Livv
Décisions

CJCE, 13 juillet 1989, n° 110-88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lucazeau, Debelle, Soumagnac

Défendeur :

Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique (Sté) Gouvernement de la République française, Gouvernement du Royaume d'Espagne, Gouvernement de la République italienne, Gouvernement de la République hellénique, Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Koopmans

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Schockweiler, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco, Zuleeg

Avocats :

Mes Fourgoux, Ryziger, Carmet, Braguglia.

CJCE n° 110-88

13 juillet 1989

LA COUR,

1 Par arrêt du 3 mars 1988, parvenu à la Cour le 5 avril suivant, la Cour d'appel de Poitiers a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 85 et 86 du même traité, en vue de déterminer la compatibilité, avec ces dispositions, des conditions de transaction imposées aux utilisateurs par une société nationale de gestion de droits des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (affaire 110-88).

2 Par deux jugements du 6 juin 1988, parvenus à la Cour le 23 août suivant, le Tribunal de grande instance de Poitiers a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, les mêmes questions préjudicielles (affaires 241 et 242-88).

3 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant trois exploitants de discothèques à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (ci-après SACEM), qui est la société française de gestion des droits d'auteur en matière musicale. Les trois litiges portent, en particulier, sur le refus des exploitants de discothèques de payer des redevances à la SACEM au titre de la diffusion d'œuvres musicales protégées dans leurs établissements.

4 Les exploitants de discothèques ont développé un ensemble d'arguments tendant à démontrer que le comportement suivi, à leur égard, par la SACEM était un comportement anti-concurrentiel interdit par les dispositions du traité CEE. A cet effet, ils ont d'abord fait valoir que le taux des redevances exigées par la SACEM serait arbitraire et inéquitable et constituerait dès lors un abus de la position dominante que cette société détiendrait. En effet, le niveau de ces redevances serait sensiblement plus élevé que celui pratiqué dans les autres États membres alors que, au surplus, les tarifs appliqués aux discothèques seraient sans aucun rapport avec les tarifs pratiqués à l'égard d'autres grands utilisateurs de musique enregistrée, telles la télévision et la radio.

5 Ils font valoir ensuite que les discothèques utilisent, dans une très large mesure, de la musique d'origine anglo-américaine, circonstance qui ne serait pas prise en considération par la méthode de calcul des redevances définie par la SACEM et basée sur l'application d'un taux fixe de 8,25 % sur le chiffre d'affaires, TVA comprise, de la discothèque en question. En effet, les exploitants devraient payer ces redevances très élevées pour avoir accès à tout le répertoire de la SACEM alors qu'ils ne sont intéressés qu'à une partie de celui-ci; la SACEM aurait toujours refusé de leur donner l'accès à une partie du répertoire, alors qu'ils n'auraient pas non plus la possibilité de s'adresser directement aux sociétés de gestion de droits d'auteur dans d'autres pays, celles-ci étant liées par des "contrats de représentation réciproque" à la SACEM et refusant de ce fait l'accès direct à leurs répertoires.

6 La Cour d'appel de Poitiers considère que, s'il n'est pas douteux que la SACEM occupe une position dominante sur le territoire français, par contre le caractère forfaitaire du taux de redevance qu'elle exige n'apparaît pas en soi comme un abus de sa position dominante, dans la mesure où l'application dudit taux forfaitaire simplifie le mode de prélèvement et assure la rétribution des auteurs et compositeurs. Toutefois, la cour d'appel doute du caractère justifié du taux de 8,25 %. Compte tenu de ces considérations, elle a formulé les deux questions préjudicielles qui ont été reprises par le Tribunal de grande instance de Poitiers dans les deux affaires dont cette juridiction était saisie.

7 Les deux questions préjudicielles sont ainsi libellées :

"1° Le fait pour une société civile constituée par des auteurs compositeurs et des éditeurs de musique dite SACEM se trouvant dans une position dominante sur une partie substantielle du Marché commun, et liée par des contrats de représentation réciproque avec des sociétés d'auteurs d'autres pays de la CEE, de fixer un taux de redevance cumulée sur la base de 8,25 % du chiffre d'affaires toutes taxes comprises d'une discothèque, est-il constitutif de l'imposition directe ou indirecte aux co-contractants de conditions de transaction non équitables au sens de l'article 86 du traité de Rome, dès lors que ce taux est manifestement supérieur à celui pratiqué par des sociétés d'auteurs identiques d'autres pays membres de la Communauté économique européenne?

