CA Basse-Terre, 2e ch. civ., 22 octobre 2001, n° 00-00986
BASSE-TERRE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Pélican Setc (SARL), Querrard (Epoux)
Défendeur :
Molina
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poirier-Chaux
Conseillers :
Mmes Reoyo, Saada
Avocats :
SCP Couroux Silo Lavital, Mes Baffert, Aribo, Helwaser.
Faits et procédure
Vu l'arrêt avant dire droit du 27 novembre 2000 qui après avoir rappelé les faits et la procédure, a révoqué l'ordonnance de clôture du 16 octobre 2000 et fixé un calendrier de procédure.
Moyens et prétentions des parties
1) Les appelants demandent à la cour:
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- de dire qu'en l'état de la destruction de l'immeuble dans lequel était exploité le fonds de commerce de la SARL Le Pélican, donné en location-gérance à Gilbert Molina, le bail liant les parties a été résilié au 6 septembre 1995,
- de débouter en conséquence Gilbert Molina de toutes ses prétentions,
- très subsidiairement dans l'hypothèse où la cour confirmerait la décision attaquée, de dire que la lettre de la SARL Le Pélican du 26 novembre 1997 constitue une demande de résiliation de contrat,
- de débouter en conséquence Gilbert Molina de ses prétentions,
- de le condamner au paiement d'une somme de 766 666,66 F au titre des loyers de location-gérance arriérés,
- encore plus subsidiairement, de constater que les demandes présentées par Gilbert Molina sont parfaitement abusives à l'exception de celles relatives à la restitution du dépôt de garantie et du loyer de location-gérance,
- de le débouter de toutes ses prétentions,
- de le condamner à leur payer la somme de 50 000 F au titre des frais irrépétibles,
2) L'intimé demande à la cour:
À titre principal
- de constater qu'un contrat de location-gérance verbal a été conclu entre lui et la société Le Pélican "SETC",
- de constater qu'il est resté à compter du 1er avril 1995 en possession des lieux jusqu'en novembre 1997,
- de dire que les clauses du contrat en date du 17 mai 1986 ne lui sont pas applicables, celui-ci étant venu à expiration,
- de dire que l'article 1722 du Code civil ne s'applique pas au contrat de location-gérance d'un fonds de commerce,
- de dire, en tant que de besoin, que le bailleur a renoncé à se prévaloir de la résiliation du bail,
- de rejeter des débats les pièces 13 et 14 qui sont par nature confidentielles.
En conséquence :
- de dire que le contrat litigieux n'a pas été résilié par le bailleur,
- de dire qu'il est fondé à reprendre possession des lieux,
- d'enjoindre à la société le Pélican "SETC" sous astreinte de 10 000 F par jour de retard à compter du prononcé de la présente décision, de lui délivrer le fonds de commerce, objet du contrat de la location-gérance du 17 mai 1986.
A titre subsidiaire
- de dire que les appelants ont renoncé à se prévaloir de la résiliation de plein droit,
- de confirmer le jugement entrepris qui a constaté que le contrat s'était poursuivi après la destruction du restaurant du Pélican,
- de le remettre dans ses droits et d'ordonner la délivrance du fonds de commerce sous astreinte de 10 000 F par jour de retard sauf à dire que l'obligation de faire se résout par dommages-intérêts.
En conséquence et en tout état de cause
- de condamner la société Le Pélican prise en la personne de son liquidateur Denise Querrard née Magras à lui payer la somme de 233 332 F (dépôt de garantie et loyers de septembre 1995 à janvier 1996) avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- de condamner solidairement la société Le Pélican prise en la personne de son liquidateur et Marie Joseph Querrard à lui payer la somme de 290 997,64 F correspondant aux dépenses effectuées par lui après le cyclone Luis, avec intérêts de droit à compter de l'assignation,
- de condamner solidairement la SARL Le Pélican SETC prise en la personne de son liquidateur et Marie Joseph Querrard, bailleur, à lui payer la somme de 1 254 421 F correspondant à la plus-value du fait des améliorations matérielles effectuées par lui pendant l'exploitation du fonds,
- de condamner la SARL Le Pélican SETC prise en la personne de son liquidateur à lui payer la somme de 6 211 236 F à titre de dommages-intérêts pour l'avoir évincé jusqu'à ce jour, montant à parfaire,
- de condamner solidairement la SARL Le Pélican SETC prise en la personne de son liquidateur et Marie Joseph Querrard à lui payer la somme de 1 000 000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive de pourparlers,
- de dire que lesdites sommes porteront intérêts de droit à compter de l'assignation et que les intérêts se capitaliseront conformément à l'article 1153 alinéa 4 du Code civil,
- de débouter les appelants de l'ensemble de leurs prétentions et de lui allouer la somme de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs
1) Sur la destruction totale ou partielle de la chose louée
Il convient de faire observer:
- qu'aux termes mêmes du jugement attaqué il ressort:
- à la page 2, que Gilbert Molina a exposé que "le cyclone Luis (6 septembre 1995) ayant détruit en totalité le restaurant..."
