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Décisions

CCE, 12 décembre 1978, n° 79-90

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Céruse

CCE n° 79-90

12 décembre 1978

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment son article 3, vu l'engagement d'office par la Commission, le 3 février 1978, d'une procédure à l'égard des entreprises Associated Lead Manufacturers Ltd, Londres (Royaume-Uni), Hondorff, Block & Braet, Schoonhoven (Pays-Bas) et Lindgens & Söhne, Cologne (R.f. d'Allemagne), en raison de leur coopération dans le secteur de la céruse, après audition des entreprises intéressées conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement nº 17 et aux dispositions du règlement nº 99-63-CEE du 25 juillet 1963 (2), vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes recueilli le 24 octobre 1978 conformément à l'article 10 du règlement nº 17,

I. LES FAITS

Considérant que les faits peuvent être résumés comme suit:

a) l'objet de la procédure

1. La procédure concerne la coopération instaurée dans le secteur de la céruse à partir de 1971 entre les entreprises Associated Lead Manufacturers Limited, London (ci-après "ALM"), Lindgens & Söhne GmbH & Co., Cologne (ci-après "Lindgens") et BV Chemische Industrie- en Handelsmaatschappij Wed. Hondorff, Block & Braet, Schoonhoven, Pays-Bas (ci-après "Hondorff");

b) le produit

2. La céruse (carbonate de plomb) est un produit qui s'obtient par la dissolution directe du plomb métallique ou par la dissolution de l'oxyde de plomb sous l'action d'acides. Il s'agit d'une poudre blanche qui sert de pigment blanc dans la fabrication des peintures pour extérieur ou de stabilisant dans l'industrie des matières plastiques. Le produit est livré sous forme de poudre (dry white lead) ou de pâte (white lead ground).

3. Dans le secteur des peintures, la céruse sert plus particulièrement à la fabrication des peintures antirouille et des peintures protégeant le bois. Depuis les années cinquante, l'utilisation de la céruse est en régression. Ceci résulte d'une part du fait que l'on utilise aujourd'hui moins de bois dans la construction ou du bois qui ne doit pas être recouvert de peinture. D'autre part, la régression des ventes de céruse est due à l'apparition de produits de substitution, en particulier du blanc de titane, du blanc de zinc, du blanc de calcium et des composés du baryum. Les peintures à base de céruse ont l'inconvénient de dégager à leur application des vapeurs de plomb toxiques. Les produits de substitution ont l'avantage d'être plus faciles à étendre et d'être moins chers. Cependant, la protection la plus efficace contre la corrosion est obtenue avec des peintures à base de céruse associées à du minium. C'est pourquoi l'utilisation de la céruse est, par exemple, prescrite dans les cahiers de charges de certains marchés publics (chemins de fer). La céruse continue également d'être utilisée pour la protection du bois, notamment des parties en bois sur les navires, contre l'érosion.

Depuis une quinzaine d'années, la céruse est utilisée comme stabilisant dans la fabrication des matières plastiques (PCV) ; mais dans ce domaine aussi elle est remplacée par d'autres produits inorganiques et en particulier par des produits à base de plomb comme le sulfate de plomb, les phosphites de plomb, les phtalates de plomb et par des composés du zinc, du baryum et du calcium. Dans le domaine des matières plastiques, la céruse est aujourd'hui utilisée presque exclusivement (à 95 %) comme stabilisant dans la fabrication de câbles.

4. Les ventes de céruse sont destinées à 35 % au secteur des matières plastiques et à 65 % au secteur des peintures. Les ventes ont fortement diminué de 1971 à 1977 comme il résulte du tableau suivant: >PIC FILE= "T0014462">

Il convient de souligner que l'année 1977 a été particulièrement défavorable, non seulement pour le secteur de la céruse, mais plus généralement dans l'ensemble du secteur des peintures et que même les produits de substitution, tels que le blanc de titane, ont connu, contrairement aux taux de croissance constatés dans le passé et attendus de nouveau, une diminution des ventes de l'ordre de 5 % entre 1973 et 1976. Le tableau ne tient pas non plus compte du fait que la diminution des ventes de céruse n'est pas seulement due à l'augmentation des ventes des produits de substitution fabriqués par des concurrents mais qu'elle coïncide également avec une augmentation de la fabrication desdits produits par les producteurs de céruse eux-mêmes.

