicité la société Lamy Moto pour ses performances exceptionnelles - jusqu'à la fin de l'année 1997, époque à laquelle les sociétés Yamaha et MBK dont la société Lamy Moto distribuait les véhicules comme concessionnaire, ont cessé toute relation contractuelle avec elle et la société Suzuki a "conformément à (sa) politique commerciale" mise en place en 1995 et, afin de ne pas voir arriver chez son concessionnaire un constructeur concurrençant presque l'intégralité de ses modèles, a refusé de lui accorder le droit de distribuer la marque Kawasaki; d'autre part, que la société Suzuki est totalement étrangère à la rupture de ces contrats précédés de la non reconduction depuis trois ans du contrat du KTM;
Considérant qu'en réponse au refus opposé par son concédant, la société Lamy Moto, après avoir relevé que son quota annuel pour 1997 était réalisé, n'a pas confirmé ses commandes en cours (télécopie du 27 novembre 1997);
Qu'elle n'a pas signé le plan de gestion du 1er semestre 1998 envoyé le 17 décembre 1997 au motif qu'il n'était pas contractuel;
Qu'à la même date, le 17 mars 1998, elle a retourné les annexes afférentes aux objectifs de vente et d'achat pour 1998 expédiées le 13 février tout en leur substituant des chiffres inférieurs aux résultats obtenus en 1997
Que le 1er avril 1998 pour répondre à une relance tendant à obtenir les annexes signées et approuvées, elle a renvoyé à la société Suzuki son plan comptable, le bilan sanguin de son gérant et des feuillets vierges hormis un assorti de la publicité Alka Seltzer" apposée sous la mention "cachet" ..., le 8 avril 1998 elle a annulé les commandes passées le 23 mars 1998 qui n'avaient pas été acceptées par la société Suzuki, a relevé que la non signature des annexes annuelles n'étaient pas contractuellement envisagées et s'est réservée le droit de commander quant elle le jugerait opportun ce qu'elle jugerait opportun dès lors qu'elle était et resterait "le seul et unique (parce que le plus beau) concessionnaire Suzuki";
Que les 28 avril et 4 juin 1998, la société Suzuki a émis les plus expresses réserves sur les documents "incohérents et fantaisistes" parvenus le 1er avril 1998, a mis en demeure son concessionnaires de lui fournir des explications sur ces pièces et de lui retourner dans le délai de 30 jours les originaux des annexes au contrat expédiées le 18 février 1998 et lui a demandé des explications sur la baisse des achats et vente pour le premier trimestre 1998 ;
Que par ailleurs, le 29 avril 1998, la société Suzuki a refusé de livrer des commandes en raison de la non signature par son concessionnaire du plan de gestion;
Qu'enfin le 9 juin 1998, la société Lamy Moto a assigné la société Suzuki devant le Tribunal de commerce de Paris pour, estimant le contrat rompu aux torts du concédant, voir celui-ci condamné à lui payer 4 millions de francs à titre de dommages et intérêts et à lui reprendre le stock des pièces ; que le 30 juin 1988, elle a organisé un "pot de cessation d'activité" et le 28 juillet 1998 la société Suzuki a résilié le contrat de concession aux torts de la société Lamy Moto en raison de son attitude irrationnelle, de son refus de signer le plan de gestion, de l'assignation en justice et de la dégradation de ses résultats;
Considérant que mis en place depuis le 1er janvier 1996, le plan de gestion a été signé en 1996 et 1997 par l'ensemble des concessionnaires qui, hormis la société Lamy Moto, l'ont approuvé en 1998, qu'il a donc valeur contractuelle;
Que ce plan, destiné à évaluer le nombre de motos à fabriquer et à réserver à chaque concessionnaire, constitue un document de gestion prévisionnelle utile à la bonne marche de l'entreprise;
Que la société Lamy Moto a commis une faute en contestant le principe même de la mise en œuvre de ce plan pour le premier semestre 1998 et en ne le retournant pas signé;
