Cass. crim., 18 février 1971, n° 66-93.873
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rolland
Rapporteur :
M. Malaval
Avocat général :
M. Aymond
Avocats :
Mes Calon, Nicolas, Talamon
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi forme par : 1° X ; 2° Y, contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 5 novembre 1966, ayant condamné X à dix mois d'emprisonnement avec sursis, 2 000 francs d'amende, trois ans de suspension du permis de conduire, ainsi qu'à des réparations civiles pour homicides et blessures involontaires et ayant déclaré Y, civilement responsable ; - Vu l'acte déposé au greffe le 21 novembre 1968, par lequel les demandeurs ont déclaré se désister de leur pourvoi dans la mesure où il était dirigé contre les dispositions de l'arrêt prononçant contre eux des condamnations civiles au profit de la veuve Ben Fredj et de ses deux enfants mineurs ; - Attendu que ce désistement partiel est régulier et qu'il y a lieu de leur en donner acte ;
Et statuant sur la partie du pourvoi non atteinte par le désistement ; - Vu les mémoires produits tant en demande qu'en défense ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 319 et 320 du Code pénal, R. 10 du Code de la route, 593 du Code de procédure pénale, 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'homicide et blessures involontaires et entièrement responsable de l'accident litigieux, au motif que celui-ci était dû au fait qu'il avait roulé à cheval sur la ligne jaune discontinue située le plus à gauche par rapport à son sens de marche, obligeant le conducteur de la Peugeot 404 à tenter une manœuvre de sauvetage désespérée au cours de laquelle ce conducteur a pu ne pas garder la parfaite maîtrise de son véhicule, sans que ce fait puisse être imputé à faute ; alors que le fait justificatif de nécessité ou d'urgence suppose que le conducteur a été véritablement contraint d'exécuter une manœuvre de sauvetage qu'aurait accomplie tout bon conducteur moyen se trouvant dans les mêmes circonstances, que le conducteur qui aurait perdu son sang-froid en voyant une voiture perturbatrice devant lui à une distance permettant à celle-ci de reprendre sa place devrait être déclaré responsable de l'accident ; alors que l'arrêt attaqué a déclaré que le conducteur de la 404 Peugeot, qui allait se rabattre à droite, avait hésité quelques secondes en voyant arriver la Mercedes puis avait donné un coup de volant à gauche pour éviter celle-ci, qu'il ressort de cette énonciation de fait que les voitures étaient encore à une certaine distance lorsque leurs conducteurs se sont aperçus et que si le sieur Ben Fredj n'avait pas hésité sur la conduite à tenir, il aurait pu profiter du délai dont il disposait pour klaxonner et contraindre ainsi X à reprendre le milieu de la voie centrale qui était libre, qu'il a donc manqué de maîtrise dans la conduite de son véhicule et que l'arrêt n'a pu décider sans contradiction qu'il n'avait commis aucune faute et que l'accident était dû à la faute du prévenu ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que, roulant à vive allure sur une route comportant trois voies délimitées par des lignes jaunes discontinues, X s'est, sans raison apparente, déporté brusquement sur la voie située pour lui le plus à gauche alors que survenait en sens inverse une voiture dont le conducteur, Ben Fredj, après avoir hésité quelques secondes, s'est trouvé contraint pour l'éviter de se porter sur sa propre gauche où il est finalement entré en collision avec un autre véhicule ; que, du fait de cet accident, quatre personnes dont Ben Fredj ont été tuées et plusieurs autres atteintes de blessures ayant entraîné une incapacité de travail personnel supérieure à trois mois ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations de fait, qu'il n'appartient pas à la Cour de cassation de réviser et qui caractérisent à la charge de X tous les éléments des délits d'homicides et de blessures involontaires, c'est à bon droit que le prévenu a été déclaré coupable de ces infractions et condamné à en réparer les conséquences ;
Et attendu que s'étant désistés de leur pourvoi en tant qu'il concernait l'action civile des ayants droit de Ben Fredj, les demandeurs ne sont plus recevables à critiquer la décision attaquée en ce qu'elle a refusé de mettre une part de responsabilité à la charge de ce conducteur ; que le moyen, dès lors, ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et manque de base légale, défaut de réponse aux conclusions visées, en ce que l'arrêt attaqué a fixé le préjudice matériel subi par la dame veuve Morali et ses enfants mineurs, en tenant compte de ce que le sieur Morali exploitait à Alger un commerce de confection-bonneterie qui lui avait rapporté en 1960 et 1961 une moyenne de bénéfices annuels de 24 000 francs en chiffres ronds ; alors que la cour, en prenant pour base de l'évaluation du préjudice un revenu qui avait cessé d'exister depuis fin 1961, sans rechercher quels auraient été dans l'avenir les gains du sieur Morali, n'a pas donné de base légale à sa décision et n'a pas répondu aux conclusions d'appel qui faisaient valoir que, depuis 1961, la victime, âgée de 53 ans, n'exerçait plus aucune activité et qu'il n'était nullement établi que la réinstallation projetée aurait lieu ;