5. Il n'existe pas de données statistiques précises concernant les ventes des produits de substitution. Le tableau ci-après contient certaines données relatives au produit de substitution le plus important, à savoir le dioxyde de titane (blanc de titane), qui est fabriqué par National Lead, DuPont, Tioxide, American Cyanamid, Bayer, Montedison, Laporte, Thann & Mulhouse et un certain nombre d'autres entreprises. Le blanc de titane n'est utilisé qu'à 67 % dans le secteur des peintures. Cependant, le secteur dans lequel le blanc de titane est utilisé à côté de la céruse est considérablement plus restreint (ce qui n'est par exemple pas le cas des peintures pour intérieur) ; il peut être estimé à 7 % de l'ensemble du domaine d'application du blanc de titane dans le secteur des peintures. L'utilisation du blanc de calcium et des composés du baryum ne joue quantitativement aucun rôle.

Utilisation du blanc de titane, du blanc de zinc et de la céruse >PIC FILE= "T0014463">

Le tableau montre que, en ce qui concerne le secteur partiel dans lequel le blanc de titane peut être utilisé à côté du blanc de zinc et de la céruse, la part de cette dernière a été de 8,7 % en 1971, 5,9 % en 1973 et 4,9 % en 1976.

6. La consommation de stabilisants pour matières plastiques en Europe occidentale a été, en 1976, de 66 560 tonnes, dont 39 960 tonnes (= 55,5 %) de composés de plomb. Seule une part relativement réduite de cette quantité était destinée à la fabrication de câbles, domaine principal d'utilisation de la céruse. Le volume de la consommation n'a pas changé sensiblement depuis 1971 (61 050 tonnes) et 1973 (69 000 tonnes);

c) les prix

7. Le prix de la céruse est déterminé par la part élevée (70 %) des coûts afférents au plomb utilisé. Le prix du plomb dépend des cotations à la bourse de Londres. Le prix de la céruse est aujourd'hui supérieur à celui des produits concurrents tels que le blanc de titane, comme le montre le tableau ci-après concernant l'évolution des prix sur le marché néerlandais. Cependant le tableau ne met pas en évidence le fait que les quantités nécessaires diffèrent selon les produits, en fonction de leur destination. C'est ainsi que, pour remplacer une quantité donnée de céruse, il faut moins de blanc de titane. La différence de prix entre la céruse et le blanc de titane est par conséquent actuellement plus grande que ne l'indiquent les données du tableau, l'écart pouvant atteindre 40 %.

Évolution des prix du blanc de titane, du blanc de zinc et de la céruse >PIC FILE= "T0014464">

d) les producteurs

8. Dans les années cinquante, la Communauté comptait 32 producteurs de céruse. Les seuls qui subsistent encore de nos jours sont ceux qui font l'objet de la présente procédure, à savoir: - ALM, qui fabrique du plomb et des produits à base de plomb, de zinc et de calcium et dont 1 % du chiffre d'affaires total concerne le secteur de la céruse.

Mersey White Lead Company Limited qui produisait également de la céruse a coopéré avec ALM à partir de 1972 et a été absorbée par ALM en 1976. ALM est depuis lors la seule entreprise à produire de la céruse dans le Royaume-Uni, la troisième entreprise britannique, Novadel, ayant abandonné cette production en 1971,

- Lindgens, qui produit des dérivés du plomb et du zinc, des encres d'imprimerie et des produits chimiques de construction et dont 5 % environ du chiffre d'affaires global se rapportent au secteur de la céruse,

- Hondorff, qui est le seul producteur de céruse aux Pays-Bas et dont 40 % environ du chiffre d'affaires global se rapportent au secteur de la céruse.

Les trois entreprises précitées ont vendu, en 1976, 2 089 tonnes de céruse comme pigment blanc et 1 117 tonnes comme stabilisant. De plus, elles ont fabriqué des quantités non négligeables de produits qui se substituent à la céruse en tant que pigment blanc. Leur fabrication de produits utilisables à la place de la céruse en tant que stabilisants est quantitivement importante par comparaison à leur production de céruse.

