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Décisions

CJCE, 1 février 1977, n° 51-76

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Verbond van Nederlandse Ondernemingen

Défendeur :

Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen

CJCE n° 51-76

1 février 1977

LA COUR,

1 Attendu que, par ordonnance du 9 juin 1976, parvenue à la cour le 18 du même mois, le 'Hoge Raad der Nederlanden' (Cour suprême des Pays-Bas) a, en vertu de l'article 177 du traité CEE, posé trois questions relatives à l'interprétation de certaines dispositions de la deuxième directive du conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - structure et modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 71 du 14.4.1967, p. 1303);

2 Que ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige dans lequel une association d'entreprises assujettie à la législation néerlandaise relative à la taxe sur le chiffre d'affaires conteste une décision prise par l'inspecteur des droits d'entrée et accises visant à limiter le droit à déduction de la taxe sur le chiffre d'affaires grevant certains objets acquis par l'association et utilisés par elle comme matériel de bureau;

3 Attendu que l'article 11, paragraphe 1, de la directive dispose que l'assujetti, dans la mesure où les biens et services sont utilisés pour les besoins de son entreprise, est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable, entre autres, la taxe sur la valeur ajoutée qui lui est facturée pour les biens livrés et les services rendus;

4 Que ce régime de déductions, cependant, est sujet à des exceptions prévues par d'autres dispositions de la directive qui accordent aux Etats membres la faculté d'y déroger dans des cas et des conditions limitativement définis;

5 Que parmi ces exceptions figurent certaines dispositions relatives aux biens d'investissement, notamment l'article 17 mis en cause en l'espèce;

6 Qu'aux termes de l'alinéa 1, troisième tiret, de cet article, les Etats membres ont la faculté d'exclure, pour une certaine période transitoire, totalement ou partiellement, les biens d'investissement du régime des déductions prévu à l'article 11;

7 Qu'en application de cette clause de dérogation, la loi néerlandaise relative à la taxe sur le chiffre d'affaires a prévu des modalités transitoires aux termes desquelles, pour l'année 1972, ne serait accordée qu'une déduction de 67 % de la taxe pour les biens destinés à être utilisés par l'entrepreneur comme des 'moyens d'exploitation';

8 Attendu que l'association prétend que ce dernier terme, tel qu'il a été interprété par l'administration fiscale néerlandaise, a une portée plus étendue que le terme 'biens d'investissement' utilisé par la directive, et que l'exception au droit de déduction a ainsi reçu une extension trop large, d'où résulterait pour l'association une charge fiscale non autorisée par la directive;

Sur les deux premières questions

9 Attendu que, par la première et la deuxième question, le 'Hoge Raad' demande en substance quelle est l'interprétation correcte du terme 'biens d'investissement' figurant après le troisième tiret de l'article 17, alinéa 1, de la directive;

10 Attendu qu'il convient de constater, en premier lieu, que le terme litigieux fait partie d'une disposition de droit communautaire qui ne renvoie pas au droit des Etats membres pour déterminer son sens et sa portée;

11 Qu'il s'ensuit que l'interprétation du terme dans sa généralité ne saurait être laissée à la discrétion de chaque Etat membre;

12 Attendu que le sens ordinaire du terme ainsi que sa fonction dans le contexte des dispositions de la deuxième directive indiquent que ce terme vise les biens qui, utilisés aux fins d'une activité économique, se distinguent par leur caractère durable et leur valeur, qui font que les coûts d'acquisition ne sont pas normalement comptabilisés comme dépenses courantes, mais amortis au cours de plusieurs exercices;

13 Qu'en effet, le régime spécial réservé aux biens d'investissement par la directive, qui comporte des exceptions au principe de la déduction immédiate, s'explique et se justifie par l'utilisation durable de ces biens et l'amortissement concomitant de leurs coûts d'acquisition;

14 Attendu que les procédés de comptabilité et d'amortissement adoptés par chaque entreprise particulière en fonction de ses intérêts économiques propres ne sauraient, cependant, fournir le critère décisif pour la définition de la notion litigieuse, dès lors que celle-ci trouve sa place dans un système de fiscalité qui, en principe, est basé sur l'égalité des entreprises devant les charges publiques;

15 Que les éléments déterminants sont, par contre, la durabilité de l'utilisation et les pratiques d'amortissement, telles qu'elles sont normalement prises en compte pour la gestion des entreprises dans le domaine considéré;

16 Qu'à cet égard, la deuxième directive ne contient pas toutes les indications pour définir de manière uniforme et précise les exigences qui doivent être satisfaites en ce qui concerne la durabilité et la valeur, ainsi que les règles d'amortissement à appliquer, pour qu'un bien puisse être qualifié de bien d'investissement au sens de la disposition litigieuse;

17 Que les Etats membres jouissent, dès lors, d'une certaine marge d'appréciation en ce qui concerne ces exigences, tout en devant respecter l'existence d'une différence essentielle entre les biens d'investissement et les autres biens utilisés dans la gestion et l'activité courante des entreprises;

18 Qu'il y a donc lieu de répondre aux deux premières questions

A°) Que les mots 'biens d'investissement', figurant après le troisième tiret de l'article 17 de la deuxième directive du conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, visent les biens qui, utilisés aux fins d'une activité économique, se distinguent par leur caractère durable et leur valeur, qui font que les coûts d'acquisition ne sont pas normalement comptabilisés comme dépenses courantes, mais amortis au cours de plusieurs exercices;

B°) Que les Etats membres jouissent d'une certaine marge d'appréciation en ce qui concerne les exigences qui doivent être satisfaites relativement à la durabilité et à la valeur des biens, ainsi qu'aux règles d'amortissement à appliquer, tout en devant respecter l'existence d'une différence essentielle entre les biens d'investissement et les autres biens utilisés dans la gestion et l'activité courante des entreprises;

Sur la troisième question

19 Attendu que la troisième question posée par le 'Hoge Raad' est ainsi libellée:

'La règle en matière de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée facturée à un assujetti pour les biens qui lui sont livrés, qui figure sous l'article 11 de la directive précitée, confère-t-elle à un justiciable assujetti à la taxe néerlandaise sur la valeur ajoutée un droit à déduction illimitée que le juge néerlandais est tenu de sauvegarder, pour autant qu'il s'agisse de biens acquis en 1972 qui seront utilisés pour les besoins de l'entreprise, mais ne font toutefois pas partie des biens d'investissement au sens visé à l'article 17 précité, et cela sans égard à l'usage qu'a fait le législateur néerlandais des pouvoirs définis aux articles 11 et 17 de la deuxième directive déja citée ?'