2° L' organisation, grâce à un ensemble de conventions dites de représentation réciproque, d'une exclusivité de fait dans des pays de la Communauté permettant à une société de contrôle et de perception de droits d'auteurs, exerçant son activité sur le territoire d'un État membre, de fixer par un contrat d'adhésion une redevance globale qui impose à l'utilisateur d'acquitter cette redevance pour pouvoir utiliser le répertoire des auteurs étrangers, est-elle susceptible de constituer une pratique concertée contraire aux dispositions de l'article 85-1 du traité?"

8 Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, de la législation française en matière de droits d'auteur ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

9 Il convient d'examiner d'abord la deuxième question, relative à l'interprétation de l'article 85 du traité, avant d'aborder le problème de l'application de l'article 86 soulevé par la première question.

Sur la deuxième question (article 85)

10 Il résulte des considérations développées dans l'arrêt de renvoi de la Cour d'appel de Poitiers que la pratique concertée, au sens de l'article 85, qui fait l'objet de la question, est une pratique des sociétés nationales de gestion de droits d'auteur des différents États membres. Toutefois, le libellé de la question ne laisse pas clairement apparaître si cette pratique consiste à organiser un réseau de conventions de représentation réciproque ou à écarter collectivement tout accès à leurs répertoires respectifs de la part d'utilisateurs établis dans d'autres États membres.

11 Sur le premier point, il y a lieu de préciser d'abord que, ainsi qu'il ressort du dossier, il faut entendre par "contrat de représentation réciproque" tel que visé par la juridiction nationale un contrat entre deux sociétés nationales de gestion de droits d'auteur en matière musicale par lequel ces sociétés se confient mutuellement le droit d'accorder, sur le territoire dont elles sont responsables, les autorisations requises pour toute exécution publique d'œuvres musicales protégées par des droits d'auteur de membres des autres sociétés et de soumettre ces autorisations à certaines conditions, conformément aux lois applicables sur le territoire en cause. Ces conditions comprennent notamment le paiement de redevances, dont la perception est effectuée par la société mandatée pour le compte de l'autre société. Le contrat spécifie que chaque société appliquera, en ce qui concerne les œuvres du répertoire de l'autre société, les mêmes tarifs, méthodes et moyens de perception et de répartition des redevances que ceux qu'elle applique aux œuvres de son propre répertoire.

12 Il convient de rappeler ensuite que, selon les conventions internationales applicables en matière de droit d'auteur, les titulaires de droits d'auteur reconnus sous l'empire de la législation d'un État contractant bénéficient, sur le territoire de tout autre État contractant, de la même protection contre la violation de ces droits que les ressortissants du dernier État, ainsi que des voies de recours ouverts à ces ressortissants.

13 Dans ces conditions, il apparaît que les contrats de représentation réciproque entre sociétés de gestion visent un double but : d'une part, ils cherchent à soumettre l'ensemble des œuvres musicales protégées, quelle qu'en soit l'origine, à des conditions identiques pour les usagers établis dans un même État, conformément au principe retenu par la réglementation internationale; d'autre part, ils permettent aux sociétés de gestion de s'appuyer, pour la protection de leur répertoire dans un autre État, sur l'organisation mise en place par la société de gestion qui y exerce ses activités, sans être contraintes d'ajouter à cette organisation leurs propres réseaux de contrats avec les utilisateurs et leurs propres contrôles sur place.

14 Il résulte de ces considérations que les contrats de représentation réciproque en cause sont des contrats de prestation de services qui ne sont pas, en eux-mêmes, restrictifs de la concurrence de façon à relever de l'interdiction prévue par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Il pourrait en être autrement si ces contrats instituaient une exclusivité en ce sens que les sociétés de gestion se seraient engagées à ne pas donner l'accès direct à leur répertoire aux utilisateurs de musique enregistrée, établis à l'étranger; toutefois, il ressort du dossier que ce type de clauses d'exclusivité figurant jadis dans les contrats de représentation réciproque a été supprimé à la demande de la Commission.

