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Décisions

CCE, 4 décembre 1981, n° 82-204

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Statuts de la GEMA

CCE n° 82-204

4 décembre 1981

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 86, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment son article 2, vu la demande d'attestation négative présentée le 9 novembre 1979 par la Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA) (société de gestion des droits d'interprétation musicale et de reproduction mécanique), Berlin, pour la modification de ses statuts dans la version de septembre 1980, vu la publication de la teneur essentielle de la demande, conformément à l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17, dans le Journal officiel des Communautés européennes n° C 46 du 5 mars 1981, vu l'avis émis par le comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes recueilli, conformément à l'article 10 du règlement n° 17, le 10 novembre 1981,

Les faits

I. Les activités de la GEMA

1. Objet et application

(1) La "Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte" (ci-après dénommée GEMA), ayant son siège à Berlin, est une association économique de droit allemand, qui a pour objet de protéger les auteurs et de garantir leurs droits. La GEMA exerce, par pouvoir de ses membres ou de tiers (ci-après dénommés "les cédants"), la gestion des droits d'auteur attachés aux œuvres musicales et cinématographiques. Ces droits lui sont cédés dans le cadre d'un contrat spécial, le "contrat de cession", qui fixe également l'étendue des droits transmis et la nature de la garantie. La cession des droits est limitée, dans le temps, à une période de trois à six ans et, sur le plan matériel, aux divers droits d'exploitation, à savoir le droit de reproduire, de diffuser et d'interpréter ou de présenter en public l'œuvre musicale ou cinématographique en question.

(2) Ce droit concédé à la GEMA est un droit exclusif. Pendant la durée du contrat, la GEMA est habilitée à autoriser, en son propre nom, des représentations, émissions de radiodiffusion et de télévision ou toute autre utilisation de l'œuvre, contrôler les modalités d'utilisation, percevoir les redevances convenues avec les utilisateurs, refuser l'utilisation et exploiter les droits de toute autre façon en son nom.

(3) Au sens du contrat de cession, les cédants ne peuvent être que des compositeurs, auteurs et éditeurs de musique.

(4) Les éditeurs de musique se trouvent toutefois dans une situation particulière par rapport aux compositeurs et auteurs de musique. En effet, ce ne sont pas des auteurs, c'est-à-dire des créateurs d'œuvres musicales : ils reproduisent et diffusent celles-ci en se fondant sur les droits d'exploitation qui leur sont cédés par les auteurs. Les éditeurs servent donc d'intermédiaire et il peut arriver que leurs intérêts soient contraires à ceux des compositeurs et auteurs de musique. Dans la pratique, cette opposition d'intérêts agit très souvent au détriment de l'auteur économiquement plus faible.

(5) Le répertoire géré par la GEMA ne compte pas seulement les œuvres des cédants. La GEMA protège également en République fédérale d'Allemagne le répertoire des membres de sociétés d'exploitation étrangères. Elle est donc en mesure d'offrir en Allemagne un répertoire musical qui atteint pratiquement l'échelle mondiale.

2. Protection des droits vis-à-vis des utilisateurs

(6) Pour protéger les droits qui lui sont cédés, la GEMA conclut avec les utilisateurs (principalement des organismes de radiodiffusion et de télévision, producteurs de supports de son, théâtres, orchestres, discothèques, etc.) des contrats d'exploitation par lesquels elle les autorise, de façon ponctuelle ou globale, à mettre en œuvre le mode d'exploitation convenu (diffusion, représentation, restitution par supports de son ou vidéogrammes, etc.), moyennant paiement d'une redevance.

(7) Conformément à l'article 11 de la loi sur la protection du droit d'auteur et des droits dits voisins (ci-après dénommée Wahrnehmungsgesetz), la GEMA est tenue d'accorder ces droits d'exploitation à quiconque en fait la demande. La GEMA n'a pas le droit, sans plus, de s'écarter de ces tarifs à l'égard des exploitants des œuvres. Ce n'est que dans le cadre de contrats d'ensemble avec des associations d'exploitants (fédérations d'exploitants de discothèques par exemple) que la GEMA peut convenir de remises sur les tarifs en question.

(8) Le mode de calcul des redevances à verser par les utilisateurs varie selon le type d'utilisation.

