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Décisions

CJCE, 26 février 1986, n° 152-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Marshall

Défendeur :

Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority (Teaching)

CJCE n° 152-84

26 février 1986

LA COUR,

1. Par ordonnance du 12 mars 1984, parvenue à la Cour le 19 juin suivant, la Court of Appeal a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles portant sur l'interprétation de la directive 76-207 du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre Mlle M. H. Marshall (ci-après la demanderesse) et la Southampton And South-West Hampshire Area Health Authority (teaching) (ci-après la défenderesse) portant sur la compatibilité du licenciement de la demanderesse avec l'article 6, paragraphe 4, du Sex Discrimination Act de 1975 (ci-après le SDA) et le droit communautaire.

3. La demanderesse, qui est née le 4 février 1918, a été employée par la défenderesse à partir du mois de juin 1966 jusqu'au 31 mars 1980. Depuis le 23 mai 1974, elle a bénéficié d'un contrat de travail en qualité de diététicienne principale.

4. Le 31 mars 1980, soit à peu près quatre semaines après avoir atteint l'âge de 62 ans, la demanderesse a été licenciée bien qu'elle eut exprimé la volonté de garder son emploi jusqu'à l'âge de 65 ans, c'est-à-dire jusqu'au 4 février 1983.

5. Selon l'ordonnance de renvoi, le seul motif du licenciement était le fait que la demanderesse était une femme ayant dépassé l'âge de la retraite prévu par la défenderesse pour les femmes.

6. A cet égard, il ressort du dossier que la défenderesse mène, depuis 1975, une politique générale en vertu de laquelle l'âge normal de mise à la retraite est l'âge auquel les pensions de sécurité sociale sont dues. Selon la juridiction de renvoi, cette politique, bien que n'étant pas expressément mentionnée dans le contrat de travail de la demanderesse, était une clause implicite de ce contrat.

7. A l'époque, la législation du Royaume-Uni en matière de pensions, le Social Security Act de 1975, prévoyait dans ses articles 27, paragraphe 1, et 28, paragraphe 1, que les pensions d'Etat étaient octroyées à partir de 65 ans pour les hommes et à partir de 60 ans pour les femmes. Toutefois, cette législation n'imposait pas aux employés l'obligation de prendre leur retraité à l'âge auquel la pension d'Etat était due. Au cas ou un employé continuait d'exercer ses activités, tant le paiement de la pension de l'Etat que celui de la pension selon le régime professionnel étaient ajournés.

8. La défenderesse était cependant disposée à déroger à sa politique générale de retraité susvisée à titre purement discrétionnaire, pour un individu déterminé, en fonction de circonstances particulières et elle y a effectivement dérogé en ce qui concerne la demanderesse en l'employant encore deux ans après que celle-ci eut atteint l'âge de 60 ans.

9. Ayant subi un préjudice financier correspondant à la différence entre son traitement en tant qu'employée de la défenderesse et sa pension et ayant perdu la satisfaction que lui donnait son travail, la demanderesse a assigné la défenderesse devant un industrial tribunal en faisant valoir que son licenciement à la date et pour le motif indique par la défenderesse a constitué un traitement moins favorable en raison de son sexe et, partant, une discrimination illégale en violation du SDA ainsi que du droit communautaire.

10. Ce tribunal a rejeté le recours pour autant qu'il était fondé sur une violation du SDA au motif que l'article 6, paragraphe 4, du SDA permettait la discrimination fondée sur le sexe lorsqu'elle découlait d'une disposition concernant le décès ou la retraite, la politique générale de la défenderesse constituant, selon lui, une telle disposition. En revanche, il a retenu la violation du principe de l'égalité de traitement énoncé par la directive 76-207.

11. En appel, cet arrêt a été confirmé sur le premier point par l'Employment Appeal Tribunal, mais a été annulé en ce qui concerne le deuxième point, au motif que, bien que le licenciement ait enfreint le principe d'égalité de traitement consacré par la directive précitée, un particulier ne pouvait pas se fonder en droit sur cette violation dans des affaires pendantes devant une juridiction du Royaume-uni.

