CJCE, 4e ch., 16 octobre 2003, n° C-455/01
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Alber.
Juges :
MM. Edward, von Bahr
LA COUR (quatrième chambre),
1. Par requête déposée au greffe le 27 novembre 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en maintenant en vigueur une législation qui subordonne la commercialisation de produits non encore totalement harmonisés, destinés à être utilisés sur des navires de commerce battant pavillon italien, à la délivrance d'un certificat de conformité par un institut national - limitant éventuellement au seul titulaire d'un tel certificat le droit de commercialiser lesdits produits - et en ne reconnaissant pas la validité des essais effectués conformément aux normes internationales par des organismes agréés dans les autres États membres ou dans les États signataires de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l'"accord EEE"), même lorsque les données sont mises à la disposition de l'autorité compétente et qu'il ressort des certificats que les équipements garantissent un niveau de sécurité équivalent à celui auquel doivent répondre les produits italiens, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et 30 CE.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2. L'article 28 CE dispose:
"Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres."
3. L'article 30 CE prévoit:
"Les dispositions des articles 28 et 29 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de [...] protection de la santé et de la vie des personnes [...]. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres."
4. L'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 94-57-CE du Conseil, du 22 novembre 1994, établissant des règles et normes communes concernant les organismes habilités à effectuer l'inspection et la visite des navires et les activités pertinentes des administrations maritimes (JO L 319, p. 20), est libellé comme suit:
"1. Les États membres ne peuvent agréer que les organismes remplissant les critères fixés en annexe. Les organismes concernés communiquent aux États membres dont ils ont demandé l'agrément des informations complètes concernant ces critères, ainsi que tout élément de preuve permettant d'établir le respect de ces critères. Les États membres qui agréent un organisme l'informent de manière appropriée.
2. Chaque État membre communique à la Commission et aux autres États membres le nom des organismes qu'il agrée."
5. L'article 1er de la directive 96-98-CE du Conseil, du 20 décembre 1996, relative aux équipements marins (JO 1997, L 46, p. 25), telle que modifiée par la directive 98-85-CE de la Commission, du 11 novembre 1998 (JO L 315, p. 14, ci-après la "directive 96-98"), prévoit:
"La présente directive a pour objet, d'une part, de renforcer la sécurité maritime et la prévention de la pollution des milieux marins par l'application uniforme des instruments internationaux applicables, pour ce qui est des équipements énumérés à l'annexe A destinés à être mis à bord des navires pour lesquels des certificats de sécurité sont délivrés par les États membres ou en leur nom en vertu des conventions internationales et, d'autre part, d'assurer la libre circulation de ces équipements à l'intérieur de la Communauté."
6. La directive 96-98 prévoit à cet effet des dispositions harmonisant les législations nationales relatives aux documents et aux conditions nécessaires pour l'obtention de la certification des équipements destinés à être mis à bord de navires énumérés à son annexe A.1, à savoir les équipements pour lesquels des normes d'essai détaillées existent déjà dans les instruments internationaux visés à cette annexe.
7. Les équipements pour lesquels des normes d'essai détaillées n'existent pas encore dans lesdits instruments internationaux sont énumérés à l'annexe A.2 de la directive 96-98.
La réglementation nationale
8. Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, du décret du président de la République n° 347, du 18 avril 1994 (supplément ordinaire à la GURI n° 132, du 8 juin 1994, ci-après le "décret n° 347-94"):
"Sur les navires pour lesquels les dispositions des conventions internationales pour la sauvegarde de la vie humaine en mer [...] requièrent l'adoption d'appareils, de dispositifs et d'équipements [...] visés au tableau A annexé au livre I du présent règlement, ceux-ci doivent être du type approuvé par le ministère, sauf exemptions prévues par le règlement."
9. L'article 3 du décret n° 347-94 prévoit:
"1. La demande de déclaration d'approbation de type doit être déposée ou envoyée par courrier postal au ministère compétent.
2. La demande doit être accompagnée du rapport technique du Registre italien des navires que le demandeur est tenu de se procurer."