9. La céruse vendue dans la Communauté provient de la production des trois fabricants précités. Seules des importations occasionnelles proviennent de pays tiers. Les quelques offreurs qui existent dans des pays tiers sont de petites entreprises qui n'approvisionnent que leur marché national, notamment: - en Suisse : Schock & Co., Burgdorf,

- au Portugal : Metal Portuguesa SARL, Lisbonne,

- dans la République démocratique allemande : VEB Ohrdruf

et quelques producteurs peu importants aux États-Unis et au Japon;

10. e) la demande

Les acheteurs sont un grand nombre de petites et moyennes entreprises de transformation. La demande n'est pas transparente. Les producteurs ne savent souvent pas lesquelles des quantités achetées ont été utilisées dans le secteur des pigments ou dans celui des stabilisants;

11. f) l'accord du 1er janvier 1971 et son historique

Au cours de l'année 1970, les producteurs de céruse de la Communauté ont pris contact entre eux pour tenter d'enrayer la baisse des revenus en concluant des accords. Cette entente avait pour objet la protection des marchés nationaux, la répartition et le contingentement des marchés d'exportation, l'échange de données relatives aux quantités livrées et le respect des prix fixés, conformément à un schéma préétabli, par le chef de file désigné pour les prix. "There should be established as many monopoly markets as possible in order to avoid a competitive fight especially carried out by the representatives and local dealers being accustomed to take away business one from the others by undercutting prices mutually."

Lors d'une réunion tenue le 16 décembre 1970, un projet d'accord a été discuté qui prévoyait le partage du marché en trois parts égales, la désignation des chefs de file pour les prix et l'attribution de quotas pour les marchés d'exportation - y compris ceux de la Communauté - l'échange de statistiques relatives aux quantités livrées pour permettre la compensation des livraisons inférieures ou supérieures aux quotas, ainsi que la fixation d'un schéma de prix.

Aux termes du compte rendu de la réunion, les États membres de la Communauté ont été exclus des dispositions contractuelles : "For legal reasons the heading EEC is to be taken out of the draft text". Des réserves d'ordre juridique avaient été déjà formulées lors de la réunion du 1er juin 1970 contre l'inclusion des États membres ; en revanche, l'échange de données relatives aux livraisons avait été considéré comme ne pouvant susciter d'objection.

12. En conséquence, le projet d'accord remanié du 20 janvier 1971, finalement adopté le 15 avril 1971 avec effet au 1er janvier 1971, ne mentionnait pas expressément les États qui étaient alors membres de la Communauté économique européenne pour ce qui est de la désignation des chefs de file des prix et de l'attribution des quotas par pays. Il maintenait en revanche l'obligation de déclarer toutes les exportations, y compris celles à destination des États membres de la Communauté économique européenne. Seule a été retirée de l'accord l'indication du but de ces statistiques, à savoir la détermination des écarts en plus ou en moins par rapport aux quotas fixés.

Les principales clauses de l'accord portaient sur les points suivants: - la fixation de quotas globaux d'exportation de céruse en poudre à raison d'un tiers chacun pour Lindgens, Hondorff et les deux entreprises britanniques ALM et Mersey,

- l'attribution de sous-quotas et la désignation du chef de file des prix pour chaque marché d'exportation situé en dehors des États membres de l'époque,

- la formation du prix de barème (schedule price) à partir de la cotation du plomb à la Bourse de Londres,

- la compensation des quotas : la partie à l'accord qui n'a pas épuisé le quota qui lui est attribué (un tiers) a le droit de livrer la différence dans certains "pays régulateurs" (regulator countries tels que les États du bloc oriental, les États-Unis, le Brésil, etc.), ce qui est rendu possible par le fait que le chef de file pour le pays d'exportation concerné augmente son prix de 5 livres sterling (toutefois, les différences en plus ou en moins par rapport aux quotas peuvent aussi être reportées d'une année civile à l'autre),

- la déclaration mensuelle de toutes les quantités exportées et la rediffusion de ces données, ventilées par pays destinataires, par l'intermédiaire d'un bureau commun.

