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Décisions

CJCE, 15 mai 1986, n° 222-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Johnston

Défendeur :

Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary

CJCE n° 222-84

15 mai 1986

LA COUR,

1. Par décision du 8 août 1984, parvenue à la Cour le 4 septembre suivant, l'industrial tribunal of northern Ireland, à Belfast, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 76-207 du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes (JO L 39, p. 40), et de l'article 224 du traité CEE.

2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Mme Marguerite I. Johnston au Chief Constable de la Royal Ulster Constabulary (ci-après RUC). Ce dernier est l'autorité compétente pour nommer des membres auxiliaires des forces de police dans la RUC réserve en Irlande du Nord, et cela notamment à des emplois a temps complet, sur la base de contrats conclus pour trois ans et renouvelables, dans la RUC full-time réservé. Le litige porte sur le refus du Chief Constable de renouveler le contrat de Mme Johnston en tant que membre de la RUC full-time reserve et de lui donner une formation professionnelle dans le maniement et l'usage d'armes à feu.

3. Il ressort de la décision de renvoi que les dispositions des Royal Ulster Constabulary réserve (appointment and conditions of service) regulations (ni) 1973, qui règlent les modalités de la nomination et les conditions de travail dans la police auxiliaire, ne font aucune différence qui soit d'importance en l'espèce entre les hommes et les femmes. Il résulte en outre des articles 10 et 19 du Sex Discrimination (Northern Ireland) Order 1976 - SI 1976, no 1042 (NI 15) -, lequel établit des règles visant à éliminer des discriminations fondées sur le sexe et à mettre en œuvre le principe d'égalité dans l'accès à l'emploi, la formation et la promotion professionnelle et les conditions de travail, que l'interdiction de discrimination s'applique aux emplois dans la police et que les hommes et les femmes ne doivent pas être traités différemment à cet égard, sauf quant aux exigences relatives à la taille, à l'uniforme, à l'équipement ou aux allocations pour uniforme ou équipement. Toutefois, selon l'article 53, paragraphe 1, du Sex Discrimination Order, aucune de ses dispositions interdisant des discriminations

" Ne peut avoir pour effet de rendre illégal un acte intervenu aux fins de sauvégarder la sûreté de l'état ou de protéger la sécurité ou l'ordre publics ",

Et, selon le paragraphe 2 de cet article,

" Un certificat signé par le ministre ou en son nom et attestant qu'un acte décrit dans le certificat est intervenu à l'une des fins énoncées au paragraphe 1 constitue la preuve irréfragable que cet acte est intervenu à cette fin ".

4. Au Royaume-Uni, les policiers ne portent, en général, pas d'armes à feu dans l'exercice de leurs fonctions, sauf pour des opérations particulières, aucune différence n'étant faite à cet égard entre les hommes et les femmes. En raison du nombre élevé d'attentats dont des policiers ont été victimes en Irlande du Nord depuis des années, le Chief Constable de la RUC a estimé ne pas pouvoir maintenir cette pratique. Il a décidé que, dans la RUC et la RUC réserve, les hommes porteraient des armes à feu dans l'exercice normal de leurs fonctions, mais que les femmes n'en seraient pas équipées et ne recevraient pas de formation au maniement et au tir d'armes à feu.

5. Dans ces circonstances, le Chief Constable a estimé en 1980 que le nombre de femmes dans la RUC était suffisant pour les taches particulières qui sont généralement confiées aux effectifs féminins. Les taches générales de police comportant fréquemment des missions nécessitant le port d'armes, il a considéré que ces taches ne devaient plus être confiées à des femmes et a décidé de ne plus offrir ou renouveler des contrats à des femmes dans la RUC full-time reserve que lorsque celles-ci devaient remplir des taches réservées aux effectifs féminins. Apres cette décision, sauf dans un cas, aucun contrat n'a plus été offert ou renouvelé à une femme dans la RUC full-time reserve.

6. Selon la décision de renvoi, Mme Johnston avait été, de 1974 a 1980, membre de la RUC full-time reserve. Elle y avait rempli efficacement des taches générales de police en uniforme telles qu'assurer la permanence au poste, participer à des patrouilles mobiles, conduire le véhicule de patrouille et participer à la fouille des personnes conduites au poste. En remplissant ces taches, elle n'était pas armée et elle était normalement accompagnée, à l'extérieur du poste de police, par un homme arme de la RUC full-time reserve. En 1980, le Chief Constable a refusé de renouveler son contrat en raison de sa nouvelle politique, ci-dessus mentionnée, à l'égard des femmes membres de la RUC full-time reserve.

7. Mme Johnston a introduit un recours devant l'industrial tribunal contre le refus, opposé en application de cette nouvelle politique, de renouveler son contrat et de lui donner une formation au maniement d'armes à feu, en faisant valoir qu'elle avait fait l'objet d'une discrimination illégale, interdite par le Sex Discrimination Order.

