CA Paris, 3e ch. C, 21 juin 2002, n° 2000-20300
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Elégance et Prestige (SA)
Défendeur :
Dinh Van (Sté), Dinh Van Diffusion et Pasque (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Albertini
Conseillers :
Mme Le Jan, M. Bouche
Avoués :
SCP Gaultier-Kistner-Gaultier, SCP Roblin-Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Delcorde, Fournier, Reinhart
Vu l'appel interjeté par la société Elégance et Prestige du jugement rendu le 23 mai 2000 par le Tribunal de commerce de Paris qui la déboute de ses demandes de résiliation de la convention la liant à la société Dinh Van Diffusion et en paiement de dommages et intérêts;
Vu les conclusions déposées au greffe le 15 janvier 2001 pour l'appelante qui demande à la cour de réformer cette décision, de prononcer la résiliation de la convention de concession exclusive litigieuse aux torts de la partie adverse à la date que la cour déterminera, et en état de cause, de condamner Dinh Van Diffusion à lui payer la somme de "sept millions de francs français" (1 067 143,10 euro) à titre de dommages et intérêts, outre celle de "20 000 FF" (3 048,98 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions déposées au greffe le 2 mars 2001 pour la société Dinh Van, venant aux droits de la société Dinh Van Diffusion et Pasque, tendant à voir confirmer le jugement déféré, subsidiairement et à titre reconventionnel, constater la résiliation du contrat aux torts d'Elégance et Prestige, assortir cette résiliation d'un délai suffisant afin de permettre à Elégance et Prestige de rendre compte de son action et à Dinh Van de lui trouver un successeur, condamner Elégance et Prestige, à payer la somme de "2 500 000 F" (381 122,54 euro), à parfaire, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice que lui cause la rupture du contrat, en tout état de cause, condamner Elégance et Prestige au paiement de la somme de " 50 000 F " (7 522,45 euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur ce, LA COUR
Considérant que par convention en date du 29 août 1988, la société Dinh Van Diffusion, ci-après Dinh Van, ayant son siège à Paris et pour objet social la fabrication, l'achat, la vente, l'importation et l'exportation de tous articles de bijouterie, joaillerie et horlogerie, a concédé à la société de droit beige Elégance et Prestige, exerçant à Bruxelles les mêmes activités et disposant dans cette ville d'un magasin à l'enseigne Van Dinh, l'exclusivité de la vente de ses créations pour le Benelux ; qu'il s'agissait d'un contrat à durée indéterminée imposant des obligations à chaque partie;
Considérant qu'estimant avoir scrupuleusement respecté les siennes, dont celle relative au développement d'un réseau de sous-concessionnaires mais invoquant des difficultés commerciales liées à des différences de prix entre les points de vente français et les points de vente belges, lesquelles se sont, selon elle, accentuées après le changement d'actionnariat intervenu durant l'été 1998, et ont entraîné pour elle un déséquilibre financier de plus en plus grave, et se plaignant de nombreux manquements de la part de Dinh Van relatifs notamment à la qualité des produits et aux délais de livraison, Elégance et Prestige a, par acte du 6 avril 1999, fait assigner Dinh Van en résiliation du contrat aux torts de celle-ci et en paiement de dommages et intérêts ; que le jugement déféré a rejeté l'ensemble de ces demandes ainsi que rappelé ci-avant;
Considérant que reprochant aux premiers juges d'avoir écarté certains griefs pourtant reconnus par Dinh Van, de ne pas avoir examiné certains autres et d'avoir méconnu ou mal apprécié l'impact de certains manquements sur le chiffre d'affaires, Elégance et Prestige maintient que son co-contractant a failli gravement à ses obligations et qu'il s'est livré à des pratiques tarifaires discriminatoires et déloyales à son égard ;
Sur l'abus dans la fixation de prix:
Considérant que, comme le rappelle Elégance et Prestige dans son assignation du 6 avril 1999, la convention du 29 août 1988 ne comporte aucune disposition expresse relative aux modalités tarifaires devant s'appliquer aux produits objets du contrat ; que dès lors il convient d'apprécier si les prix pratiqués par le fournisseur à l'égard de son ou ses distributeurs ont été fixés ou non dans le respect de l'obligation d'exécution de bonne foi des conventions;
Considérant que Elégance et Prestige reproche d'abord à Dinh Van une politique de prix versatile puisqu'elle a été destinataire en 1999 de six tarifs différents qui ont, selon elle, désorganisé son activité et ses ventes ; qu'elle soutient que les dernières modifications tarifaires ont entraîné pour elle la perte sur stock d'un million de francs belges;