(9) La rémunération est forfaitaire pour le droit de représentation, c'est-à-dire la communication d'une œuvre musicale au public par exécution personnelle ou au moyen d'installations techniques (écran, haut-parleurs, etc.), ainsi que pour le droit de diffusion, c'est-à-dire le droit de mettre le public en contact avec une œuvre musicale par une émission de radio ou de télévision. Le montant de la redevance ne dépend pas du genre de musique (par exemple, musique classique, musique légère ou musique de danse) ni de l'identité des œuvres protégées qui sont interprétées ou diffusées. Seuls sont pris en considération le mode d'utilisation (par exemple, représentation, émissions de radiodiffusion ou de télévision) et la durée d'utilisation.

(10) En ce qui concerne les droits de reproduction mécanique, c'est-à-dire le droit d'enregistrer une œuvre musicale sur des supports de sons et de reproduire ceux-ci en un nombre quelconque d'exemplaires, la rémunération est en principe calculée sur la base du nombre d'exemplaires produits et vendus. Pour les exemplaires (disques, bandes etc.) non vendus, le producteur ne doit pas verser de redevance à la GEMA.

3. Paiement aux cédants des redevances perçues

(11) La GEMA verse aux cédants les redevances qu'elle perçoit chaque année, après déduction de ses frais et autres charges. Pour les droits de représentation et de diffusion, le genre de musique (musique classique, musique légère ou musique de danse), le nombre de représentations (fréquence de représentation) ainsi que la durée de la diffusion de chaque œuvre interviennent dans le calcul des sommes à payer par la GEMA aux auteurs et éditeurs. Plus la fréquence de représentation d'une œuvre est élevée, ou plus son temps de diffusion est long, plus la rémunération versée aux cédants est importante. C'est pourquoi la GEMA communique de façon aussi précise que possible à chaque cédant le nombre des représentations et le temps de diffusion de ses œuvres.

(12) Pour les droits de reproduction mécanique, les sommes revenant aux auteurs ou éditeurs sont calculées en fonction des chiffres de vente.

(13) La GEMA estime que la fréquence de représentation et la durée de diffusion d'une part et le chiffre des ventes d'autre part constituent un bon critère pour la répartition des redevances perçues. Ainsi, c'est finalement le public qui fixe le montant des redevances revenant à chaque œuvre.

(14) Pour le calcul des redevances afférentes aux œuvres de membres de sociétés d'exploitation étrangères, la GEMA procède de la même façon que pour ses propres membres et transfère les sommes perçues à la société étrangère qui les verse à ses membres. De même, les redevances que les sociétés étrangères versent à la GEMA pour l'utilisation des œuvres des membres de celle-ci sont calculées de la même façon que les rémunérations qu'elles versent à leurs propres membres.

4. Organisation interne de la GEMA

(15) L'organisation interne de la GEMA, ainsi que la façon dont sont calculées et réparties les redevances perçues (recettes GEMA), sont réglées pour l'essentiel par les "statuts GEMA" et par le "plan de répartition".

(16) Les statuts précisent notamment la dénomination, le siège et l'objet de la GEMA, la nature de la protection fournie, les droits et obligations de ses organes (assemblée des membres, conseil de surveillance, conseil d'administration) et prévoient la création d'une juridiction arbitrale ayant à connaître des conflits entre la GEMA et ses membres.

(17) Cette juridiction tranche en particulier les litiges portant sur l'interprétation des statuts et de la clé de répartition et sur la validité des décisions et autres mesures prises par la GEMA, principalement par son conseil d'administration. Elle se compose d'un président et de quatre assesseurs désignés paritairement par les deux parties. Les membres de cette juridiction ne peuvent faire partie du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la GEMA ni dépendre économiquement de cette dernière. Le plaignant peut saisir les juridictions ordinaires au lieu de la juridiction arbitrale.

(18) La répartition des recettes GEMA dont les grandes lignes ont été exposées ci-dessus (points 11 à 14) s'effectue selon une clé dont les statuts définissent les principes généraux.

II. Contrôle exercé sur la GEMA

(19) La GEMA est la seule société d'exploitation en République fédérale d'Allemagne qui s'occupe de la gestion des droits des auteurs d'œuvres musicales. S'agissant d'une société d'exploitation, elle est soumise au contrôle du Patentamt (Office allemand des brevets). Celui-ci peut, en accord avec le Bundeskartellamt, (Office fédéral des ententes), retirer à la GEMA l'autorisation d'exercer son activité, au cas où elle manquerait aux obligations qui lui incombent. Conformément à l'article 102a de la Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (GWB - loi sur les restrictions de concurrence), les dispositions relatives aux accords et décisions d'ententes ne s'appliquent pas aux sociétés d'exploitation, ni donc à la GEMA, lorsque de tels accords et décisions, comme dans le cas d'espèce, ont été notifiés au Patentamt. Si une société d'exploitation abuse de sa position sur le marché, le Bundeskartellamt peut intervenir et lui interdire de prendre des mesures ou déclarer nuls ses accords et décisions (contrôle des abus).