8. Au cours de la procédure devant l'industrial tribunal, le Chief Constable a présenté un certificat du secretary of state par lequel ce ministre du Gouvernement du Royaume-Uni attestait, conformément à l'article 53 du Sex Discrimination Order, précité, que " l'acte par lequel la Royal Ulster Constabulary a refus " d'offrir à Mme Marguerite I. Johnston un nouvel emploi à plein-temps au sein de la Royal Ulster Constabulary reserve est intervenu aux fins : a) de sauvegarder la sûreté de l'état ; et b) de protéger la sécurité et l'ordre publics ".

9. Mme Johnston, quant à elle, s'est référée à la directive 76-207. Celle-ci vise en effet, selon son article 1er, la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail. Ce principe implique, selon l'article 2, paragraphe 1, l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, sous réserve toutefois des dérogations admises par les paragraphes 2 et 3. Aux fins de l'application de ce principe dans les différents domaines, les articles 3 à 5 imposent aux Etats membres notamment la suppression des dispositions législatives, réglementaires et administratives qui y sont contraires et la révision de celles des dispositions législatives, réglementaires et administratives pour lesquelles le souci de protection qui les avait inspirées à l'origine n'est plus fondé. Selon l'article 6, toute personne qui s'estime lésée par une discrimination doit pouvoir faire valoir ses droits par voie juridictionnelle.

10. Afin d'être mis en mesure de statuer sur ce litige, l'industrial tribunal a pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) la directive 76-207 du Conseil, considérée tant en elle-même qu'à la lumière des circonstances de la présente affaire, doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle permet à un Etat membre d'exclure de son champ d'application des actes de discrimination fondés sur le sexe quant à l'accès à l'emploi, opérés dans le but de sauvegarder la sûreté de l'état ou de protéger l'ordre public ou la sécurité publique ?

2) cette directive, considérée tant en elle-même qu'à la lumière des circonstances de la présente affaire, permet-elle de ranger un emploi à plein-temps comme membre armé de la police auxiliaire ou la formation au maniement et à l'usage d'armes à feu en vue d'un tel emploi parmi les activités professionnelles et, le cas échéant, les formations y conduisant, pour lesquelles, en raison de leur nature ou des conditions de leur exercice, le sexe constitue une condition déterminante, au sens de l'article 2, paragraphe 2 ?

3) quels sont les principes et critères que les Etats membres doivent appliquer pour décider si le sexe " constitue une condition déterminante " au sens de l'article 2, paragraphe 2, en ce qui concerne, d'une part, les " activités professionnelles " d'un membre armé de la police auxiliaire et, d'autre part, " les formations y conduisant ", soit en raison de leur nature, soit en raison des conditions de leur exercice ?

4) la politique appliquée par un chef de la police, responsable de par la loi de la direction et du contrôle de la police, selon laquelle les femmes membres de la police ne doivent pas porter d'armes à feu, peut-elle - compte tenu des circonstances de la présente affaire - constituer une " disposition relative à la protection de la femme " au sens de l'article 2, paragraphe 3, ou une " disposition administrative " inspirée par un " souci de protection " au sens de l'article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive ?

5) en cas de réponse affirmative à la question 4, quels sont les principes et critères que les Etats membres doivent appliquer pour décider si le " souci de protection " est " fonde " au sens de l'article 3, paragraphe 2, sous c) ?

6) la demanderesse peut-elle, dans les circonstances de l'espèce, se prévaloir du principe de l'égalité de traitement contenu dans les dispositions en cause de la directive, devant les juridictions nationales des Etats membres ?

7) en cas de réponse affirmative à la question 6

a) l'article 224 du traité CEE considère en lui-même doit-il être interprété en ce sens qu'il autorise les Etats membres, lorsqu'ils sont confrontés à des troubles intérieurs graves affectant l'ordre public, à s'affranchir des obligations qui, en temps normal, leur incomberaient (ou incomberaient à des employeurs situés dans leur champ de compétence) en vertu de la directive ?

b) dans ce cas, un individu peut-il, pour empêcher un Etat membre de se prévaloir de l'article 224 du traité CEE, invoquer le fait que cet Etat membre n'a pas entrepris de consultations avec d'autres Etats membres ?"

11. Afin de pouvoir donner à ces questions des réponses utiles pour la solution du litige au principal, il y a lieu de préciser la situation sur laquelle l'industrial tribunal est appelé à statuer. Ainsi qu'il ressort de la décision de renvoi, le Chief Constable a reconnu devant l'industrial tribunal que, parmi les dispositions du Sex Discrimination Order, seul l'article 53 était susceptible de justifier sa position. Mme Johnston a admis, de son coté, que le certificat délivré par le secretary of state la priverait de tout recours si l'on appliquait le droit national isolement et elle s'est basée sur les dispositions de la directive pour écarter les effets de l'article 53 du Sex Discrimination Order.