- à la page 4 qu'il "résulte des écritures de chacune des parties... que le fonds de commerce, objet du contrat de location-gérance, a été entièrement détruit à la suite du passage de l'ouragan Luis le 6 septembre 1995,
- qu'à l'examen tant du rapport d'expertise Texa du 16 avril 1996 sur le sinistre cyclone Luis que des photographies versées au dossier il ressort que les deux immeubles où étaient exploités les fonds de commerce restaurant et snack-bar ont été totalement détruits.
C'est donc la destruction totale de la chose louée qui sera retenue par la présente cour.
2) Le cyclone Luis constitue t-il un cas fortuit ?
Il ne suffit pas, pour s'y opposer, d'affirmer, comme le fait Gilbert Molina que "vu la régularité des cyclones à Saint-Barthélemy, le cyclone ne peut être qualifié de cas fortuit". Il s'agit, comme il l'écrit lui-même, d'une question de fait. Il ne conteste pas l'affirmation des appelants, selon laquelle pour Météo France un tel ouragan n'est envisageable que tous les 50 ans. L'intensité de la vague cyclonique et l'importance des dégâts qu'elle a causés conduisent la cour à considérer qu'en l'espèce le cyclone Luis constitue un cas fortuit.
3) Sur l'application ou non de l'article 1722 du Code civil
Il n'est pas indifférent de noter, de façon liminaire, que Gilbert Molina, curieusement, tout en affirmant, d'emblée, que ces dispositions ne s'appliquent pas s'agissant de baux portant sur le fonds de commerce lui-même, construit sa démonstration comme si, au contraire, elles s'appliquaient.
Il suffit de se reporter à ses écritures page 7 alinéa 3 (l'article 1722 n'est pas d'ordre public) alinéa 4 (le bailleur a renoncé à l'application de l'article 1722) alinéa 7 (en l'espèce les conditions de l'article 1722 ne sont pas remplies) alinéa 8 (il ne peut y avoir résiliation de plein droit par application de l'article 1722) page 8 dernier alinéa (s'il peut y avoir résiliation de plein droit lorsque la chose est détruite en totalité pour cas fortuit au sens de l'article 1722 du Code civil, cette hypothèse ne peut s'appliquer qu'à un sinistre qui aurait détruit le fonds de commerce sans reconstitution possible) page 9 alinéa 5 (dans le cas de destruction partielle de la chose louée, seul le preneur peut demander soit la résiliation du bail, soit la diminution du prix) dernier alinéa (Gilbert Molina n'a demandé ni une diminution du prix ni la résiliation du bail).
Cette argumentation est totalement inopérante puisqu'en effet l'article 1722 du Code civil, s'il s'applique aux baux commerciaux, ne s'applique pas aux fonds de commerce donnés en location-gérance.
4) Le contrat du 17 mai 1986 qui a pris fin le 30 mars 1995 a t-il été reconduit par tacite reconduction pour une durée indéterminée ou s'agit-il d'un nouveau contrat verbal avec non-application des clauses du contrat initial ?