III. La modification des statuts

1. Le texte de la modification

(20) Pour la modification de ses statuts, la GEMA a demandé une attestation négative et, subsidiairement, une exemption. Le texte modifié est le suivant:

"§ 3 1. Les droits que l'association doit protéger lui sont cédés dans le cadre d'un contrat spécial (contrat de cession ...), qui définit également l'étendue de ces droits.

Le contrat de cession doit stipuler:

a) ... d)

e) que le cédant ne peut associer, directement ou indirectement, à ses recettes, les partenaires tarifaires de la GEMA ou d'autres sociétés d'exploitation, afin que ceux-ci n'accordent pas un traitement préférentiel injustifié à certaines œuvres du cédant, lorsqu'ils utilisent le répertoire de la GEMA.

2. ..."

2. Justification de la modification des statuts

La GEMA justifie la modification de ses statuts en invoquant les arguments suivants:

a) Situation initiale

(21) Pour toutes les sociétés d'exploitation qui répartissent les sommes perçues sur la base des chiffres de vente, de la fréquence de représentation et de la durée de diffusion, le problème est d'empêcher effectivement que certains membres ne manipulent, au détriment des autres, les chiffres de vente, la fréquence de représentation ou la durée de diffusion. Il y a toujours eu des auteurs et des éditeurs qui ont essayé d'augmenter leur part de redevances en influençant les utilisateurs de leurs œuvres et en faisant fi du goût du public qui devrait pourtant être le seul critère décisif pour l'utilisation d'une œuvre.

(22) Pour ce qui est de la reproduction mécanique d'une œuvre, il est très difficile d'exercer une telle influence directe, car le goût du public se reflète dans les chiffres de vente, en fonction desquels le cédant est rémunéré. Il est, en revanche, très facile de manipuler la fréquence d'exécution et la durée de diffusion, notamment dans le cas des émissions de radio et de télévision, mais aussi dans le cas des interprétations en direct. Ici, en effet, le goût du public n'a aucune incidence immédiate sur la fréquence et la durée d'utilisation de l'œuvre : une station de radio et de télévision peut diffuser certaines œuvres musicales plus souvent et plus longtemps que d'habitude sans que le public l'en empêche ou puisse l'en empêcher. Par ailleurs, lorsqu'on manipule la fréquence et la durée d'une œuvre, le cédant perçoit, au détriment des autres membres de la GEMA et des membres des autres sociétés, une part plus importante que celle qu'il recevrait autrement.

Si cette manipulation est rendue possible par l'existence d'un lien avec l'utilisateur de l'œuvre, par exemple un organisme de radio ou de télévision, celui-ci peut fixer lui-même le montant de la somme qu'il verse à la GEMA. Plus souvent il présente ces œuvres privilégiées, plus grande est la rémunération que la GEMA doit verser au cédant au titre de cette œuvre et plus grande est la part que l'utilisateur récupère des redevances forfaitaires qu'il a payées à la GEMA. Cela revient à une sorte de "libre-service" où l'organisme de diffusion qui, conformément à la législation sur les droits d'auteurs, est soumis à redevance, détermine librement sa part des recettes encaissées par la GEMA. Ce "libre-service" est préjudiciable aux autres membres de la GEMA et à ceux des autres sociétés d'exploitation qui n'ont pas établi de tels liens avec les utilisateurs et dont les œuvres ne sont, par conséquent, pas privilégiées.

(23) Les sociétés d'exploitation se heurtent à un autre problème, à savoir la "commercialisation du potentiel d'utilisation".

