Livv
Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ., 24 septembre 2002, n° 00-01619

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Heckel (SA)

Défendeur :

Adidas Sarragan France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gueudet

Conseillers :

Mme Vieilledent, M. Dié

Avocats :

Mes Boucou, Parnière, Vuilliez, SCP Cahn & Associés.

TGI Saverne, du 14 mars 2000

14 mars 2000

La société Heckel a pour objet statutaire la distribution, l'importation et l'exportation de tous articles chaussants, de confection, de mode et de sécurité.

Le 3 octobre 1983, elle souscrivit un contrat de distribution exclusive auprès de la SARL Adidas qui fabrique des chaussures de sport.

Il fut stipulé :

- A titre liminaire : "En raison du marché très particulier que constitue la distribution à travers les foyers militaires et les économats d'une part, et des excellentes relations que Heckel entretient avec l'ensemble des services militaires d'autre part, Adidas a confié à Heckel la distribution de ses produits pour ce secteur militaire".

- A l'article 1er : "Par le présent contrat, Adidas confère à Heckel la distribution de tous les produits revêtus de la marque Adidas (...) à travers les foyers et économats militaires',

- A l'article 3 : "Heckel prospectera et livrera exclusivement l'ensemble des foyers, économats militaires, clubs militaires, gendarmeries, CRS, douanes".

- A l'article 8 : "Adidas accordera à Heckel une remise de 13 % sur le prix hors taxes (tarif en vigueur)."

Conclu pour une durée initiale de cinq ans, le contrat fut tacitement reconduit le 3 octobre 1988, puis le 3 octobre 1993.

Sur ses catalogues et documents commerciaux, la société Heckel employa un logo mentionnant : "Distributeur exclusif Adidas, armée, police, pompiers, douane".

Par lettre recommandée du 16 mars 1998, la société Adidas devenue Adidas Sarragan France notifia à la société Heckel la résiliation du contrat à compter du 2 octobre 1998.

La société Heckel accusa réception le 13 juillet 1998. Elle proposa une rencontre pour négocier les conditions des futures relations commerciales. Elle signala que certains clients entrant dans son champ d'exclusivité avaient été directement livrés.

Par lettre du 4 septembre 1998, la société Adidas Sarragan France proposa à la société Heckel d'entrer dans son réseau de détaillants agréés sous réserve de satisfaire à sa charte de distribution dans un délai de six mois.

Le 1er octobre 1998, la société Heckel refusa, mais sollicita d'être encore livrée. Elle souligna qu'il n'avait pas été répondu à son observation sur les manquements à son champ d'exclusivité. Selon la société Heckel, elle n'aurait plus été livrée d'aucun produit "Adidas" à compter du 7 octobre 1998.

Le 10 décembre 1998, la société Heckel fit assigner la société Adidas Sarragan France devant le Tribunal de grande instance de Saverne.

Elle invoqua une violation de la clause d'exclusivité dans deux cas, l'un pour une livraison faite à l'armée de l'air, l'autre aux corps des sapeurs-pompiers de Paris.

Elle argua également d'une rupture abusive des relations contractuelles et d'un refus de vente.

Par un premier jugement en date du 14 mars 2000, le Tribunal de grande instance de Saverne, en sa chambre commerciale, considéra:

- sur l'étendue de l'exclusivité, que les mentions portées sur les catalogues, dépliants et documents publicitaires ne sauraient prévaloir sur les stipulations précises du contrat et qu'il n'y avait pas eu violation de la clause d'exclusivité;

- sur la rupture du contrat, que les circonstances n'avaient été ni vexatoires, ni brutales, que la proposition faite à la société Heckel n'était ni injurieuse, ni ignominieuse, et qu'aucun abus de position dominante n'avait été commis;

- sur le refus de vente, qu'aucun abus n'était caractérisé;

- sur le stock, qu'il y avait lieu de tenter une médiation.

En conséquence, le tribunal débouta la société Heckel de toutes ses prétentions, à l'exclusion de ses demandes de provision, d'expertise et de dommages et intérêts relatives à son stock inventorié au 31 décembre 1998. Avant dire droit sur ce dernier point, il ordonna la réouverture des débats et invita les parties à prendre position sur le principe d'une médiation et, le cas échéant, sur le choix du médiateur.