12. Il apparaît donc que les questions posées par l'industrial tribunal visent d'abord à savoir s'il est compatible avec le droit communautaire et avec la directive 76-207 qu'une juridiction nationale soit empêchée par une règle comme celle prévue à l'article 53, paragraphe 2, du Sex Discrimination Order d'exercer pleinement son contrôle juridictionnel (partie de la sixième question). Ensuite, les questions posées par l'industrial tribunal sont destinées à mettre celui-ci en mesure d'apprécier si et sous quelles conditions les dispositions de la directive permettent, dans une situation comme celle de l'espèce, de traiter différemment les hommes et les femmes dans les emplois de la police pour des raisons de protection de la sécurité publique, telles qu'elles figurent à l'article 53, paragraphe 1, du Sex Discrimination Order (première à cinquième questions). Les questions posées doivent permettre en outre à la juridiction de renvoi de savoir si les dispositions de la directive peuvent, le cas échéant, être invoquées à l'encontre d'une règle contraire du droit national (autre partie de la sixième question). Selon les réponses à donner à ces questions, il pourrait enfin se poser la question de savoir si l'article 224 du traité CEE peut être invoqué par un Etat membre pour écarter les obligations que la directive lui impose dans un cas comme celui de l'espèce (septième question).

Sur le droit a un recours juridictionnel effectif

13. Il convient donc d'examiner d'abord la partie de la sixième question qui vise à savoir si le droit communautaire, et plus particulièrement la directive 76-207, oblige les Etats membres à assurer le contrôle effectif, par leurs juridictions nationales, du respect des dispositions de la directive et de la législation nationale destinée à la mettre en œuvre.

14. Selon Mme Johnston, une disposition comme l'article 53, paragraphe 2, du Sex Discrimination Order est contraire à l'article 6 de la directive en ce qu'elle s'oppose à l'exercice de tout contrôle juridictionnel par la juridiction nationale compétente.

15. Le Gouvernement du Royaume-Uni observe que l'article 6 de la directive n'oblige pas les Etats membres à soumettre à un contrôle juridictionnel toute question pouvant se poser dans l'application de la directive, même dans le domaine de la sécurité nationale et de la sécurité publique. Des règles de preuve comme celle de l'article 53, paragraphe 2, du Sex Discrimination Order seraient fréquentes dans le droit procédural national. Elles trouveraient leur justification dans le fait que les questions de sécurité nationale et de sécurité publique ne pourraient être utilement appréciées que par l'autorité politique compétente, à savoir le ministre qui délivre le certificat en cause.

16. La Commission estime que reconnaître un effet comme celui prévu à l'article 53, paragraphe 2, du Sex Discrimination Order au certificat d'un ministre reviendrait à denier tout contrôle juridictionnel et serait donc contraire à un principe fondamental du droit communautaire et à l'article 6 de la directive.

17. A cet égard, il convient de rappeler d'abord que l'article 6 de la directive impose aux Etats membres l'obligation d'introduire dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s'estime lésée par une discrimination de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle. Il découle de cette disposition que les Etats membres sont tenus de prendre des mesures qui soient suffisamment efficaces pour atteindre l'objet de la directive et de faire en sorte que les droits ainsi confères puissent être effectivement invoqués devant les tribunaux nationaux par les personnes concernées.

18. Le contrôle juridictionnel imposé par cet article est l'expression d'un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres. Ce principe a également été consacré par les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950. Comme il a été reconnu par la déclaration commune de l'assemblée, du Conseil et de la Commission, en date du 5 avril 1977 (JO C 103, p. 1), et par la jurisprudence de la Cour, il convient de tenir compte des principes dont s'inspire cette convention dans le cadre du droit communautaire.

19. En vertu de l'article 6 de la directive, interprète à la lumière du principe général indique, toute personne a droit à un recours effectif devant une juridiction compétente contre les actes dont elle estime qu'ils portent atteinte à l'égalité de traitement entre hommes et femmes prévu par la directive 76-207. Il appartient aux Etats membres d'assurer un contrôle juridictionnel effectif sur le respect des dispositions applicables du droit communautaire et de la législation nationale destinée à mettre en œuvre les droits prévus par la directive.

20. Une disposition qui, comme l'article 53, paragraphe 2, du Sex Discrimination Order, confère à la présentation d'un certificat tel que celui litigieux en l'espèce un effet de preuve irréfragable que les conditions d'une dérogation au principe d'égalité de traitement sont remplies permet à l'autorité compétente de priver le particulier de la possibilité de faire valoir, par voie juridictionnelle, les droits reconnus par la directive. Une telle disposition est donc contraire au principe d'un contrôle juridictionnel effectif consacre par l'article 6 de la directive.

21. Il y a des lors lieu de répondre à cette partie de la sixième question posée par l'industrial tribunal que le principe d'un contrôle juridictionnel effectif consacré par l'article 6 de la directive 76-207 du Conseil, du 9 février 1976, s'oppose à ce qu'un effet de preuve irréfragable, excluant tout pouvoir de contrôle du juge, soit reconnu à un certificat d'une autorité nationale affirmant qu'il est satisfait aux conditions requises pour déroger au principe d'égalité de traitement des hommes et des femmes aux fins de la protection de la sécurité publique.