12. La demanderesse a déféré ce jugement à la Court of Appeal. Considérant que la défenderesse est instituée conformément à l'article 8, paragraphe 1.a, sous b), du National Health Service Act de 1977 et est donc une " émanation de l'Etat ", la Court of Appeal a soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

1) le fait que l'Administration intimée ait licencié l'appelante après que celle-ci eut dépassé l'âge de 60 ans, en application de sa politique générale et au seul motif qu'il s'agissait d'une femme ayant atteint l'âge normal de la retraite pour les femmes, constitue-t-il une discrimination interdite par la directive relative à l'égalité de traitement?

2) en cas de réponse affirmative à la première question précitée, l'appelante peut-elle, compte tenu des circonstances de l'espèce, invoquer devant les cours et tribunaux nationaux la directive relative à l'égalité de traitement malgré l'incompatibilité (si tant est qu'elle existe) entre la directive et l'article 6, paragraphe 4, du Sex Discrimination Act de 1975?'

Sur le cadre juridique du litige

13. L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 76-207 est ainsi libellé :

La pressente directive vise la mise en œuvre, dans les Etats membres, du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail et, dans les conditions prévues au paragraphe 2, la sécurité sociale. Ce principe est dénommé ci-après " principe de l'égalité de traitement ".

14. L'article 2, paragraphe 1, de cette directive dispose que :

" le principe d'égalité de traitement au sens des dispositions ci-après implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial. "

15. L'article 5, paragraphe 1, de ladite directive déclare que :

" L'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe. "

Dans son paragraphe 2, cet article prévoit que :

" à cet effet, les Etats membres prennent les mesures nécessaires afin que :

a) soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l'égalité de traitement ;

b) soient nulles, puissent être déclarées nulles ou puissent être amendées les dispositions contraires au principe de l'égalité de traitement qui figurent dans les conventions collectives ou dans les contrats individuels de travail, dans les règlements intérieurs des entreprises, ainsi que dans les statuts des professions indépendantes ;

c) soient révisées celles des dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l'égalité de traitement lorsque le souci de protection qui les a inspirées à l'origine n'est plus fondé ; que, pour les dispositions conventionnelles de même nature, les partenaires sociaux soient invités à procéder aux révisions souhaitables. "

16. L'article 1er, paragraphe 2, de la directive, prévoit que :

" en vue d'assurer la mise en œuvre progressive du principe de l'égalité de traitement en matière de sécurité sociale, le Conseil arrêtera, sur proposition de la Commission, des dispositions qui en préciseront notamment le contenu, la portée et les modalités d'application. "

17. Conformément à cette dernière disposition, le Conseil a arrêté la directive 79-7, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO L 6, p. 24), que les Etats membres devaient transposer au droit national selon son article 8, paragraphe 1, dans un délai de six ans à compter de sa notification. Cette directive s'applique, selon le paragraphe 1 de son article 3 :

" a) aux régimes légaux qui assurent une protection contre les risques suivants :

- maladie,

- invalidité,

- vieillesse,

- accident du travail et maladie professionnelle,

- chômage ;

b) aux dispositions concernant l'aide sociale, dans la mesure où elles sont destinées à compléter les régimes visés sous a) ou à y suppléer ".

18. Selon son article 7, paragraphe 1, la directive

" ... Ne fait pas obstacle à la faculté qu'ont les Etats membres d'exclure de son champ d'application :

a) la fixation de l'âge de la retraite pour l'octroi des pensions de vieillesse et de retraité et les conséquences pouvant en découler pour d'autres prestations ;

... ".

19. En ce qui concerne les régimes professionnels de sécurité sociale, le paragraphe 3 de l'article 3 de cette même directive prévoit qu'en vue d'assurer la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement dans de tels régimes le Conseil arrêtera, sur proposition de la Commission, des dispositions qui en préciseront le contenu, la portée et les modalités d'application '. Le 5 mai 1983, la Commission a soumis au Conseil une proposition de directive relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de la sécurité sociale (JO C 134, p. 7), s'appliquant, selon son article 2, paragraphe 1,'aux prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou a s'y substituer'. Le Conseil ne s'est pas encore prononcé sur cette proposition.

