Livv
Décisions

CJCE, 11 mars 1997, n° C-264/95 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Union internationale des chemins de fer

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Murray

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Kapteyn, Gulmann, Edward, Puissochet, Hirsch, Jann (rapporteur), Wathelet

Avocat :

Me Momège.

CJCE n° C-264/95 P

11 mars 1997

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 août 1995, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du 6 juin 1995, Union internationale des chemins de fer/Commission (T-14-93, Rec. p. II-1503, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel le Tribunal de première instance a annulé la décision 92-568-CEE de la Commission, du 25 novembre 1992, relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (IV/33.585 - Distribution des billets de transport ferroviaire par les agences de voyages, JO L 366, p. 47, ci-après la "décision litigieuse").

2 Il ressort de l'arrêt attaqué que l'Union internationale des chemins de fer (ci-après l'"UIC") est une association mondiale de sociétés ferroviaires qui fédère 69 réseaux. Dans le cadre de ses activités, elle a mis au point, en 1952, la fiche 130, qu'elle a réactualisée à de nombreuses reprises et qui règle certains aspects des relations entre les réseaux et les agences de voyages dans le cadre particulier des transports ferroviaires internationaux de voyageurs (point 3).

3 A cet égard, le Tribunal a constaté que "Les transports ferroviaires internationaux de voyageurs fonctionnent, pour l'essentiel, par addition de prestations nationales successives et s'effectuent donc dans le cadre d'une coopération entre les entreprises ferroviaires nationales ("réseaux"). Le prix d'un billet international correspond généralement à la totalisation des tarifs des parcours nationaux. Une compensation entre les réseaux permet à chaque réseau de recevoir la partie du prix qui correspond à sa prestation, chacun garantissant aux autres le calcul et le paiement des prestations dues" (point 1).

4 La fiche 130 porte sur les conditions d'agrément des agences par la société ferroviaire du pays où elles sont situées, sur l'octroi aux agences des commissions sur les billets vendus et sur les taux de commission consentis, pour les prestations du trafic international, aux autres réseaux et aux agences accréditées par un autre réseau (avec la possibilité, par accords bilatéraux ou multilatéraux, de prévoir des taux supérieurs) (points 4 à 8). La fiche 130 recommande également l'utilisation des dispositions d'un contrat type qui oblige, entre autres, l'agence à respecter le prix officiel du billet tel qu'il figure dans le tarif et à "ne pas favoriser, dans sa publicité, dans ses offres, ainsi que dans ses conseils à la clientèle, le trafic des modes de transport concurrents par rapport au trafic ferroviaire et aux autres modes de transport" exploités soit par les réseaux eux-mêmes, soit en collaboration avec eux (point 9).

5 En 1990, la Commission a adressé à l'UIC et à certains réseaux européens des demandes de renseignements concernant la fiche 130 et fondées sur le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204) (point 10). Le 10 octobre 1991, elle a adressé à l'UIC une communication des griefs et une audition a eu lieu, le 18 février 1992, toujours sur le même fondement (point 11). Après avoir recueilli l'avis du comité consultatif prévu par le règlement n° 17, la Commission a adopté, sur la base du même règlement, la décision litigieuse, condamnant l'UIC au titre de l'article 85, paragraphe 1, du traité et lui infligeant une amende d'un million d'écus (point 12).

Procédure devant le Tribunal

6 Le 8 février 1993, l'UIC a introduit, devant le Tribunal, un recours tendant, à titre principal, à l'annulation de la décision litigieuse, en invoquant six moyens, et, à titre subsidiaire, à l'annulation de l'amende ou à la réduction de son montant (points 15, 17 et 18).

7 Dans son premier moyen, l'UIC soutenait que la décision litigieuse aurait dû être fondée non pas sur le règlement n° 17, mais sur le règlement (CEE) n° 1017-68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1). Elle faisait notamment valoir que la fiche 130 portait sur "le contrôle de l'offre de transport" et sur "la fixation du prix de transport" au sens de l'article 1er du règlement n° 1017-68, qui définit son champ d'application (point 20).