Sur l'applicabilité de la directive 76-207 a des mesures prises pour protéger la sécurité publique

22. Il convient d'examiner ensuite la première question par laquelle l'industrial tribunal veut savoir si, eu égard à l'absence, dans la directive 76-207, d'une disposition expresse concernant des mesures prises dans le but de sauvegarder la sûreté de l'état ou de protéger l'ordre public, et plus particulièrement la sécurité publique, la directive est applicable à de telles mesures.

23. Selon Mme Johnston, il n'existe, à de telles fins, aucune dérogation générale au principe fondamental de l'égalité, sans rapport avec des activités professionnelles particulières et leurs nature et conditions d'exercice. Une telle dérogation au seul motif qu'une discrimination poursuit des buts comme la protection de la sécurité publique donnerait aux Etats membres la possibilité de se soustraire unilatéralement aux obligations que leur impose la directive.

24. Le Gouvernement du Royaume-Uni estime que les clauses de sauvegarde des articles 36, 48, 56, 66, 223 et 224 du traité CEE montrent que ni le traité ni, par conséquent, le droit dérive de celui-ci ne s'appliquent aux domaines visés par la question du juge national et ne restreignent le pouvoir des Etats membres de prendre les mesures qu'ils jugent utiles ou nécessaires à ces fins. Les mesures visées par la première question ne relèveraient donc pas du champ d'application de la directive.

25. La Commission propose d'interpréter la directive à la lumière de l'article 224 du traité CEE, de sorte que des considérations de sécurité publique pourraient, dans les conditions particulières prévues par cet article et sous réserve d'un contrôle juridictionnel, justifier des dérogations à l'égalité de traitement même lorsque les conditions strictes de l'article 2, paragraphes 2 et 3, de la directive ne sont pas remplies.

26. A cet égard, il y a lieu de constater que le traité ne prévoit des dérogations applicables en cas de situations susceptibles de mettre en cause la sécurité publique que dans ses articles 36, 48, 56, 223 et 224 qui concernent des hypothèses exceptionnelles bien délimitées. En raison de leur caractère limité, ces articles ne se prêtent pas à une interprétation extensive et ne permettent pas d'en déduire une réserve générale, inhérente au traité, pour toutes mesures prises au titre de la sécurité publique. Reconnaître une réserve générale à toute disposition du droit communautaire, en dehors des conditions spécifiques des dispositions du traité, risquerait de porter atteinte au caractère contraignant et à l'application uniforme du droit communautaire.

27. Il s'ensuit qu'il n'existe aucune réserve générale à la mise en œuvre du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes pour des mesures motivées par la protection de la sécurité publique, mis à part l'application éventuelle de l'article 224 du traité, qui concerne une situation tout à fait exceptionnelle et fait l'objet de la septième question. C'est donc d'abord dans le cadre de l'application des dispositions spécifiques de la directive que les faits qui ont donne lieu à l'invocation, par l'autorité compétente, des exigences de la protection de la sécurité publique doivent, le cas échéant, être pris en considération.

28. Il y a des lors lieu de répondre à la première question que des discriminations fondées sur le sexe, opérées pour des raisons tenant à protéger la sécurité publique, doivent être examinées à la lumière des dérogations au principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes prévues par la directive 76-207.

Sur les dérogations admises en raison des conditions d'exercice de l'activité professionnelle

29. Par les deuxième et troisième questions, l'industrial tribunal vise l'interprétation de la dérogation au principe d'égalité de traitement prévue par l'article 2, paragraphe 2, de la directive afin d'être mis en mesure d'apprécier si une différence de traitement comme celle litigieuse est couverte par cette dérogation. A cet effet, il demande à connaître les critères et principes selon lesquels il y a lieu de déterminer si une activité comme celle en question en l'espèce fait partie des activités pour lesquelles, " en raison de leur nature ou des conditions de leur exercice, le sexe constitue une condition déterminante ".

30. Mme Johnston estime qu'une réponse à cette question n'est pas possible dans des termes aussi généraux. Elle aurait toujours donne satisfaction dans l'exercice de ses fonctions dans la police. Les femmes seraient parfaitement aptes à être formées au maniement d'armes à feu. Il appartiendrait à l'industrial tribunal d'apprécier, au regard des taches concrètes qu'elle serait appelée à remplir, si une dérogation en vertu de l'article 2, paragraphe 2, de la directive est possible. Cette disposition ne permettrait pas de l'exclure globalement de tout emploi dans la RUC full-time reserve.

31. Selon le Gouvernement du Royaume-Uni, les Etats membres ont un pouvoir discrétionnaire pour apprécier si, en raison d'exigences de la sûreté nationale et de la sécurité publique ou de l'ordre public, les conditions d'exercice d'une activité professionnelle dans la police s'opposent à ce que cette activité soit exercée par une femme équipée d'armes à feu. Les Etats membres pourraient prendre en considération à cet égard des critères comme la différence de force physique, la réaction probable du public à l'apparition de femmes policiers armées et le risque d'attentats contre celles-ci. La décision prise par le Chief Constable étant prise en appliquant de tels critères, elle serait couverte par l'article 2, paragraphe 2, de la directive.

