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Décisions

CJCE, 6e ch., 16 juillet 1998, n° C-235/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AGS Assedic Pas-de-Calais

Défendeur :

Dumon (ès qual.), Froment (ès qual.), Etablissements Pierre Gilson (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Ragnemalm

Avocat général :

M. Cosmas

Juges :

MM. Mancini (rapporteur), Murray

Avocats :

Mes Lamoril, Meurice

CJCE n° C-235/95

16 juillet 1998

LA COUR (sixième chambre),

1 Par arrêt du 27 janvier 1995, rectifié par arrêt du 31 mai 1995 et parvenu à la Cour le 6 juillet 1995, la cour d'appel de Douai a posé, en application de l'article 177 du traité CE, deux questions portant sur l'interprétation de la directive 80-987-CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Dumon, ancien employé des Établissements Pierre Gilson (ci-après "Gilson"), à l'AGS Assedic Pas-de-Calais, en tant que représentant de l'association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés (ci-après l'"AGS"), au sujet du plafond de garantie qui a été appliqué à ses créances lors de la liquidation judiciaire de Gilson.

Le droit communautaire

3 En vertu de son article 1er, paragraphe 1, la directive est applicable aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l'égard d'employeurs qui se trouvent en état d'insolvabilité. La notion d'état d'insolvabilité est définie à l'article 2, paragraphe 1.

4 Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, les États membres prennent les mesures nécessaires afin que des institutions de garantie assurent, sous réserve de l'article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période qui se situe avant une date déterminée.

5 Conformément à l'article 4, paragraphe 1, les États membres ont la faculté de limiter l'obligation de paiement des institutions de garantie, visée à l'article 3. En particulier, selon le paragraphe 3 du même article, les États membres peuvent, afin d'éviter le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la directive, fixer un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés. Lorsque les États membres font usage de cette faculté, ils communiquent à la Commission les méthodes selon lesquelles ils fixent le plafond.

6 L'article 11, paragraphe 1, prévoit que les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive dans un délai de 36 mois à compter de sa notification et en informer immédiatement la Commission. Conformément au paragraphe 2 du même article, les États membres devaient en outre communiquer à cette institution le texte des dispositions législatives, réglementaires et administratives adoptées dans le domaine régi par la directive.

Le droit national

7 En droit français, le Code du travail contient une série de normes, dont l'origine est antérieure à la directive, visant à garantir le paiement des salaires en cas de défaillance de l'entreprise par suite d'un redressement judiciaire ou d'une liquidation judiciaire et à limiter la garantie des institutions mises en place pour la couverture de l'insolvabilité des employeurs (loi n° 73-1194, du 27 décembre 1973, modifiée et complétée par la loi n° 85-98, du 25 janvier 1985, et la loi n° 75-1251, du 27 décembre 1975).

8 Conformément à l'article L. 143-11-1 du Code du travail, tout employeur ayant la qualité de commerçant ou de personne morale de droit privé même non commerçante et occupant un ou plusieurs salariés doit assurer ceux-ci contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail.

9 L'article L. 143-11-4 établit que le régime d'assurance prévu à l'article L. 143-11-1 est mis en œuvre par une association créée par les organisations nationales professionnelles d'employeurs les plus représentatives et agréée par le ministre chargé du Travail.

10 L'AGS, qui regroupe le Conseil national du patronat français, la Confédération des petites et moyennes entreprises et la Confédération nationale de la mutualité de la coopération et du crédit agricole, a été instituée à cet effet. Une convention de gestion, conclue entre ces associations et l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ci-après l'"Unedic"), a été agréée par le ministère du Travail. L'Unedic et les associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, dites "Assedics", sont chargées par l'AGS de recouvrer les cotisations destinées à financer ce régime de garantie et de mettre les fonds nécessaires à la disposition des syndics et administrateurs judiciaires.

11 En vertu de l'article L. 143-11-8, la garantie des institutions mentionnées à l'article L. 143-11-4 est limitée, toutes créances du salarié confondues, à un ou des montants fixés par décret, en référence au plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions du régime d'assurance chômage prévu au livre III, titre V, chapitre 1er, section II, du Code du travail.

12 Aux termes de l'article D 143-2 du Code du travail, le montant maximum de la garantie prévue à l'article L. 143-11-8 du Code du travail est fixé à treize fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d'assurance chômage, lorsque les créances résultent de dispositions législatives ou réglementaires ou de stipulations d'une convention collective et sont nées d'un contrat de travail dont la date de conclusion est antérieure de plus de six mois à la décision prononçant le redressement judiciaire (ci-après le "plafond 13"). Ce plafond, qui, au 1er juillet 1995, correspondait à 679 120 FF, s'apprécie à la date à laquelle est due la créance du salarié et au plus tard à la date du jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire. Dans les autres cas, le montant de cette garantie est limité à quatre fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime de l'assurance chômage (ci-après le "plafond 4"). Au 1er juillet 1995, ce plafond était de 208 960 FF.