8 L'article 1er du règlement n° 1017-68 prévoit:

"Disposition de principe

Dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable, les dispositions du présent règlement s'appliquent aux accords, décisions et pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet la fixation des prix et conditions de transport, la limitation ou le contrôle de l'offre de transport, la répartition des marchés de transport, l'application d'améliorations techniques ou la coopération technique, le financement ou l'acquisition en commun de matériel ou de fournitures de transport directement liés à la prestation de transport pour autant que cela soit nécessaire pour l'exploitation en commun d'un groupement d'entreprises de transport par route ou par voie navigable tel que défini à l'article 4, ainsi qu'aux positions dominantes sur le marché des transports. Ces dispositions s'appliquent également aux opérations des auxiliaires de transport qui ont le même objet ou les mêmes effets que ceux prévus ci-dessus."

9 Dans sa défense, la Commission a exposé qu'elle s'était fondée sur le règlement n° 17 parce que, d'une part, la fiche 130 ne concernait pas "directement" la prestation de transport et que, d'autre part, les agences de voyages n'étaient pas des auxiliaires de transport au sens de la seconde phrase de l'article 1er du règlement n° 1017-68, mais des prestataires de services indépendants (point 30). Or, le troisième considérant du règlement n° 141 du Conseil, du 26 novembre 1962, portant non-application du règlement n° 17 du Conseil au secteur des transports (JO 1962, 124, p. 2751), définirait le champ d'application du règlement n° 141 de telle manière que des prestations non directement liées au service de transport n'y entreraient pas. Dans le même esprit, l'expression "auxiliaires de transport" devrait avoir une portée limitée (point 31).

L'arrêt attaqué

10 Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a fait droit au recours de l'UIC et a annulé la décision litigieuse sur le fondement de ce premier moyen (point 57), les erreurs de droit commises étant constitutives d'une violation des formes substantielles et ayant eu pour effet de priver la requérante des garanties procédurales auxquelles elle pouvait légitimement prétendre dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions du règlement n° 1017-68 (points 64 et 65).

11 Aux points 43 à 46 de son arrêt, le Tribunal a considéré:

"43 En ce qui concerne, deuxièmement, la question de savoir si la fiche 130 échappe au champ d'application du règlement n° 1017-68 parce que cette fiche ne concerne pas "directement' la prestation de transport, le Tribunal relève que la question dont il est saisi, en l'espèce, porte sur l'interprétation de l'article 1er du règlement n° 1017-68 et non pas sur celle du règlement n° 141. Même si le troisième considérant du règlement n° 141 peut être un élément important dans le cadre législatif dans lequel il s'insère, le mot "directement' ne figure ni à l'article 1er du règlement n° 1017-68 ni à l'article 1er du règlement n° 141, dont la durée de validité a, en tout état de cause, expiré le 30 juin 1968 en ce qui concerne le transport ferroviaire.

44 Par ailleurs, le fait que l'article 1er du règlement n° 1017-68 s'applique, d'une part, à certains accords, décisions ou pratiques concertées, conclus par un groupement d'entreprises de transport visant "le financement ou l'acquisition en commun de matériel ou de fournitures de transport directement liés à la prestation du transport' et, d'autre part, à certains accords, décisions ou pratiques concertées portant sur "les opérations des auxiliaires de transport" indique que cet article peut avoir une portée plus large que celle suggérée par la Commission.

45 En outre, le Tribunal relève que l'article 2, sous a), du règlement n° 1017-68 prévoit que les accords, décisions ou pratiques concertées visés par ce règlement sont, notamment, ceux qui fixent "de façon directe ou indirecte" non seulement "les prix et conditions de transport", mais également "d'autres conditions de transaction", et que l'article 2, sous b), se réfère aux accords, décisions ou pratiques concertées qui limitent ou contrôlent "l'offre de transport, les débouchés, le développement technique ou les investissements". Par conséquent, la notion d'accord ou de décision qui a pour objet ou pour effet de "limiter ou contrôler l'offre de transport", au sens de l'article 1er du règlement n° 1017-68, ne doit pas être interprétée comme visant les seuls accords ou décisions concernant le nombre ou la capacité des trains (voir point ci-dessus), mais doit englober un accord ou une décision qui limite ou contrôle l'offre de transport ou les débouchés, au sens de l'article 2 du règlement n° 1017-68.