32. La Commission estime qu'en raison de ses conditions d'exercice, mais non en raison de sa nature, l'activité de policier armé pourrait être considérée comme une activité pour laquelle le sexe est une condition déterminante. Une dérogation devrait cependant être justifiée par rapport à des taches spécifiques, et non par rapport à un emploi considéré globalement. Il faudrait notamment respecter le principe de proportionnalité. Il appartiendrait à la juridiction nationale d'apprécier la discrimination litigieuse sous cet aspect.

33. A cet égard, il convient tout d'abord de constater que, dans la mesure ou, en raison des exigences de la protection de la sécurité publique, les autorités compétentes en matière de police en Irlande du Nord ont décidé de ne plus se conformer à la règle, généralement appliquée dans d'autres parties du Royaume-Uni, d'une police non armée dans l'exercice normal de ses fonctions, cette décision ne comporte en soi aucune distinction entre hommes et femmes et ne relève donc pas du champ d'application du principe d'égalité de traitement. Ce n'est que pour autant que le Chief Constable a décidé que des femmes ne seraient ni équipées d'armes à feu ni formées à leur usage, que les taches générales de police seraient désormais réservées aux hommes armés et que les contrats des femmes dans la RUC full-time reserve qui avaient, comme Mme Johnston, auparavant été chargées de taches générales de la police ne seraient pas renouvelés, qu'une appréciation de ces mesures à la lumière des dispositions de la directive entre en ligne de compte.

34. Etant donne que le Sex Discrimination Order s'applique, comme il ressort de la décision de renvoi, selon une disposition expresse aux emplois dans la police et qu'a cet égard aucune distinction n'est faite entre les hommes et les femmes dans les dispositions spécifiques applicables, la nature de l'activité professionnelle dans la police n'entre pas en considération pour justifier la discrimination litigieuse. Il y a lieu d'examiner, en revanche, si, en raison des conditions spécifiques d'exercice de l'activité décrite dans la décision de renvoi, le sexe constitue pour celle-ci une condition déterminante.

35. Ainsi qu'il ressort de la décision de renvoi, la politique à l'égard des femmes dans la RUC full-time reserve a été adoptée par le Chief Constable parce qu'il estimait que, si les femmes étaient équipées d'armes à feu, elles risqueraient de devenir plus fréquemment des cibles d'attentats et leurs armes pourraient tomber dans les mains de leurs assaillants, que le public percevrait mal le port d'armes par des femmes, lequel serait trop en contradiction avec l'idéal d'une police non armée, et que des femmes armées seraient moins efficaces dans les activités de police du domaine social en contact avec les familles et les enfants pour lesquelles leurs services seraient particulièrement apprécies. Le Chief Constable a ainsi motivé sa politique par rapport aux conditions particulières dans lesquelles l'activité de police doit se dérouler dans la situation existant en Irlande du Nord, compte tenu des exigences de la protection de la sécurité publique dans une situation de troubles intérieurs graves.

36. S'agissant de savoir si une telle motivation est susceptible d'être couverte par l'article 2, paragraphe 2, de la directive, il convient d'observer d'abord que, en tant que dérogation à un droit individuel consacré par la directive, cette disposition est d'interprétation stricte. Il y a lieu, toutefois, d'admettre que les conditions de l'exercice de l'activité professionnelle des membres d'une police armée sont déterminées par l'environnement dans lequel ces activités sont exercées. A cet égard, on ne saurait exclure la possibilité que, dans une situation de troubles intérieurs graves, le port d'armes à feu par des femmes policières puisse créer des risques supplémentaires d'attentats sur elles et puisse des lors être contraire aux exigences de la sécurité publique.

37. Dans de telles circonstances, les conditions d'exercice de certaines activités de police peuvent être telles que le sexe constitue une condition déterminante pour leur exercice. Un Etat membre peut alors réserver à des hommes ces taches ainsi que la formation professionnelle y conduisant. Dans un tel cas, les Etats membres sont obligés, comme il résulte de l'article 9, paragraphe 2, de la directive, d'examiner périodiquement les activités en cause en vue d'apprécier si, compte tenu de l'évolution sociale, la dérogation au régime général de la directive peut encore être maintenue.

38. Il convient de rappeler en outre que, en déterminant la portée de toute dérogation à un droit individuel, tel que l'égalité de traitement entre hommes et femmes, consacrée par la directive, il faut respecter le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit qui sont à la base de l'ordre juridique communautaire. Ce principe exige que les dérogations ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherche et il exige de concilier, dans toute la mesure du possible, le principe d'égalité de traitement avec les exigences de la sécurité publique qui sont déterminantes pour les conditions d'exercice de l'activité en question.