10. À la suite de développements législatifs postérieurs à l'adoption du décret n° 347-94, les dispositions susmentionnées de celui-ci ne s'appliquent plus qu'aux seuls équipements énumérés à l'annexe A.2 de la directive 96-98.
11. Il découle de ces dispositions que, pour la mise sur le marché et l'installation à bord des navires des équipements énumérés à ladite annexe A.2, il y a lieu de produire un certificat de conformité délivré par le Registre italien des navires (ci-après le "RINA") et une déclaration d'approbation de type délivrée par le ministère compétent. Le certificat de conformité ne peut être établi que si des essais et des analyses ont été effectués par les services du RINA.
La procédure précontentieuse
12. À la suite d'une plainte déposée en 1997 par un producteur danois d'équipements marins, la Commission a, le 11 juin 1998, adressé à la République italienne une lettre de mise en demeure, complétée par une lettre du 30 juillet 1999. Dans lesdites lettres, la Commission indiquait notamment que l'absence de reconnaissance, d'une part, des certificats de conformité d'équipements marins délivrés dans les autres États membres ou dans les États signataires de l'accord EEE et, d'autre part, des essais de conformité de ces équipements effectués dans ces mêmes États était incompatible avec les articles 28 CE et 30 CE ainsi qu'avec l'article 11 dudit accord.
13. Le 28 octobre 1999, les autorités italiennes ont répondu auxdites lettres en indiquant qu'il avait été remédié aux griefs soulevés par la Commission par l'adoption de la législation transposant en droit italien la directive 96-98.
14. Estimant que l'adoption de cette législation ne mettait pas fin au manquement concernant les équipements visés à l'annexe A.2 de la directive 96-98, la Commission a, par lettre du 17 février 2000, émis un avis motivé reprenant les griefs formulés dans sa mise en demeure, mais en limitant toutefois ceux-ci auxdits équipements.
15. Lors d'une réunion du 6 juin 2000, les autorités italiennes ont reconnu l'incompatibilité de la législation nationale avec la directive 96-98 et ont fait part à la Commission de leur intention de se conformer à l'avis motivé en modifiant cette législation. Elles indiquaient en outre que, dans l'attente de l'entrée en vigueur de ces modifications, des circulaires seraient adoptées afin de donner les instructions nécessaires au respect des obligations découlant de la directive 96-98.
16. Par lettre du 8 juin 2000, les autorités italiennes ont informé la Commission de l'adoption de la circulaire du 22 février 2000 reconnaissant, pour les équipements marins visés à l'annexe A.2 de ladite directive, les certificats d'approbation de type délivrés par les autorités des autres États membres. Pour ce qui concerne la reconnaissance des essais, elles précisaient que des modifications législatives étaient à l'étude.
17. Par lettre du 16 novembre 2000, adressée à la Commission, les autorités italiennes indiquaient que la procédure de modification du décret n° 347-94 était engagée. Par la même lettre, elles ont transmis à la Commission le texte de l'ordre de service n° 57-2000 du commandement du corps des capitaineries, du 4 août 2000, qui énonce que les organismes compétents tiennent compte des essais et des contrôles déjà effectués dans les autres États membres.
18. Par lettre du 29 mars 2001, la Commission a attiré l'attention des autorités italiennes sur le fait qu'il ne pouvait être mis fin à l'incompatibilité de la législation nationale avec le droit communautaire que par l'adoption d'une norme ayant un rang au moins égal à celui du décret n° 347-94 et que, dès lors, un ordre de service n'était pas de nature à remédier à une telle incompatibilité.
19. Par lettre du 2 mai 2001, les autorités italiennes ont informé la Commission que la procédure législative était en cours et elles ont annexé à cette lettre les modifications qu'elles se proposaient d'apporter au décret n° 347-94.
20. Constatant que plus d'une année s'était écoulée depuis l'annonce par les autorités italiennes, lors de la réunion du 6 juin 2000, de leur intention de modifier la législation concernée, la Commission a introduit le présent recours.