Par un second jugement en date du 13 juin 2000, le même tribunal visa l'accord des parties, ordonna une médiation et commit M. Hesse avec pour mission de rapprocher les parties sur la reprise et/ou l'évaluation du stock de produits de marque Adidas actuellement détenu par la société Heckel.

Par une déclaration reçue au greffe de céans le 28 mars 2000, la société Heckel interjeta appel du jugement du 14 mars 2000.

Dans ses dernières conclusions déposées le 21 août 2001 au soutien de son appel, la société Heckel fait valoir:

* que la clause d'exclusivité figurant au contrat est imprécise ; qu'il y a lieu de rechercher la volonté réelle des parties dans leur intention lors de la conclusion du contrat et dans sa confirmation pendant toute la durée du contrat ; qu'au stade des pourparlers, il échet de se référer à l'attestation délivrée par M. Delecourt, anciennement directeur commercial de la société intimée, selon lequel l'exclusivité accordée à la société Heckel couvrait toutes les livraisons à destination des armées, de la police, des douanes et des pompiers ; qu'au cours de l'exécution du contrat, la société intimée a édité des documents portant la mention "Heckel Sport - distributeur exclusif Adidas - armée, police, pompiers, douanes", elle a donné des instructions à ses salariés dans le sens d'une large interprétation de la clause d'exclusivité, elle a orienté vers la société Heckel des clients qui ne seraient pas entrés dans le champ visé par l'interprétation restrictive qu'elle fait actuellement ; qu'il doit en être tiré que l'exclusivité contractuelle couvrait l'armée, la police, les douanes et les pompiers, et qu'elle concernait toutes les livraisons à destination de cette clientèle;

* que l'exclusivité a été violée par la société intimée qui n'a pas contesté avoir directement livré l'armée de l'air et le corps des sapeurs-pompiers de Paris;

* que la société intimée a commis un abus de sa position dominante caractérisé par l'évolution de son chiffre d'affaires rapportée par la presse, et un abus de l'état de dépendance économique de la société Heckel qui est un commerçant spécialisé qui ne peut exercer sans proposer à la vente les produits de marque Adidas et qui ne peut adhérer à une charte qui s'adresse aux détaillants ; que ces abus ont eu un effet anti-concurrentiel;

* que la responsabilité de la société intimée est engagée, "notamment" à cause de la brutalité des termes de la lettre de rupture du contrat de distribution, et cause des circonstances vexatoires tenant à la proposition faite de mauvaise foi d'adhérer à une charte de qualité inadaptée; subsidiairement, pour manquement à l'obligation d'exécuter les conventions de bonne foi;

* que la société Heckel a commis un refus de vente;

* que le préjudice ne peut être déterminé qu'au terme d'une expertise.

Elle demande à la cour de recevoir son appel, d'infirmer le jugement entrepris, et:

* de dire et juger que la société intimée a violé le droit d'exclusivité consenti à la société appelante;

* de condamner la société intimée à verser une provision de cinq millions de francs sur les dommages et intérêts;

* de désigner un expert pour déterminer le préjudice à raison des ventes directes effectuées entre le 3 octobre 1988 et le 3 octobre 1998 auprès des corps de l'année, de la police, des douanes et des pompiers;

* de réserver à la société appelante de conclure après le dépôt du rapport d'expertise;

* de dire que la société intimée engage sa responsabilité au titre de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 modifiée subsidiairement, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, et plus subsidiairement, sur celui de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil;

* de condamner la société intimée à payer cinq millions de francs à titre de dommages et intérêts;

* de dire que le refus de vente est abusif au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986

* de condamner la société Adidas à payer deux millions de francs à titre de dommages et intérêts;

* de condamner la société intimée à payer la somme de 914 086,37 F au sens du stock inventorié à la date du 31 décembre 1998;

* de condamner la société intimée à verser 200 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 15 octobre 2001, la société Adidas Sarragan France réplique:

- que la clause d'exclusivité étant définie de manière claire et sans équivoque, il n'y a pas lieu à interprétation ; subsidiairement, que les dispositions du contrat sont conformes à la volonté réelle des parties comme le montre l'attestation que M. Delecourt a remise à la société appelante, comme le confirme celle établie par M. Richard, et qui ne peuvent être infirmées par la circonstance que la société a soumissionné à certains appels d'offres des armées pour ses propres produits ou des commandes que lui transmettait la société intimée ; plus subsidiairement, que la clause d'exclusivité doit s'interpréter en faveur du concédant par application de l'article 1162 du Code civil;