39. Dans le cadre de la répartition des compétences prévue par l'article 177 du traité CEE, il incombe à la juridiction nationale de dire si les motifs sur lesquels le Chief Constable s'est base sont effectivement fondes et justifient la mesure concrète prise dans le cas de Mme Johnston. Il lui appartient également de veiller au respect du principe de proportionnalité et de vérifier si le refus de renouveler le contrat de Mme Johnston ne pourrait pas être évité par l'attribution, à des femmes, des taches qui peuvent, sans risques pour les buts poursuivis, être effectuées sans armes.

40. Il y a donc lieu de répondre aux deuxième et troisième questions posées par l'industrial tribunal que l'article 2, paragraphe 2, de la directive 76-207 est a interpréter en ce sens que, en appréciant si, en raison des conditions d'exercice de l'activité de policier, le sexe constitue pour cette activité professionnelle une condition déterminante, un Etat membre peut prendre en considération des exigences de la protection de la sécurité publique pour réserver, dans une situation interne caractérisée par des attentats fréquents, les taches générales de la police à des hommes équipés d'armes à feu.

Sur les dérogations admises dans un souci de la protection de la femme

41. L'industrial tribunal demande ensuite, par ses quatrième et cinquième questions, que la Cour interprète les notions de " protection de la femme " au sens de l'article 2, paragraphe 3, de la directive ainsi que de " souci de protection " au sens de l'article 3, paragraphe 2, sous c), inspirant certaines dispositions nationales, afin d'être mis en mesure d'apprécier si la différence de traitement litigieuse peut rentrer dans le champ d'application des dérogations au principe d'égalité de traitement prévues à ces fins.

42. Selon Mme Johnston, ces dispositions sont d'interprétation stricte et ne visent qu'à assurer aux femmes un traitement spécial pour protéger leur santé et leur sécurité en cas de grossesse ou de maternité. Tel ne serait pas le cas de l'exclusion totale des femmes du service armé dans la police.

43. Le Gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que la politique à l'égard des femmes dans la RUC full-time reserve a pour but de protéger les femmes en évitant qu'elles ne deviennent cibles d'attentats. La notion de protection de la femme serait susceptible de couvrir un tel but en période de troubles graves. La Commission est également d'avis qu'une situation exceptionnelle comme celle existant en Irlande du Nord et les dangers qui en résultent pour les policiers de sexe féminin équipées d'armes à feu sont susceptibles d'être pris en considération sous l'aspect de la protection de la femme.

44. A cet égard, il y a lieu d'observer que, tout comme l'article 2, paragraphe 2, de la directive, son paragraphe 3, qui détermine également la portée de l'article 3, paragraphe 2, sous c), est d'interprétation stricte. Il résulte de la mention expresse de la grossesse et de la maternité que la directive entend assurer, d'une part, la protection de la condition biologique de la femme et, d'autre part, les rapports particuliers entre la femme et son enfant. Cette disposition de la directive ne permet donc pas d'exclure les femmes d'un emploi au motif que l'opinion publique exigerait qu'elles soient davantage protégées que les hommes contre des risques qui concernent les hommes et les femmes de la même manière et qui sont distincts des besoins de protection spécifiques de la femme tels que les besoins expressément mentionnés.

45. Il n'apparaît pas que les risques et dangers auxquels sont exposées les femmes dans l'exercice de leurs fonctions dans la police, dans une situation comme celle de l'Irlande du Nord, soient différents de ceux auxquels est également exposé tout homme dans l'exercice de ces mêmes fonctions. Une exclusion globale des femmes d'une telle activité professionnelle en raison d'un risque général et non spécifique aux femmes pour des raisons de protection de la sécurité publique ne rentre pas dans le cadre des différences de traitement que l'article 2, paragraphe 3, de la directive admet dans un souci de protection de la femme.

46. Il y a des lors lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions de l'industrial tribunal que les différences de traitement entre hommes et femmes que l'article 2, paragraphe 3, de la directive 76-207 admet dans un souci de protection de la femme ne comprennent pas des risques et dangers, comme ceux auxquels est exposé tout policier armé dans l'exercice de ses fonctions dans une situation donnée, qui ne concernent pas les femmes d'une manière spécifique en tant que telles.

Sur l'effet de la directive 76-207

47. L'industrial tribunal veut savoir encore, par sa sixième question, si un particulier peut se prévaloir, dans le cadre d'un litige porté devant une juridiction nationale, des dispositions de la directive. Compte tenu de ce qui précède, cette question se pose plus particulièrement au regard des articles 2 et 6 de la directive.

48. Mme Johnston estime que l'article 2, paragraphe 1, de la directive est inconditionnel et suffisamment clair et précis pour produire un effet direct. Il pourrait être invoqué contre le Chief Constable en tant qu'autorité publique. En tout état de cause, la directive produirait un effet direct horizontal même à l'égard des particuliers.

