CJCE, 5e ch., 18 septembre 2003, n° C-416/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Morellato
Défendeur :
Comune di Padova
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Timmermans
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
Juges :
MM. Edward, La Pergola, Jann, von Bahr
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par décision du 16 octobre 2000, parvenue à la Cour le 13 novembre suivant, le Tribunale civile di Padova a posé, en application de l'article 234 CE, cinq questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un recours formé par M. Morellato contre une ordonnance du maire de la commune de Padoue lui enjoignant de verser une amende pour avoir violé la législation italienne relative à la commercialisation de pain obtenu en achevant la cuisson de pain déjà partiellement cuit.
Le cadre juridique national
3. La legge n° 580, Disciplina per la lavorazione e commercio dei cereali, degli sfarinati, del pane e delle paste alimentari (loi portant réglementation de la transformation et de la commercialisation des céréales, des farines, du pain et des pâtes alimentaires), du 4 juillet 1967 (GURI n° 189, du 29 juillet 1967, p. 4182, ci-après la "loi n° 580-1967"), régit en Italie la préparation et le commerce des céréales, des farines, du pain et des pâtes alimentaires.
4. L'article 14 de la loi n° 580-1967, tel que modifié par l'article 44 de la legge n° 146, Disposizioni per l'adempimento di obblighi derivanti dall'appartenenza dell'Italia alle Comunità europee - legge comunitaria 1993 (loi portant dispositions pour l'exécution des obligations découlant de l'appartenance de l'Italie aux Communautés européennes - loi communautaire 1993), du 22 février 1994 (supplément ordinaire à la GURI n° 52, du 4 mars 1994), dispose:
"1. Est dénommé pain' le produit obtenu par cuisson totale ou partielle d'une pâte convenablement levée et préparée avec de la farine de blé, de l'eau et de la levure, avec ou sans adjonction de sel de cuisine (chlorure de sodium).
2. Lorsqu'il est obtenu par cuisson partielle et destiné au consommateur final, le produit visé au paragraphe 1 doit être préemballé séparément et pourvu d'une étiquette mentionnant les indications prévues par les dispositions en vigueur et, de manière claire et lisible, la dénomination pain' suivie de l'expression partiellement cuit' ou de toute autre expression équivalente. Figureront également sur l'étiquette l'avertissement selon lequel le produit doit être cuit avant d'être consommé, ainsi que les modalités de cuisson correspondantes.
3. Dans le cas d'un produit surgelé, l'étiquette devra comporter, outre les mentions stipulées au paragraphe 2, les indications prévues par la législation en vigueur en matière de produits surgelés, ainsi que la mention surgelé'.
4. Le pain obtenu en achevant la cuisson de pain partiellement cuit, surgelé ou non, doit être distribué et mis en vente, après avoir été conditionné et pourvu d'une étiquette revêtue des mentions prévues par la réglementation sur les produits alimentaires, dans d'autres compartiments que le pain frais et avec les indications nécessaires pour informer le consommateur de la nature du produit.
5. Pour le produit non destiné au consommateur final, les dispositions établies par l'article 17 du décret législatif n° 109, du 27 janvier 1992, sont d'application."
5. En date du 30 mai 1995, le ministère de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat italien a adressé une "lettre circulaire" aux Uffici provinciali dell'Industria, del Commercio e dell'Artigianato (bureaux provinciaux de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat) (ci-après la "lettre circulaire"). Le Gouvernement italien a précisé, en réponse à une question posée par la Cour, que ce document ne constitue pas une circulaire au sens technique du terme, laquelle requiert une publication à la Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana.
6. Il ressort des observations de la Commission que la lettre circulaire a été adoptée à la suite de l'ouverture d'une procédure en manquement à l'encontre de la République italienne, en raison des obstacles mis par cette dernière à la commercialisation du pain précuit surgelé. Il a été mis fin à cette procédure le 29 mars 1995, précisément à cause de l'adoption prochaine de la lettre circulaire.
7. Celle-ci précise comment il convient d'interpréter l'article 14 de la loi n° 580-1967 modifiée, afin d'éviter toute incompatibilité avec le droit communautaire. À cet égard, elle indique notamment ce qui suit:
"[A]ux fins du conditionnement préalable du pain, il y a lieu d'utiliser des sachets fabriqués dans un matériau permettant au pain de respirer et sur lesquels doivent figurer les mentions suivantes: ingrédients, entreprise de production et/ou de conditionnement, siège de l'établissement de production et provenance du pain précuit et surgelé, date de péremption. Le cas échéant, le produit peut être placé dans le sachet au moment de la vente."