Le litige au principal

13 En vertu d'un contrat de travail conclu le 1er avril 1977, M. Dumon a été engagé par Gilson en qualité de voyageur représentant et placier (ci-après "VRP") exclusif.

14 Par jugement du 22 août 1989, le tribunal de commerce de Lille a mis Gilson en liquidation judiciaire et a désigné Me Froment en qualité de liquidateur. Le 15 septembre 1989, M. Dumon a été l'objet d'une mesure de licenciement à caractère économique qui a pris effet le 8 décembre 1989.

15 M. Dumon a demandé au conseil de prud'hommes de Tourcoing, d'une part, de fixer le montant exact de ses créances et, d'autre part, d'exiger leur prise en charge par l'AGS, représentée par l'Assedic du Pas-de-Calais. Plus précisément, M. Dumon a contesté la décision par laquelle l'AGS avait limité sa garantie au plafond 4, alors qu'il se réclamait du plafond 13 prévu au même article. Selon lui, ses créances résultaient, conformément à l'article D 143-2, de dispositions législatives ou d'une convention collective et étaient nées d'un contrat de travail qui avait été conclu plus de six mois avant la décision prononçant la liquidation judiciaire.

16 S'appuyant sur l'article D 143-2 du Code du travail, l'AGS a soutenu que la créance de M. Dumon ne dépendait ni de dispositions législatives ou réglementaires ni d'une convention collective, mais d'un contrat de travail. En conséquence, le plafond 4 trouverait à s'appliquer.

17 Par jugement du 27 janvier 1992, le conseil de prud'hommes de Tourcoing a constaté que la créance de M. Dumon résultait de dispositions législatives, et en particulier de l'article L. 751-1 du Code du travail énumérant les conditions à réunir pour exercer la profession de VRP, et de dispositions conventionnelles, à savoir l'article 5 de la convention collective nationale des VRP, de sorte que cette créance était opposable à l'AGS dans la limite du plafond 13, et non dans celle du plafond 4. Il a dès lors fixé à 470 522 FF la créance de M. Dumon vis-à-vis de Gilson et, compte tenu des sommes déjà payées par l'AGS, à 380 840 FF le montant de la créance subsistant encore à son profit.

18 Le 13 mars 1992, l'AGS, représentée par l'Assedic du Pas-de-Calais, a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Douai, en faisant valoir que le plafond applicable dans le cas de M. Dumon n'était pas le plafond 13 mais le plafond 4 et que, compte tenu des avances déjà versées, l'intimé avait épuisé tous ses droits à son égard.

19 Pour sa part, M. Dumon a demandé à la cour d'appel de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Tourcoing. A titre subsidiaire, il a allégué que l'article D 143-2 du Code du travail français n'était pas compatible avec l'article 4, paragraphe 3, de la directive, lequel, étant précis et inconditionnel, devait avoir effet direct.

Les questions préjudicielles

20 La cour d'appel de Douai a confirmé la décision du conseil de prud'hommes relative à l'existence et au montant des créances dont M. Dumon était titulaire dans la liquidation judiciaire de Gilson. Toutefois, ayant des doutes quant à l'interprétation de la directive au regard des limitations de garantie prévues par le droit national, elle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 4 de la directive 80-987, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, est-il de portée générale et obligatoire et doit-il dès lors avoir un effet direct en droit national?

2) En l'absence d'information de la Commission dans les conditions prescrites par l'article 11 de la directive du 20 octobre 1980, l'article D. 143-2 du Code du travail français (qui énonce que le montant maximum de la garantie prévue à l'article L. 143-11-8 du Code du travail est fixé à treize fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d'assurance chômage lorsque les créances résultent des dispositions législatives ou réglementaires ou de stipulations d'une convention collective et sont nées d'un contrat de travail dont la date de conclusion est antérieure de plus de six mois à la décision prononçant le redressement judiciaire et que dans les autres cas le montant de cette garantie est limité à quatre fois le plafond mentionné ci-dessus) est-il compatible avec cette directive?"

Sur la seconde question

21 Par sa seconde question, qu'il convient d'examiner en premier lieu, la juridiction nationale demande en substance si les articles 4, paragraphe 3, et 11 de la directive s'opposent à l'application de dispositions telles que l'article D. 143-2 du Code du travail français, fixant un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés, lorsque l'État membre a omis de communiquer à la Commission les méthodes selon lesquelles ledit plafond a été fixé.

22 A cet égard, il convient de relever, à titre liminaire, que, dans ses observations présentées devant la Cour, le Gouvernement français a exposé que deux rapports sur la mise en conformité des dispositions nationales avec la directive ont été transmis à la Commission en 1984 et en 1986 par l'intermédiaire du secrétariat général du Comité interministériel pour les questions de coopération économique européen et de la représentation permanente de la France auprès des Communautés européennes. Ces documents auraient détaillé les méthodes de fixation du plafond général de garantie des salaires prévu par le régime français, en faisant référence notamment aux dispositions limitant la garantie par l'AGS et précisant les modalités de fixation des montants maximums de garantie. En particulier, la faculté offerte aux États membres par l'article 4 de la directive aurait correspondu à un mécanisme qui existait en droit français depuis 1976, de sorte que les autorités françaises se seraient limitées à communiquer à la Commission les tableaux d'équivalence entre les dispositions communautaires et les dispositions françaises.