13. À partir du début de 1971, les parties à l'accord ont communiqué des données exactes concernant leurs exportations et ont reçu en retour des données sur l'ensemble des livraisons effectuées, y compris l'indication pour chaque entreprise des écarts en plus ou en moins par rapport à ses quotas de vente (sous-quotas) et d'exportation globale (un tiers).

Ces indications englobaient les marchés communautaires (à l'exclusion des marchés nationaux) "puisque sans cela aucun décompte régulier ne serait possible" (lettre de Lindgens du 8 janvier 1971);

g) le comportement des parties après la résolution de l'accord

14. La perspective de l'adhésion de trois nouveaux États membres a amené les parties au contrat à décider lors d'une réunion tenue le 31 octobre 1972 de mettre fin à l'accord le 31 décembre 1972. Le projet d'un nouvel accord a été élaboré qui ne se distinguait de l'ancien que par le fait qu'il est dit dans le préambule:

"The purpose of this agreement is to arrange quotas and prices for markets outside th EEC. For the avoidance of doubt it is hereby declared that this agreement does not relate to markets within the EEC".

Il a été convenu de ne pas notifier un accord de cette nature à la Commission parce qu'un accord excluant formellement le Marché commun pouvait paraître suspect au regard du droit des ententes. Le projet d'accord n'a pas été signé par les parties.

15. Il a été constaté en revanche que les parties ont continué à communiquer chaque mois au bureau commun leurs livraisons ventilées par pays destinataires, y compris les marchés nationaux et les autres marchés des États membres. Le bureau commun a élaboré des tableaux portant sur les livraisons de toutes les parties à l'accord, qui sont également ventilés par marchés nationaux et marchés d'exportation ; ces statistiques sont beaucoup plus précises et plus actuelles que les statistiques officielles et ont été dès lors considérées par les parties comme indispensables.

Les écarts par rapport aux quotas fixés ont été calculés sur la base de ces statistiques, la différence entre les livraisons globales et les livraisons sur les marchés nationaux étant divisée par trois et le chiffre ainsi obtenu comparé au chiffre des exportations de chaque partenaire. À la fin de l'année, les résultats de l'année écoulée étaient consolidés avec ceux de l'année précédente.

16. Le calcul des écarts par rapport aux quotas a été effectué jusqu'en 1977 inclusivement. Ces écarts sont considérables. En effet, les différences en plus ou en moins ont parfois atteint 30 à 40 % du quota au cours d'une année donnée, sans que, d'après les constatations faites par la Commission, ces écarts aient donné lieu à compensation.

17. Ceci correspond à la pratique des parties dans l'application de l'accord de 1971. À l'époque aussi les livraisons effectives s'écartaient souvent des quotas sans que des livraisons de compensation aient lieu. Il faut cependant noter que les différences en plus ou en moins par rapport aux quotas ont été discutées en commun non seulement à la fin, mais aussi régulièrement au cours de l'année. Lorsque les livraisons effectives des parties s'écartaient par trop de leurs quotas, le partenaire, qui avait dépassé son quota, se voyait enjoindre de "prendre toutes les mesures nécessaires pour arriver, dans toute la mesure du possible, à un équilibre à la fin de l'année" (lettre de Lindgens à Hondorff du 22 juillet 1971).

De la lettre adressée le 26 février 1974 par Hondorff au bureau commun, il résulte que les différences en plus ou en moins par rapport aux quotas ont continué à faire l'objet de discussions communes et que les dépassements répétés d'une des parties ont amené à se demander si certains pays tiers ne devaient pas être "réattribués" (ce qui n'a cependant pas eu lieu).