46 Dans ces circonstances, le Tribunal considère que le règlement n° 1017-68 ne saurait être interprété comme excluant de son champ d'application une décision d'association d'entreprises ferroviaires régissant les modalités de vente des billets internationaux ferroviaires telle que la fiche 130. En effet, cette décision porte sur des activités qui sont connexes à la prestation de service de transport par chemin de fer et sont indispensables à cette prestation. Par ailleurs, dès lors que le transport international ferroviaire, dans son état actuel, est fourni par des prestations nationales successives (...), la vente des billets internationaux de chemin de fer n'est guère réalisable sans un système de coopération entre les réseaux ferroviaires pour assurer la vente de tels billets et la répartition des recettes qui en découlent. La fiche 130 se rapporte à ces aspects spéciaux de transport ferroviaire international."

12 Au point 47 de son arrêt, le Tribunal a jugé:

"47 En outre, le Tribunal considère que la fiche 130 porte tant sur "l'offre du transport" que sur "le prix du transport", au sens du règlement n° 1017-68."

13 Au point 48, relatif à l'offre de transport, le Tribunal a considéré que l'article 1er de la fiche 130, lequel concerne les conditions d'agrément des agences de voyages, porte directement sur la détermination des points de vente des billets internationaux et donc que, à supposer qu'il ait les effets mentionnés aux points 70 à 72 de la décision litigieuse, à savoir limiter le nombre d'agences agréées, il limiterait les débouchés des réseaux et, de ce fait, limiterait ou contrôlerait l'offre de transport au sens du règlement n° 1017-68.

14 Au point 49 concernant le prix du transport, le Tribunal a jugé que la commission visée par l'article 4 de la fiche 130, qui fixe son taux et s'applique tant aux billets vendus directement par les réseaux qu'aux billets vendus par les agences de voyages, constitue un coût direct de la vente d'un billet international et détermine le prix net, à savoir le prix du billet moins la commission, que chaque réseau reçoit pour sa part de la prestation de transport ferroviaire international concernée, et que donc, dans les circonstances de l'espèce, l'article 4 de la fiche 130 fixe indirectement "le prix du transport" au sens du règlement n° 1017-68.

15 Au point 50, également relatif au prix du transport, le Tribunal a par ailleurs estimé que l'obligation, imposée par l'article 4.7 du contrat type, d'établir et de vendre les titres de transport aux prix officiels indiqués dans les tarifs a pour objet et pour effet, de par son libellé même, de fixer le prix du transport au sens du règlement n° 1017-68.

16 Enfin, au point 52, le Tribunal a relevé qu'en ce qui concerne l'interdiction faite aux agences, par l'article 4.3 du contrat type, de favoriser, dans leur publicité, dans leurs offres ou dans leurs conseils aux clients, des modes de transport concurrents, la Commission a constaté, au point 95 des motifs de la décision litigieuse, qu'elle "a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence entre les différents modes de transport". Le Tribunal en conclut qu'il en découle que cette disposition relève du secteur des transports.

Le pourvoi

17 Dans son pourvoi, la Commission demande à la Cour d'annuler l'arrêt attaqué et de rejeter le recours introduit devant le Tribunal par l'UIC ou, à défaut, de renvoyer l'affaire devant le Tribunal.

18 L'UIC conclut, quant à elle, au rejet du pourvoi et demande à la Cour de faire droit à ses conclusions de première instance.

19 A l'appui de son pourvoi, la Commission invoque trois moyens.

Sur le premier moyen

20 Dans son premier moyen, la Commission déclare tout d'abord qu'il s'agit pour elle d'une question de principe, à savoir la délimitation des champs d'application respectifs des règlements n° 17 et n° 1017-68, voire, au-delà, des règlements d'application des articles 85 et 86 aux transports maritimes et aériens. Elle reproche au Tribunal d'avoir considéré, aux points 43 à 46 de l'arrêt attaqué, que le règlement n° 1017-68 ne s'applique pas seulement aux accords ou pratiques concertées portant directement sur la prestation de transport, mais qu'il couvre également les activités qui sont "connexes" et "indispensables" à la prestation de service de transport par chemin de fer, comme la détermination en commun des modalités de vente des billets de train.

