CJCE, 14 décembre 1971, n° 43-71
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Politi SAS
Défendeur :
Ministère des Finances de la République italienne
LA COUR,
1 Attendu que, par ordonnance du 17 juillet 1971, parvenue au greffe de la cour le 23 juillet 1971, le Président du Tribunal de Turin a soumis à celle-ci plusieurs questions tendant à l'interprétation, notamment des règlements du Conseil n°s 20, du 4 avril 1962, et 121-67-CEE, du 13 juin 1967, relatifs à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc ;
Que ces questions ont été posées eu égard à l'application, par les autorités italiennes aux importations en provenance d'autres Etats membres et de pays tiers, d'un droit pour services administratifs et d'un droit de statistique, institués respectivement par la loi italienne n° 330 du 15 juin 1950 et par les décrets du Président de la République italienne n°s 723 du 26 juin 1965 et 1339 du 21 décembre 1961 ;
I - Sur la compétence de la cour
2 1) Attendu que le Gouvernement italien estime qu'il y a lieu de renvoyer le dossier à la juridiction nationale sans répondre aux questions posées, au motif qu'une loi italienne n° 447, publiée à la date même de l'ordonnance de renvoi, ayant abrogé les droits litigieux, il conviendrait de donner au juge national l'occasion d'examiner s'il est nécessaire de maintenir les questions soumises à la Cour ;
3 Attendu, cependant, que l'article 177 du traité ne permet pas à la Cour d'apprécier l'intérêt actuel, dans le cadre de la procédure pendant devant le juge national, de la question posée, même en présence de modifications du droit interne concernant l'espèce ;
Qu'en tout cas, l'abrogation de dispositions nationales reconnues incompatibles avec le droit communautaire laisse entière la question des conséquences juridiques de cette contrariété pour la période antérieure à cette abrogation ;
4 2) Attendu que le Gouvernement italien fait encore valoir que les conditions d'application de l'article 177, alinéa 2, ne seraient pas remplies, la décision ("decreto") que le Président du Tribunal de Turin est appelé à rendre devant intervenir au terme d'une procédure spéciale, sur la seule base des allégations du demandeur et sans qu'il y ait eu au préalable discussion entre parties ;
5 Attendu qu'il suffit de constater que le Président du Tribunal de Turin exerce une fonction juridictionnelle au sens de l'article 177 et qu'une interprétation du droit communautaire a été, par lui, estimée nécessaire pour rendre sa décision, sans qu'il y ait lieu pour la Cour de considérer le stade de la procédure où la question a été posée ;
II - Sur le fond
Sur la première question
6 Attendu que, par la première question, la Cour est invitée à dire si le droit pour services administratifs et le droit de statistique, institués par la législation italienne, constituent des taxes d'effet équivalent à un droit de douane au sens du règlement n° 20 ;
7 Attendu qu'il résulte des arrêts de la Cour du 1er juillet 1969 dans l'affaire 24-68 (Recueil, 1969-XV, p. 194 et s.) et du 18 novembre 1970 dans l'affaire 8-70 (Recueil, 1970-XVI, p. 961 et s.) que ces droits constituent des taxes d'effet équivalant à un droit de douane, au sens des articles 9, 12 et 13 du traité CEE et de certains règlements relatifs à des organisations communes de marché agricole, notamment de l'article 19, paragraphe 1, du règlement du Conseil n° 121-67-CEE ;
Que la notion de "taxe d'effet équivalent" a, dans les articles 14, paragraphe 1, et 18, paragraphe 1, du règlement n° 20 qui interdisent la perception de telles taxes à l'importation de viande de porc en provenance d'Etats membres et de pays tiers, la même portée que dans les articles 9 et suivants du traité et dans les autres règlements d'organisation du marché agricole ;
Sur les questions 2 A et B, 3 A et B, 4 A et B, 5 A et B