18. Il est constant que, non seulement pendant l'application de l'accord mais aussi ultérieurement, des dépassements importants du quota par l'une des partie ont été réduits dans un court laps de temps par une diminution des autres, voire même par un dépassement des quotas des autres parties;

h) la modification envisagée des pratiques en cause

19. Après que la Commission eut communiqué les griefs retenus contre elles, les parties ont, d'une part, contesté l'existence d'une violation de l'article 85, prétendant qu'une restriction de concurrence ne serait pas prouvée et, en tout état de cause, ne serait pas sensible. D'autre part, elles sont convenues d'une modification "légère" (slight) de leur collaboration en limitant l'échange de renseignements à la communication mensuelle d'un chiffre unique de livraisons dans les pays de la Communauté économique européenne et de l'EFTA et en supprimant le calcul des écarts par rapport aux quotas. Cependant, il a été constaté que l'échange de renseignements a été continué au moins partiellement dans sa forme antérieure et que des données ventilées entre les différents pays de la Communauté économique européenne et de l'EFTA ont été communiquées au bureau commun qui continue à exister. Par contre, le dépassement ou la non-réalisation des quotas n'est plus calculé;

II. Applicabilité de l'article 85 paragraphe 1

20. considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 1, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;

a) accord entre entreprises et pratique concertée

21. Considérant que la coopération entre ALM, Hondorff et Lindgens repose sur l'accord écrit conclu en 1971, dont l'application a été maintenue après sa résolution en 1972 ; que cette coopération constituait après 1972 à tout le moins une pratique concertée ; qu'après 1972, le système de déclaration des quantités livrées a continué d'être appliqué d'un commun accord, par les intéressés comme dans le cadre de l'accord de 1971, c'est-à-dire d'être étendu aux États membres ; que les intéressés avaient eux-mêmes précédemment reconnu et admis qu'un système de déclaration qui n'aurait pas tenu compte de livraisons à l'intérieur du Marché commun aurait été dépourvu de sens ; que la coopération entre les entreprises avait pour objet de coordonner l'action des intéressés sur le marché pour enrayer la diminution du produit de leurs ventes par produit des ventes, il faut en l'occurrence entendre la différence entre le prix de vente et le prix du plomb qui constitue un élément de coût fixe);que ce comportement parallèle concerté ne pouvait être limité aux marchés tiers sur lesquels les intéressés livrent à peu près la moitié de leur production ; que les ventes sur les marchés de la Communauté, qui jouent un rôle aussi important pour l'évolution générale des recettes, devaient aussi être prises en considération;

22. Considérant que c'est sur la base des communications des résultats des ventes qu'a été calculé l'écart en plus ou en moins par rapport au quota d'exportation d'un tiers pour chaque entreprise ; que les livraisons sur les marchés nationaux ont dès le départ été exclues du calcul parce que chaque producteur occupait déjà sur son marché national une position assez forte pour ne pas avoir sérieusement à craindre que ce marché soit perturbé par des livraisons des autres producteurs;

23. Considérant qu'il existait aussi un accord de principe sur l'égalisation des quotas au moyen de livraisons compensatoires ; que ces livraisons n'ont toutefois lieu que lorsque les intéressés constatent, sur la base des statistiques mensuelles précises, que la compensation ne semble pas devoir s'effectuer autrement, à savoir par l'augmentation des livraisons de l'un et le recul des livraisons de l'autre ; que, dès lors, le fait que les parties n'ont pas recouru à des livraisons compensatoires n'infirme pas l'existence de la pratique concertée;

b) restriction de la concurrence à l'intérieur du Marché commun

24. Considérant que cette coopération a eu pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun à divers égards.

25. Par l'intermédiaire d'un bureau commun, les intéressés ont échangé chaque mois des renseignements sur leurs livraisons de céruse - ventilées par pays destinataire, y compris les États membres de la Communauté économique européenne. Ils ont de la sorte atténué ou éliminé les risques qui résultent de l'ignorance de la politique des concurrents en matière de quantités et de commercialisation, ignorance due à l'absence de données statistiques fiables et au manque de transparence de la demande qui émane de deux secteurs différents (peintures et matières plastiques). Les données échangées relatives aux livraisons du mois écoulé sont très précises et permettent de connaître en temps utile les intentions des partenaires, par exemple leur intention d'intervenir sur un marché qu'ils n'avaient jusqu'alors jamais ou qu'exceptionnellement approvisionné ou d'augmenter les quantités livrées, ce qui, sur un marché en contraction, entraîne à plus ou moins long terme des baisses de prix et, partant, accroît le danger d'un effondrement général des prix, que la coopération vise précisément à éviter.