8. Selon le Gouvernement italien, la lettre circulaire doit être considérée comme abrogée par suite de la modification apportée à l'article 14 de la loi n° 580-1967 modifiée par le decreto del presidente della repubblica n° 502, Regolamento recante norme per la revisione della normativa in materia di lavorazione e di commercio del pane, a norma dell'articolo 50 della legge n. 146 del 22 febbraio 1994 (décret du président de la République relatif à un règlement portant révision de la réglementation sur la fabrication et le commerce du pain, conformément à l'article 50 de la loi italienne n. 146, du 22 février 1994), du 30 novembre 1998 (ci-après le "décret n° 502-1998"). L'article 1er, intitulé "Pain partiellement cuit", de ce décret prévoit à son paragraphe 1:
"Aux fins de l'application de l'article 14, quatrième alinéa, de la loi n. 580, du 4 juillet 1967, modifiée par l'article 44 de la loi n. 146, du 22 février 1994, le pain obtenu en achevant la cuisson de pain partiellement cuit, surgelé ou non, doit être distribué et mis en vente dans des compartiments à part, séparés du pain frais, et dans des emballages confectionnés au préalable, portant, outre les indications prévues dans le décret législatif n. 109, du 27 janvier 1992, les mentions suivantes:
a) obtenu à partir de pain partiellement cuit et surgelé', lorsqu'il s'agit au départ d'un produit surgelé;
b) obtenu à partir de pain partiellement cuit' lorsqu'il s'agit à l'origine d'un produit qui n'a été ni surgelé ni congelé."
9. L'article 9, intitulé "Reconnaissance mutuelle", du même décret dispose à son paragraphe 1:
"Les dispositions du présent décret ainsi que celles prévues par la loi n. 580, du 4 juillet 1967, ne s'appliquent pas au pain introduit et mis en vente sur le territoire national lorsqu'il a été légalement produit et commercialisé dans les États membres de l'Union européenne ou qu'il est originaire des pays ayant adhéré à l'accord sur l'Espace économique européen."
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10. Le 26 avril 1994, les inspecteurs d'une administration italienne en charge du contrôle de l'hygiène se sont rendus dans l'atelier de boulangerie de M. Morellato et y ont constaté la présence, sur des étagères et dans des récipients, de nombreux types de pain différents, présentés en vrac et non conditionnés, provenant tous de la cuisson, dans cet atelier, de pain précuit et surgelé qu'il avait importé de France. Sur ces étagères et récipients étaient apposées des étiquettes comportant la dénomination de vente, l'indication qu'il s'agissait de pain provenant d'un produit précuit surgelé, la liste des ingrédients ainsi que le nom de l'entreprise de production et de distribution.
11. Les inspecteurs ont constaté, en outre, que le pain n'était placé dans un sachet en papier prévu à cet effet et fermé à l'aide d'une agrafeuse qu'au moment de la remise à l'acheteur et non pas avant la mise en vente comme le prévoyait la législation italienne alors en vigueur.
12. En conséquence, le maire de la commune de Padoue a enjoint à M. Morellato, par ordonnance, de verser la somme de 1 200 000 ITL au motif que, en sa qualité de propriétaire d'un atelier de cuisson de pain surgelé, de pâtisserie surgelée et de préparations avec point de vente, il avait enfreint l'article 14 de la loi n° 580-1967 modifiée en vendant lesdits produits emballés dans des sachets en papier qui n'étaient fermés à l'aide d'une agrafeuse qu'au moment de leur remise au client.
13. M. Morellato a formé un recours contre cette ordonnance devant le Tribunale civile di Padova. Il a notamment fait valoir que l'article 14 de la loi n° 580-1967 modifiée était contraire aux articles 30 et 36 du traité, en ce que cette disposition nationale introduirait un obstacle empêchant ou tout au moins limitant la libre circulation des produits légalement fabriqués dans un autre État membre, sans que cela soit justifié par des motifs tirés de la protection de la santé et de la vie des personnes au sens de l'article 36 du traité.
14. Éprouvant des doutes sur l'interprétation correcte du droit communautaire applicable en la matière, le Tribunale civile di Padova a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Les articles 30 et 36 du traité CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'est incompatible avec leurs dispositions l'article 14, quatrième alinéa, de la loi italienne n. 580, du 4 juillet 1967 (modifié par l'article 44, quatrième alinéa, de la loi n. 146, du 22 février 1994), tel qu'il a été interprété par le maire de la commune de Padoue dans l'ordonnance-injonction litigieuse, en tant que celle-ci interdit la vente de pain obtenu en achevant la cuisson de pain partiellement cuit, surgelé ou non (légalement fabriqué et importé de France), si le pain ainsi vendu n'a pas été préalablement conditionné par le revendeur?
