CJCE, 3e ch., 11 décembre 2003, n° C-122/03
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gulmann (faisant fonction)
Avocat général :
M. Geelhoed.
Juges :
M. Puissochet, Mme Macken
LA COUR (troisième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 19 mars 2003, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire déclarer que, en imposant, en application de l'article R. 5142-15 du Code de la santé publique, aux opérateurs économiques important ou distribuant sur le territoire français des médicaments bénéficiant déjà d'une autorisation de mise sur le marché française ou communautaire l'obligation de présenter à première demande des autorités de contrôle soit une copie certifiée, délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, de l'autorisation de mise sur le marché française ou de l'enregistrement du médicament, soit un document délivré par cette même agence attestant que le médicament importé a obtenu une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Communauté européenne, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2 L'article 28 CE dispose que les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres.
3 L'article 30 CE prévoit que les dispositions de l'article 28 CE ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation justifiées notamment par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.
4 La directive 65-65-CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux médicaments (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée par la directive 93-39-CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 214, p. 22), dispose, à son article 3, qu'aucun médicament ne peut être mis sur le marché d'un État membre sans qu'une autorisation de mise sur le marché (ci-après l'"AMM") ait été délivrée par l'autorité compétente de cet État membre, conformément à ladite directive, ou qu'une autorisation ait été délivrée conformément au règlement (CEE) n° 2309-93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l'évaluation des médicaments (JO L 214, p. 1).
5 La directive 92-27-CEE du Conseil, du 31 mars 1992, concernant l'étiquetage et la notice des médicaments à usage humain (JO L 113, p. 8), dispose, à son article 2, paragraphe 1, que l'emballage extérieur ou, à défaut d'emballage extérieur, le conditionnement primaire de tout médicament doit porter la mention, entre autres, du numéro de l'AMM.
La réglementation nationale
6 L'article R. 5142-15 du Code de la santé publique, tel que modifié par le décret no 99-144, du 4 mars 1999 (JORF du 5 mars 1999, p. 3294, ci-après la "disposition litigieuse"), est ainsi libellé:
"Doit être présenté à toute réquisition des agents des douanes lorsque le médicament est de statut communautaire au sens de l'article 4 du règlement (CEE) n° 2913-92 du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le Code des douanes communautaires, ou à l'appui de la déclaration en douane dans le cas contraire:
1. [...]
2. Soit une copie certifiée conforme délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de [l'AMM] ou de l'enregistrement du médicament;
3. Soit un document établi par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé attestant que le médicament importé a obtenu une [AMM] délivrée par la Communauté européenne."
La procédure précontentieuse
7 Estimant que la disposition litigieuse ainsi que sa mise en œuvre par les autorités françaises étaient susceptibles de constituer une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative, interdite par l'article 28 CE, la Commission a, le 3 juin 1999, notifié à la République française une lettre de mise en demeure, conformément à l'article 226 CE.
8 Par lettre du 13 septembre 1999, les autorités françaises ont répondu à cette lettre de mise en demeure en annonçant, notamment, leur intention d'adopter un décret supprimant la disposition litigieuse et de la remplacer par un contrôle de numéro d'AMM figurant sur le conditionnement des médicaments.
9 Le 31 mars 2000, lesdites autorités ont notifié à la Commission un projet de décret modifiant, notamment, la disposition litigieuse en prévoyant que, "[p]our les médicaments pourvus de [l'AMM] mentionnée à l'article L. 601 ou de l'enregistrement mentionné à l'article L. 601-3, les agents des douanes contrôlent le numéro [d'AMM] ou d'enregistrement correspondant qui figure sur le conditionnement. Ce contrôle s'effectue soit lors de contrôles inopinés lorsque le médicament est de statut communautaire, soit lors du dépôt de la déclaration en douane dans le cas contraire".
10 Dans une lettre du 10 juillet 2000 adressée aux autorités françaises, la Commission a considéré que la disposition litigieuse, telle que modifiée par le projet de décret, constituait une réponse adéquate aux griefs invoqués dans la lettre de mise en demeure et invitait les autorités françaises à l'adopter dans les meilleurs délais.
11 Dans une lettre du 4 décembre 2000, les autorités françaises ont indiqué qu'il ne leur semblait pas nécessaire d'adopter le nouvel article R. 5142-15 du Code de la santé publique indépendamment de l'adoption d'autres dispositions en préparation relatives à l'importation parallèle des médicaments.