26. Cet échange de renseignement ne peut se justifier par la nécessité de disposer de statistiques plus précises ou d'assurer une plus grande transparence du marché - laquelle ne profite d'ailleurs qu'aux seuls producteurs - car, le fournisseur étant identifiable, les données en cause sont normalement des secrets d'affaires qui ne sont pas communiqués à des concurrents. Les intéressés ont expressément déclaré que des indications quantitatives analogues sur la production et la livraison des produits de substitution qu'ils fabriquent constituaient des secrets d'affaires qui ne devaient pas être divulgués à leurs concurrents. La connaissance systématique de données précises de cette nature restreint les possibilités de concurrence des intéressés.

27. Déjà restreinte par cet échange de renseignements, la concurrence subit une restriction supplémentaire du fait qu'il est complété par un système de quotas de livraison. La fixation de ces quotas constitue une limitation ou un contrôle des débouchés au sens de l'article 85 paragraphe 1 sous b), et ce même dans le cas où les quotas ne sont pas exactement respectés. Une entente de contingentement est en effet contraire aux dispositions précitées dès lors qu'il a simplement pour objet de limiter ou de contrôler les débouchés. L'appréciation d'une entente de contingentement au regard du droit de la concurrence ne saurait différer selon que les entreprises intéressées modulent leurs livraisons en fonction des quotas fixés, grâce à une observation constante et réciproque rendue possible par les échanges d'informations, ou que l'une ou l'autre entreprise cherche à dépasser son quota en espérant ne pas susciter, tout au moins dans l'immédiat, des réactions de la part des concurrents, et notamment des mesures de rétorsion économique (telles que des livraisons sur le marché national de l'entreprise qui a dépassé son quota). Une entente ne perd pas son caractère restrictif par le fait qu'elle est transgressée temporairement ou même de façon réitérée par l'une ou l'autre des parties.

28. L'objet du contingentement portait sur toutes les exportations, comme il ressort clairement des négociations préliminaires et implicitement de l'application de l'entente ; les échanges de renseignements sur les quantités livrées et le système de quotas n'avaient de sens que s'ils portaient sur toutes les exportations et ne se limitaient pas à celles à destination des pays tiers, qui représentent à peu près la moitié de l'ensemble des livraisons. Les marchés nationaux des partenaires n'avaient été écartés que parce qu'ils étaient réservés au producteur national respectif. Lorsqu'un producteur se voit contraint par la baisse persistante de ses ventes à coopérer avec ses concurrents sur les marchés d'exportation pour enrayer la contraction de ses recettes, il n'a pas intérêt à casser lui-même les prix sur le marché national qu'il domine depuis des années en y menant une politique de bas prix sur le plan quantitatif. Ces marchés, pour autant qu'ils soient respectés par les parties à l'accord, peuvent donc être exclus du système de quotas. Cette considération ne vaut pas, toutefois, pour les marchés sur lesquels opèrent en même temps plusieurs des entreprises participantes qui doivent y organiser la coordination dont les moyens étaient prévus par l'accord de 1971. C'est ainsi qu'ALM a admis la protection de certains marchés du continent, ce qui n'aurait cependant, d'après elle, entraîné aucune modification de sa politique commerciale. L'échange de renseignements permettait de contrôler les livraisons sur les marchés.

29. En l'espèce, le système de quotas institué par les parties à l'accord a eu non seulement pour objet mais aussi pour effet de restreindre ou de contrôler les débouchés, tout au moins en partie. Les écarts par rapport aux quotas fixés ont été calculés et régulièrement reportés d'une année sur l'autre, depuis le début de l'accord jusqu'en 1977 inclusivement. Même s'il n'y a pas eu compensation, le calcul mensuel des écarts en plus ou en moins par rapport aux quotas de chaque partie comportait invitation expresse ou tacite aux parties de faire le nécessaire pour arriver à l'équilibre qui est à la base du système de quotas. La réduction des écarts en trop à la suite de leur constatation et de leur discussion commune montre que le système de quotas a eu des effets restrictifs. Il n'est pas nécessaire de refuser des livraisons pour réaliser cette réduction des écarts ; il suffit de ne pas solliciter activement des commandes pour réduire les quantités à livrer en faveur des autres parties. Ceci n'en constitue pas moins une restriction de concurrence;