21 Ce moyen comporte en réalité deux aspects.

22 D'une part, à titre liminaire, la Commission fait valoir que, au point 46 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a soumis l'application du règlement n° 1017-68 à un critère inadéquat en considérant que ce règlement s'appliquait aux activités connexes et indispensables à la prestation de transport, alors que, selon elle, le seul critère qui soit en même temps logique et d'application aisée est celui du marché sur lequel se situe l'entente.

23 D'autre part, à titre principal, la Commission estime que c'est à tort que le Tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu de sous-entendre le terme "directement" dans le libellé de l'article 1er du règlement n° 1017-68, lequel définit son champ d'application, et qu'il a ainsi refusé de prendre en considération le règlement n° 141. Or, selon la Commission, les décisions d'association d'entreprises en cause échappent au champ d'application du règlement n° 1017-68 parce qu'ils ne concernent pas "directement" la prestation de transport.

24 Sur ce point, la Commission invoque la genèse des règlements n° 17, n° 141 et n° 1017-68 et rappelle que, à l'origine, le premier de ces règlements s'appliquait à l'ensemble des activités couvertes par le traité CEE, y compris le secteur des transports. Par la suite, le règlement n° 141 a, à titre rétroactif, soustrait l'ensemble de ce secteur au champ d'application des articles 85 et 86 du traité. Enfin, le règlement n° 141 a lui-même été remplacé par trois règlements sectoriels, dont le règlement n° 1017-68 relatif aux transports terrestres et donc aux transports ferroviaires.

25 La Commission souligne que, dès lors qu'il présente un caractère dérogatoire, le règlement n° 1017-68, et en particulier son champ d'application, doit faire l'objet d'une interprétation stricte et qu'il doit donc être exclusivement appliqué à l'activité de transport en tant que telle. Par ailleurs, le Conseil n'ayant pas indiqué qu'il voulait élargir le champ d'application du règlement n° 1017-68 par rapport à celui du règlement n° 141, il conviendrait de le délimiter par référence à ce dernier règlement, et notamment à son troisième considérant, qui mentionne l'exigence d'un lien direct entre les accords et la prestation de transport.

26 De même, la Commission estime que, contrairement à ce qu'affirme le Tribunal au point 45 de l'arrêt attaqué, l'article 2 du règlement n° 1017-68, qui prévoit que les accords visés par ce règlement sont notamment ceux qui fixent "de façon directe ou indirecte les prix et conditions de transport ou d'autres conditions de transaction", ne justifie pas une interprétation plus large.

27 Concernant le premier aspect du premier moyen, il convient de préciser que, contrairement à ce que soutient la Commission, il ressort de l'arrêt attaqué que le Tribunal n'a pas posé de principe général selon lequel le règlement s'appliquerait à toutes les activités connexes et indispensables à la prestation de transport. Au contraire, après avoir écarté, aux points 43 et suivants, l'ajout du terme "directement" au libellé de l'article 1er du règlement n° 1017-68, il a apprécié in concreto si la fiche 130 relevait des accords visés par cet article, c'est-à-dire si elle avait pour objet ou pour effet la fixation du prix de transport ou la limitation ou le contrôle de l'offre de transport.

28 Concernant le second aspect du premier moyen, il convient de relever que le libellé de la partie pertinente de l'article 1er du règlement n° 1017-68 est précis et détaillé, tout comme celui de l'article 1er du règlement n° 141 dont il reprend les termes, et qu'il ne mentionne pas le mot "directement".

29 Par ailleurs, au point 43 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a retenu à bon droit que, le litige portait sur l'interprétation du règlement n° 1017-68 et non sur celle du règlement n° 141.

30 Dans ces conditions, le libellé et la genèse des règlements ne démontrent pas la continuité de l'intention du législateur sur laquelle la Commission a fondé la décision litigieuse.

31 Enfin, à défaut d'avoir établi cette continuité de l'intention du législateur, la Commission ne saurait invoquer la nécessité d'une prétendue cohérence dans l'interprétation du champ d'application des trois règlements sectoriels adoptés en matière de transport.