49. Selon le Gouvernement du Royaume-Uni, l'article 2, paragraphe 1, de la directive est une disposition conditionnelle en ce qu'elle est soumise à des dérogations que les Etats membres peuvent apprécier d'une manière discrétionnaire. Le Chief Constable serait constitutionnellement indépendant de l'état et ne serait concerné, en l'espèce, qu'en tant qu'employeur ; la directive n'aurait pas d'effet direct dans de telles relations.

50. La Commission estime que l'affaire peut être décidée dans le cadre du droit national et qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'effet direct des articles 2 et 3 de la directive.

51. A cet égard, il y a lieu d'observer d'abord que, dans tous les cas ou une directive est correctement mise en œuvre, ses effets atteignent les particuliers par l'intermédiaire des mesures d'application prises par l'Etat membre concerné. La question de savoir si l'article 2, paragraphe 1, peut être invoqué devant une juridiction nationale est donc sans objet des lors qu'il est constant que le droit national a mis en œuvre cette disposition.

52. La dérogation au principe d'égalité de traitement que, comme il a été exposé ci-dessus, l'article 2, paragraphe 2, permet constitue une simple faculté pour les Etats membres. Il appartient à la juridiction nationale compétente de constater s'il a été fait usage de cette faculté par des dispositions de la législation nationale et d'en apprécier le contenu. La question de savoir si un particulier peut se fonder sur une disposition de la directive en vue de faire écarter une dérogation prévue par la législation nationale se poserait seulement si cette dérogation allait au-delà des limites des exceptions permises par l'article 2, paragraphe 2, de la directive.

53. Dans ce contexte, il convient d'abord d'observer, comme la Cour l'a déjà dit dans les arrêts du 10 avril 1984 (Von Colson et Kamann, 14-83, Rec. p. 1891 ; Harz, 79-83, Rec. p. 1921), que l'obligation des Etats membres, découlant d'une directive, d'atteindre le résultat prévu par celle-ci, ainsi que leur devoir en vertu de l'article 5 du traité de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation, s'imposent à toutes les autorités des Etats membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. Il s'ensuit qu'en appliquant le droit national, et notamment les dispositions d'une loi nationale spécialement introduite en vue d'exécuter la directive 76-207, la juridiction nationale est tenue d'interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par l'article 189, paragraphe 3, du traité CEE. Il appartient donc à l'industrial tribunal d'interpréter les dispositions du Sex Discrimination Order, et notamment son article 53, paragraphe 1, à la lumière des dispositions de la directive, ainsi qu'elles ont été ci-dessus interprétées, afin de donner à celle-ci sa pleine efficacité.

54. Pour le cas ou, compte tenu de ce qui précède, la question de savoir si un particulier peut se prévaloir de la directive à l'encontre d'une dérogation prévue par la législation nationale se poserait néanmoins, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour (voir notamment arrêt du 19 janvier 1982, Becker, 8-81, Rec. p. 53). Plus particulièrement, la Cour a récemment jugé, dans son arrêt du 26 février 1986 (Marshall, 152-84, Rec. 1986, p. 723), que certaines dispositions de la directive 76-207 sont, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises et que les particuliers sont fondés à les invoquer à l'encontre d'un Etat membre lorsque celui-ci en fait une transposition incorrecte.

55. Cette constatation a été faite, dans l'arrêt du 26 février 1986, précité, en ce qui concerne l'application du principe d'égalité de traitement, prévu par l'article 2, paragraphe 1, de la directive, au domaine des conditions de licenciement visé par l'article 5, paragraphe 1. Il en est de même pour l'application du principe de l'article 2, paragraphe 1, aux domaines des conditions d'accès aux emplois et de l'accès à la formation et au perfectionnement professionnels, visés par les articles 3, paragraphe 1, et 4, et dont il s'agit en l'espèce.

56. Toujours par l'arrêt précité du 26 février 1986, la Cour a jugé que les particuliers peuvent se prévaloir de la directive à l'encontre d'une institution de l'état sans qu'il y ait de distinction selon que celle-ci agit en tant qu'employeur ou en tant qu'autorité publique. Au regard d'une autorité comme le Chief Constable, il convient d'observer qu'il ressort de la décision de renvoi que celui-ci est un fonctionnaire responsable de la direction des services de police. Une telle autorité publique, chargée par l'état du maintien de l'ordre et de la sécurité publique, quels que soient par ailleurs ses rapports avec d'autres institutions de l'état, n'agit pas en tant que particulier. Elle ne peut pas tirer avantage de la méconnaissance du droit communautaire par l'état dont elle émane.

57. Il y a donc lieu de répondre à la sixième question que les particuliers peuvent invoquer à l'encontre d'une autorité de l'état chargée du maintien de l'ordre et de la sécurité publique, agissant en qualité d'employeur, l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes prévu par l'article 2, paragraphe 1, de la directive 76-207 aux domaines, vises par les articles 3, paragraphe 1, et 4, des conditions d'accès aux emplois et de l'accès à la formation et au perfectionnement professionnel afin d'écarter une dérogation à ce principe, prévue par la législation nationale, dans la mesure ou celle-ci dépasserait les limites des exceptions permises par l'article 2, paragraphe 2.