c) atteinte au commerce entre États membres

30. Considérant que, pour la période postérieure au 1er janvier 1973, les restrictions de la concurrence décrites ci-dessus sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres parce qu'elles sont le fait de producteurs d'États membres différents et que la coopération instaurée entre ces producteurs les empêchent de faire librement des offres concurrentielles non seulement dans des pays tiers mais aussi sur les marchés de la Communauté, et fait par conséquent obstacle à la libre circulation des marchandises entre États membres;

31. Considérant que, au cours des années 1971 et 1972, la coopération était susceptible d'affecter le commerce entre États membres par le fait que les parties à l'accord ne pouvaient offrir de la céruse sur les marchés des six États membres de l'époque dans des conditions de libre concurrence ; que cette constatation s'applique non seulement au comportement sur le marché des producteurs allemand et néerlandais, mais aussi à la protection anticoncurrentielle que les producteurs anglais assuraient à leurs partenaires dans la Communauté;

32. Considérant que, contrairement à ce qu'allègue ALM, l'article 85 était également applicable au comportement de cette dernière ; que, dans son arrêt rendu le 25 novembre 1971 dans l'affaire 22-71 - Béguelin - la Cour de justice a dit pour droit "que le fait, pour l'une des entreprises participant à l'accord, d'être située dans un pays tiers ne fait pas obstacle à l'application de cette disposition, dès lors que l'accord produit ses effets sur le territoire du Marché commun" (Recueil 1971, 949, 959) ; que le système de déclaration et de quotas a été appliqué à l'ensemble du territoire du Marché commun et que ALM a participé à l'organisation et au fonctionnement de ce système;

33. d) caractère sensible

Considérant que, contrairement à ce qu'allèguent les intéressés, leur coopération a eu pour effet de restreindre de manière sensible le jeu de la concurrence et d'affecter de manière sensible le commerce entre États membres.

34. Les parties ont produit, en 1976, 2 089 tonnes de pigments de céruse pour le secteur des peintures. L'utilisation en Europe occidentale du produit de substitution le plus important, le blanc de titane, a été dans cette même année de 37 520 tonnes si l'on considère les seules peintures pour la fabrication desquelles le blanc de titane et la céruse entrent en ligne du compte. Les ventes de blanc de zinc s'élevaient approximativement à 3 000 tonnes ; la part de la céruse était donc de 4,9 % en 1976. Si l'on procède à une même évaluation du marché telle que décrite au nº 5 ci-dessus pour 1971, année où l'accord a été conclu, et 1973, année où lui a été substituée une pratique concertée, on arrive à des parts plus élevées, à savoir 8,7 % et 5,9 %.

35. Le calcul précédent est toutefois incomplet. En effet, il ne tient pas compte du fait que la céruse a, comme les parties l'ont souligné à diverses reprises, des particularités d'application spécifiques qui font qu'elle a gardé, malgré son prix sensiblement plus élevé, une importance non négligeable et n'est même que difficilement substituable dans certains domaines spécifiques. Le calcul ne tient pas non plus compte du fait que les producteurs de céruse eux-mêmes fabriquent ou commercialisent des quantités non négligeables de produits de substitution pour le secteur des pigments de peintures et surtout pour celui des stabilisants. Cette production ne saurait être ignorée dans l'appréciation de l'importance économique des parties et de leur coopération.