32 Le premier moyen doit donc être rejeté.

Sur le deuxième moyen

33 Dans son deuxième moyen, la Commission fait valoir en substance que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 47 de l'arrêt attaqué, que "la fiche 130 porte tant sur "l'offre du transport' que sur le "prix du transport' au sens du règlement n° 1017-68".

34 En effet, le Tribunal aurait dû, selon la Commission, procéder au préalable à une analyse des marchés et donc à une identification du marché en cause. Cette identification serait primordiale et inhérente à la question de savoir si les accords concernent effectivement l'offre ou le prix du transport. Or, il existerait en l'espèce deux marchés distincts: le marché du transport, qui ne porterait que sur le nombre de trains et de places dans les trains, et celui de la distribution des billets, que la Commission dénomme "marché de l'intermédiation" et qui serait le marché sur lequel les compagnies ferroviaires achètent les services des agences. Les accords en cause devraient être appréciés en fonction de leurs effets principaux, voire quasi exclusifs, lesquels auraient lieu, selon elle, sur ce dernier marché et non sur celui des transports.

35 En conséquence, la Commission considère que l'analyse des différentes clauses litigieuses effectuée par le Tribunal aux points 48, 49, 50 et 52 de l'arrêt attaqué est erronée.

36 S'agissant du point 48 relatif à l'offre de transport, la Commission estime que, en s'entendant pour limiter le nombre des points de vente de billets, les entreprises ferroviaires ne restreignent pas l'offre de transport, à savoir le nombre et la capacité des trains, mais celle du service d'intermédiation par une limitation du nombre des agences accréditées.

37 En ce qui concerne les points 49 et 50 de l'arrêt attaqué relatifs au prix du transport, la Commission a tout d'abord soutenu que le montant de la commission représentait, pour l'entreprise ferroviaire, un coût de distribution distinct du coût de la prestation de transport et que, par conséquent, la fiche 130 ne fixait pas directement le prix du transport.

38 Dans son mémoire en réplique, elle admet ensuite que la commission constituait une composante du prix du transport, au même titre que la traction, l'entretien, le nettoyage, etc. Toutefois, dès lors que la vente des billets est un service fourni par l'agence au profit des entreprises ferroviaires, ces dernières, lorsqu'elles fixent le taux de commission et obligent au respect du prix officiel, s'entendent sur la définition des modalités du service d'intermédiation demandé aux agences, de sorte que l'entente porte sur le marché du service d'intermédiation où se rencontrent réseaux et agences et non sur celui des transports.

39 Par ailleurs, la Commission soutient qu'admettre que, en s'entendant sur une composante du prix du transport, les compagnies ferroviaires détermineraient, même indirectement, le prix du transport que doit payer l'usager aurait pour conséquence que toute entente sur les composantes du prix du billet relèverait du règlement n° 1017-68, ce qui conduirait à une extension inconsidérée du champ d'application de ce règlement.

40 Quant au point 52 de l'arrêt attaqué concernant l'interdiction faite aux agences de favoriser des modes de transport concurrents, la Commission soutient également que les effets de cette clause se produisent sur le marché de la distribution des titres de transport, car c'est sur ce marché que les compagnies ferroviaires limiteraient leur liberté en convenant d'imposer aux agences de voyages une obligation qui affecte la concurrence entre ces dernières sur ledit marché. La Commission estime en outre que l'interprétation du Tribunal aboutit à des conséquences inattendues dans la mesure où, dès lors que la clause produit des effets anticoncurrentiels également dans le secteur des transports maritimes et aériens, il lui faudrait appliquer simultanément les trois règlements sectoriels relatifs aux transports terrestres, maritimes et aériens.

41 S'agissant de l'ensemble de ce deuxième moyen, il convient de rappeler que, selon son article 1er, le règlement n° 1017-68 s'applique notamment à un certain nombre d'ententes ayant "pour objet ou pour effet la fixation des prix et conditions de transport, la limitation ou le contrôle de l'offre de transport, la répartition des marchés de transport" ainsi qu'"aux opérations des auxiliaires de transport qui ont le même objet ou les mêmes effets que ceux prévus ci-dessus".

