Livv
Décisions

CJCE, 2e ch., 8 mars 1979, n° 130-78

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Salumificio di Cornuda SpA

Défendeur :

Administration des finances de l'État

CJCE n° 130-78

8 mars 1979

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 17 février 1978, reçue à la Cour le 9 juin suivant, la Cour de cassation d'Italie a posé à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 16 et 18 du règlement n° 14-64 du Conseil, du 5 février 1964, portant établissement graduel d'une organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO, p. 562), en connexion avec, d'une part, la décision 66-455 du Conseil, du 28 juillet 1966, autorisant la République italienne à augmenter dans le secteur de la viande bovine les prélèvements applicables à certaines importations en provenance des pays tiers (JO, p. 2659) et, d'autre part, la décision 66-474 de la Commission, du 28 juillet 1966, portant obligation pour la République italienne de supprimer les mesures de sauvegarde prises pour les gros bovins et les veaux (JO, p. 2796) ;

2. Attendu qu'il résulte du dossier que le Gouvernement de la République italienne a informé la Commission, le 23 juillet 1966, de ce que, en raison de la dépression persistante du marché dans le secteur de la viande bovine, il avait décidé de recourir à des mesures de sauvegarde conformément aux modalités prévues par l'article 16 du règlement n° 14-64 ;

3. Que les mesures de sauvegarde, mises en vigueur par voie de circulaire à partir du 24 juillet 1966, consistaient en la perception, lors de l'importation d'animaux et de viande de l'espèce bovine en provenance de pays tiers, d'un montant supplémentaire égal à 60 % du prélèvement fixé conformément à l'article 5 du règlement n° 14-64 ;

4. Qu'il était précisé, dans la notification à la Commission, que " ne sont pas concernés par la mesure, les bovins destinés à l'engraissement d'un poids inférieur à 340 kg ainsi que la viande bovine congelée destinée à l'industrie de transformation ";

5. Que, par décision du 28 juillet 1966, n° 66-474, notifiée le même jour au Gouvernement italien, la Commission, après avoir constaté que le marché italien de la viande bovine ne subissait pas, en réalité, la perturbation invoquée par les autorités italiennes, a fait " obligation à la République italienne de supprimer les mesures de sauvegarde notifiées à la Commission le 23 juillet 1966 ";

6. Qu'à la même date, le Conseil, statuant sur proposition de la Commission, a arrêté, en vertu de l'article 18 du règlement n° 14-64, la décision 66-455 autorisant la République italienne à augmenter dans le secteur de la viande bovine les prélèvements applicables à certaines importations en provenance des pays tiers ;

7. Que cette décision ayant été notifiée le lendemain, 29 juillet 1966, la République italienne a abrogé, avec effet au 1er août 1966, les mesures de sauvegarde qu'elle avait instituées et a fait usage, à partir de la même date, de l'autorisation d'augmenter le prélèvement sur les produits faisant l'objet de la décision du Conseil ;

8. Attendu que, le 29 juillet 1966, la requérante au principal a importé un lot de viande bovine congelée en provenance d'argentine ;

9. Que cette importation a eu lieu en franchise de prélèvement, conformément aux prévisions du règlement n° 42-66 du Conseil, du 21 avril 1966, portant suspension temporaire de la perception des prélèvements applicables à l'importation de certaines viandes bovines congelées destinées à la transformation (JO, p. 1141) ;

10. Qu'à la suite d'un contrôle ultérieur de cette opération, l'administration italienne des douanes a exigé de la requérante, par acte notifié le 8 septembre 1971, le paiement d'un supplément de prélèvement de 16 817 380 lires, au titre de la mesure de sauvegarde ci-dessus décrite ;

11. Que le Tribunal de Turin a, par jugement du 5 août 1972, fait droit à l'opposition formée contre cette injonction par la requérante au principal ;

12. Que, sur recours de l'administration des finances de l'Etat, la Cour d'appel de Turin, par arrêt du 22 mai 1975, a reformé le jugement du tribunal et déclaré légale l'injonction de payer le supplément de prélèvement ;

13. Que la requérante ayant introduit un pourvoi en cassation contre cet arrêt, la Cour de cassation a posé les questions suivantes en vue de déterminer notamment, l'effet de la décision 66-474 de la Commission et son rapport avec la décision 66-455 du Conseil :

1) Quel est, dans l'ordre des sources normatives communautaires, l'acte qui prévaut entre la " décision " de la Commission, adoptée en vertu de l'article 16 du règlement n° 14-64 et dans les matières considérées dans ce règlement, et la " décision " du Conseil, adoptée en vertu de l'article 18 de ce même règlement ?

2) La décision de la Commission, adoptée en vertu de la disposition et dans les matières indiquées à la première question, a-t-elle des effets directs dans l'ordre juridique interne de l'Etat communautaire intéressé (la République italienne) ou, au contraire, nécessite-t-elle, à cette fin, une disposition interne d'exécution ?