58. S'agissant de l'article 6 de la directive, qui est également applicable en l'espèce comme il a déjà été exposé ci-dessus, la Cour a déjà jugé, dans ses arrêts du 10 avril 1984, précités, que cet article ne comporte - en ce qui concerne les sanctions d'une éventuelle discrimination - aucune obligation inconditionnelle et suffisamment précise pouvant être invoquée par un particulier. Par contre, pour autant qu'il résulte de cet article, interprété à la lumière d'un principe général dont il est l'expression, que toute personne qui s'estime lésée par une discrimination entre hommes et femmes doit disposer d'un recours juridictionnel effectif, cette disposition est suffisamment précise et inconditionnelle pour être susceptible d'être invoquée à l'encontre d'un Etat membre qui n'en assurerait pas l'entière application dans son ordre juridique interne.

59. Il y a donc lieu de constater, en réponse à cette partie de la sixième question, que la disposition de l'article 6 selon laquelle toute personne qui s'estime lésée par une discrimination entre hommes et femmes doit disposer d'un recours juridictionnel effectif peut être invoquée par des particuliers à l'encontre d'un Etat membre qui n'en assurerait pas l'entière application dans son ordre juridique interne.

Sur l'article 224 du traité CEE

60. En ce qui concerne la septième question, sur l'interprétation de l'article 224, il résulte de ce qui précède que l'article 2, paragraphe 2, de la directive 76-207 permet à un Etat membre de prendre en considération les exigences de la protection de la sécurité publique, dans un cas comme celui de l'espèce. Pour ce qui est de l'exigence d'assurer un contrôle juridictionnel du respect des règles prévues par la directive, aucun élément du dossier et aucune des observations présentées devant la Cour ne permet de penser que la situation de troubles intérieurs graves en Irlande du Nord rende impossible le fonctionnement d'un contrôle juridictionnel ou que des mesures nécessaires pour protéger la sécurité publique soient privées de leur efficacité du fait d'un tel contrôle par les juridictions nationales. Dans ces conditions, la question de savoir si l'article 224 du traité CEE peut être invoqué par un Etat membre pour écarter les obligations que lui impose le droit communautaire, et notamment la directive, ne se pose pas en l'espèce.

61. La septième question est donc sans objet compte tenu des réponses aux autres questions.

Sur les dépens

62. Les frais exposés par les Gouvernements du Royaume-Uni et du Danemark ainsi que par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions a elle soumises par l'industrial tribunal of northern Ireland, par décision du 8 août 1984, dit pour droit :

1) le principe d'un contrôle juridictionnel effectif consacré par l'article 6 de la directive 76-207 du Conseil, du 9 février 1976, s'oppose a ce qu'un effet de preuve irréfragable, excluant tout pouvoir de contrôle du juge, soit reconnu à un certificat d'une autorité nationale affirmant qu'il est satisfait aux conditions requises pour déroger au principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes aux fins de la protection de la sécurité publique. La disposition de l'article 6 selon laquelle toute personne qui s'estime lésée par une discrimination entre hommes et femmes doit disposer d'un recours juridictionnel effectif peut être invoquée par des particuliers à l'encontre d'un Etat membre qui n'en assurerait pas l'entière application dans son ordre juridique interne.

2) des discriminations fondées sur le sexe, opérées pour des raisons tenant à protéger la sécurité publique, doivent être examinées à la lumière des dérogations au principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes prévues par la directive 76-207.

3) l'article 2, paragraphe 2, de la directive 76-207 est a interpréter en ce sens que, en appréciant si, en raison des conditions d'exercice de l'activité de policier, le sexe constitue une condition déterminante pour cette activité professionnelle, un Etat membre peut prendre en considération des exigences de la protection de la sécurité publique pour réserver, dans une situation interne caractérisée par des attentats fréquents, les taches générales de la police à des hommes équipes d'armes à feu.

4) les différences de traitement entre hommes et femmes que l'article 2, paragraphe 3, de la directive 76-207 admet dans un souci de protection de la femme ne comprennent pas des risques et dangers, comme ceux auxquels est expose tout policier arme dans l'exercice de ses fonctions dans une situation donnée, qui ne concernent pas les femmes d'une manière spécifique en tant que telles.

5) les particuliers peuvent invoquer, à l'encontre d'une autorité de l'état chargée du maintien de l'ordre et de la sécurité publique, agissant en qualité d'employeur, l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes prévu par l'article 2, paragraphe 1, de la directive 76-207 aux domaines, visés par les articles 3, paragraphe 1, et 4, des conditions d'accès aux emplois et de l'accès à la formation et au perfectionnement professionnel afin d'écarter une dérogation à ce principe, prévue par la législation nationale, dans la mesure ou celle-ci dépasserait les limites des exceptions permises par l'article 2, paragraphe 2.