20. Outre la demanderesse et la défenderesse, le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission ont présenté des observations dans cette affaire.

Sur la première question

21. Par la première question, la Court of Appeal veut savoir si l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207 doit être ou non interprété en ce sens qu'une politique générale de licenciement suivie par une autorité de l'Etat, impliquant le licenciement d'une femme au seul motif qu'elle a atteint ou dépassé l'âge auquel elle a droit à une pension d'Etat et qui est différent pour les hommes et les femmes en vertu de la législation nationale constitue une discrimination fondée sur le sexe interdite par cette directive.

22. La demanderesse et la Commission estiment que la première question appelle une réponse affirmative.

23. Selon la demanderesse, la limite d'âge susvisée constitue une condition de travail au sens des articles 1er, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76-207. Une interprétation large de ce terme se justifierait compte tenu tant de l'objectif du traité visant à " l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi " que du libellé de l'interdiction de discrimination visée aux articles précités de la directive 76-207, ainsi qu'à l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1612-68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).

24. Par ailleurs, l'absence de discriminations fondées sur le sexe ferait partie des droits fondamentaux de la personne humaine et donc des principes généraux du droit communautaire. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, il conviendrait d'interpréter ces principes fondamentaux largement et, inversement, d'interpréter strictement toute exception éventuelle telle que la réserve prévue à l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 76-207 quant à la sécurité sociale.

25. La demanderesse estime, en outre, que l'exception visée à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 79-7, à propos de la fixation de l'âge de la retraite pour l'octroi des pensions de vieillesse et de retraité, ne serait pas pertinente parce que, à la différence de l'affaire Burton (arrêt du 16 février 1982, 19-81, Rec. p. 555), la présente affaire ne se réfèrerait pas à la détermination d'un droit à pension. En outre, il n'y aurait en l'espèce aucun lien entre l'âge contractuel de départ à la retraite et l'âge à partir duquel une pension de sécurité sociale peut être demandée.

26. La Commission souligne que ni la politique d'emploi de la défenderesse ni le régime légal de sécurité sociale n'obligeraient une personne qui atteint l'âge minimal donnant droit à une pension de prendre sa retraité. Au contraire, les dispositions de la législation nationale tiendraient compte d'une éventuelle poursuite de l'activité professionnelle au-delà de l'âge normal pour l'admission à la pension de retraité. Dans de telles circonstances, il serait difficile de justifier le licenciement d'une femme par une motivation fondée sur son sexe et son âge.

27. La Commission se réfère, elle aussi, au fait que la cour aurait reconnu l'égalité de traitement entre hommes et femmes en tant que principe fondamental du droit communautaire.

28. La défenderesse soutient, en revanche, qu'il faudrait prendre en considération, conformément à l'arrêt Burton précité, le lien qui existe, selon elle, entre les ages de départ à la retraite imposés par elle dans le cadre de sa politique de licenciement, d'une part, et les ages auxquels les pensions de retraité et de vieillesse sont dues selon le régime légal de la sécurité sociale au Royaume-Uni, d'autre part. En effet, la fixation d'ages différents pour la cessation obligatoire du contrat de travail ne serait que fonction des ages minimaux y prévus, étant donné que l'employé de sexe masculin pourrait continuer à travailler jusqu'à l'âge de 65 ans précisément parce qu'il ne serait pas protégé par le versement d'une pension d'état avant cet âge, alors que l'employée de sexe féminin bénéficierait d'une telle protection à partir de l'âge de 60 ans.

29. Elle estime que l'octroi des pensions d'Etat relèverait de la sécurité sociale et ne tomberait donc pas dans le champ d'application de la directive 76-207, mais dans celui de la directive 79-7 qui réserve aux Etats membres la faculté de fixer des ages différents pour la naissance du droit aux pensions d'Etat. S'agissant donc de la même situation que dans l'affaire Burton susvisée, la fixation par le contrat de travail d'âges de la retraite différents en fonction des âges minimaux différents prévus par la législation nationale pour les hommes et les femmes pour l'admission à la pension ne constituerait pas une discrimination interdite par le droit communautaire.