- que les livraisons directes faites à l'armée de l'air ne constituent pas une violation de l'exclusivité consentie, et que les pompiers ne sont pas visés au contrat;

- que la résiliation du contrat a été régulièrement notifiée et n'avait pas à être motivée ; que la société appelante s'est vue offrir un délai de six mois pour se mettre en conformité avec la nouvelle charte de distribution, lequel délai s'est ajouté au délai de préavis contractuel de six mois ; que la société appelante doit supporter les conséquences de la légèreté et de sa mauvaise gestion pour n'avoir pas pris les mesures qui s'imposaient;

- que la résiliation du contrat n'était pas inspirée par le désir de récupérer la clientèle;

- que la société appelante ne rapporte la preuve ni de la position dominante qu'elle reproche à la société intimée sans définir le marché en cause et sans mesurer les puissances économiques des entreprises, ni de l'état de dépendance économique, ni de l'existence d'un abus, ni d'une atteinte à la concurrence;

- à titre subsidiaire, que le refus de vente postérieur à la résiliation du contrat ne révèle aucun abus de position dominante et de dépendance économique, qu'il était connu de la société appelante, qui avait averti certains de ses clients, qu'il est licite dès lors que la société intimée établissait un réseau de distribution sélective, et qu'en tout cas, le préjudice allégué n'est pas établi;

- que la société appelante présente des demandes exorbitantes et fantaisistes ; qu'elle a refusé de signer le compromis qui avait été trouvé à l'issue de la médiation judiciaire sur le stock d'invendus ; qu'il n'y a pas lieu de pallier par expertise la défaillance de la société appelante dans l'administration de la preuve de son préjudice.

La société intimée demande à la cour de déclarer l'appel irrecevable et mal fondé et en conséquence, de confirmer le jugement entrepris et en tant que de besoin:

- de débouter la société Heckel;

- de constater le caractère non abusif du contrat du 3 octobre 1983;

- de constater que la société Heckel ne rapporte pas la preuve de son prétendu préjudice;

- de faire interdiction à la société Heckel de vendre les articles de marque Adidas qu'elle détient en stock, et lui enjoindre de procéder à leur destruction à ses frais;

- de condamner la société Heckel à verser 15 244,90 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et à supporter les dépens.

Sur quoi, LA COUR,

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments ;

1 - Sur la recevabilité et la portée de l'appel:

La société intimée ne présente aucun moyen au soutien de sa prétention à l'irrecevabilité de l'appel que la société Heckel a interjeté.

L'appel formé le 28 mars 2000 apparaît régulier en la forme.

Sa recevabilité doit être déclarée.

Cependant, l'appel ne peut porter sur ce que le jugement entrepris n'a pas tranché.

Le jugement frappé d'appel est celui prononcé le 14 mars 2000. Dans cette première décision, le tribunal de grande instance a ordonné la réouverture des débats sur le stock de produits invendus en possession de la société Heckel. Il n'a statué sur ce point que dans sa seconde décision du 13 juin 2000 qui n'est pas concernée par l'appel.

Par conséquent, l'appel formé ne peut avoir pour effet de soumettre à l'examen de la cour ce dernier point du litige, et les demandes que les parties présentent réciproquement de ce chef sont irrecevables.

2 - Sur la portée et les violations de la clause d'exclusivité:

La réalité des livraisons directes reprochées n'est pas contestée.

Seule est en litige la question de savoir si elles ont été faites en violation de la clause de distribution exclusive sur le contenu de laquelle les parties s'opposent.

La portée de la clause de distribution exclusive résulte de l'échange des consentements des parties, tel qu'elles l'ont formalisé en souscrivant le contrat du 3 octobre 1983.

Le contrat exprime clairement la portée que les parties ont entendu donner à la clause d'exclusivité.Il n'y a donc pas lieu de se livrer à l'interprétation de ces stipulations, ni à l'examen d'éléments extrinsèques à la recherche de la commune intention des parties.

