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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 24 avril 2002, n° 01-06991

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Graphibus (SA)

Défendeur :

NDP (SA), Taugeron (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

M. Poumarede, Mme Nivelle

Avoués :

SCP d'Aboville, de Moncuit & Le Callonnec, SCP Bazille & Genicon

Avocats :

Mes Mazingue, Calvar.

T. com. Nantes, du 23 oct. 2001

23 octobre 2001

Exposé du litige - faits - procédure

La SA Graphibus a régulièrement interjeté appel d'une ordonnance rendue le 23 octobre 2001 par le Président du Tribunal de commerce de Nantes qui a déclaré irrecevable, en l'état de référé tant les demandes de la SA Graphibus que celles de la SA NDP et des consorts Taugeron et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir;

Elle demande à la cour dans ses conclusions récapitulatives, d'ordonner sous astreinte la cessation immédiate par la SA NDP (Nantaise de Publicité), de l'ensemble de ses agissements illicites, et notamment de lui faire interdiction, également sous astreinte, de collaborer avec Jean-Paul Taugeron et sa famille ou encore avec toute personne liée directement ou indirectement avec lui;

De condamner la SA NDP au paiement d'une somme de 30 500 euro à titre de dommages et intérêts provisionnels au profit de la SA Graphibus;

D'ordonner pour le surplus une expertise afin d'évaluer l'entier préjudice subi par la SA Graphibus du chef des agissements précités;

De condamner la SA NDP au paiement de la somme de 2 300 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

La SA NDP et les consorts Taugeron concluent à la confirmation de la décision attaquée et au rejet de l'ensemble des prétentions de l'appelante;

Très subsidiairement et sur le fond, ils demandent à la cour de constater que les activités de la SA NDP ne recoupent pas celles de la SA Graphibus, de débouter en conséquence cette dernière de l'ensemble de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 2 000 euro au profit de la SA NDP ainsi que de la même somme au profit de chacun des intimés;

Moyens des parties

Considérant qu'au soutien de son recours, la SA Graphibus après avoir rappelé l'historique de ses relations avec Jean-Paul Taugeron au travers des diverses sociétés créées par ce dernier, reproche à celui-ci d'avoir à nouveau violé l'obligation de non-concurrence qui pèse sur lui au travers de la seconde société NDP (Nantaise de Publicité) après la liquidation de la SARL Taugeron (mise en liquidation le 28 février 2001) puis d'une première société NPD (Nouvelle de Décoration et de Publicité) mise en liquidation judiciaire par jugement du 2 février 2000;

Considérant que l'appelante précise que la procédure actuelle est strictement dirigée contre la SA NDP qui constitue à ses yeux un écran permettant à Jean-Paul Taugeron de continuer ses activités alors qu'un arrêt rendu le 1er avril 1998 par cette même cour lui en a fait défense;

Que le trouble manifestement illicite prévu par l'article 873 du nouveau Code de procédure civile pour donner compétence au juge des référés est en l'espèce parfaitement caractérisé et manifeste, tant au vu de l'obligation de non-concurrence pesant sur Jean-Paul Taugeron que de son activité au sein de la SA NDP ;

Considérant que la SA Graphibus fait encore valoir que la SA NDP a bénéficié directement du produit de la violation par Jean-Paul Taugeron de la clause de non-concurrence, son chiffre d'affaires étant essentiellement généré par l'activité de ce dernier;

Que l'ensemble de ces éléments justifient, tant sa demande de dommages et intérêts provisionnels que sa demande d'expertise;

Considérant que la SA NDP, Jean-Paul Taugeron, Anne-Marie Picarrela épouse Taugeron, Vanessa Taugeron et Ronan Taugeron, intimés, après avoir fait observer que l'appelante n'a pas toujours respecté le principe du contradictoire, font valoir que, contrairement à ce qu'affirme la SA Graphibus, le jugement rendu le 29 janvier 1997 par le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire ainsi que l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Rennes le 1er avril 1998 ont estimé que la clause de non-concurrence contenue dans l'acte de cession de son fonds par Jean-Paul Taugeron à Graphibus, n'était plus applicable;

Que l'action de la SA Graphibus fondée sur la violation par Jean-Paul Taugeron de cette clause de non-concurrence est ainsi parfaitement irrecevable;

Que l'obligation de loyauté pesant d'autre part sur Jean-Paul Taugeron a été expressément limitée dans le temps par l'arrêt du 1er avril 1998 qui a considéré que cette obligation ne pouvait perdurer au delà du 1er mai 1997;

Considérant que très subsidiairement, les intimés estiment que les agissements reprochés à Jean-Paul Taugeron ne sont pas établis dans la mesure où la Société Nantaise de Publicité a été créée par Monsieur Joseph Ger et que Jean-Paul Taugeron, qui est peintre en lettres de formation, y exerce une simple activité salariée;

Qu'en outre, le chiffre d'affaires de la SA NDP généré par des prestations de peinture sur véhicules (et à l'exclusion de toute intervention sur des autocars) ne représente que 3,5 % du chiffre d'affaires total de cette société;

Considérant enfin que les intimés font observer que toutes les procédures initiées par Graphibus, ainsi que l'ensemble de ses agissements à l'encontre de Jean-Paul Taugeron, n'ont pour seul objectif que de contraindre ce dernier à vendre à bas prix les actions qu'il possède encore dans le capital de la SA Graphibus;

Considérant que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées;