Sur le recours
21. Il découle des articles 2, paragraphe 1, et 3 du décret n° 347-94 que tout équipement marin destiné à être utilisé sur des navires de commerce battant pavillon italien, en provenance d'un État membre autre que la République italienne et figurant à l'annexe A.2 de la directive 96-98, doit faire l'objet, afin de pouvoir être commercialisé en Italie, tant d'une déclaration d'approbation de type délivrée par un organisme relevant des autorités italiennes, à savoir le RINA, que d'essais et d'analyses ne pouvant être effectués que par les services de ce dernier.
22. Ainsi lesdites dispositions nationales sont susceptibles d'entraver le commerce intracommunautaire et constituent dès lors une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative prohibée par l'article 28 CE (voir arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5, et du 9 février 1999, Van der Laan, C-383-97, Rec. p. I-731, point 18).
23. S'il est vrai que, en l'absence d'harmonisation, une entrave à la libre circulation des marchandises peut être justifiée au titre de l'article 30 CE, relatif notamment à la protection de la santé et de la vie des personnes, ou d'une raison impérieuse d'intérêt général, il y a lieu de constater que, en l'espèce, la République italienne n'a pas invoqué une telle justification. En effet, cette dernière, dans son mémoire en défense, se borne à faire valoir que la modification du décret n° 347-94 est en cours et à exposer les raisons du retard de celle-ci.
24. En tout état de cause, dès lors que ledit décret ne permet pas de prendre en considération les analyses ou essais déjà effectués lors d'une procédure d'approbation dans un autre État membre, la restriction au commerce intracommunautaire qu'engendre la nécessité d'obtenir une déclaration d'approbation délivrée par le RINA ne remplit pas la condition de proportionnalité et, partant, ne saurait être justifiée en droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 1998, Harpegnies, C-400-96, Rec. p. I-5121, points 34 et 35).
25. En ce qui concerne l'ordre de service n° 57-2000, celui-ci ne saurait mettre fin à l'incompatibilité constatée entre les articles 2, paragraphe 1, et 3 du décret n° 347-94 et l'article 28 CE. En effet, selon une jurisprudence constante, l'incompatibilité d'une législation nationale avec les dispositions communautaires, même directement applicables, ne peut être définitivement éliminée qu'au moyen de dispositions internes à caractère contraignant ayant la même valeur juridique que celles qui doivent être modifiées (voir, notamment, arrêt du 4 décembre 1997, Commission/Italie, C-207-96, Rec. p. I-6869, point 26).
26. Il en découle que lesdites dispositions nationales sont contraires à l'article 28 CE. Dès lors que, contrairement à l'objet de la procédure précontentieuse, celui du recours de la Commission ne porte pas distinctement sur l'article 11 de l'accord EEE, il y a lieu de limiter les constatations de la Cour audit article du traité CE.
27. Au vu des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en maintenant en vigueur une législation qui subordonne la commercialisation de produits non encore totalement harmonisés, destinés à être utilisés sur des navires de commerce battant pavillon italien, à la délivrance d'un certificat de conformité par un institut national - limitant éventuellement au seul titulaire d'un tel certificat le droit de commercialiser lesdits produits - et en ne reconnaissant pas la validité des essais effectués conformément aux normes internationales par des organismes agréés dans les autres États membres, même lorsque les données sont mises à la disposition de l'autorité compétente et qu'il ressort des certificats que les équipements garantissent un niveau de sécurité équivalent à celui auquel doivent répondre les produits italiens, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.
Sur les dépens
28. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (quatrième chambre),
Déclare et arrête:
1) En maintenant en vigueur une législation qui subordonne la commercialisation de produits non encore totalement harmonisés, destinés à être utilisés sur des navires de commerce battant pavillon italien, à la délivrance d'un certificat de conformité par un institut national - limitant éventuellement au seul titulaire d'un tel certificat le droit de commercialiser lesdits produits - et en ne reconnaissant pas la validité des essais effectués conformément aux normes internationales par des organismes agréés dans les autres États membres, même lorsque les données sont mises à la disposition de l'autorité compétente et qu'il ressort des certificats que les équipements garantissent un niveau de sécurité équivalent à celui auquel doivent répondre les produits italiens, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.
2) La République italienne est condamnée aux dépens.