La rédaction du contrat n'est certes pas dénuée de maladresses. Le préambule vise "la distribution à travers les foyers militaires d'économats" et mentionne qu'est confiée à la société Heckel la distribution " pour ce secteur militaire ", l'article 1er répète que l'objet du contrat est la distribution "à travers les foyers et les économats militaires", tandis que l'article 3 énumère "l'ensemble des foyers, économats militaires, clubs militaires, gendarmeries, CRS, douanes" alors que les douaniers et les agents des compagnies républicaines de sécurité sont des fonctionnaires.

Pour autant, il n'en résulte aucun doute sur la volonté des parties. En mentionnant les foyers et économats, elles ont désigné les entités qui, selon des modalités diverses, avec l'autorisation ou sous le contrôle des armées ou des administrations, exercent des activités de service ou de revente auprès des personnels des armées ou de ces administrations.

Les parties n'ont pas convenu de confier à la société Heckel la distribution aux armées, ou administrations elles-mêmes.

Sur cette distinction, la société appelante ne fait qu'affirmer que le terme "économat" désigne une centrale d'achats de certaines années. Elle feint de confondre ce terme avec ceux "d'intendance" ou de "commissariat" qui désignent effectivement des services chargés de l'approvisionnement des armées.

La distinction ne pouvait échapper à la société Heckel qui, dans le contrat du 3 octobre 1983, se prévalait de sa connaissance des milieux militaires. La loi n° 59-869 du 22 juillet 1959 avait défini l'économat de l'armée comme un établissement public de l'Etat, de caractère commercial, doté de l'autonomie financière, placé sous la tutelle du ministre des Armées, et ayant pour objet la fourniture, dans des circonstances limitativement énumérées, de denrées et marchandises diverses aux corps de troupes ainsi qu'aux parties prenantes collectives ou individuelles autorisées par le ministre des Armées.

Le décret 64-12-12 du 5 décembre 1964 avait précisé que l'économat de l'armée comprenait un organisme central, la direction générale de l'économat de l'armée, et des comptoirs qui groupaient l'ensemble des succursales fonctionnant sur un même territoire.

Au temps de la souscription du contrat, la société appelante ne pouvait donc confondre les services qui assurent l'approvisionnement des armées d'une part, et l'établissement public dénommé "économat de l'armée", les comptoirs fonctionnant sous son autorité et les diverses succursales d'autre part.

La société appelante produit elle-même un document qui illustre parfaitement la distinction qui doit être opérée. Elle présente une note en date du 26 février 1985 par laquelle le Service Central d'Approvisionnement des Ordinaires de la Marine et des Marins (SCADOM) exposait que les "coopératives d'unités" et les "foyers de la Marine" avaient pour vocation de mettre à la disposition du personnel "les menus objets nécessaires à la vie courante: articles de toilettes, de sport, de voyage, de distraction" ; qu'ils bénéficiaient de détaxation dans certains cas ; mais que s'ils devaient se fournir auprès de services spécialisés dénommés Services d'Approvisionnement des Marins, lesquels relevaient du SCADOM et devaient s'approvisionner auprès des fournisseurs référencés par le SCADOM, le ministre de la Défense restait étranger aux contestations auxquelles pouvaient donner lieu ces opérations.

Il s'ensuit que les stipulations de la clause de distribution exclusive sont claires et n'appellent aucune interprétation.

Au surplus, la société Heckel soutient son interprétation extensive de la clause d'exclusivité par des éléments extrinsèques qui, en réalité, ne confirment pas l'amalgame qu'elle entend opérer.

En premier lieu, elle s'appuie sur l'attestation délivrée par M. Delecourt, anciennement directeur commercial de la société intimée et signataire de l'acte du 3 octobre 1983. M. Delecourt n'indique nullement que la société qu'il représentait avait voulu concéder la distribution auprès des armées ou des services des douanes, de la police ou des pompiers. Il précise au contraire que sa société avait entendu consentir un droit de distribution dans les mêmes conditions que pour le précédent concessionnaire "c'est-à-dire, les milieux militaires, policiers ou douaniers, et de pompiers". L'emploi du mot "milieux" corrobore la distinction que les parties faisaient nécessairement entre les armées et les administrations d'autre part, et les organes de distribution qui fonctionnaient en leur sein d'autre part.