30. Le Gouvernement britannique, qui partage cet avis, soutient toutefois qu'un traitement pourrait être discriminatoire, même lorsqu'il s'agit d'une période postérieure à la mise à la retraite, dans la mesure où le traitement en question dérive d'une relation d'emploi et ou cette relation se poursuit après l'âge contractuel normal de mise à la retraite.

31. Ce Gouvernement soutient cependant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y aurait aucune discrimination dans les conditions de travail, la différence de traitement découlant de l'âge normal de la retraite lequel dépendrait des âges minimaux différents pour l'admission à la pension étatique.

32. Il convient d'abord d'observer que le problème d'interprétation dont la Cour est saisie ne concerne pas l'accès à un régime légal ou professionnel de retraité, à savoir les conditions d'octroi de la pension de vieillesse ou de retraité, mais la fixation d'une limite d'âge en ce qui concerne la cessation de la relation d'emploi dans le cadre d'une politique générale de licenciement. Cette question concerne les conditions de licenciement et relève donc de la directive 76-207.

33. En effet, l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207 prévoit que l'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, impliqué que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions sans discrimination fondée sur le sexe.

34. Dans l'arrêt Burton, précité, la Cour a déjà déclaré que la notion de 'licenciement' figurant dans cette disposition doit être entendue dans un sens large. Par conséquent, une limite d'âge pour le départ obligatoire des travailleurs dans le cadre d'une politique générale de mise à la retraite menée par un employeur, même si ce départ entraîne l'octroi d'une pension de retraité, relève de la notion de 'licenciement' ainsi interprétée.

35. Comme la Cour l'a souligné dans le même arrêt Burton, le libellé de l'article 7 de la directive 79-7 ne fait pas obstacle à la faculté qu'ont les Etats membres d'exclure de son champ d'application la fixation de l'âge de la retraite pour l'octroi des pensions de vieillesse et de retraité, et les conséquences pouvant en découler pour d'autres prestations dans le domaine des systèmes légaux de la sécurité sociale. La Cour a donc reconnu que des prestations liées aux régimes nationaux relatifs à l'âge d'admission à la retraite, différent pour les hommes et pour les femmes, peuvent déroger à l'obligation susvisée.

36. Toutefois, compte tenu de l'importance fondamentale du principe de l'égalité de traitement que la Cour a itérativement rappelée, l'exception au champ d'application de la directive 76-207 prévue à l'article 1er, paragraphe 2, de cette directive, pour le domaine de la sécurité sociale doit être interprétée de manière stricte. En conséquence, l'exception à l'interdiction des discriminations fondées sur le sexe prévue à l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79-7 n'est applicable qu'à la fixation de l'âge de la retraite pour l'octroi des pensions de vieillesse et de retraité et aux conséquences pouvant en découler pour d'autres prestations de sécurité sociale.

37. A cet égard, il y a lieu de souligner qu'alors que l'exception prévue à l'article 7 de la directive 79-7 concerne les conséquences découlant de la limite d'âge pour des prestations de sécurité sociale, la présente affaire concerne la matière du licenciement au sens de l'article 5 de la directive 76-207.

38. Il y a donc lieu de répondre à la première question posée par la Court of Appeal que l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207 doit être interprété en ce sens qu'une politique générale de licenciement, impliquant le licenciement d'une femme au seul motif qu'elle a atteint ou dépassé l'âge auquel elle a droit à une pension d'Etat et qui est différent pour les hommes et pour les femmes en vertu de la législation nationale, constitue une discrimination fondée sur le sexe interdite par cette directive.

Sur la deuxième question

39. La première question ayant reçu une réponse affirmative, se pose celle de savoir si l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207 peut être invoqué par des particuliers devant les juridictions nationales.

40. La demanderesse et la Commission proposent de donner une réponse affirmative à cette question. Elles font notamment valoir qu'en ce qui concerne l'article 2, paragraphe 1, et l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207 ces dispositions sont suffisamment claires pour permettre aux juridictions nationales de les appliquer sans intervention législative des Etats membres, du moins en présence d'une discrimination manifeste.

