CA Amiens, 1re ch., 31 janvier 2002, n° 00-03709
AMIENS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sima (SA), Baron
Défendeur :
Techmo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Merfeld
Conseillers :
MM. Bougon, Coural
Avoués :
SCP Le Roy, SCP Tetelin Marguet, de Surirey
Avocats :
Mes Chartier, Lapalus
M. Charles Baron, fondateur de la société Sima qui fabrique et commercialise des plombs de pêche, a déposé le 14 décembre 1963 un brevet portant sur des plombs de pêche dits "plomb Catherine".
Soutenant que des contrefaçons de ces plombs émanant de la société Techmo étaient apparues sur le marché, M. Baron et la société Sima ont saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Laon qui, par ordonnance du 30 juillet 1998, a commis M. Dalsace en qualité d'expert avec mission de donner son avis sur l'existence d'une contrefaçon ou d'une concurrence déloyale et réunir tous éléments permettant d'évaluer le préjudice.
Après dépôt du rapport d'expertise établi le 7 avril 1999, M. Baron et la société Sima ont fait assigner à jour fixe le 20 août 1999 la société Techmo devant le Tribunal de grande instance de Laon pour voir "ordonner à titre provisionnel le paiement par la société Techmo de la somme de 271 949 F sur les fondements combinés de la loi du 11 mars 1957 relative au droit d'auteur et de la concurrence déloyale et le paiement d'une somme de 100 000 F au titre du préjudice moral en application de l'article 1382 du Code civil". Ils sollicitaient en outre un complément d'expertise.
Par jugement du 19 octobre 1999, le tribunal a dit que l'assignation était nulle pour vice de forme et a renvoyé la société Sima et M. Baron à mieux se pourvoir. Pour statuer ainsi le premier juge a considéré, au regard de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile, que :
En fondant sa demande principale "sur les fondements combinés de la loi du 11 mars 1957 relative au droit d'auteur et de la concurrence déloyale" le demandeur, dans son assignation ne permet pas au juge, par l'absence des mentions des dispositions précises sur lesquelles il fonde son action, de trancher le litige à partir d'une qualification donnée.
La simple référence à une loi ou à la combinaison de plusieurs lois sans en préciser le ou les textes précis sur lequel ou lesquels la demande est fondée ne permet pas de considérer que celle-ci est qualifiée en droit.
La société Sima et M. Baron ont relevé appel du jugement. Dans le dernier état de leurs écritures, par conclusions du 5 octobre 2001, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement qui a dit que l'assignation était nulle, d'évoquer l'affaire au fond, de condamner la société Techmo à leur payer la somme de 271 949 F sur le fondement des dispositions des articles L. 613-3 à L. 613-6 et L. 615-1 du Code de la propriété intellectuelle relatifs aux modèles déposés et à la contrefaçon, la condamner à leur payer la somme de 100 000 F en application de l'article 1382 du Code civil au titre de la concurrence déloyale et du préjudice moral, la condamner en outre à leur verser la somme de 250 000 F pour le préjudice subi de 1991 à 1996 non évalué par l'expert, ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois revues spécialisées en matière de pêche aux frais de l'intimée et de condamner la société Techmo au paiement des sommes de 72 300 F et 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Techmo a conclu le 5 septembre 2001 à la confirmation du jugement. Subsidiairement, elle s'est opposée à la demande d'évocation et plus subsidiairement encore fait valoir que la demande est irrecevable et subsidiairement mal fondée. Elle se porte demanderesse des sommes de 7 622,45 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 6 097,96 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce
1) Sur l'exception de nullité de l'assignation
Attendu que selon l'article 56 du nouveau Code de procédure civile l'assignation doit contenir, à peine de nullité, l'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit;
Attendu que dans leur assignation du 7 avril 1999 la société Sima et M. Baron indiquaient, après avoir rappelé la procédure de référé précédemment diligentée et les conclusions de l'expert, "qu'il ressort d'une jurisprudence constante qu'une œuvre initialement protégée au titre d'un brevet peut bénéficier d'une protection au titre du droit d'auteur si sa forme est dissociable de l'invention, que l'utilisation par la société Techmo des mêmes plombs, de la même forme, de la même longueur de la cheville, de la même forme cylindrique de la cheville, du même diamètre de la cheville et du trou dans lequel elle s'insère caractérise la contrefaçon opérée de manière frauduleuse par la société Techmo" ; qu'ils visaient dans le dispositif de l'assignation la loi du 11 mars 1957 relative au droit d'auteur et la concurrence déloyale;
Que ces mentions répondent aux exigences de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile; que la référence à la jurisprudence sur l'application de la protection au titre du droit d'auteur à l'expiration de la protection conférée par le brevet faisait apparaître le problème de droit auquel la juridiction allait avoir à répondre ; que la société Techmo avait d'ailleurs parfaitement compris le fondement juridique de la demande puisqu'en pages 6 et 7 de ses conclusions du 20 septembre 1999, elle contestait l'existence d'une contrefaçon et affirmait qu'aucune confusion ne pouvait être opérée;
Attendu que c'est à tort que le tribunal a annulé l'assignation que le jugement doit être infirmé;
Attendu que selon l'article 561 du nouveau Code de procédure civile l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit; qu'en vertu de l'effet dévolutif de l'appel tous les points du litige qui étaient soumis au tribunal sont déférés à la connaissance de la cour qui est donc tenue de statuer au fond puisqu'elle rejette l'exception de nullité de l'assignation;
2) Au fond
a) Sur la contrefaçon