En deuxième lieu, la société appelante argue de l'attestation délivrée par M. Richard, responsable de l'administration des ventes de l'intimée de 1979 à 1998 qui a rapporté "Mes supérieurs hiérarchiques successifs m'ont toujours présenté la société Heckel comme étant chargée de la distribution exclusive des produits Adidas auprès des militaires, de la police, des pompiers et des douanes ; j'avais consigne jusqu'à mon départ de la société Adidas, en cas de sollicitation d'un client entrant dans ce groupe, de le renvoyer vers la société Heckel". Il ne peut aucunement en être tiré que dans la pratique, la société intimée avait confié à l'appelante la fourniture des armées ou des administrations, de la police, de la douane ou des services de secours. L'expression "client entrant dans ce groupe" confirme au contraire qu'étaient renvoyés vers la société Heckel les personnels appartenant aux armées ou aux administrations visées.

En troisième lieu, la société appelante rapporte qu'elle utilisait des dépliants publicitaires, des papiers à lettre et catalogues, élaborés et réalisés par la société intimée et portant "Heckel Sports - distributeur exclusif Adidas - armée, police, pompiers, douanes". La mention est équivoque et il ne peut en être déduit que la société intimée avait accepté une extension de la clause d'exclusivité. Il apparaît au contraire que certains documents commerciaux, comme le souligne la société intimée, portaient la mention alléguée suivie de "en vente dans votre foyer", ce qui confirme qu'ils s'adressaient non aux armées, ou administrations, mais à leurs personnels.

En quatrième lieu, la société appelante justifie que dans plusieurs cas, la société intimée lui a transmis des appels d'offres de certains services des Armées.

Il doit être observé que la société appelante a effectivement soumissionné à de nombreux appels d'offres lancés par les armées ou des administrations. Mais elle ne conteste pas, comme le fait observer la société intimée, que généralement elle proposait d'autres produits que ceux de marque Adidas, en particulier ses propres produits de marque Heckel.

La circonstance que la société intimée lui adressait certains appels d'offres ne peut nullement être regardée comme l'expression du désir d'élargir le champ de la clause d'exclusivité. Elle apparaît simplement comme la manifestation des bonnes relations que les parties entretenaient. La société appelante rapporte elle-même qu'en sens inverse, elle a servi d'intermédiaire à la société Adidas Sarragan France auprès du corps des sapeurs-pompiers de Paris.

Il reste que pour quelques cas, à l'initiative ou sans réaction de la part de la société intimée, la société Heckel a répondu à des appels d'offres des armées et d'administrations en proposant, au moins partiellement, des produits de marque Adidas.

Mais la société appelante n'établit ni le nombre des offres qu'elle a ainsi faites, ni le volume d'affaires concerné. Au vu des seules pièces qu'elle produit aux débats, le flux d'affaires ainsi établi est resté très limité au regard de la durée de la collaboration des deux entreprises. Il ne peut être significatif d'une conception élargie du champ de la clause d'exclusivité. De surcroît, aucun des éléments invoqués n'est suffisamment explicite pour considérer que s'est opérée la novation que sous-entend la société appelante. La société Adidas Sarragan France était libre de confier à son concessionnaire, ou de le laisser prendre des affaires en dehors du champ d'exclusivité contractuellement fixé. Il ne peut être tiré que les parties avaient convenu d'un nouveau champ d'application de la clause d'exclusivité.

Par conséquent, la société appelante ne peut prétendre que lui était réservée la distribution des produits Adidas auprès des corps d'armée ou des administrations de la police, des douanes ou des pompiers.

Les livraisons reprochées ont été faites à l'armée de l'air et au corps des sapeurs-pompiers de Paris. Elles n'entraient pas dans le champ contractuel qui avait été réservé à la société Heckel.

La société appelante doit donc être déboutée.

3 - Sur l'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce:

La société appelante invoque l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Cette disposition légale est devenue l'article L. 420-2 du Code de commerce qui prohibe, en son paragraphe 1, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises:

"l) d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci;

2) de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente.";

Il précise en son paragraphe 2 : "Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.".

Sur ce fondement, la société appelante allègue tout à la fois d'un abus de position dominante, de l'exploitation d'un état de dépendance économique et d'un refus abusif de vendre. Mais elle est gravement défaillante dans l'administration des preuves qu'il lui incombe de rapporter pour établir les fautes qu'elle reproche à la société intimée.