15 La Commission signale cependant que la suppression de cette clause d'exclusivité dans les contrats n'a pas eu pour effet de modifier le comportement des sociétés de gestion, celles-ci refusant de donner une licence ou de confier leur répertoire à l'étranger à une société autre que celle implantée sur le territoire en cause. Cette affirmation conduit à l'examen du second problème soulevé par la question préjudicielle, celui de savoir si les sociétés de gestion n'ont pas, en fait, conservé leur exclusivité par une pratique concertée.

16 A cet égard, la Commission et la SACEM font valoir que les sociétés de gestion n'ont aucun intérêt à utiliser une autre méthode que celle du mandat conféré à la société implantée sur le territoire concerné et qu'il ne paraît pas réaliste, dans ces conditions, de considérer que le refus des sociétés de gestion d'accorder un accès direct à leur répertoire aux utilisateurs étrangers corresponde à une pratique concertée. Les exploitants de discothèques, tout en reconnaissant que les sociétés étrangères confient la gestion de leur répertoire à la SACEM parce qu'il serait trop onéreux d'instituer en France un système de recouvrement direct, estiment cependant que ces sociétés se sont concertées à cet effet. A l'appui de cette thèse, ils se réfèrent aux lettres que des utilisateurs français ont reçues de la part de diverses sociétés de gestion étrangères et qui leur ont refusé l'accès direct au répertoire dans des termes sensiblement identiques.

17 Il y a lieu de relever qu'une concertation entre sociétés nationales de gestion de droits d'auteur qui aurait pour effet de refuser systématiquement l'accès direct à leur répertoire aux utilisateurs étrangers doit être considérée comme entraînant une pratique concertée restrictive de la concurrence et susceptible d'affecter le commerce entre les États membres.

18 Comme la Cour l'a considéré dans son arrêt du 14 juillet 1972 (Imperial Chemical Industries, 48-69, Rec. p. 619), un simple parallélisme de comportement peut, dans certaines circonstances, constituer un indice sérieux d'une pratique concertée lorsqu'il aboutit à des conditions de concurrence qui ne correspondent pas à des conditions normales de concurrence. Toutefois, une concertation de cette nature ne saurait être présumée lorsque le parallélisme de comportement peut s'expliquer par des raisons autres que l'existence d'une concertation. Tel pourrait être le cas lorsque les sociétés de gestion de droits d'auteur des autres États membres seraient obligées, en cas d'accès direct à leur répertoire, d'organiser leur propre système de gestion et de contrôle sur un autre territoire.

19 La question de savoir si une concertation interdite par le traité a effectivement eu lieu dépend, par conséquent, de l'appréciation de certaines présomptions et de l'évaluation de certains documents et autres moyens de preuve. Dans le cadre de la répartition des compétences prévue par l'article 177 du traité, cette tâche incombe aux juridictions nationales.

20 Dès lors, il convient de répondre à la deuxième question préjudicielle que l'article 85 du traité doit être interprété en ce sens qu'il interdit toute pratique concertée entre sociétés nationales de gestion de droits d'auteur des États membres qui aurait pour objet ou pour effet que chaque société refuse l'accès direct à son répertoire aux utilisateurs établis dans un autre État membre. Il appartient aux juridictions nationales de déterminer si une concertation à cet effet a effectivement eu lieu entre ces sociétés de gestion.

Sur la première question (article 86)

21 La première question vise le point de savoir quels critères doivent être appliqués en vue de déterminer si une entreprise se trouvant dans une position dominante sur une partie substantielle du Marché commun impose des conditions de transaction non équitables. La question vise plus précisément le cas où l'entreprise en cause est une société nationale de gestion de droits d'auteur en matière musicale qui gère également le répertoire des sociétés nationales d'autres États membres, suite à la conclusion de contrats de représentation réciproque, et qui fixe un taux de redevance cumulée sur la base du 8,25 % du chiffre d'affaires, toutes taxes comprises, d'une discothèque.

22 Il y a lieu d'examiner d'abord le critère mis en relief par les exploitants de discothèques, et repris dans la question préjudicielle, à savoir le rapport du taux utilisé avec celui pratiqué par des sociétés de gestion d'autres États membres.