Les grands utilisateurs choisiraient parmi l'éventail des œuvres qui leur sont proposées par les sociétés d'exploitation celles qui leur paraissent commercialement intéressantes. Toutefois, ils feraient dépendre l'utilisation de ces œuvres, c'est-à-dire la fabrication de reproductions (par exemple de disques) ou la diffusion radiophonique ou télévisée, du paiement d'une redevance par le titulaire du droit d'auteur (le cédant). En fait, les membres de la GEMA sont disposés à conclure un tel contrat, soit lorsque l'utilisateur a une prépondérance économique, soit lorsqu'il a accès à des ressources présentant un intérêt particulier pour le membre de la GEMA (par exemple, procédés spéciaux de fabrication ou installations de radiodiffusion):

b) Objet de la modification des statuts

(24) La modification des statuts vise tout d'abord à mettre un terme à l'utilisation privilégiée de certaines œuvres, lorsque celle-ci est due uniquement à la participation directe ou indirecte de l'utilisateur à la rémunération du membre de la GEMA ou du cédant.

(25) D'autre part, la modification des statuts vise à imposer des limites à la commercialisation du potentiel par les utilisateurs : en effet, il s'agit d'une perversion du droit d'auteur. En vertu de ce droit, en effet, c'est l'utilisateur qui doit verser une redevance au titulaire du droit d'auteur et non vice versa.

(26) C'est la participation, maintenant interdite par les statuts, qui donne aux utilisateurs d'œuvres musicales des possibilités de manipulation et qui les encourage même à de telles manipulations. En privilégiant certaines œuvres et en établissant un lien entre l'utilisation et la participation, l'utilisateur élude les tarifs uniformes de la GEMA et, en définitive, paie beaucoup moins de droits d'auteur que si ce lien n'existait pas.

(27) Dans le cas de l'utilisation de l'œuvre par des organismes de radiodiffusion, il s'ajoute à cela que le temps d'émission de ces organismes étant forcément limité, le choix préférentiel de certaines œuvres limite l'accès des autres membres de la GEMA et de ceux des autres sociétés à cette possibilité d'utilisation, puisqu'une partie du temps d'émission est réservé aux œuvres privilégiées. Dans la mesure où les critères objectifs de ce choix (qualité de l'œuvre, goût du public, etc.) cèdent devant le souci de l'organisme de radiodiffusion de diminuer la redevance versée à la GEMA, la modification des statuts devrait servir à empêcher de tels accords.

(28) Le traitement préférentiel n'est "injustifié" que si l'utilisateur de l'œuvre participe directement ou indirectement, c'est-à-dire par un intermédiaire (par exemple, une filiale), à la rémunération versée à un membre de la GEMA pour l'utilisation de son œuvre et que la participation de l'utilisateur se rapporte à une activité pour laquelle il est directement obligé de verser une redevance à la GEMA. Ce lien entre l'utilisation soumise à redevance d'une œuvre et la participation au produit des redevances est la caractéristique essentielle de ce "traitement préférentiel injustifié". Il faut en plus qu'il y ait un lien de causalité entre le traitement préférentiel et la participation du partenaire aux recettes perçues par le membre GEMA. Ni la participation que ce soit ou non en vertu d'un acte relevant du droit des sociétés - de l'utilisateur de l'œuvre à la rémunération du cédant ni le traitement préférentiel dans l'utilisation de l'œuvre ne sont "en soi" visés par la modification des statuts.

La disposition en question des statuts doit être appliquée de la même manière et sans discrimination à tous les partenaires. Elle n'est pas dirigée contre certains utilisateurs d'œuvres (par exemple les organismes de radiodiffusion) ou contre une entreprise déterminée.

IV. Objections de tiers concernés

(29) Deux entreprises ont fait connaître à la Commission leurs observations au sujet de la modification des statuts de la GEMA qui a été publiée conformément aux dispositions de l'article 19 paragraphe 3 du règlement n° 17.

Ces observations qui se rejoignent, se résument ainsi:

(30) La disposition des statuts empêche les cédants d'exploiter librement leurs œuvres musicales. Les cédants souhaitent que la promotion de leurs œuvres soit assurée par des maisons d'édition musicale liées à des sociétés de diffusion. Les contrats communs d'édition sont l'expression d'une libre décision du cédant prise en concurrence avec d'autres possibilités d'exploitation.

(31) La disposition des statuts constitue également une entrave aux activités économiques des utilisateurs en imposant des restrictions à la publicité qui est assurée par les sociétés de diffusion commerciales et qui constitue pour elles, en tant qu'entreprises privées, une importante source de revenus. Aujourd'hui, la principale forme de publicité pour les œuvres musicales consiste dans leur diffusion à la radio et à la télévision. Cette diffusion peut, en plus, revêtir une importance déterminante, surtout pour les jeunes artistes.