La position dominante se définit comme une situation de puissance économique qui permet à une entreprise de s'abstenir de la concurrence d'autres entreprises présentes sur le marché, ou de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective, ou d'exercer une influence déterminante sur la politique de ses concurrents.

Or la société appelante se limite à produire des articles de presse pour souligner que la société intimée aurait connu une évolution spectaculaire de ses parts de marché et de son chiffre d'affaires. Elle affirme que la société intimée connaissait une position oligopolistique sur le marché des équipements de sport, et quasiment monopolistique à l'égard des armées parce que ses concurrents américains n'avaient qu'un accès très limité aux commandes des collectivités publiques.

Les assertions de la société appelante sont non seulement dépourvues de démonstration, mais aussi démenties par la circonstance non contestée que la société Heckel est elle-même un fournisseur d'équipements sportifs aux armées françaises sous sa propre marque Heckel. La puissance économique de la société intimée ne peut caractériser sa position dominante, surtout s'il est admis qu'elle est concurrencée par d'autres grandes entreprises et par la société appelante elle-même.

La dépendance économique est un état dans lequel l'un des partenaires commerciaux n'a pas de solution alternative s'il souhaite refuser de contracter dans les conditions que lui impose son client ou son fournisseur. Cet état s'apprécie au regard de la notoriété de la marque en cause, de la part de marché du fournisseur, et de la part que représentent les produits du fournisseur dans le chiffre d'affaires du distributeur.

La société appelante soutient qu'elle est un commerçant spécialisé qui ne peut exercer sans proposer les produits de la marque Adidas pour lequel il est illusoire d'envisager de s'approvisionner en produits de marques concurrentes Reebok et Nike, et qui ne peut adhérer à la charte de qualité Adidas parce qu'elle est destinée aux détaillants.

Ses affirmations ne la dispensent pas de la démonstration qu'elle devrait faire. Rien n'établit qu'elle ne peut exercer sans proposer des produits de marque Adidas. Rien ne montre l'illusion qu'il y aurait à envisager qu'elle distribue des produits d'autres marques : elle ne semble pas même avoir tenté une démarche en ce sens. Rien ne rend impossible son adhésion à la nouvelle charte à laquelle la société Adidas Sarragan France soumet ses distributeurs.

La société intimée souligne, sans être contredite, que la part des produits Adidas dans le chiffre d'affaires de la société Heckel ne révèle pas de situation de dépendance. En 1997, la société Heckel a vendu pour 1 881 270,97 F de produits de marque Adidas, mais aussi pour 1 680 974,44 F de produits de marque "Ophélie Winter", et surtout pour 4 269 721,50 F de produits de sa propre marque Heckel Martin.

Il en résulte que s'il n'est pas douteux que la marque Adidas jouit d'une certaine notoriété, et qu'il est vraisemblable que la société Adidas Sarragan France profite d'une part importante du marché des équipements de sport, la part minoritaire que représentaient ses produits dans le chiffre d'affaires de la société Heckel exclut que cette dernière eut connu un état de dépendance économique.

Un refus de vente est fautif lorsqu'il est la manifestation de l'abus d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique. Dès lors qu'en l'espèce ne sont caractérisés ni la position dominante qu'aurait occupée la société Adidas Sarragan France, ni l'état de dépendance économique qu'aurait connu la société Heckel, le refus de vendre qu'au terme du contrat de distribution, la société intimée a opposé à la société appelante, n'a pas constitué un abus.

Il apparaît au contraire que la société intimée justifie qu'elle cherchait à améliorer ses circuits de distribution, qu'elle avait choisi de développer un réseau de détaillants agréés, qu'elle avait proposé à la société intimée de l'intégrer et qu'elle lui avait vainement offert des délais pour s'y adapter.

La société appelante exerçait certes une activité de grossiste et non de détaillant. Mais au terme du contrat de distribution qu'elle avait résilié dans les formes et délais requis, la société intimée était libre de confier cette activité à d'autres, suivant d'autres modalités, ou encore de se la réserver à elle-même.

De surcroît, il n'est pas démontré que les actes reprochés ont eu pour objet ou pouvaient avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.