Motifs de la cour

Considérant qu'il résulte du dossier et des débats que Jean-Paul Taugeron est co-fondateur avec Jacques Forget de la SA Graphibus dont il est toujours actionnaire, chacun d'eux ayant cédé à la société un fonds artisanal;

Qu'à la suite de la cession de ce fonds, Jean-Paul Taugeron était débiteur à l'égard de Graphibus d'une obligation de non-concurrence;

Qu'en dépit de cette clause, Jean-Paul Taugeron a créé une société concurrente, la SARL Taugeron; qu'à la suite de cette création il a fait l'objet d'une condamnation pour agissements déloyaux suivant jugement rendu le 29 janvier 1997 par le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire et confirmé par arrêt du 1er avril 1998 par la Cour d'appel de Rennes;

Considérant que la SARL Taugeron a été mise en liquidation le 28 février 2001; que deux autres sociétés ont été créées successivement : la société "Nouvelle de Décoration et de Publicité" (NPD), dont Jean-Paul Taugeron était le gérant et qui a été mise en liquidation judiciaire suivant jugement en date du 2 février 2000 et la société Nantaise de Publicité (NPD), dont le gérant est Monsieur Ger, mais dont il apparaît que Jean-Paul Taugeron est sinon le seul du moins le principal salarié;

Considérant qu'il n'est pas de la compétence du juge des référés, qui est le juge des apparences, de se prononcer sur l'interprétation à donner d'une clause de non-concurrence ou des motifs d'un arrêt de la cour d'appel;

Mais considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile que le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, ordonner les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser une manifestement licite;

Considérant qu'en l'espèce un faisceau d'indices concordants permet d'affirmer que la société NDP s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale;

Considérant que l'on peut ainsi constater que, non contente d'avoir installé ses locaux professionnels en face de ceux de Graphibus, elle a comme principal responsable salarié Monsieur Jean-Paul Taugeron, qui passe commande de travaux et se présente aux clients potentiels (LIDL par exemple) comme le responsable de la société, alors même que co-fondateur de la société Graphibus (dont il est toujours actionnaire), il est tenu par une clause de non-concurrence et a exercé dans cette société un poste de responsable, avant de créer lui-même deux entreprise concurrentes;

Considérant que les photographies prises en mars 2001 (et qui ont été régulièrement communiquées aux intimés) montrent des remorques de camions dans la cour de NDP; que la présence de ces véhicules est à rapprocher de la commande passée le 31 janvier 2001 par Jean-Paul Taugeron d'une cabine de peinture;

Que l'objet social de la NDP, dont le sigle est le même que la précédente société NDP, liquidée le 2 février 2000 et qui avait Jean-Paul Taugeron pour gérant, est par ailleurs identique à celui de Graphibus, à savoir la publicité sur panneaux, enseignes et véhicules notamment par la technique de l'adhésif;

Considérant qu'il convient en conséquence de faire droit à la demande de la société Graphibus et d'enjoindre à la société NDP de cesser ces agissements illicites, et en particulier toute relation avec Jean-Paul Taugeron, et ce sous astreinte de 1 500 euro passé un délai de trois mois après la signification du présent arrêt;

Considérant que la société Graphibus ne verse pas au dossier les pièces permettant de lui accorder des dommages et intérêts à titre provisionnel mais qu'il convient de faire droit à sa demande d'expertise afin d'évaluer le préjudice subi par elle du fait des agissements déloyaux de la société NDP;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Graphibus l'intégralité des frais irrépétibles engagés à l'occasion de la procédure d'appel; qu'il convient de lui accorder la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant que succombant en appel, la société NDP, prise en la personne de ses représentants légaux, et les consorts Taugeron, seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel;

Décision

Par ces motifs, LA COUR, Ordonne à la société Nantaise de Publicité (NDP) de cesser ses agissements illicites et notamment sa collaboration avec Monsieur Jean-Paul Taugeron et les membres de sa famille, sous astreinte de 1 500 euro par jour de retard passé un délai de trois mois après la signification du présent arrêt; Ordonne une expertise ; Commet Monsieur Chan Jean-Claude demeurant 13 allée de l'Ile Gloriette 44000 Nantes en qualité d'expert avec mission d'évaluer le préjudice éventuellement subi par la société Graphibus du fait des agissements de la société NDP, Ordonne le dépôt d'un rapport au greffe de cette cour dans un délai impératif de six mois à compter de sa saisine, Dit que les frais de cette expertise seront avancés par la société Graphibus qui devra consigner, toujours au greffe de cette cour et avant le 24 mai 2002, la somme de trois mille euro (3 000 euro) à valoir sur la rémunération de l'expert, Rappelle au besoin qu'à défaut de consignation de cette somme dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera de plein droit caduque, Dit qu'en cas de difficultés dans l'exercice de sa mission, l'expert devra en rendre compte au président de cette chambre, Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert ou de refus de sa part, il sera, à la requête de la partie la plus diligente, procédé à son remplacement par ordonnance du conseiller de la mise en état; Déboute en l'état, les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne solidairement la SA NDP, Jean-Paul Taugeron, Anne-Marie Picarrela épouse Taugeron, Vanessa Taugeron et Ronan Taugeron à payer à la société Graphibus la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la SA NDP, Jean-Paul Taugeron, Anne-Marie Picarrela épouse Taugeron, Vanessa Taugeron et Ronan Taugeron aux dépens de première instance et d'appel.