Là encore il est intéressant de mentionner quelques contradictions dans le raisonnement de Gilbert Molina. S'il soutient qu'il s'agit du nouveau contrat et que les clauses du contrat du 17 mai 1986 ne sont pas applicables (page 10 alinéa 2), il n'hésite pas à écrire à la page 10 alinéa 4 "les preuves de la continuation du contrat verbal sont apportées", alinéa 7 "le cyclone Luis n'a cependant pas remis en cause la poursuite du contrat de location-gérance" page 11 alinéa 2 dès la fin des travaux, la situation antérieure au cyclone serait rétablie dans les mêmes termes et conditions", dernier alinéa "dans l'esprit des parties le contrat de location-gérance continuait dans les mêmes conditions".
Il apparaît en effet, ainsi que l'a souligné le premier juge, que le 1er avril 1995 le contrat du 17 mai 1986 s'est poursuivi par tacite reconduction. Rien ne permet de dire qu'il s'agit d'un nouveau bail verbal en dehors de l'affirmation (contredite par la suite) de Gilbert Molina. Les clauses du contrat s'appliquent donc.
5) Sur les clauses 12 et 18 du contrat du 17 mai 1986
Gilbert Molina fait subsidiairement valoir que ces clauses sont contradictoires.
Aux termes de l'article 12, si pour une cause indépendante de la volonté du bailleur (vices de construction - reculement- alignement ou tout autre cause) l'immeuble dont dépend le local loué est démoli ou détruit, entièrement ou partiellement, le présent bail sera résilié purement et simplement sans indemnité à la charge du bailleur.
L'article 18 vise le cas de destruction par suite d'incendie ou autre événement de la majeure partie du local loué. Dans ce cas le bail est résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, le preneur renonçant expressément à user de la faculté de maintenir le bail moyennant une diminution de loyer. Cette clause du contrat diffère de l'article 1722 du Code civil (inapplicable cf supra) dans lequel, quand la destruction est partielle, l'option est donnée au preneur et non pas au bailleur.
Il résulte de l'examen de ces deux clauses, d'une part, qu'elles ne sont pas contradictoires, d'autre part, qu'en l'espèce, la destruction étant totale, c'est l'article 12 qui s'applique.
Cet article est d'ailleurs différent de la première partie de l'article 1722 du Code civil qui vise la destruction totale par cas fortuit tandis que l'article 12 s'applique à toute cause indépendante de la volonté du bailleur (notion plus large que le cas fortuit). Dans les deux cas cependant le bail est résilié de plein droit.
Gilbert Molina, pour faire échec à l'application de l'article 12, soutient que Marie Joseph Querrard, propriétaire des murs et gérant de la société Le Pélican, est de particulière mauvaise foi. Il fait valoir en effet que la clause résolutoire de plein droit demeure soumise au principe de l'exécution de bonne foi formulé par l'article 1134 alinéa 3 du Code civil.
6) Sur la bonne ou mauvaise foi des appelants
Gilbert Molina soutient (cf conclusions page 17 avant dernier alinéa) que Marie Joseph Querrard lui a laissé croire qu'il allait reprendre l'exploitation du fonds. Il apparaît au contraire que l'intimé avait parfaitement connaissance de la résiliation du bail au 6 septembre 1995,
- il s'est immatriculé au registre du commerce et des sociétés le 2 janvier 1996 pour la création d'une activité de restaurant à l'enseigne du "Pélican". Six mois plus tard il créait trois autres activités,
- le 12 février 1996 il a adressé un courrier aux époux Querrard pour réserver un local dans le centre commercial prévu plage de Saint-Jean. Ce centre en effet devait permettre aux locataires de créer leur propre fonds de commerce, le restaurant étant réservé à Gilbert Molina,
- dans la nouvelle construction (avec permis de construire un centre commercial au profit de la société "les Frangipaniers", entité juridique nouvelle, Gilbert Molina a fait procéder à des travaux d'aménagement en sollicitant différents artisans. Il n'est pas vraisemblable qu'un locataire gérant, non propriétaire du fonds de commerce, aux droits précaires, réalise et finance des travaux d'installation.
Gilbert Molina a agi en qualité de futur preneur d'un bail commercial lui permettant de créer son propre fonds.