23 A cet égard, la SACEM fait valoir que les méthodes utilisées, dans les différents États membres, pour déterminer l'assiette du taux de la redevance sont dissimilaires, les redevances calculées sur la base du chiffre d'affaires d'une discothèque, comme en France, n'étant pas comparables à celles fixées en fonction de la superficie au sol de l'établissement en question, comme c'est le cas dans d'autres États membres. Si on était en mesure de neutraliser ces divergences de méthode, par un examen comparatif fondé sur les mêmes critères, on arriverait à la conclusion que les différences entre les États membres en ce qui concerne le niveau des redevances sont peu significatives.

24 Ces affirmations n'ont pas seulement été contestées par les exploitants des discothèques, mais également par la Commission. Celle-ci a indiqué que, dans le cadre d'une enquête qu'elle mène sur les redevances perçues par la SACEM auprès des discothèques françaises, elle a demandé à toutes les sociétés nationales de gestion des droits d'auteur en matière musicale dans la Communauté de lui communiquer les redevances perçues auprès d'une discothèque-type ayant des caractéristiques déterminées en ce qui concerne le nombre des places, la surface, les heures d'ouverture, la nature de la localité, le prix d'entrée, le prix de la consommation la plus demandée et la somme des recettes annuelles, taxes comprises. La Commission reconnaît que cette méthode de comparaison ne tient pas compte des différences sensibles qui peuvent exister d'un État membre à l'autre quant à la fréquentation des discothèques et qui sont fonction de facteurs divers tels que le climat, les habitudes sociales et les traditions historiques. Toutefois, une redevance d'un montant correspondant à un multiple de celui des redevances perçues dans les autres États membres serait de nature à établir le caractère inéquitable de la redevance; or, l'enquête menée par la Commission conduirait à une telle constatation.

25 Il y a lieu d'observer que, lorsqu'une entreprise en position dominante impose des tarifs pour les services qu'elle rend, qui sont sensiblement plus élevés que ceux pratiqués dans les autres États membres, et lorsque la comparaison des niveaux des tarifs a été effectuée sur une base homogène, cette différence doit être considérée comme l'indice d'un abus de position dominante. Il appartient, dans ce cas, à l'entreprise en question de justifier la différence en se fondant sur des divergences objectives entre la situation de l'État membre concerné et celle prévalant dans tous les autres États membre.

26 A cet égard, la SACEM a invoqué un certain nombre de circonstances en vue de justifier cette différence. Ainsi, elle s'est référée aux prix élevés pratiqués par les discothèques en France, au niveau traditionnellement élevé de la protection assurée par le droit d'auteur dans ce pays, ainsi qu'aux particularités de la législation française selon laquelle la diffusion des œuvres musicales enregistrées est non seulement soumise à un droit de représentation mais également à un droit complémentaire de reproduction mécanique.

27 Il y a cependant lieu d'observer que des circonstances de cette nature ne sauraient expliquer une différence très sensible entre les taux des redevances imposées dans les différents États membres. Le niveau élevé des prix pratiqués par les discothèques dans un certain État membre, à supposer qu'il soit établi, peut être le résultat de plusieurs éléments de fait, parmi lesquels peut figurer, à son tour, le taux des redevances dues pour la diffusion de musique enregistrée. Quant au niveau de protection assuré par la législation nationale, il faut relever que le droit d'auteur sur les œuvres musicales comprend, en général, un droit de représentation et un droit de reproduction, et que la circonstance qu'un "droit complémentaire de reproduction" soit dû dans quelques États membres, dont la France, en cas de diffusion en public n'implique pas que le niveau de protection serait différent. En effet, comme la Cour l'a considéré dans l'arrêt du 9 avril 1987 (Basset, 402-85, Rec. p. 1747), le droit complémentaire de reproduction mécanique s'analyse, abstraction faite des concepts utilisés par la législation et la pratique françaises, comme faisant partie de la rémunération des droits d'auteur pour l'exécution publique d'une œuvre musicale enregistrée et remplit donc une fonction équivalant à celle du droit de représentation perçu à une même occasion dans un autre État membre.

28 La SACEM soutient encore que les habitudes de perception seraient différentes, dans la mesure où certaines sociétés de gestion des droits d'auteur des États membres n'auraient pas tendance à insister sur la perception de redevances peu importantes auprès de petits utilisateurs disséminés dans le pays, tels les exploitants de discothèques, les organisateurs de bals et les cafetiers. Une tradition opposée se serait développée en France, compte tenu de la volonté des auteurs de voir leurs droits entièrement respectés.