8 Attendu qu'il est ensuite demandé à la Cour si les dispositions des articles 14, paragraphe 1, et 18, paragraphe 1, du règlement n° 20, ainsi que des articles 17, paragraphe 2, premier tiret, et 19, paragraphe 1, premier tiret, du règlement n° 121-67 sont immédiatement applicables dans l'ordre juridique national et ont, comme telles, engendré pour les particuliers des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder ;
9 Attendu qu'aux termes de l'article 189, alinéa 2, du traité, le règlement "a une portée générale" et "est directement applicable dans tout Etat membre" ;
Que dès lors, en raison de sa nature même et de sa fonction dans le système des sources du droit communautaire, il produit des effets immédiats et est, comme tel, apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l'obligation de protéger ;
Qu'en conséquence, l'effet des règlements tel que prévu par l'article 189 s'oppose à l'application de toute mesure législative, même postérieure, incompatible avec leurs dispositions ;
Qu'il en est ainsi des dispositions citées ;
Sur les questions 2 C, 3 C, 4 C, 5 C, et 6
10 Attendu qu'il est enfin demandé à la Cour d'indiquer les dates auxquelles ont pris naissance les droits individuels, découlant des articles 14, paragraphe 1, et 18, paragraphe 1, du règlement n° 20, ainsi que des articles 17, paragraphe 1, et 19, paragraphe 1, du règlement n° 121-67 ;
Qu'en outre, la Cour est invitée à dire si ces droits, à partir du moment où ils ont pris naissance sous le régime du règlement n° 20, ont subsisté depuis lors ;
Qu'il convient donc d'examiner les questions de savoir à partir de quelles dates lesdites dispositions ont commencé à sortir leurs effets et si ceux-ci ont depuis lors subsisté ;
11 1 ) Attendu qu'aux termes de l'article 14 du règlement de base n° 20, "dans les échanges entre Etats membres, tant à l'importation qu'à l'exportation", les taxes litigieuses "sont incompatibles avec l'application du régime des prélèvements intracommunautaires", et qu'aux termes de l'article 18 du même règlement, "l'application du régime des prélèvements envers les pays tiers entraîne la suppression" desdites taxes sur les importations en provenance de ces pays ;
Qu'il en résulte que l'interdiction pour les Etats membres de percevoir ces taxes et, par voie de conséquence, le droit des particuliers d'en exiger l'observation, n'ont pris naissance qu'à la date de la mise en œuvre des régimes de prélèvements susvisés ;
12 Attendu que cette date, primitivement fixée au 1er juillet 1962 aux termes de l'article 23 du règlement n° 20, a été reportée au 30 juillet 1962 en vertu de l'article premier, paragraphe 1, lettre B, du règlement n° 49 ;
Qu'en ce qui concerne le porc abattu, le montant des prélèvements intracommunautaires a été fixé pour la première fois par le règlement n° 50, entré en vigueur le 30 juillet 1962 aux termes de son article 2 ;
Que les articles 2 du règlement n° 51, et 3 des règlements n°s 52 et 53 disposaient que ces textes - ayant fixé pour la première fois le montant des prélèvements relatifs au porc abattu en provenance des pays tiers (règlement n° 51), ainsi qu'au porc vivant importé d'autres Etats membres (règlement n° 52) et de pays tiers (règlement n° 53) - entraient en vigueur "à la date de la mise en application du régime des prélèvements institué, pour le porc abattu, par le règlement n° 20 du Conseil",
13 Que les règlements n°s 51 à 53 se référaient donc à l'entrée en vigueur du règlement n° 50, adopté le même jour et publié au même numéro du Journal Officiel :
Qu'ainsi, en ce qui concerne le porc vivant et le porc abattu, les dispositions visées ont commencé à sortir leurs effets le 30 juillet 1962 ;
14 Attendu qu'en ce qui concerne les produits visés à l'article premier, paragraphe 1, du règlement n° 20, autres que le porc vivant et le porc abattu, le Conseil, après avoir reporté à plusieurs reprises "la date de la mise en application du régime des prélèvements institué" par le règlement n° 20, a fixé cette date en dernier lieu "au 2 septembre 1962 au plus tard", aux termes de l'article premier du règlement n° 54- 63-CEE ;