20 Attendu que cette question soulève le problème général de la nature juridique des dispositions d'une directive adoptée en vertu de l'article 189 du traité;

21 Qu'à cet égard la cour a déjà dit, en dernier lieu par son arrêt, du 4 décembre 1974, dans l'affaire 41-74 (recueil 1974, p. 1337), que si, en vertu des dispositions de l'article 189, les règlements sont directement applicables et, par conséquent, par leur nature susceptibles de produire des effets directs, il n'en résulte pas que d'autres catégories d'actes visés par cet article ne peuvent jamais produire d'effets analogues;

22 Qu'il serait incompatible avec l'effet contraignant que l'article 189 reconnaît à la directive d'exclure en principe que l'obligation qu'elle impose puisse être invoquée par des personnes concernées;

23 Que, particulièrement dans les cas où les autorités communautaires auraient, par voie de directive, obligé les Etats membres à adopter un comportement déterminé, l'effet utile d'un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales empêchées de le prendre en considération en tant qu'élément du droit communautaire;

24 Qu'il en est notamment ainsi lorsque le justiciable invoque une disposition d'une directive devant la juridiction nationale dans le but de faire vérifier par celle-ci si les autorités nationales compétentes, dans l'exercice de la faculté qui leur est réservée quant à la forme et aux moyens pour la mise en œuvre de la directive, sont restées dans les limites d'appréciation tracées par la directive;

25 Attendu que l'article 11, alinéa 1, de la deuxième directive relative à la taxe sur la valeur ajoutée énoncé en termes explicites et précis le principe de la déduction des montants facturés comme taxe sur la valeur ajoutée pour les biens livrés à l'assujetti, dans la mesure où ces biens sont utilisés pour les besoins de son entreprise;

26 Que ce principe de base est, cependant, soumis à certaines dérogations et exceptions que les Etats membres ont la faculté de déterminer en vertu d'autres dispositions de la directive;

27 Que le fait d'avoir exercé ou ne pas avoir exercé l'une ou l'autre de ces facultés relève, compte tenu de la nature des dispositions en cause, de la discrétion des autorités législatives ou administratives de l'Etat membre concerné et ne saurait, dès lors, faire l'objet d'un contrôle judiciaire à partir des dispositions de la directive;

28 Qu'il en est de même si le point en litige est régi par une des dispositions qui, soit en termes exprès, soit de par la nature indéterminée des notions utilisées, laissent aux autorités législatives ou administratives des Etats membres, une marge d'appréciation en ce qui concerne le contenu matériel des exceptions ou des dérogations autorisées;

29 Que, par contre, il incombe à la juridiction nationale devant laquelle la directive est invoquée de constater si la mesure nationale litigieuse se situe en dehors de la marge d'appréciation des Etats membres et ne saurait donc être considérée comme une exception ou dérogation légitime au principe de la déduction immédiate prévu à l'article 11, alinéa 1, et d'en tenir compte pour donner suite à la réclamation de l'assujetti;

30 Qu'il y a donc lieu de répondre à la troisième question que - s'agissant de biens acquis en 1972 qui seront utilisés pour les besoins de l'entreprise, mais ne font toutefois pas partie des biens d'investissement au sens visé à l'article 17 de la directive - il incombe à la juridiction nationale, devant laquelle la règle de déduction immédiate énoncée à l'article 11 de la directive est invoquée, d'en tenir compte pour autant qu'une mesure nationale d'application se situe en dehors des limites de la marge d'appréciation laissée aux Etats membres;

Sur les dépens

31 Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, le Gouvernement du Royaume de Belgique, le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et par la commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement;

32 Que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le 'Hoge Raad der Nederlanden', par ordonnance du 9 juin 1976, dit pour droit:

1°) les mots 'biens d'investissement', figurant après le troisième tiret de l'article 17 de la deuxième directive du conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, visent les biens qui, utilisés aux fins d'une activité économique, se distinguent par leur caractère durable et leur valeur, qui font que les coûts d'acquisition ne sont pas normalement comptabilisés comme dépenses courantes, mais amortis au cours de plusieurs exercices;

2°) les Etats membres jouissent d'une certaine marge d'appréciation en ce qui concerne les exigences qui doivent être satisfaites relativement à la durabilité et à la valeur des biens, ainsi qu'aux règles d'amortissement à appliquer, tout en devant respecter l'existence d'une différence essentielle entre les biens d'investissement et les autres biens utilisés dans la gestion et l'activité courante des entreprises;

3°) s'agissant de biens acquis en 1972 qui seront utilisés pour les besoins de l'entreprise, mais ne font toutefois pas partie des biens d'investissement au sens visé à l'article 17 de la directive, il incombe à la juridiction nationale, devant laquelle la règle de déduction immédiate énoncée à l'article 11 de la directive est invoquée, d'en tenir compte pour autant qu'une mesure nationale d'application se situe en dehors des limites de la marge d'appréciation laissée aux Etats membres.