36. À cela s'ajoute le fait que les entreprises participant à l'accord étaient persuadées qu'étant les seuls producteurs de céruse dans la Communauté, elles pourraient enrayer la diminution des recettes tirées de la céruse en organisant une coopération qui ne portait que sur ce produit et non sur les produits de substitution qu'elles fabriquent également elles-mêmes. Leur coopération dans le secteur de la céruse devait dès lors produire et a effectivement produit des effets réels sur le marché, même si ceux-ci n'ont pas été aussi importants que les parties l'avaient espéré au début de leur coopération;

37. Dans ces circonstances, et malgré la régression des ventes, l'importance économique du marché de la céruse doit être considérée comme plus grande que les parties ne l'estiment. L'objet et l'effet de la restriction de concurrence convenue entre elles étaient dès lors sensibles, comme il ressort également de l'importance économique générale des trois parties considérées dans leur ensemble. Leur chiffre d'affaires global est, en effet, nettement supérieur au seuil de 50 millions d'unités de compte fixé par la Commission dans sa communication du 19 décembre 1977 (1) concernant les accords d'importance mineure;

38. Considérant qu'on ne saurait négliger les effets produits sur le marché par le système d'information et de quotas instauré par les parties pour la seule raison que les ventes de céruse diminuent depuis des années et que les capacités de production ne sont plus utilisées à plein ; que le fait qu'une coopération ait été motivée par un processus de contraction persistante du marché ne modifie en rien le fait que les conditions d'application de l'article 85 paragraphe 1 sont réunies;

III. Inapplicabilité de l'article 85 paragraphe 3

39. Considérant qu'une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3 n'entre pas en ligne de compte, la coopération n'ayant pas été notifiée à la Commission ni ne faisant partie des accords dispensés de notification en vertu de l'article 4 paragraphe 2 du règlement nº 17.

IV. Applicabilité de l'article 3 du règlement nº 17

40. Considérant que, conformément à l'article 3 du règlement nº 17, il y a lieu pour la Commission de constater que ALM, Hondorff et Lindgens ont enfreint depuis le début de 1971 les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 par le fait que, en vertu d'un accord conclu le 1er janvier 1971 et que les parties ont continué à appliquer en fait après l'avoir formellement résilié à la fin de 1972, ces entreprises ont échangé chaque mois des données relatives aux livraisons de céruse, ventilées par pays destinataire, y compris les pays membres de la Communauté, et qu'elles ont fixé des quotas à l'exportation et calculé chaque mois, sur la base des statistiques échangées, les écarts enregistrés par rapport aux quotas ainsi fixés;

41. Considérant que tout en contestant l'existence d'une infraction, les parties sont néanmoins convenues d'abandonner le calcul des quotas et de limiter l'échange de renseignements ; que ceci n'a toutefois été que partiellement réalisé ; que, par conséquent, il y a lieu de constater l'infraction par voie de décision et d'obliger les parties à y mettre fin dans la mesure où elles ne l'ont pas fait entre-temps;

42. Considérant que, vu les circonstances exceptionnelles de la présente espèce, il n'y a pas lieu d'infliger d'amendes aux parties en application de l'article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17,

A arrêté la présente décision:

Article premier

La Commission constate que Associated Lead Manufacturers Ltd., BV Chemische Industrie- en Handelsmaatschappij Wed. Hondorff, Block & Braet BV et Lindgens & Söhne GmbH & Co. ont enfreint depuis le début de 1971 les dispositions de l'article 85 (1) JO nº C 313 du 29.12.1977, p. 3. paragraphe 1, par le fait que ces entreprises, en vertu d'un accord conclu le 1er janvier 1971 et que les parties ont continué à appliquer en fait après l'avoir formellement résilié à la fin de 1972, ont échangé chaque mois des données relatives aux livraisons de céruse ventilées par pays destinataire, y compris les États membres de la Communauté, fixé des quotas d'exportation et calculé, chaque mois, sur la base des statistiques échangées, les écarts enregistrés par rapport aux quotas ainsi fixés.

Article 2

Les entreprises intéressées sont tenues de mettre immédiatement fin à l'infraction constatée à l'article 1er.

Article 3

La présente décision est destinée aux entreprises suivantes: 1. Associated Lead Manufacturers Limited, Clements House, 14 Gresham Street, London EC2V 7AT, Royaume-Uni.

2. BV Chemische Industrie- en Handelsmaatschappij Wed. Hondorff, Block & Braet, Schoonhoven, Pays-Bas.

3. Lindgens & Söhne GmbH & Co., Deutz-Mülheimer Straße 173, 5000 Köln 80, République fédérale d'Allemagne

(1) JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.

(2) JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/2.