23 Dans ces conditions, le Gouvernement français invite la Cour à constater que l'obligation de communication imposée par la directive a été pleinement remplie.

24 La Commission fait valoir, pour sa part, que la législation française a servi d'exemple pour l'élaboration de la directive et qu'elle a pu prendre acte des méthodes de fixation du plafond dès 1979, dans la documentation adressée au Conseil par la délégation française. Dès lors, la Commission considère avoir reçu de la République française les informations visées à l'article 4, paragraphe 3, de la directive, même si une notification formelle n'a pas été effectuée après l'adoption de celle-ci.

25 Il convient, sur ce point, de rappeler que, dans le cadre d'une procédure visée à l'article 177 du traité, fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national (voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 1978, Oehlschläger, 104-77, Rec. p. 791, point 4, et du 15 novembre 1979, Denkavit Futtermittel, 36-79, Rec. p. 3439, point 12). La Cour est donc uniquement habilitée à se prononcer sur l'interprétation ou la validité d'un texte communautaire à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (arrêts du 2 juin 1994, AC-ATEL Electronics Vertriebs, C-30-93, Rec. p. I-2305, point 16, et du 20 mars 1997, Phytheron International, C-352-95, Rec. p. I-1729, point 11).

26 En outre, ainsi que la Cour l'a constaté au point 14 de l'arrêt Phytheron International, précité, une modification de la substance des questions préjudicielles serait incompatible avec le rôle dévolu à la Cour par l'article 177 du traité ainsi qu'avec son obligation d'assurer la possibilité aux Gouvernements des États membres et aux parties intéressées de présenter des observations conformément à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées.

27 Dans ces circonstances, il incombe au juge national de vérifier si de nouveaux éléments présentés au cours de la procédure devant la Cour sont utiles, voire nécessaires, pour trancher le litige au principal.

28 Quant à la réponse à donner à la seconde question, il y a lieu d'abord de rappeler que l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, de la directive impose aux États membres qui, comme les y autorise l'alinéa précédent, ont fixé un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés l'obligation de communiquer à la Commission les méthodes selon lesquelles ce plafond a été fixé.

29 Toutefois, il ne ressort pas de cette disposition que l'obligation de communication donne lieu à une procédure de contrôle communautaire des méthodes choisies par l'État membre ou que la mise en vigueur de la faculté des États membres de fixer un plafond soit subordonnée à l'accord, exprès ou tacite, de la Commission.

30 Par ailleurs, ni le libellé ni le but de la disposition examinée ne permettent de considérer que le non-respect de l'obligation de communication préalable qui incombe aux États membres entraîne à lui seul l'illégalité des plafonds ainsi adoptés (voir, pour une disposition analogue, arrêt du 13 juillet 1989, Enichem Base e.a., 380-87, Rec. p. 2491, point 22).

31 Il apparaît ainsi que l'objectif de l'obligation de communication prévue à l'article 4, paragraphe 3, second alinéa, est seulement de faire savoir à la Commission si les États membres ont fait usage de la faculté visée à l'alinéa précédent et, le cas échéant, de quelle manière.

32 Quant à l'article 11, paragraphe 2, de la directive, qui oblige les États membres à communiquer à la Commission le texte des dispositions législatives, réglementaires et administratives qu'ils adoptent dans le domaine qu'elle régit, il en ressort clairement qu'il concerne les relations entre les États membres et la Commission et qu'il n'engendre aucun droit dans le chef des particuliers qui soit susceptible d'être lésé en cas de violation, par un État membre, de l'obligation de communication préalable à la Commission des méthodes selon lesquelles il fixe le plafond visé à l'article 4, paragraphe 3.

33 Il convient donc de répondre à la seconde question que les articles 4, paragraphe 3, et 11 de la directive ne s'opposent pas à l'application de dispositions telles que l'article D 143-2 du Code du travail français, fixant un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés, lorsque l'État membre a omis de communiquer à la Commission les méthodes selon lesquelles ledit plafond a été fixé.

Sur la première question

34 Par sa première question, la juridiction nationale cherche à savoir si l'article 4 de la directive a une portée générale et obligatoire de sorte que les particuliers peuvent s'en prévaloir devant un juge national.

35 Vu la réponse apportée à la seconde question, il n'y a pas lieu de statuer sur la première question.

Sur les dépens

36 Les frais exposés par le Gouvernement français et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par la cour d'appel de Douai, par arrêt du 27 janvier 1995, rectifié par arrêt du 31 mai 1995, dit pour droit:

Les articles 4, paragraphe 3, et 11 de la directive 80-987-CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, ne s'opposent pas à l'application de dispositions fixant un plafond pour la garantie de paiement des créances impayées des travailleurs salariés, lorsque l'État membre a omis de communiquer à la Commission les méthodes selon lesquelles ledit plafond a été fixé.