41. A l'appui de cette interprétation, la demanderesse rappelle que des directives sont susceptibles d'accorder aux individus des droits dont ils peuvent se prévaloir directement devant les juridictions des Etats membres ; les juridictions nationales seraient obligées, en vertu de la nature contraignante des directives en combinaison avec l'article 5 du traité, de donner effet aux dispositions des directives lorsque cela est possible, et notamment en interprétant ou en appliquant les dispositions pertinentes du droit national (arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, 14-83, Rec. p. 1891). Lorsqu'il existe une incompatibilité entre le droit national et le droit communautaire qui ne peut être écartée à l'aide d'une telle interprétation, les juridictions nationales seraient tenues de déclarer inapplicable la disposition de droit national qui s'est révélée incompatible avec la directive.

42. La Commission est d'avis que les dispositions de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207 sont suffisamment claires et inconditionnelles pour être invoquées devant les juridictions nationales. Elles pourraient donc être opposées à l'article 6, paragraphe 4, du SDA, disposition qui, selon la jurisprudence de la Court of Appeal, aurait été étendue à la question de la retraite obligatoire et aurait donc perdu tout effet utile pour empêcher les licenciements fondés sur la différence entre les âges de la retraite prévus pour les deux sexes.

43. La défenderesse et le Gouvernement du Royaume-Uni proposent, au contraire, une réponse négative à la deuxième question. Ils admettent qu'une directive, dans certaines circonstances particulières, puisse avoir un effet direct contre l'Etat membre dans la mesure où ce dernier ne pourrait se retrancher derrière son propre manquement. Toutefois, ils soutiennent qu'une directive ne pourrait jamais imposer directement des obligations à des particuliers et qu'elle ne pourrait avoir un effet direct qu'à l'égard d'un Etat membre en tant qu'autorité publique et non pas à l'égard d'un Etat membre en tant qu'employeur. En effet, en cette dernière qualité, l'Etat ne se distinguerait nullement d'un employeur privé. Il ne serait donc pas justifié de privilégier les employés de l'Etat par rapport aux employés d'une personne privée.

44. En ce qui concerne la situation juridique des employés de la défenderesse, le Gouvernement britannique expose qu'elle est la même que celle des employés d'une personne privée. Certes, selon le droit constitutionnel britannique, les institutions sanitaires, créées par le National Health Service Act de 1977, tel qu'il a été amendé par le Health Services Act de 1980 et par d'autres lois, seraient des organismes étatiques et leurs employés seraient des agents de la couronne. Toutefois, l'administration du service de la santé par les autorités sanitaires serait considérée comme étant distincte de l'administration centrale du Gouvernement et ses employés ne seraient pas considérés comme des fonctionnaires.

45. Enfin, tant la défenderesse que le Gouvernement britannique estiment que les dispositions de la directive 76-207 ne sont ni inconditionnelles ni suffisamment claires et précises pour avoir un effet direct. En effet, d'une part, la directive prévoirait un certain nombre de dérogations possibles, les détails devant être précisés par les Etats membres, et, d'autre part, les termes de l'article 5 seraient tout à fait imprécis et exigeraient des mesures exécutoires ultérieures.

46. Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour (notamment l'arrêt du 19 janvier 1982, Becker, 8-81, Rec. p. 53), dans tous les cas ou des dispositions d'une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer à l'encontre de l'Etat, soit lorsque celui-ci s'abstient de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu'il en fait une transposition incorrecte.

47. Cette jurisprudence se fonde sur la considération qu'il serait incompatible avec le caractère contraignant que l'article 189 reconnaît à la directive d'exclure, en principe, que l'obligation qu'elle impose puisse être invoquée par des personnes concernées. La Cour en a tiré la conséquence que l'Etat membre qui n'a pas pris, dans les délais, les mesures d'exécution imposées par la directive ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement, par lui-même, des obligations qu'elle comporte.

48. Quant à l'argument selon lequel une directive ne peut pas être invoquée à l'encontre d'un particulier, il convient de souligner que, selon l'article 189 du traité, le caractère contraignant d'une directive sur lequel est fondée la possibilité d'invoquer celle-ci devant une juridiction nationale n'existe qu'à l'égard de tout Etat membre destinataire. Il s'ensuit qu'une directive ne peut pas par elle-même créer d'obligations dans le chef d'un particulier et qu'une disposition d'une directive ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à l'encontre d'une telle personne. Il convient donc d'examiner si, en l'espèce, la défenderesse doit être regardée comme ayant agi en tant que particulier.