Attendu que si les juges du fond, pour fixer les indemnités attribuées aux ayants droit de feu Morali, ont fait état du profit que le défunt avait retiré d'un commerce exploité en Algérie jusqu'à l'indépendance de ce territoire, ils ont en même temps précisé que ledit Morali devait se réinstaller en France après avoir obtenu un prêt de l'Etat et que, du fait de sa soudaine disparition, sa veuve, qui n'exerce aucun métier, et ses enfants, privés de son assistance, avaient subi un important préjudice dont ils ont évalué le montant ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui répondent implicitement aux conclusions d'appel des demandeurs au pourvoi, la décision est justifiée et qu'il ne saurait être fait grief aux juges d'avoir pris en considération l'ensemble des éléments d'appréciation dont ils disposaient ; qu'il s'ensuit que le moyen doit être rejeté ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 466 et 470 du Code de la sécurité sociale, 593 du Code de procédure pénale, 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les conclusions d'appel, qui soutenaient que la constitution de partie civile des époux Kammerer, père et mère de la victime Hans Jurgen Kammerer était irrecevable, l'accident constituant un accident du travail à l'égard de Kammerer et de X, tous deux préposés d'un même employeur, aux motifs, adoptés du jugement entrepris, que l'employeur étranger de la victime étrangère Hans Kammerer dont le contrat de travail s'exécutait normalement à l'étranger, n'établit pas que son préposé était soumis du fait d'une convention internationale, lors de l'accident, à la législation française des accidents du travail que le droit commun de la réparation doit donc être appliqué en l'espèce ; alors, d'une part, que la règle de rattachement qui permet de déterminer la loi applicable à un accident du travail est la même pour toutes les conséquences de cet accident et que l'arrêt n'a donc pu sans contradiction écarter la législation française des accidents du travail et appliquer le droit commun français de la réparation ; alors, d'autre part, que la loi française doit être appliquée chaque fois que le contenu de la loi étrangère normalement compétente n'est pas établi et que l'arrêt, qui n'a pas recherché la nationalité ni la teneur de la loi du contrat, n'a pas suffisamment motivé son refus d'appliquer la législation française des accidents du travail, dont elle a ainsi méconnu le caractère d'ordre public ;
Vu lesdits articles ; - Attendu qu'aux termes de l'article 593 du Code de procédure pénale, les arrêts en dernier ressort sont déclarés nuls si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que X, auteur de l'homicide involontaire, et Kammerer, victime de cette infraction, étaient tous deux préposés du même employeur et que la mort de Kammerer est due à un accident du travail survenu sur le territoire français ;
Attendu que pour écarter en cet état l'application de la disposition d'ordre public de l'article L. 466 du Code de la sécurité sociale et fonder sur les règles du droit commun de la responsabilité civile l'indemnisation des ayants droit de la victime, l'arrêt se borne à adopter l'unique motif des premiers juges selon lequel l'employeur étranger de la victime étrangère Hans Kammerer, dont le contrat de travail s'exécutait normalement à l'étranger où il a d'ailleurs été conclu, n'établit pas que son préposé était soumis du fait d'une convention internationale lors de l'accident à la législation française des accidents du travail ; que le droit commun de la réparation doit donc être appliqué en l'absence d'une telle preuve ;
Attendu qu'en omettant d'une part de préciser, tant la nationalité et la résidence de la victime de l'accident, que les lieux de conclusion et d'exécution habituelle du contrat de travail ainsi que les conditions dans lesquelles, lors de l'accident, l'exécution de ce contrat se poursuivait sur le territoire français, et en s'abstenant d'autre part de rechercher eux-mêmes, en fonction des circonstances de fait de la cause, s'il n'y avait pas lieu de faire application en l'espèce des dispositions d'un traité international ou d'un règlement communautaire exécutoire en France, les juges du fond, qui n'ont pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'ont pas légalement justifié leur décision ;
Par ces motifs : donne acte aux demandeurs du désistement de leur pourvoi, en tant qu'il était formé contre les dispositions de l'arrêt attaqué relatives à l'action des consorts Ben Fredj ; Casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 5 novembre 1966, mais seulement dans ses dispositions relatives aux demandes civiles de Hans Kammerer et de Hilda Kaufmann épouse Kammerer, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues, et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ; renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.