Que les règlements n°s 86-63-CEE à 89-63-CEE, en subdivisant ces produits en deux groupes, ont fixé pour la première fois les montants des prélèvements intracommunautaires (règlements n°s 87-63 et 89- 63) et des prélèvements pays tiers (règlements n°s 86-63 et 88- 63), à percevoir à l'importation ;
15 Qu'il résulte des annexes respectives de ces règlements que les prélèvements devaient être perçus sur les importations effectuées durant des périodes commençant chaque fois le 2 septembre 1963 ;
Qu'ainsi, en ce qui concerne les produits autres que le porc vivant et le porc abattu, les dispositions visées ont commencé à sortir leurs effets le 2 septembre 1963 ;
16 2 ) Attendu que l'article 32, alinéa 3, du règlement de base n° 121-67-CEE a abrogé, à quelques exceptions près, le règlement n° 20 avec effet du 1er juillet 1967 ;
Que le deuxième alinéa du même article dispose que "le régime prévu par le présent règlement est applicable à partir" de cette date, à l'exception de certaines mesures sans intérêt en l'espèce ;
Qu'il s'ensuit que l'interdiction des taxes litigieuses, réitérée aux articles 17 et 19 du nouveau règlement, et, par voie de conséquence, les droits des particuliers qui s'y rattachent, ont pris naissance le 1er juillet 1967 ;
Qu'ainsi, pour ce qui est du régime instauré par le règlement n° 121-67, les dispositions visées ont commencé à sortir leurs effets le 1er juillet 1967 ;
17 3 ) Attendu qu'il résulte des considérations qui précèdent que, sous le régime du règlement n° 20, l'interdiction faite aux Etats membres de percevoir les taxes litigieuses était concomitante à l'obligation de percevoir les prélèvements prévus par ce règlement ;
Qu'il en résulte également que cette obligation a pris naissance, selon le cas, le 30 juillet 1962 ou le 2 septembre 1963 ;
Que, d'autre part, depuis ces dates, lesdits prélèvements ont été appliqués sans interruption jusqu'au 1er juillet 1967, date d'entrée en vigueur du règlement n° 121-67 ;
Que ce règlement est toujours en vigueur ;
18 Attendu qu'il convient ainsi de répondre à la juridiction nationale que les effets dont s'agit ont subsisté, selon le cas, depuis le 30 juillet 1962 ou le 2 septembre 1963 ;
19 Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement et que la procédure revêtant le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les autres dépens ;
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Président du Tribunal de Turin par ordonnance du 17 juillet 1971, dit pour droit :
Sur la première question
1°) la notion de "taxe d'effet équivalent" a, dans les articles 14, paragraphe 1, et 18, paragraphe 1, du règlement n° 20, la même portée que dans les articles 9 et suivants du traité et dans les autres règlements d'organisation du marché agricole ;
Sur les questions 2 A et B, 3 A et B, 4 A et B, 5 A et B
2°) le règlement produit des effets immédiats et est, comme tel, apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l'obligation de protéger ;
Tel est le cas des articles 14, paragraphe 1, et 18, paragraphe 1, du règlement n° 20, ainsi que des articles 17, paragraphe 2, premier tiret, et 19, paragraphe 1, premier tiret, du règlement n° 121-67 .
Sur les questions 2 C, 3 C, 4 C, 5 C et 6
3°) les dispositions des articles 14, paragraphe 1, et 18, paragraphe 1, du règlement n° 20 ont commencé à sortir leurs effets le 30 juillet 1962 en ce qui concerne le porc vivant et le porc abattu, et le 2 septembre 1963 en ce qui concerne les autres produits visés audit règlement ;
4°) les dispositions des articles 17, paragraphe 1, et 19, paragraphe 1, du règlement n° 121-67- CEE ont commencé à sortir leurs effets le 1er juillet 1967 ;
5°) les effets dont s'agit ont subsisté, selon le cas, depuis le 30 juillet 1962 ou le 2 septembre 1963.