2) L'article 14, quatrième alinéa, de la loi n. 580, du 4 juillet 1967 (modifié par l'article 44, quatrième alinéa, de la loi n° 146, du 22 février 1994), et l'interprétation qui en a été donnée par le maire de la commune de Padoue constituent-ils une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité CE?
3) Dans l'affirmative, l'État italien peut-il se prévaloir de la dérogation prévue à l'article 36 du traité CE aux fins de la protection de la santé et de la vie des personnes?
4) Le juge italien doit-il écarter l'application de l'article 14, quatrième alinéa, de la loi n. 580, du 4 juillet 1967 (modifié par l'article 44, quatrième alinéa, de la loi n. 146, du 22 février 1994)?
5) Doit-on par conséquent permettre la libre circulation du pain obtenu en achevant la cuisson de pain partiellement cuit, surgelé ou non (légalement fabriqué et importé de France), sans y apporter aucune restriction, comme celle du conditionnement préalable' prescrite par l'article 14, quatrième alinéa, de la loi n. 580, du 4 juillet 1967 (modifié par l'article 44, quatrième alinéa, de la loi n. 146, du 22 février 1994)?"
Remarques liminaires
15. Ni les parties au principal ni le Gouvernement italien n'ont soumis d'observations écrites à la Cour.
16. Il ressort du dossier que M. Morellato est poursuivi pour infraction à une disposition de droit national dont le contenu semble avoir été précisé par la lettre circulaire à la suite d'une procédure en manquement ouverte par la Commission contre la République italienne.
17. La Cour a demandé au Gouvernement italien de préciser si cette lettre circulaire était susceptible d'affecter le fondement juridique des mesures prises par le maire de la commune de Padoue contre M. Morellato, en tenant compte, le cas échéant, du principe de l'application dans le temps de la loi pénale la moins rigoureuse. La réponse du Gouvernement italien indique que la lettre circulaire a été abrogée par le décret n° 502-1998 mais elle ne précise pas l'incidence de cette abrogation sur la situation de M. Morellato.
18. Dans ces conditions, la Cour doit présumer que ledit maire était habilité à infliger à M. Morellato une sanction sur le fondement des dispositions de droit national mentionnées par la juridiction de renvoi dans ses questions.
Sur les première à troisième questions
19. Par ses première à troisième questions, la juridiction de renvoi demande en substance si constitue une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité l'exigence d'un conditionnement préalable à laquelle le droit d'un État membre soumet la mise en vente de pain obtenu en achevant, dans cet État membre, la cuisson de pain partiellement cuit, surgelé ou non, importé d'un autre État membre. Dans l'affirmative, cette juridiction souhaite en outre savoir si cette exigence peut être justifiée par des raisons tenant à la protection de la santé et de la vie des personnes au sens de l'article 36 du traité.
Observations soumises à la Cour
20. La Commission, qui est seule à avoir présenté des observations écrites, rappelle, à titre liminaire, que le conditionnement du type de pain en cause au principal avant sa mise en vente ne fait l'objet d'aucune réglementation communautaire et que l'obligation de procéder à un tel conditionnement est prévue par la législation d'un unique État membre, à savoir la République italienne.
21. Cette obligation imposerait une charge et un coût supplémentaires aux commerçants concernés, de sorte qu'elle serait de nature à décourager l'importation en Italie de pain précuit et représenterait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité.
22. La Commission ajoute que l'obligation de conditionnement préalable doit être considérée comme ayant une incidence sur le processus de fabrication du pain et, partant, comme une caractéristique particulière du produit, au sens de l'arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097).
23. En outre, la Commission soutient que cette obligation, dans la mesure où elle n'est pas prévue pour les autres types de pain, tels que le pain frais, qui peuvent être librement vendus en vrac et conditionnés au moment de la vente, pèse essentiellement sur les produits importés. Elle créerait dès lors une discrimination injustifiée entre les divers types de pain, qui serait à l'avantage du pain frais, produit typiquement local qui est normalement cuit et vendu le jour même, que sa fabrication soit artisanale ou industrielle. En effet, le pain prêt à être consommé étant très périssable, le pain précuit serait à peu près le seul type de pain susceptible de faire l'objet d'échanges intracommunautaires.
