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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 22 mai 2002, n° 01-04219

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Art et Décoration (SARL)

Défendeur :

Sièges Contemporains (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

M. Poumarede, Mme Nivelle

Avoués :

SCP Chaudet & Brebion, SCP Gauvain & Demidoff

Avocats :

SCP Peignard & De Chanterac, Me Leguin

T. com. Vannes, du 9 mars 2001

9 mars 2001

Faits et procédure

Statuant sur la demande de la société Art et Décoration en paiement de la somme de 600 000 F (91 469,41 euros), pour rupture brutale de relations commerciales, outre celle de 8 000 F (1 219,59 euros) par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, dirigée contre la société Siège Contemporains,

Le Tribunal de commerce de Vannes, par jugement du 9 mars 2001, a condamné la société Siège Contemporains à payer à la société Art et Décoration une indemnité de 12 500 F (1 905,61 euros);

La société Art et Décoration a interjeté appel de ce jugement; la société Siège Contemporains a relevé appel incident;

Moyens et prétentions des parties

Appelante, la société Art et Décoration fait grief au tribunal d'avoir ainsi statué

Alors

Que la société Art et Décoration demande, en conséquence, à la cour, de:

Constater que la société Siège Contemporains, qui fabrique des canapés sous la marque Duvivier, et la société Art et Décoration étaient liées par un contrat de concession exclusive accordant à cette dernière le droit de revendre les canapés de la marque Duvivier sur le Morbihan,

Constater que par courrier du 19 février 1999, la société Siège Contemporains, concédante, a rompu brutalement le contrat liant les deux parties,

En conséquence, conformément aux dispositions de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, constater que par ses agissements la société Siège Contemporains a engagé sa responsabilité,

Dire qu'elle est, en effet, seule responsable de cette rupture brutale,

La condamner, et conséquence, à indemniser la société Siège Contemporains du préjudice subi par la rupture brutale et inexpliquée des relations contractuelles l'atteignant tant par la perte de bénéfices que par l'atteinte à sa réputation auprès de la clientèle,

Condamner, en conséquence, la société Siège Contemporains, par application des dispositions de l'article 1147 du Code civil, à régler la somme de 91 469,41 euros (600 000 F), ladite somme portant intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir, et celle de 1 829,39 euros (12 000 F), par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Intimée, la société Siège Contemporains fait valoir, en substance :

Que la société Siège Contemporains demande, en conséquence, à la cour, de:

A titre principal

Infirmer le jugement,

Statuant à nouveau,

Constater que la société Siège Contemporains n'a pas rompu les relations commerciales avec la société Art et Décoration,

Débouter la société Art et Décoration de l'intégralité de ses demandes,

Condamner la société Art et Décoration au paiement d'une somme de 3 048,98 euros, par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

A titre subsidiaire

Confirmer le jugement,

Condamner la société Art et Décoration au paiement d'une somme de 3 048,98 euros, par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées, spécialement celles de la société Siège Contemporains en date du 6 décembre 2001 et a société Art et Décoration en date du 11 février 2002;

Motifs

Considérant qu'il résulte des énonciations non contredites du jugement attaqué, des écritures des parties et des pièces par elles régulièrement produites, que:

La société Art et Décoration, qui exploite à Vannes un commerce de décoration intérieure et de vente de mobilier, était en relations d'affaires avec la société Siège Contemporains, dont elle commercialisait les canapés de la marque Duvivier;

Pour l'année 1998 et sans faculté de reconduction tacite, les parties se sont liées par " un contrat de distribution ", où l'exclusivité de la vente des produits de la marque Duvivier était consentie à la société Art et Décoration, dans le département du Morbihan;

Début 1999, affirmant avoir trouvé un nouveau concessionnaire dans le Morbihan, la société Siège Contemporains, demandait le retour des canapés de sa marque en stock chez la société Art et Décoration, tout en offrant à celle-ci la poursuite de leurs relations dans le cadre normal d'achat et de vente, qui était le leur avant le contrat de distribution;

Cette attitude caractérisant, selon elle, une rupture brutale du contrat de concession exclusive, la société Art et Décoration faisait assigner la société Siège Contemporains en paiement d'une indemnité de 600 000 F, sur le fondement des dispositions de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre ; le jugement déféré a partiellement fait droit à cette demande et alloué à la demanderesse une indemnité de 12 500 F;

Considérant que, selon l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 442-6 du Code de commerce:

"engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan... 5°), de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure"

Que, contrairement à l'opinion des juges, la société Siège Contemporains n'a commis aucune faute en décidant à l'expiration du contrat de distribution exclusive applicable en 1998 et dont la tacite reconduction n'avait pas été prévue de rétablir avec sa cliente, la société Art et Décoration, les relations qui étaient les leurs auparavant, c'est-à-dire d'achats et de ventes purs et simples ;que cette façon de procéder, qui ne portait pas atteinte au principe de la libre concurrence puisqu'elle maintenait, pour les produits de cette marque, une offre diversifiée, n'a pu causer un dommage, dans la mesure où elle tirait seulement les conséquences - d'autant plus prévisibles que la société Siège Contemporains avait eu à se plaindre de divers incidents pendant cette période - résultant du terme contractuel de l'exclusivité consentieet que la preuve de la poursuite de relations d'exclusivité après la survenance de ce terme, susceptible de donner naissance à un contrat à durée indéterminée, n'est elle-même pas rapportée;

Qu'en l'absence de rupture brutale au sens de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 442-6 du Code de commerce, le jugement sera infirmé et la société Art et Décoration déboutée de toutes ses demandes;

Considérant que la société Art et Décoration, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel; qu'elle ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que l'équité ne commande pas davantage de faire droit à la demande de la société Siège Contemporains, fondée sur ce texte, avec maintien de la condamnation prononcée à ce titre par le tribunal;

Par ces motifs, Infirme le jugement, Statuant à nouveau, Déboute les parties de tontes leurs demandes; Condamne la société Art et Décoration aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.