3) Dans le cas où il serait répondu conformément au premier sens à la 2e question, c'est-à-dire en ce sens que la décision a des effets directs, cette décision produit-elle ses effets dès le moment de son adoption ou au moment de la notification à l'Etat destinataire ?

4) Dans le cas indiqué à la 3e question, ladite décision de la Commission remplit-elle, à l'égard de l'acte à supprimer, la fonction technique d'annulation, c'est-à-dire a-t-elle un effet ex tunc dès l'adoption de cet acte, en faisant disparaître rétroactivement tous les effets ; ou bien remplit-elle, toujours à l'égard de l'acte à supprimer, la fonction technique d'abrogation, c'est-à-dire a-t-elle un effet ex nunc à partir du moment (de l'adoption ou de la notification) de la même décision ?

5) Dans le cas où il serait répondu selon le second sens à la 2e question, c'est-à-dire en ce sens que la décision mentionnée de la Commission nécessite un acte interne de l'Etat membre pour avoir effet dans le cadre de l'ordre juridique de ce même Etat, les dispositions communautaires qu'il s'agit d'interpréter établissent-elles que cet acte interne d'exécution doit remplir, à l'égard de l'acte qu'il tend à supprimer en exécution de la décision communautaire, la fonction technique d'annulation ou la fonction technique d'abrogation, ces termes étant pris ici dans le sens respectif précisé à la 3e question ?

14. Attendu que, dans ses observations, la Commission a attiré l'attention sur le fait que la marchandise importée par la requérante au principal - à savoir, de la viande bovine congelée destinée à l'industrie de transformation - relevait d'une catégorie expressément exceptée par le Gouvernement italien, dans la notification de la mesure de sauvegarde à la Commission ;

15. Que, par contre, il résulte du dossier que cette exception n'a pas été reprise dans la circulaire portant application de la mesure de sauvegarde dans l'ordre juridique interne ;

16. Que, selon les explications données par la requérante au principal, celle-ci n'aurait pu prendre connaissance des termes de la notification adressée par le Gouvernement italien à la Commission qu'en cours de procédure, de sorte que cet argument, soulevé de manière tardive, n'aurait pu être considéré par les juridictions nationales, bien qu'il fasse partie du dossier de la Cour de cassation ;

17. Attendu qu'au cas où il serait établi que les mesures prises par les autorités italiennes auraient été étendues à une catégorie de marchandises exclue de la mesure de sauvegarde notifiée à la Commission, il apparaîtrait que, pour autant, l'application du montant supplémentaire de 60 % du prélèvement aurait constitué une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, dont la perception est prohibée par l'article 12 du règlement n° 14-64 ;

18. Que, toutefois, la Cour n'ayant pas qualité pour examiner les faits de l'affaire et aucune question n'ayant été posée à ce sujet, l'appréciation de la question soulevée par la Commission doit rester réservée au juge national ;

19. Attendu qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 16 du règlement n° 14-64 si, par suite de l'application des mesures relatives à l'établissement graduel d'une organisation commune du marché de la viande bovine, ce marché subit ou est menacé de subir, dans un ou plusieurs Etats membres, du fait des importations, des perturbations graves susceptibles de mettre en péril les objectifs définis à l'article 39 du traité, le ou les Etats membres intéressés peuvent, durant la période de transition, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires concernant l'importation des produits en cause;

20. Qu'aux termes du paragraphe 2, alinéa 1, du même article, l'Etat membre intéressé est tenu de notifier les mesures prises aux autres Etats membres et à la Commission au plus tard lors de leur entrée en vigueur ;

21. Que, selon le 3 alinéa du même paragraphe, la Commission, après consultation des Etats membres dans le cadre du Comité de gestion compétent " décide, par une procédure d'urgence et dans un délai maximum de quatre jours ouvrables à compter de la notification visée au premier alinéa, si les mesures doivent être maintenues, modifiées ou supprimées ";

22. Qu'il est ajouté, par le 4 alinéa du même paragraphe, que la décision de la Commission " est immédiatement exécutoire ";

23. Que la décision arrêtée par la Commission le 28 juillet 1966, en vertu des dispositions citées, ayant été notifiée le même jour, a pris effet à l'égard de la République italienne au moment de cette notification, conformément à l'article 191, alinéa 2, du traité ;

24. Qu'à partir du 28 juillet 1966, la République italienne a été ainsi soumise à l'obligation, immédiatement exécutoire, de supprimer les mesures de sauvegarde dont l'institution avait été annoncée à la Commission le 23 juillet 1966 ;

25. Que, par voie de conséquence, l'Administration italienne n'est pas en droit d'opposer la mesure de sauvegarde en question à un opérateur économique pour une importation postérieure à la date - 28 juillet 1966 - à laquelle la décision de la Commission a pris effet à l'égard de l'Etat ;

26. Que les autorités italiennes ne sauraient invoquer, à l'encontre de la pleine efficacité de cette décision, la circonstance que les mesures internes, prises au titre de la mesure de sauvegarde, n'ont été abrogées qu'à une date postérieure à la prise d'effet de la décision ;