12 Constatant que le manquement au droit communautaire persistait, la Commission a notifié, le 29 décembre 2000, un avis motivé à la République française, l'invitant à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la notification de celui-ci.
13 Par lettre du 18 mars 2001, les autorités françaises ont répondu que le projet de décret relatif aux importations de médicaments à usage humain était pratiquement achevé et serait examiné par le Conseil d'État dès que le Conseil de la concurrence aurait rendu son avis. Elles ont indiqué une nouvelle fois qu'il leur paraissait inutile et techniquement difficile d'adopter la nouvelle version de la disposition litigieuse indépendamment de l'adoption d'autres dispositions relatives à l'importation parallèle des médicaments.
14 Lors d'une réunion le 23 janvier 2002, les autorités françaises ont informé la Commission que le projet de décret relatif aux importations de médicaments à usage humain avait été transmis pour signature aux ministres concernés le 10 août 2001, mais qu'il n'était toujours pas signé.
15 Dans ces circonstances, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le fond
16 La Commission fait valoir que la disposition litigieuse est susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire et qu'elle constitue dès lors une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative, interdite par l'article 28 CE.
17 À cet égard, la Commission relève, tout d'abord, que, en ce qui concerne la période précédant l'importation, l'exigence de présentation de documents posée par la disposition litigieuse implique que des démarches administratives soient engagées auprès des autorités françaises compétentes, compliquant en conséquence l'importation de médicaments en France.
18 En ce qui concerne, ensuite, l'opération d'importation proprement dite, la Commission soutient, en premier lieu, que l'obligation de présenter "à toute réquisition des agents des douanes" soit une copie certifiée de l'AMM ou de l'enregistrement du médicament, soit un document attestant que le médicament importé a obtenu une AMM délivrée par la Communauté européenne engendre, pour les importateurs et distributeurs, une obligation concrète de détenir les documents exigés de manière permanente. En second lieu, la multiplicité et le volume des documents exigés par la disposition litigieuse pourraient les rendre difficiles à transporter à tous les stades de l'importation et de la distribution.
19 La Commission expose, enfin, que les autorités françaises n'ont avancé aucune justification concernant la disposition litigieuse. Or, à supposer même que la disposition litigieuse ait pu être inspirée par l'objectif de protection de la santé et de la vie des personnes, celle-ci ne remplirait pas les conditions énoncées à l'article 30 CE. En effet, dans l'hypothèse où l'objectif de la disposition litigieuse serait de permettre aux autorités compétentes de vérifier que les produits importés bénéficient effectivement d'une AMM française ou communautaire, il apparaîtrait qu'un tel objectif pourrait être atteint de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires, par exemple par un contrôle du numéro présent sur le conditionnement extérieur du médicament tel que prévu par le projet de décret modifiant la disposition litigieuse.
20 Le Gouvernement français répond que le projet de décret modifiant la disposition litigieuse n'a finalement pas été adopté. Il expose que, à l'occasion du changement du gouvernement, ce projet a fait l'objet d'une nouvelle concertation avec les professionnels. À la suite de cette concertation, un nouveau projet de décret a été élaboré. Ce dernier, s'il comporte quelques différences par rapport au projet précédent, n'amenderait cependant pas le sens de la disposition modifiant la disposition litigieuse.
21 Le nouveau projet de décret devrait, avant d'être signé et publié, être à nouveau examiné par le Conseil d'État qui sera saisi au cours du mois de juin 2003. Le Gouvernement français assure qu'il déploie ses efforts pour favoriser l'adoption la plus rapide de ce décret.
22 Le Gouvernement français ne conteste pas le manquement reproché et il y a lieu de considérer le recours introduit par la Commission comme fondé.
Sur les dépens
23 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre),
Déclare et arrête:
1) En imposant, en application de l'article R. 5142-15 du Code de la santé publique, aux opérateurs économiques important ou distribuant sur le territoire français des médicaments bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché française ou communautaire l'obligation de présenter à première demande des autorités de contrôle soit une copie certifiée, délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, de l'autorisation de mise sur le marché française ou de l'enregistrement du médicament, soit un document délivré par cette même agence attestant que le médicament importé a obtenu une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Communauté européenne, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.
2) La République française est condamnée aux dépens.