7) Sur la prétendue renonciation à la résiliation de plein droit
Il échet de faire observer:
- que s'il est exact que Gilbert Molina, après le 6 septembre 1995, a continué pendant quatre mois à payer le loyer, ces sommes ainsi que le dépôt de garantie devaient s'imputer sur les indemnités de dépréciation du bail à intervenir. Après avoir refusé de signer le bail commercial, Gilbert Molina refusera le remboursement de la somme de 233 332 F,
- que l'attestation de Marie Joseph Querrard du 5 mars 1997 doit être replacée dans son contexte : permettre à Gilbert Molina de percevoir une indemnité au titre de ses pertes d'exploitation.
Il n'est donc pas possible de considérer que les appelants ont renoncé à la résiliation de plein droit.
8) Sur les pièces litigieuses 13 et 14
Gilbert Molina demande à la cour de les écarter comme étant confidentielles. Cette prétention est sans objet puisque ces documents n'ont pas été utilisés et ne sont pas nécessaires à la démonstration qui précède.
9) Sur les sommes réclamées par Gilbert Molina
Les parties sont d'accord sur l'application par la cour de l'article 568 du Code civil,
Cependant en raison de la résiliation de plein droit du contrat de location-gérance au 6 septembre 1995, Gilbert ne peut prétendre à aucun dommage-intérêt que ce soit au titre de la prétendue rupture abusive de pourparlers ou au titre de l'absence de délivrance de la chose louée. D'ailleurs l'article 12 précité du contrat précise bien qu'en cas de destruction partielle ou totale du bien loué pour une cause indépendante de la volonté du bailleur le bail est résilié purement et simplement sans indemnité à la charge du bailleur.
La question de l'indemnité de l'article 37 du décret du 3 septembre 1953 se pose d'autant moins que Gilbert Molina, réclame une somme très supérieure (1 254 421 F) à celle que Marie Joseph Querrard aurait reçu à titre d'indemnisation de son assureur (606 525 F) alors d'une part que le texte sur lequel il se fonde parle de profit retiré par le bailleur et d'autre part que Gilbert Molina ne donne aucune indication à la cour lui permettant d'affecter partie de la somme de 606 525 F aux améliorations matérielles effectuées.
Bien qu'ayant adopté le principe de la résiliation de plein droit au 6 septembre 1995, il apparaît à la cour que les demandes de remboursement formées par Gilbert Molina sont, sur le principe au moins, fondées.
* Sur les loyers postérieurs au 6 septembre 1995 et sur le dépôt de garantie
Cette somme a été consignée dans l'attente de l'acceptation par Gilbert Molina. Elle lui sera remboursée et sera assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 5 juin 1998.
* Sur le remboursement des frais exposés pour les travaux depuis l'ouragan Luis
Les appelants ne contestent pas le montant de 290 997,64 F. Ce qu'ils contestent, c'est le fait que l'ensemble des factures aient été effectivement payées par Gilbert Molina.
Il apparaît cependant au vu des pièces produites que la somme réclamée est justifiée par les pièces versées.
10) Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
L'équité commande de faire application de ces dispositions au profit des appelants à hauteur de 35 000 F.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement contradictoirement en matière civile et en dernier ressort, En la forme : Reçoit la SARL Le Pélican SETC Marie-Joseph Querrard et Marie-Denise Magras épouse Querrard en leur appel, Au fond : Infirme le jugement du 6 avril 2000, Dit qu'en l'état de la destruction de l'immeuble dans lequel était exploité le fonds de commerce de la SARL Le Pélican, donné en location-gérance à Gilbert Molina, le bail liant les parties a été résilié au 6 septembre 1995, Déboute Gilbert Molina de ses prétentions, Vu l'article 568 du Code civil : Condamne la SARL Pélican SETC prise en la personne de son liquidateur Marie-Denise Querrard à rembourser à Gilbert Molina la somme de 233 332 F (35 571,23 euro) avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, Condamne solidairement la SARL Le Pélican SETC prise en la personne de son liquidateur Marie-Denise Querrard et Marie-Joseph Querrard à payer à Gilbert Molina la somme de 290 997,64 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne Gilbert Molina à payer à la SARL Le Pélican prise en la personne de son liquidateur Marie-Denise Querrard, à Marie-Joseph Querrard et Marie-Denise Magras épouse Querrard la somme de 35 000 F (5 335,72 euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.