(32) Une telle diffusion constitue, d'une part, une utilisation soumise à redevance, d'autre part, une publicité pour laquelle celui qui la diffuse a droit à rétribution. Dans le cas des contrats communs d'édition, cette rétribution consiste dans une participation au succès de l'œuvre. Ce succès se traduit aussi dans la répartition des recettes de la GEMA entre les cédants.

(33) Sans doute, les tarifs de la GEMA sont-ils fixés de façon uniforme pour tous les exploitants d'œuvres musicales, mais la GEMA ne peut pas interdire à ses membres individuels de promouvoir - en concurrence avec les autres membres, en particulier les maisons d'édition - l'exploitation de leurs œuvres par l'octroi de ristournes, participations aux frais, etc., aux utilisateurs.

Appréciation juridique

(34) Conformément à l'article 2 du règlement n° 17 du Conseil, la Commission peut constater, sur demande des entreprises et associations d'entreprises intéressées, qu'il n'y a pas lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir à l'égard d'un accord, d'une décision ou d'une pratique en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 ou de l'article 86 du traité.

A. Inapplicabilité de l'article 86

(35) Aux termes de l'article 86 du traité CEE, est incompatible avec le Marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Au sens de l'article 86 sous a) du traité, il y aurait lieu de considérer comme une pratique abusive notamment le fait que la GEMA, qui est une entreprise dominante, impose de façon directe ou indirecte à ses membres ou à des tiers, par des statuts, des conditions de transaction non équitables.

1. Jurisprudence de la Cour sur les statuts des sociétés d'exploitation

(36) Dans son arrêt du 27 mars 1974, affaire 127-73, "BRT II", Recueil 1974, page 316, la Cour de justice des Communautés européennes a estimé que, pour apprécier le caractère inéquitable des statuts d'une société d'exploitation, il convient de déterminer si les statuts prennent suffisamment en considération tous les intérêts en présence pour que soit assuré un bon équilibre entre un maximum de liberté laissée aux auteurs, compositeurs et éditeurs pour exploiter leurs œuvres (ci-après "liberté de disposer") et une gestion efficace des droits de ces personnes par la société d'exploitation (ci-après "intérêt catégoriel").

Selon cet arrêt de la Cour, pour apprécier si, dans ces circonstances, la disposition des statuts constitue un abus au sens de l'article 86, il convient également de considérer que la société d'exploitation est une association dont le but est de sauvegarder les droits et intérêts de ses membres vis-à-vis notamment des grands utilisateurs et distributeurs d'œuvres musicales, tels que les organismes de radiodiffusion et les producteurs de disques.

C'est bien la raison pour laquelle la Cour reconnaît dans l'arrêt BRT II qu'une société d'exploitation doit jouir d'une position qui donne à son action l'ampleur et l'importance nécessaires pour protéger avec efficacité les droits et intérêts des titulaires de droits d'auteur. Il ressort également de l'arrêt BRT II que, dans l'appréciation des statuts d'une société d'exploitation au regard des règles de concurrence du traité, il est essentiel de déterminer si les statuts dépassent les limites de ce qui est indispensable pour une protection efficace des droits d'auteur (caractère indispensable) et s'ils n'entravent pas plus que cela n'est nécessaire la liberté du titulaire de disposer de ses œuvres (équité).

2. Équilibre entre "l'intérêt catégoriel" de la GEMA et la "liberté de disposer" des auteurs

a) Intérêt catégoriel

(37) Le conflit d'intérêts entre les titulaires de droits d'auteur (les cédants) et les utilisateurs exige que les cédants, en général, économiquement plus faibles, se regroupent au sein de sociétés d'exploitation. L'avocat général Henry Mayras a également évoqué ce problème dans ses conclusions du 12 février 1974 dans l'affaire "BRT II" (Recueil 1974, page 325) en soulignant que "certains utilisateurs de musique (industriels du disque, offices publics ou stations privées de radiodiffusion et de télévision) occupent sur le marché des positions si fortes qu'elles leur permettraient de placer les auteurs et compositeurs dans une situation de dépendance en exigeant la cession de certaines de leurs œuvres, spécialement celles qui, appelées à connaître un grand succès, sont d'une exploitation particulièrement intéressante" et que, devant "le danger de cette situation", une société d'exploitation assure "une protection nécessaire".