Le terme qui fut mis au contrat de distribution exclusive semble au contraire de nature à améliorer les conditions d'une libre concurrence. Les organismes concernés, qui ne pouvaient être approvisionnés en produits Adidas que par la société Heckel, peuvent désormais comparer les prestations d'une pluralité de distributeurs agréés et se déterminer au regard des différents prix et services qui leur sont proposés.

Par conséquent, la société appelante est mal fondée à rechercher la responsabilité de la société intimée sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

4 - Sur l'application de l'article 1382 du Code civil.

A titre subsidiaire, la société appelante recherche la responsabilité de la société intimée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil selon lequel "tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.".

Mais elle n'articule pas clairement les fautes qu'elle reproche à la société intimée et se limite à procéder par allusion en évoquant la brutalité de la rupture des relations d'affaires telle qu'elle résulterait "notamment" des termes de la lettre de résiliation, et les circonstances vexatoires qui l'auraient accompagnée et qui résulteraient "notamment" de la proposition qui lui fut faite de mauvaise foi d'adhérer à une charte de qualité inadaptée. La lettre de résiliation du 16 mars 1998 n'a aucun caractère brutal. La société appelante ne pouvait s'attendre à ce que ses relations avec la société intimée fussent éternelles, et elle devait considérer que la résiliation pouvait être prononcée à l'échéance quinquennale du contrat. La société Adidas Sarragan France n'a usé d'aucun terme brutal, elle n'avait pas à motiver sa décision, et elle a adressé notification de la résiliation respectant le préavis. Aucune brutalité ne semble même avoir été alors ressentie par la société Heckel qui a attendu trois mois pour accuser réception par une lettre du 13 juillet 1998 et qui se déclarait prête à poursuivre les relations commerciales.

La proposition d'adhérer à la charte de distribution n'avait aucun caractère vexatoire. Même si la société appelée considère qu'elle n'était pas adaptée, elle ne manifestait aucune mauvaise foi. Il convient encore d'observer que la société appelante mit près d'un mois pour refuser par lettre du 1er octobre 1998, la proposition qui lui avait été faite le 4 septembre 1998, ce qui laisse à penser que la société Heckel avait pris le temps de l'étudier et qu'elle n'était pas totalement déplacée.

Le comportement de la société intimée ne dénote aucune faute délictuelle, et l'action en responsabilité engagée par la société appelante reste mal fondée.

5- Sur l'application de l'article 1134 du Code civil:

A titre plus subsidiaire, la société appelante recherche encore la responsabilité de la société intimée en invoquant l'article 1134 alinéa 3 du Code civil selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi.

Elle prétend que l'offre d'adhésion à la charte de qualité est un acte malveillant au vu des bons et loyaux services qu'elle aurait rendus pendant quinze ans, ainsi que la tentative de lui imposer de nouvelles conditions commerciales déséquilibrées et inacceptables.

Sur un plan contractuel, elle ne peut tirer de l'obligation générale d'exécuter les conventions de bonne foi, un fondement pour faire sanctionner des actes que ne prohibait pas le contrat qui la liait à la société intimée. Aucune stipulation n'interdisait ni ne contraignait la société Adidas Sarragan France à faire des propositions à la société Heckel. Au surplus, il doit être souligné que ces propositions ont été suscitées par la société Heckel qui, par lettre du 13 juillet 1998, a sollicité de négocier les conditions des futures relations commerciales. Cette circonstance exclut que la société intimée ait agi par malveillance à l'égard de celle qui était encore sa co-contractante.

Par conséquent, la société appelante doit être déboutée sur ce point comme sur les précédents.

6 - Sur les dispositions accessoires:

Il apparaît conforme à l'équité qu'en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la société appelante contribue aux frais irrépétibles qu'elle a contraint la société intimée à encore exposer.

Conformément au principe de l'article 696 du nouveau Code de procédure civile, les dépens seront supportés par la société appelante qui succombe.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré en dernier ressort, Déclare l'appel recevable; Précise que l'appel ne porte pas sur les dispositions avant-dire droit relatives au stock de produits invendus en possession de la société Heckel et, Déclare irrecevables les demandes réciproques des parties sur ce point du litige, Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions; Condamne la société Heckel: - à verser 2 000 euros (deux mille euros) à la société Adidas Sarragan France en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; - à supporter les dépens d'appel.