Qu'ajoutées à cette position non fondée l'attitude désinvolte affichée par la société Lamy Moto et sa décision prise en 1997 de ne plus passer de commande pour cette année son quota étant atteint, expriment sa volonté de mener une politique commerciale indépendante de celle appliquée par le concédant à l'ensemble du réseau rendant impossible la poursuite du contrat de concession;
Qu'il s'ensuit que la société Suzuki était bien fondée à résilier le 28 juillet 1998 le contrat avec un préavis d'un mois,ce, après s'être interrogée à plusieurs reprises sur la possibilité de poursuivre les relations contractuelles et avoir fait part de ses interrogations à la société Lamy Moto dès le 17 mars 1998 (courriers des 17 mars et 28 avril 1998);
Considérant que par des motifs pertinents que la cour adopte le tribunal a jugé qu'au regard des clauses du contrat et de sa politique commerciale instaurée en 1995, la société Suzuki pouvait légitimement refuser à la société Lamy Moto l'autorisation de distribuer la marque Kawasaki;
Qu'il y a lieu de souligner:
- sur la politique discriminatoire alléguée que:
Si, à l'époque concernée (1997-1998) certains partenaires de la société Suzuki distribuaient la marque Kawasaki, il s'agissait soit d'agents de la société Suzuki soit d'agents de la société Kawasaki, soit d'une activité exercée dans les locaux distincts, soit de la reprise d'une affaire, en tout cas, il s'agissait de sociétés agréées avant 1995, sauf dans la dernière hypothèse,Conformément à la politique commerciale mise en place en 1995 le nombre de concessionnaires exclusifs avait augmenté aux dépens des concessionnaires multimarques, plusieurs concessionnaires, à la demande de la société Suzuki, avaient dû renoncer à la distribution de la marque Kawasaki(ainsi des sociétés Loisirs Services, Ramel Moto, MG Motos) et à défaut leur contrat avait été résilié (ainsi de la société Almet Moto), la société Suzuki avait refusé à d'autres concessionnaires la distribution de la marque Kawasaki(Monsieur Mallet, Moto Service),
- sur l'état de dépendance économiqueque:
Il existait des solutions de substitution telles que la conclusion d'un contrat d'exclusivité avec la société Suzuki (que la société Lamy Moto n'a pas sollicité), la représentation d'autres marques que Kawasaki susceptibles d'être acceptées par la société Suzuki, le développement du marché de l'occasion, la société Lamy Moto ne justifie pas de démarches tendant à s'assurer et à bénéficier de solution équivalente à la distribution de la marque Kawasaki,l'attestation imprécise de Monsieur Jarry faisant état de contacts pris dans trois pays de l'Union européenne, ne suffisant pas à rapporter la preuve qui lui incombe;
Considérant qu'eu égard à la nature contradictoire et à la finalité du plan de gestion, la société Suzuki faisant application de l'article 3 de ses conditions de vente a, à bon droit suspendu la livraison des véhicules commandés par la société Lamy Moto dans l'attente de l'exécution par cette dernière d'une de ses obligations - la signature du plan de gestion;
Considérant que les objectifs d'achat de vente devaient être déterminés d'un commun accord entre les parties(articles 5 et 6 du contrat);
Que compte-tenu des positions prises par la société Lamy Moto telles ci- dessus analysées et sans qu'il ne soit besoin d'examiner la question du caractère réalisable ou non des objectifs, il y a lieu de constater que les parties ne pouvaient pas parvenir à un accord;
Que la résiliation du contrat de concession aux torts de la société Suzuki n'est pas fondée étant au surplus observé que la non rectification des objectifs n'a pas été invoquée par la société Suzuki dans sa lettre de résiliation;
Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser la société Suzuki supporter ses frais irrépétibles;
Que la société Lamy Moto qui succombe sera déboutée de sa demande formée à ce titre;
Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Déboute la société Lamy Moto de ses demandes, Déboute la société Suzuki France de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Lamy Moto aux dépens de première instance et d'appel, Admet l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.