Mais considérant que la preuve n'est pas apportée que les modifications de tarifs intervenues au cours de l'année 1999 ont perturbé son activité ; qu'il apparaît au contraire que les chiffres d'affaires du Benelux n'ont cessé de progresser depuis 1998:
1998 : 2 387 MF,
1999 : 2 771 MF (soit + 16 % par rapport à l'année précédente),
et 2000 : 3 243 MF (+ 17 % par rapport à 1999);
Qu'il n'est pas non plus établi que les dernières modifications tarifaires ont entraîné pour elle une perte sur stock d'un million de francs belges;
Considérant qu'Elégance et Prestige fait aussi grief à son cocontractant d'avoir mené une politique tarifaire discriminatoire en ce sens qu'elle lui impose des prix d'achat qui ne lui permettent pas, compte tenu des frais qu'elle assume comme importateur et créateur d'un réseau de distribution, de réaliser une marge satisfaisante tout en restant concurrentielle par rapport aux points de vente en France notamment celui de Lille qui, toujours selon elle, bénéficie de prix d'achat largement inférieurs à ceux qui lui sont appliqués ; qu'elle excipe enfin de la réduction de la remise "importateur" ;
Mais considérant que Dinh Van réplique à bon droit que le fournisseur est libre de déterminer ses prix comme il l'entend à la double condition de pratiquer à l'égard de ses distributeurs des prix de vente HT identiques et de ne pas leur imposer de revente à perte ;que le distributeur jouit de la même liberté dans la détermination de son prix de revente ;que la rigidité de cette dernière règle est compensée par la faculté dont dispose le fournisseur de traiter différemment ses partenaires économiques si cette différence est justifiée par des contreparties réelles comme par exemple l'importance des quantités vendues ou des services rendus se traduisant par l'octroi de remises proportionnelles ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que Dinh Van a toujours pratiqué à l'égard de ses distributeurs des prix de vente HT identiques et ne leur a jamais imposé de prix de revente ;qu'il n'appartient pas à Elégance et Prestige de s'immiscer dans la politique tarifaire librement déterminée par son fournisseur;
Considérant que Dinh Van qui a modifié son actionnariat au cours de l'année 1998 a certes entendu définir une nouvelle stratégie de développement national et international laquelle s'est accompagnée d'une restructuration des prix de vente;
Mais considérant que Dinh Van a proposé à Elégance et Prestige un nouveau tarif le 19 avril 1999 applicable au 1er mai 1999 en lui demandant d'adresser la liste des produits qu'elle désirait ajouter à ce tarif pour sa collection courante, afin que Dinh Van puisse également lui faire une proposition de tarif sur ce point; qu'à réception de la liste établie par Elégance et Prestige, Dinh Van a également communiqué à son cocontractant, par télécopie du 6 mai 1999, le prix des articles ne figurant pas dans sa collection; qu'il a été consenti à Elégance et Prestige une remise systématique de 60 % sur le prix public HT des articles de sa collection ainsi que sur la plupart des articles hors collection souhaités par Elégance et Prestige ;que le pourcentage de ces remises dépasse celui qui avait été conseillé par l'étude de rentabilité produite par l'appelante après examen des comptes de l'exercice 1997, fixée globalement à 20 %;
Considérant en outre que, comme elle l'annonçait dans son courrier du 6 mai 1999, Dinh Van a proposé à son cocontractant de lui fournir gratuitement 2 000 catalogues ainsi que l'ensemble de son nouveau packaging (écrin et sacs signés) et de participer aux frais de fonctionnement pour 1999 en prenant en charge le salaire d'une vendeuse à hauteur de 150 000 FF et en contribuant à l'investissement publicitaire pour un même montant;
Considérant que l'appelante qui se borne à produire des tableaux et une étude de rentabilité sur l'exercice 1998 sans joindre de pièces comptables justificatives ne démontre ni qu'elle a subi lors de cet exercice un préjudice lié à une insuffisance de marge ni que l'application du tarif ainsi revu au début de l'année 1999 ne lui permet pas de tirer profit de ses relations commerciales avec Dinh Van;
Considérant que dans ces conditions Elégance et Prestige ne démontre pas que Dinh Van ait pratiqué une politique de prix déloyale justifiant la résiliation du contrat de concession;
Sur la mauvaise exécution par Dinh Van de ses obligations:
Considérant qu'Elégance et Prestige se plaint d'abord de délais de livraison anormalement longs et de livraisons incomplètes ; qu'elle invoque aussi la fourniture de marchandises défectueuses et la multiplication des retours de marchandises;