42 Il résulte du libellé de cet article que l'application du règlement n° 1017-68 est subordonnée à la qualification des accords en cause, lesquels doivent avoir pour objet ou pour effet notamment la fixation des prix de transport ou encore la limitation ou le contrôle de l'offre de transport, et non pas, comme le soutient la Commission, à l'identification préalable du marché sur lequel ces accords produisent leurs effets.

43 Au surplus, en ce qui concerne le point 52 de l'arrêt attaqué, il n'y a pas lieu, contrairement à ce que soutient la Commission, d'appliquer le règlement n° 17 ni d'appliquer simultanément les trois règlements sectoriels évoqués ci-dessus.

44 Sur le premier point, le Tribunal a constaté à juste titre que la clause interdisant aux agences de favoriser, dans leur publicité, dans leurs offres ou dans leurs conseils aux clients, des modes de transport concurrents des transports ferroviaires relevait du secteur des transports et non du règlement n° 17 appliqué par la Commission dans sa décision. En effet, c'est l'ensemble du secteur des transports qui a été soustrait à l'application de ce dernier règlement par le règlement n° 141, lequel a été ultérieurement remplacé par les trois règlements sectoriels relatifs aux transports terrestres, maritimes et aériens.

45 Sur le second point, il convient de relever que, d'une part, la clause en question vise à produire des effets, sinon ses effets principaux, dans le secteur des transports terrestres, puisqu'elle impose aux agences de voyages agréées une neutralité censée être favorable à l'offre de transport ferroviaire et que, d'autre part, elle s'intègre dans des accords d'association d'entreprises dont les clauses essentielles, analysées par le Tribunal, relèvent du champ d'application du règlement n° 1017-68.

46 Le deuxième moyen doit donc être rejeté.

Sur le troisième moyen

47 Dans son troisième moyen, la Commission reproche au Tribunal d'avoir commis une erreur de droit en considérant, aux points 55 et 56 de l'arrêt attaqué, qu'en l'espèce les agences de voyages, en commercialisant les billets pour le compte des compagnies ferroviaires, effectuaient des "opérations d'auxiliaires de transport" au sens de l'article 1er, seconde phrase, du règlement n° 1017-68, alors que, d'une part, ces agences de voyages n'appartiennent pas à la catégorie professionnelle des auxiliaires de transport et que, d'autre part, le règlement ne vise que les opérations de ces auxiliaires qui concernent directement la prestation de transport.

48 A cet égard, et sans entrer dans le détail de l'argumentation de la Commission, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Cour rejette d'emblée les griefs dirigés contre des motifs surabondants d'un arrêt du Tribunal, puisque ceux-ci ne sauraient entraîner son annulation (voir, notamment, arrêts du 18 mars 1993, Parlement/Frederiksen, C-35-92 P, Rec. p. I-991, point 31, et du 22 décembre 1993, Pincherle/Commission, C-244-91 P, Rec. p. I-6965, point 25).

49 En l'espèce, il convient de constater que la motivation du Tribunal figurant aux points 55 et 56 de son arrêt revêt un caractère surabondant par rapport à celle exposée aux points 43 à 54.

50 En effet, il ressort des termes de l'article 1er du règlement n° 1017-68 que c'est à titre alternatif qu'il vise, d'une part, les "accords, décisions et pratiques concertées" qui répondent aux conditions qu'il énumère (article 1er, première phrase) et, d'autre part, les "opérations des auxiliaires de transport" qui remplissent ces mêmes conditions (article 1er, seconde phrase). Il suffit donc que l'on se trouve dans l'une de ces deux situations pour que le règlement n° 1017-68 soit applicable.

51 Ainsi, dès lors qu'il résulte de l'examen des deux premiers moyens que le Tribunal n'a commis aucune erreur de droit dans l'interprétation de la première phrase de l'article 1er du règlement n° 1017-68 et qu'il apparaît que les décisions d'association d'entreprises en cause remplissent bien les conditions qui y sont posées, le troisième moyen, portant sur la seconde phrase de cet article, devient inopérant et ne saurait fonder le pourvoi.

52 Aucun moyen n'ayant été accueilli, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

53 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) La Commission est condamnée aux dépens.