Dans sa décision du 2 juin 1971 (GEMA, JO n° 134 du 20.6.1971, p. 22), la Commission avait, elle aussi, déjà reconnu la nécessité d'une gestion commune des droits d'auteur par les sociétés d'exploitation, afin de contrebalancer la force que les utilisateurs détiennent sur le marché. Un tel regroupement s'impose particulièrement en ce qui concerne les droits de communication au public et de diffusion, pour lesquels les auteurs doivent traiter avec des utilisateurs très puissants et l'autre élément du marché, c'est-à-dire les auditeurs, ne peut modérer que de façon très limitée l'influence des utilisateurs. Les auteurs ne peuvent donc recevoir la rémunération à laquelle ils ont droit pour leur travail de création, dans des conditions d'équité, que par l'intermédiaire des sociétés d'exploitation.

(38) Pour la GEMA, la base de toute activité efficace est la prise en charge collective des droits d'auteur aux fins d'exploitation commune vis-à-vis des utilisateurs de l'œuvre. La gestion commune et uniforme, par la GEMA, des droits qui lui sont confiés est indispensable. En ce qui concerne les tarifs fixés par la GEMA mais contrôlés par l'État pour l'utilisation de l'œuvre, ce caractère collectif et uniforme de la gestion des droits revêt une importance toute particulière. La GEMA doit veiller à ce que ces tarifs soient uniformément appliqués et que ni les cédants, ni les utilisateurs ne puissent s'y soustraire. Cette application commune des conditions d'utilisation est d'autant plus importante pour la GEMA que, en la personne des éditeurs, elle compte également parmi ses membres des utilisateurs de musique, dont les intérêts coïncident souvent avec ceux des producteurs et des entreprises de diffusion, mais non avec ceux des auteurs. En raison de leur double rôle de "cédant" et de "premier utilisateur", les maisons d'édition sont en effet tentées de saper l'action unitaire de la GEMA.

(39) Pour la GEMA, il est donc absolument essentiel qu'elle ne soit pas influencée dans son activité par des personnes qui représentent les utilisateurs ou qui en sont dépendantes sur le plan économique. Ce principe d'"absence d'adversaire" revêt une importance particulière pour l'élaboration des tarifs afférents à l'utilisation des œuvres.

C'est la raison pour laquelle, dans sa décision du 2 juin 1971 (JO n° L 134 du 20.6.1971, p. 24), la Commission a déjà souligné le conflit d'intérêts qui existe entre les utilisateurs de musique et les auteurs et indiqué que le fait d'empêcher les prestations liées (entre les membres de la GEMA d'une part, et les utilisateurs d'autre part) par des sanctions statutaires constitue un moyen approprié (...) pour pallier les risques d'intégration verticale, comme par exemple dans le cas où un fabricant de disques subordonne l'exploitation de certaines œuvres à la condition que celles-ci soient éditées par une maison d'édition qui dépend de lui.

b) Liberté de disposer

(40) Dans ces conditions, l'intérêt que les cédants peuvent avoir à aménager librement leurs relations juridiques avec les utilisateurs dans le domaine des rémunérations doit nécessairement passer au deuxième plan.

(41) Les cédants ont en effet transféré une grande partie de leurs droits d'auteur et de leurs droits à rémunération à la GEMA, qui les exerce de façon collective et uniforme. Le fait de renoncer ainsi à des relations contractuelles individuelles avec les utilisateurs doit précisément établir l'équilibre des forces entre les cédants et les utilisateurs. Il est donc matériellement nécessaire d'éliminer dans la mesure du possible les accords individuels que les cédants concluent avec les utilisateurs et qui risquent d'avoir une incidence sur les tarifs de la GEMA.

(42) C'est pourquoi toute participation contractuelle d'un utilisateur aux rémunérations versées aux membres de la GEMA risque de mettre celle-ci en difficulté, si cette participation s'applique également à la rémunération afférente à l'œuvre musicale jouée par l'utilisateur. Une telle participation sape et "brade", pour l'utilisateur, les tarifs fixés par la GEMA. Sans doute, celui-ci verse-t-il à la GEMA l'intégralité de la rémunération, mais il en récupère automatiquement une grande partie par le biais de sa participation. Cette pratique a forcément pour effet d'abaisser les tarifs de la GEMA et ébranle sa position vis-à-vis de l'extérieur. Par ailleurs, une telle participation offre l'occasion par excellence de se livrer aux manipulations décrites au point 22 ci-dessus.