Attendu que c'est à tort que dans leurs conclusions devant la cour la société Sima et M. Baron visent les articles L. 613-3 à L. 613-6 et L. 615-1 du Code de la propriété intellectuelle relatifs aux brevets d'invention alors qu'ils reconnaissaient par ailleurs que la protection attachée au brevet déposé le 14 décembre 1963 (et délivré le 2 septembre 1968) est expirée depuis 1988;
Attendu que l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle sur le droit d'auteur prévoit que les dispositions du présent Code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination;
Attendu que la protection offerte par le brevet d'invention étant limitée à 20 ans, un inventeur ne peut toutefois tirer prétexte de la forme donnée à un produit pour se placer sur le terrain de la propriété artistique et prolonger indûment, au détriment de l'intérêt public, le délai pendant lequel une solution technique peut être monopolisée;
Qu'ainsi que l'écrivent eux-mêmes les appelants dans leurs conclusions, l'œuvre initialement protégée par un brevet ne peut bénéficier d'une protection au titre du droit d'auteur que si sa forme est dissociable de l'invention;
Attendu qu'il convient donc de rechercher si les éléments constitutifs de la forme du plomb "Catherine" sont séparables de sa fonction utilitaire;
Que l'expert judiciaire indique que les plombs de pêche de la société Sima et ceux de la société Techmo sont tous deux de forme ovoïde, fendus selon une génératrice et traversés par un axe mobile en plastique avec fente sur toute sa longueur et que les similitudes entre ces plombs portent sur la forme ovoïde de la partie en plomb, la forme cylindrique de la cheville, la longueur de la cheville et le diamètre de la cheville et celui du trou correspondant de la partie ovoïde en plomb dans lequel elle vient se placer;
Que les appelants font valoir que la forme de la partie en plomb et la longueur et la forme de la cheville ne sont imposées par aucune contrainte technique;
Mais attendu que la forme ovoïde de la partie en plomb permet une meilleure pénétration dans l'eau ; que la forme et la longueur de la cheville ne répondent à aucune recherche d'ordre esthétique ou ornementale mais au souci de l'adapter à la partie en plomb;
Que la forme et les caractéristiques du plomb Catherine sont exclusivement conditionnées par la fonction technique du produit; que son créateur n'a été animé d'aucune préoccupation d'ordre artistique ayant pour but de lui donner un aspect plus attrayant, mais uniquement par les résultats industriels visés ; qu'il s'ensuit que les dispositions de la loi du 11 mars 1957 sur les droits d'auteur, devenues articles L. 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ne peuvent recevoir application ; que les appelants doivent être déboutés de leur demande fondée sur la contrefaçon;
b) Sur la concurrence déloyale
Attendu que la société Sima et la société Techmo exercent des activités concurrentes dans le domaine de la fabrication et la commercialisation des plombs de pêche;
Attendu que l'expert estime que les similitudes entre les plombs Catherine et les plombs commercialisés par la société Techmo (forme de la partie en plomb, forme et longueur de la cheville, diamètre de la cheville et du trou) sont telles qu'elles peuvent entraîner des risques de confusion pour un acheteur même averti, malgré les quelques différences que l'on peut relever;
Attendu qu'il résulte des motifs qui précèdent que la société Techmo n'a porté atteinte à aucun droit privatif protégeable par l'action en contrefaçon ; qu'à l'expiration de la protection conférée par brevet la reproduction d'un produit est libre ;que l'action en concurrence déloyale ne peut être utilisée comme un succédané de la contrefaçon lorsque celle-ci ne peut être retenue ;qu'elle ne peut être admise qu'à la condition de s'appuyer sur des faits autres que ceux accusés de constituer une contrefaçon;
Que les appelants prétendent que la société Techmo a servilement imité ses produits afin de créer une confusion entre les entreprises concurrentes;
Que cependant l'examen comparatif des plombs montre que la société Techmo n'a aucunement cherché à reproduire servilement ou à imiter les plombs Catherine ;qu'outre une différence de longueur, il résulte du rapport d'expertise que les plombs de la société Sima portent en relief les mentions "patented" et "Catherine" signes distinctifs qui ne se retrouvent pas sur les plombs de la société Techmo et que les chevilles plastique des plombs Catherine sont vertes alors que celles commercialisées par la société Techmo sont grises ;que M. Baron a indiqué à l'expert que les chevilles des plombs Catherine pouvaient être grises; qu'il n'a toutefois pas apporté la preuve de cette affirmation et qu'il n'apparaît pas au vu des pièces versées aux débats que la société Sima ait commercialisé des plombs avec des chevilles grises antérieurement à l'introduction de la présente procédure;
Attendu qu'en l'absence de preuve d'une reproduction servile ou d'une imitation dans le but de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle, aucune faute constitutive de concurrence déloyale ne peut être reprochée à la société Techmo ;qu'en conséquence M. Baron et la société Sima doivent être déboutés de leur demande à ce titre;
Attendu que l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive d'une faute; que la société Techmo doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts;
Que la société Sima et M. Baron seront condamnés à lui verser la somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour couvrir les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en la cause;
Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement, Reçoit l'appel en la forme, Infirme le jugement et statuant à nouveau, Rejette l'exception de nullité de l'assignation, Déboute la société Sima et M. Baron de l'ensemble de leurs demandes, Déboute la société Techmo de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire, Condamne la société Sima et M. Baron aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Tetelin-Marguet et de Surirey, avoué, Les condamne en outre à verser à la société Techmo la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.