Mais considérant que l'exécution du contrat s'est poursuivie sans le moindre incident pendant près de dix ans ; qu'il est certes établi par les correspondances produites et qu'il est reconnu par l'intimée que des délais de livraison n'ont pas été respectés et que certains bijoux mal finis ou atteints de malfaçons plus graves ont dû être retournés au fabricant ; que cependant les incidents sur la qualité des produits concernent essentiellement la période d'octobre 1998 à mai 1999 et qu'ils ont été résolus comme en témoigne la lettre d'Elégance et Prestige adressée le 2 juin 1999 à Dinh Van reconnaissant que le fabricant est arrivé à une " qualité conforme ", même s'il est encore fait état de quelques difficultés de qualité à la fin de l'année 1999 ; qu'en ce qui concerne les retards de livraison lesquels se sont surtout produits eu fin d'année 1998 et 1999 et auxquels Dinh Van a cherché à remédier au plus vite, Elégance et Prestige affirme qu'ils ont suscité le mécontentement de la clientèle et des sous-concessionnaires mais qu'elle ne produit aucune lettre ni attestation émanant d'un client ou d'un concessionnaire à l'appui de cette allégation; qu'aucun incident n'est signalé pour l'année 2000;
Considérant que l'appelante incrimine encore la suppression en mai 1999 de la faculté dont elle disposait de procéder elle-même à l'adaptation ou à la réparation de certains bijoux l'obligeant à passer au fournisseur une commande spéciale et ce, au détriment des exigences de la clientèle et qui lui cause même une perte sur certaines réparations compte tenu du prix conseillé par Dinh Van et des déductions qu'elle doit opérer (frais d'envoi, de retour et d'assurances); qu'elle se plaint encore de la réduction sensible de la collection représentant une perte de bénéfice substantielle;
Mais considérant que ces griefs ne caractérisent nullement un manquement de Dinh Van à ses obligations contractuelles ; qu'ils constituent en réalité une critique de sa stratégie commerciale et de sa politique tarifaire; qu'en toute hypothèse, la preuve d'une perte du fait de ce changement de stratégie et de collection décidé par Dinh Van n'est pas établie;
Considérant enfin qu'Elégance et Prestige prétend que Dinh Van aurait refusé de s'associer aux procédures en contrefaçon qu'elle a menées pour la défense de la marque et des produits Dinh Van, démontrant par là-même le peu d'intérêt qu'elle avait à défendre sa marque et par voie de conséquence ses distributeurs
Mais considérant que Dinh Van réplique à juste raison qu'il a toujours été convenu entre les parties qu'Elégance et Prestige se chargerait d'entreprendre en Belgique " toutes procédures civiles et pénales " en cas de contrefaçon de modèles Dinh Van; que tel est le sens des deux procurations données par Dinh Van à Elégance et Prestige les 17 février 1989 et le 10 novembre 1998 ; qu'en outre Dinh Van justifie, en produisant deux jugements du Tribunal de première instance de Bruxelles des 29 septembre 1994 et 22 décembre 1998, qu'elle était bien présente lors de ces deux procédures menées en Belgique;
Considérant dans ces conditions, que seuls sont établis des retard de livraison et des difficultés liées à des malfaçons ou finitions défectueuses au cours des années 1998 et 1999; que ces manquements ne sont pas suffisamment graves pour caractériser une faute contractuelle justifiant le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de concession du 29 août 1988;
Considérant en revanche qu'ils ont été la cause de tracas et ont mobilisé l'énergie de l'appelante, lui causant un préjudice certain qu'il convient eu égard aux éléments ci-avant rappelés d'indemniser par l'allocation d'une somme de 15 000 euro;
Considérant qu'aucun motif d'équité ne commande de faire droit aux demandes d'indemnité de procédure formées par les parties;
Considérant qu'Elégance et Prestige qui perd sur l'essentiel de ses prétentions supportera les dépens;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en celles de ses dispositions qui ont débouté Elégance et Prestige de sa demande de résiliation de la convention du 29 août 1988 aux torts de Dinh Van et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau : Condamne Dinh Van à payer à Elégance et Prestige la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts. Déboute les parties de leur demande d'indemnité de procédure, Condamne Elégance et Prestige aux dépens de première instance et d'appel et admet la SCP Roblin Chaix de Lavarene, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.