27. Que le fait, par l'Administration nationale, d'invoquer le retard mis par elle à l'exécution d'une décision de l'autorité communautaire constituerait en effet une violation de l'article 5, alinéa 1, du traité, aux termes duquel " les Etats membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté ";

28. Attendu que cette conclusion n'est pas infirmée par la circonstance qu'au moment même où la Commission a exigé la suppression d'une mesure de sauvegarde dont elle n'a pas pu reconnaître la justification, le Conseil a autorisé la République italienne à prendre des mesures de protection alternatives ;

29. Qu'en effet, ces mesures reposent sur une base distincte, à savoir l'article 18 du règlement n° 14-64, aux termes duquel le Conseil peut, sur proposition de la Commission, prendre des " mesures dérogatoires " au règlement afin de tenir compte des " conditions particulières " dans lesquelles pourraient se trouver certains produits régis par celui-ci ;

30. Qu'au surplus, il convient de faire remarquer que les mesures dérogatoires autorisées sur cette base par le Conseil ne coïncident pas, en ce qui concerne leur nature et leur étendue, avec les mesures de sauvegarde dont la Commission a exigé la suppression ;

31. Qu'il faut en conclure que, si la décision prise par la Commission en vertu de l'article 16 du règlement n° 14-64 et la décision prise par le Conseil en vertu de l'article 18 du même règlement sont concomitantes, il n'existe aucun lien juridique ni, à plus forte raison, aucun rapport hiérarchique entre les deux décisions ;

32. Qu'il en résulte que l'usage fait par la République italienne, à partir du 1er août 1966, de l'autorisation accordée par la décision du Conseil ne saurait être considéré comme constituant une condition préalable de l'élimination des effets de la mesure de sauvegarde visée par la décision de la Commission ;

33. Qu'il y a, dès lors, lieu de répondre

- à la première question que la décision 66-474 de la Commission, adoptée le 28 juillet 1966 en vertu de l'article 16 du règlement n° 14-64, a pris effet indépendamment de la décision 66-455 du Conseil, adoptée le même jour en vertu de l'article 18 du même règlement ;

- à la deuxième question qu'à la suite de la décision 66-474 de la Commission, l'Etat membre concerné n'est plus en droit d'opposer à un opérateur économique, en raison d'une importation postérieure à la prise d'effet de cette décision, les dispositions nationales introduites au titre de la mesure de sauvegarde dont la suppression a été exigée par la Commission, même si ces dispositions n'ont été abrogées, au plan interne, qu'à une date postérieure à la prise d'effet de la décision de la Commission ;

- à la troisième question que, conformément à l'article 191, alinéa 2, du traité CEE, la décision 66-474 de la Commission a produit ses effets au moment de sa notification à la République italienne, soit au 28 juillet 1966 ;

34. Attendu qu'en réponse à la quatrième question, il y a lieu de préciser que les dispositions de l'article 16 du règlement n° 14-66 ne limitent pas le pouvoir de la Commission en ce qui concerne la détermination du moment à partir duquel elle peut exiger, s'il y a lieu, la suppression d'une mesure de sauvegarde instituée par un Etat membre ;

35. Que, s'il est vrai que rien n'aurait, en principe, empêché la Commission d'exiger la suppression d'une mesure de sauvegarde jugée non justifiée à partir du moment même où celle-ci a été instituée, il apparaît cependant du texte de la décision 66-474 que la prise d'effet de l'obligation de supprimer les mesures en question devait coïncider avec la prise d'effet de la décision même, soit au jour de la notification au Gouvernement italien, le 28 juillet 1966 ;

36. Attendu qu'au vu de la réponse donnée à la deuxième question, la cinquième question est sans objet ;

Quant aux dépens

37. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

38. Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant la Cour de cassation d'Italie, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par la Cour de cassation d'Italie par ordonnance du 17 février 1978, dit pour droit :

1) La décision 66-474 de la Commission, du 28 juillet 1966, portant obligation pour la République italienne de supprimer les mesures de sauvegarde prises pour les gros bovins et les veaux a pris effet indépendamment de la décision 66-455 du Conseil, également du 28 juillet 1966, autorisant la République italienne à augmenter dans le secteur de la viande bovine les prélèvements applicables à certaines importations en provenance des pays tiers.

2) A la suite de la décision 66-474 de la Commission, la République italienne n'était plus en droit d'opposer à un opérateur économique, en raison d'une importation postérieure à la prise d'effet de cette décision, les dispositions nationales introduites au titre de la mesure de sauvegarde dont la suppression a été exigée par la Commission, même si ces dispositions n'ont été abrogées, au plan interne, qu'à une date postérieure à la prise d'effet de la décision de la Commission.

3) Conformément à l'article 191, alinéa 2, du traité CEE, la décision 66-474 de la Commission a produit ses effets au moment de sa notification à la République italienne, soit au 28 juillet 1966.