29 Une telle argumentation ne saurait être accueillie. Il ressort en effet du dossier qu'une des différences les plus marquantes entre les sociétés de gestion de droits d'auteur des différents États membres réside dans le niveau des frais de fonctionnement. Lorsque, comme certaines indications figurant aux dossiers des affaires au principal le laissent penser, le personnel d'une telle société de gestion est considérablement plus important en nombre que celui des sociétés homologues dans d'autres États membres, et que, en outre, la proportion du produit des redevances affectées aux frais de perception, d'administration et de répartition, plutôt qu'aux titulaires des droits d'auteurs, y est considérablement plus élevée, il n'est pas exclu que c' est précisément le manque de concurrence sur le marché en cause qui permet d'expliquer la lourdeur de l'appareil administratif et, partant, le taux élevé des redevances.

30 Il convient donc de retenir que la comparaison avec la situation dans les autres États membres peut fournir des indications valables en ce qui concerne l'abus éventuel de la position dominante d'une société nationale de gestion de droits d'auteur. Dès lors, la question préjudicielle telle que formulée par les juridictions nationales doit recevoir une réponse affirmative.

31 Le débat conduit devant la Cour entre les exploitants de discothèques et la SACEM a également porté sur d'autres critères, non mentionnés par la question préjudicielle, qui seraient susceptibles d'établir le caractère inéquitable du taux litigieux. C'est ainsi que les exploitants ont invoqué la différence entre le taux pratiqué à l'égard des discothèques et celui appliqué à d'autres grands utilisateurs de musique enregistrée telles la radio et la télévision. Toutefois, ils n'ont pas apporté d'éléments de nature à définir une méthode apte à procéder à une comparaison fiable sur une base homogène, et la Commission et les gouvernements intervenus ne se sont pas prononcés sur ce point. Dans ces conditions, la Cour n'est pas en mesure d'examiner ce critère dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

32 La Cour d'appel de Poitiers, qui a initialement posé les questions préjudicielles, a explicitement considéré que le caractère forfaitaire du taux de redevance ne devrait pas être pris en compte en vue de déterminer le caractère équitable ou non du niveau de la redevance; dès lors, il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur ce problème dans le cadre de la présente affaire.

33 Il résulte de tout ce qui précède qu'il convient de répondre à la première question préjudicielle que l'article 86 du traité doit être interprété en ce sens qu'une société nationale de gestion de droits d'auteur se trouvant en position dominante sur une partie substantielle du Marché commun impose des conditions de transaction non équitables lorsque les redevances qu'elle applique aux discothèques sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres États membres, dans la mesure où la comparaison des niveaux des tarifs a été effectuée sur une base homogène. Il en serait autrement si la société de droits d'auteur en question était en mesure de justifier une telle différence en se fondant sur des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d'auteur dans l'État membre concerné et celle dans les autres États membres.

Sur les dépens

34 Les frais exposés par le Gouvernement français, le Gouvernement italien, le Gouvernement grec, le Gouvernement espagnol et la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant les juridictions nationales, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par la Cour d'appel de Poitiers, par arrêt du 3 mars 1988, et par le Tribunal de grande instance de Poitiers, par deux jugements du 6 juin 1988, dit pour droit :

1. L'article 85 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il interdit toute pratique concertée entre sociétés nationales de gestion de droits d'auteur des États membres qui aurait pour objet ou pour effet que chaque société refuse l'accès direct à son répertoire aux utilisateurs établis dans un autre État membre. Il appartient aux juridictions nationales de déterminer si une concertation à cet effet a effectivement eu lieu entre ces sociétés de gestion.

2. L'article 86 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'une société nationale de gestion de droits d'auteur se trouvant en position dominante sur une partie substantielle du Marché commun impose des conditions de transaction non équitables lorsque les redevances qu'elle applique aux discothèques sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans les autres États membres, dans la mesure où la comparaison des niveaux des tarifs a été effectuée sur une base homogène. Il en serait autrement si la société de droits d'auteur en question était en mesure de justifier une telle différence en se fondant sur des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d'auteur dans l'État membre concerné et celle dans les autres États membres.