49. A cet égard, il y a lieu de remarquer que, lorsque les justiciables sont en mesure de se prévaloir d'une directive à l'encontre de l'Etat, ils peuvent le faire quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique. Dans l'un et l'autre cas, il convient, en effet, d'éviter que l'Etat ne puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit communautaire.

50. L'application de ces considérations aux circonstances de l'espèce incombe au juge national, qui a d'ailleurs indiqué sur ce point dans son ordonnance de renvoi que la défenderesse, la Southampton And South-West Hampshire Area Health Authority (teaching), est une autorité publique.

51. Quant à l'argument développé par le Gouvernement britannique, selon lequel la possibilité d'invoquer les dispositions de la directive à l'encontre de la défenderesse en sa qualité d'institution d'Etat aurait pour conséquence une distinction arbitraire et injuste entre les droits des employés de l'Etat et ceux des employés privés, il ne peut justifier une appréciation différente. En effet, une telle distinction pourrait être aisément évitée si l'Etat membre concerné avait transposé correctement la directive dans son droit national.

52. Enfin, quant à la question de savoir si la disposition de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207, qui met en œuvre le principe de l'égalité de traitement posé par l'article 2, paragraphe 1, de ladite directive, apparaît comme étant, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise pour être invoquée par un particulier à l'encontre de l'Etat, il y a lieu de constater que, considérée en elle-même, la disposition exclut toute discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, d'une manière générale et dans des termes non équivoques. La disposition est donc suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge.

53. Il convient, ensuite, d'examiner si l'interdiction de discrimination qu'elle prévoit peut être considérée comme inconditionnelle, compte tenu des dérogations contenues dans la directive et du fait que, selon le libellé de l'article 5, paragraphe 2, les Etats membres doivent prendre certaines mesures afin d'assurer l'application du principe de l'égalité de traitement dans le cadre du droit national.

54. En ce qui concerne d'abord la réserve formulée à l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 76-207, à l'égard de l'application du principe de l'égalité de traitement dans le domaine de la sécurité sociale, il convient d'observer que cette réserve, bien qu'elle limite la portée matérielle de ladite directive, n'impose toutefois aucune condition à l'application de ce principe dans son propre domaine et notamment pas en ce qui concerne l'article 5 de la directive. De même, les exceptions à la directive 76-207 prévues à son l'article 2 ne sont pas pertinentes en l'espèce.

55. Il en résulte que l'article 5 de la directive 76-207 ne confère nullement aux Etats membres la faculté de conditionner ou de restreindre l'application du principe de l'égalité de traitement dans son champ d'application propre, et que cette disposition est suffisamment précise et inconditionnelle pour être invoquée par les particuliers devant les juridictions nationales pour écarter l'application de toute disposition nationale non conforme audit article 5, paragraphe 1.

56. Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207 du Conseil, du 9 février 1976, relative à l'interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, peut être invoqué à l'encontre d'une autorité de l'Etat agissant en qualité d'employeur pour écarter l'application de toute disposition nationale non conforme audit article 5, paragraphe 1.

Sur les dépens

57. Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par la Court of Appeal, par ordonnance du 12 mars 1984, dit pour droit :

1) l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207 doit être interprété en ce sens qu'une politique générale de licenciement, impliquant le licenciement d'une femme au seul motif qu'elle a atteint ou dépassé l'âge auquel elle a droit à une pension d'Etat et qui est différent pour les hommes et pour les femmes en vertu de la législation nationale, constitue une discrimination fondée sur le sexe interdite par cette directive.

2) l'article 5, paragraphe 1, de la directive 76-207 du Conseil, du 9 février 1976, relative à l'interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, peut être invoqué à l'encontre d'une autorité de l'Etat agissant en qualité d'employeur pour écarter l'application de toute disposition nationale non conforme audit article 5, paragraphe 1.