(43) Toutefois, il importe peu de savoir si toute forme de participation des utilisateurs de musique à la rémunération des cédants pourrait être empêchée par la GEMA, sans que ceci constitue une infraction aux règles de concurrence du traité. En effet, la disposition en cause des statuts interdit uniquement les participations qui ont pour but de privilégier de façon injustifiée des œuvres musicales. En l'absence d'une telle finalité, elle n'est pas applicable. En dépit de l'intérêt reconnu de la GEMA pour une tarification uniforme, la disposition en cause constituerait donc un abus au sens de l'article 86, si, dans sa forme actuelle, elle était "non indispensable ou excessive", c'est-à-dire inéquitable.

3. Le caractère indispensable et équitable

(44) Quant à savoir si la disposition en cause dépasse les limites de ce qui est indispensable pour une protection efficace des droits d'auteur ou si elle est excessive, il est essentiel d'établir quelles sont les pratiques que la GEMA cherche à empêcher par le biais de cette disposition.

À cet effet, il y a lieu de préciser la notion de "traitement préférentiel injustifié".

(45) La GEMA irait au-delà de ce qui est nécessaire si elle voulait amener les utilisateurs de musique à ne pas privilégier les œuvres musicales de certains de ses membres ou à appliquer un traitement égal à toutes les œuvres. Une telle attitude serait tout à fait contraire aux besoins des utilisateurs qui consistent à ne choisir que certaines œuvres parmi la vaste gamme de celles qui leur sont proposées. De même, la GEMA n'a pas davantage le droit d'empêcher les cédants de rémunérer les utilisateurs pour la publicité caractérisée en vue de l'achat de reproductions (publicité à titre onéreux).

Selon l'interprétation que la GEMA donne de la notion de "traitement préférentiel injustifié", on ne se trouve d'ailleurs en présence d'un tel traitement que lorsque l'utilisateur de musique influence la fréquence de représentation ou la durée de diffusion afin de réduire le montant effectif de la redevance qu'il verse à la GEMA (manipulation), ou si l'utilisation de l'œuvre est conditionnée par la participation à la redevance du cédant pour l'œuvre utilisée (commercialisation du potentiel d'utilisation).

a) Manipulation

(46) Par l'adhésion du titulaire du droit d'auteur à la GEMA et par le transfert fiduciaire des droits qui en résulte, le cédant n'a juridiquement plus la possibilité d'autoriser l'utilisation de son œuvre moyennant un taux de redevance qui serait supérieur ou inférieur à celui que la GEMA a convenu avec les utilisateurs. Il est donc juridiquement exclu que le cédant puisse influencer indirectement la rémunération afférente à l'utilisation de l'œuvre. Selon la Wahrnehmungsgesetz, la GEMA doit même, en tant que société d'exploitation, faire en sorte qu'un traitement équivalent soit appliqué à des cas équivalents, que tous les utilisateurs versent, pour la diffusion d'œuvres musicales comparables, une redevance également élevée et que tous les cédants participent aux recettes en fonction de l'utilisation de leurs œuvres.

(47) La disposition en cause empêche une manipulation de la durée de diffusion et de la fréquence de représentation. En effet, elle limite, dans les conditions décrites au point 28, la participation des utilisateurs à la rémunération que la GEMA verse aux cédants. Il est dès lors exclu que l'utilisateur puisse verser en définitive, pour l'utilisation du répertoire de la GEMA, une rémunération inférieure à celle qui a été convenu avec la GEMA. La disposition qui a été ajoutée aux statuts empêche donc que soient escamotées les dispositions du contrat d'utilisation conclu dans l'intérêt de tous les membres de la GEMA. Le non-respect du contrat est en effet préjudiciable aux cédants qui n'ont pas convenu avec les utilisateurs d'un traitement préférentiel injustifié pour leurs œuvres. Comme, conformément au plan de répartition, les recettes procurées par les forfaits versés par les utilisateurs sont réparties entre les cédants sur la base de la durée de diffusion et de la fréquence de représentation, le traitement préférentiel injustifié de certaines œuvres entraîne, pour les autres cédants, un manque à gagner non négligeable. Dans ces conditions, la disposition des statuts, qui a pour effet d'éliminer la possibilité d'un tel handicap, ne va pas au-delà de ce qui est indispensable à la protection des intérêts des cédants.

b) Commercialisation du potentiel d'utilisation

(48) Un des principes en matière de droit d'auteur et qui est commun à tous les États membres de la Communauté est que l'utilisateur d'une œuvre doit verser au titulaire du droit une rémunération qui est en quelque sorte le "salaire" de l'auteur pour son travail de création intellectuelle.

(49) Or, en commercialisant le potentiel d'utilisation d'une œuvre, l'utilisateur se fait rétribuer par le titulaire du droit d'auteur pour un emploi de cette œuvre qui est soumis au paiement d'une redevance.

(50) Il importe peu de savoir si une telle déformation du principe de la rémunération au titre du droit d'auteur est admissible dans le cas d'un contrat individuel conclu entre un titulaire qui n'a pas cédé ses droits à une société d'exploitation et un utilisateur. En tout état de cause, on peut considérer qu'il n'est pas inéquitable pour une société d'exploitation de chercher à empêcher un tel renversement de la protection des auteurs pour ses membres qui n'ont juridiquement plus aucune possibilité d'influencer le niveau de la rémunération. La disposition des statuts se borne donc à assurer le principe du droit d'auteur.

(51) Par ailleurs, on ne peut objecter que la disposition en cause fait obstacle à la publicité rémunérée (licite) pour une œuvre. S'il s'agit d'une publicité caractérisée qui est rémunérée par le cédant, l'utilisation publicitaire ne relève pas de cette disposition. En effet, cette dernière ne vise que les cas où l'utilisateur de musique se sert d'une œuvre et se fait rétribuer à ce titre par le cédant au moyen d'une participation à sa rémunération, sans que l'utilisation n'apparaisse à l'extérieur comme une forme de publicité.

c) Interdiction de l'abus

(52) La disposition en cause des statuts n'est pas contraire à l'interdiction de l'abus.

Dans la disposition en cause, la GEMA se borne à interdire toute participation des utilisateurs d'une œuvre à la rémunération du cédant, qui est destinée à privilégier certaines œuvres de celui-ci. Le lien de causalité direct entre la participation et le traitement préférentiel doit donc toujours apparaître clairement.

Dans ces conditions, le seul fait d'une participation relevant du droit des sociétés ou l'existence d'un contrat commun d'édition entre les cédants et les partenaires tarifaires n'entraînent pas forcément l'application de la disposition concernée. En fait, la GEMA veut seulement interdire le type de relation par lequel les utilisateurs cherchent à participer, en quelque sorte selon la formule du libre-service et sans limite de montant, aux rémunérations perçues par la GEMA, en utilisant certaines œuvres de façon répétée et sans tenir compte des goûts du public ni des critères de qualité.

(53) La disposition en cause constitue un moyen non abusif mais efficace d'empêcher les pratiques décrites. Il n'y a donc pas abus de position dominante au sens de l'article 86.

B. Applicabilité de l'article 85 paragraphe 1

(54) La question de savoir si la disposition des statuts tombe sous le coup de l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE et si, éventuellement, elle peut faire l'objet d'une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3, n'est pas tranchée ici.

Considéré isolément, le complément aux statuts n'a ni pour objet ni pour effet de restreindre la concurrence au-delà de ce qui est inhérent à la nature et aux buts d'une société d'exploitation. En excluant que des participants isolés puissent avoir une influence indirecte sur la rétribution liée à l'exploitation de leurs œuvres, la disposition des statuts ne fait que garantir l'exercice, par la GEMA, de son droit de représentation fiduciaire. La présente procédure ne se propose pas d'apprécier le complément aux statuts dans le contexte général des autres dispositions statutaires et des règles internes de la GEMA.

C. Surveillance du comportement de la GEMA

(55) Tout cédant peut saisir une juridiction arbitrale ou les juridictions civiles ordinaires au sujet de l'application et de l'interprétation de ladite disposition. La GEMA est soumise au contrôle de l'Office des brevets ainsi que de l'Office fédéral des ententes. En outre, l'application abusive de cette disposition pourrait donner lieu à une procédure devant la Commission, conformément aux règles de concurrence du traité. Dans ces conditions, les garanties semblent suffisantes pour que la disposition en cause qui, selon ses termes mêmes et l'interprétation qui en est donnée par la GEMA, ne tombe pas sous le coup des articles 85 et 86 du traité, soit appliquée régulièrement et sans discrimination,

A arrêté la présente décision:

Article premier

Il n'y a pas lieu pour la Commission, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir à l'égard du paragraphe 3 sous e) des statuts de la Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte, dans la version de septembre 1980, en vertu des dispositions de l'article 86 du traité instituant la Communauté économique européenne.

Article 2

La Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA), D-1000 Berlin 30, Bayreuther Straße 37-38, est destinataire de la présente décision.

(1) JO n° 13 du 21.2.1962, p. 204/62.