24. En ce qui concerne une éventuelle justification de l'entrave constatée, la Commission fait valoir que le but d'intérêt général tenant à la protection de la santé et de la vie des personnes ne saurait justifier l'obligation en cause au principal.
25. Si elle considère que certaines obligations de conditionnement préalable pourraient éventuellement être justifiées par des exigences de protection des consommateurs, visant notamment à fournir à celui-ci une information suffisamment claire et complète sur le type de produit proposé à la vente avant même qu'il ne manifeste sa volonté d'achat, elle estime que, en tout état de cause, l'obligation faisant l'objet du litige au principal est, à cet égard, disproportionnée.
Réponse de la Cour
26. Aux fins de répondre aux premières à troisième questions, il convient à titre liminaire de déterminer si la réglementation nationale en cause au principal relève du domaine d'application de l'article 30 du traité, tel qu'interprété par la Cour dans l'arrêt Keck et Mithouard, précité, auquel la Commission a fait référence dans ses observations.
27. Au point 16 de cet arrêt, la Cour a jugé que des dispositions nationales limitant ou interdisant certaines modalités de vente qui s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national et qui affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres ne sont pas aptes à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre les États membres, au sens de l'arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (8-74, Rec. p. 837).
28. Par la suite, la Cour a qualifié de dispositions limitant ou interdisant des modalités de vente au sens de l'arrêt Keck et Mithouard, précité, des dispositions concernant le lieu et les horaires de vente de certains produits ainsi que la publicité faite à leur égard et certaines méthodes de commercialisation (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1993, Hünermund e.a., C-292-92, Rec. p. I-6787, du 2 juin 1994, Tankstation 't Heukske et Boermans, C-401-92 et C-402-92, Rec. p. I-2199, et du 13 janvier 2000, TK-Heimdienst, C-254-98, Rec. p. I-151). En revanche, la Cour n'a jamais considéré comme portant sur des modalités de vente des dispositions nationales qui, tout en réglant certains aspects de la mise en vente de produits, requièrent une modification de ceux-ci.
29. Il convient de rappeler à cet égard que la Cour a considéré que la nécessité de modifier l'emballage ou l'étiquette des produits importés exclut qu'il s'agisse de modalités de vente au sens de l'arrêt Keck et Mithouard, précité (voir arrêts du 3 juin 1999, Colim, C-33-97, Rec. p. I-3175, point 37, et du 16 janvier 2003, Commission/Espagne, C-12-00, Rec. p. I-459, point 76).
30. En conséquence, ne saurait être considérée comme portant sur des modalités de vente au sens de l'arrêt Keck et Mithouard, précité, la réglementation d'un État membre qui interdit qu'un produit légalement fabriqué et commercialisé dans un autre État membre soit mis en vente dans le premier État membre sans avoir fait l'objet d'un nouveau conditionnement spécifique répondant aux exigences de cette réglementation.
31. La Cour a précisé que la raison pour laquelle une réglementation imposant certaines modalités de vente échappe au domaine d'application de l'article 30 du traité réside dans le fait qu'elle n'est pas de nature à empêcher l'accès de produits importés au marché de cet État membre ou à le gêner davantage qu'elle ne gêne celui des produits nationaux (voir arrêts Keck et Mithouard, précité, point 17, et du 10 mai 1995, Alpine Investments, C-384-93, Rec. p. I- 1141, point 37).
32. L'affaire au principal a pour particularité que le produit mis en vente par M. Morellato était importé alors que son processus de production n'était pas encore finalisé. En effet, pour pouvoir commercialiser le produit en Italie en tant que pain prêt à la consommation, il était nécessaire d'y procéder à une cuisson complémentaire du pain précuit importé de France.
33. Le fait qu'un produit doive, dans une certaine mesure, être transformé après son importation n'exclut pas en soi qu'une exigence relative à sa commercialisation puisse tomber dans le domaine d'application de l'article 30 du traité. En effet, il se peut que, comme en l'espèce au principal, ce produit importé ne soit pas un simple composant ou ingrédient d'un autre produit, mais constitue, en réalité, le produit destiné à la commercialisation une fois qu'un simple processus de transformation aura été accompli.
34. Dans une telle situation, la question pertinente est celle de savoir si l'exigence de conditionnement préalable prévue par la réglementation de l'État membre d'importation comporte la nécessité d'une adaptation du produit afin de respecter cette exigence.
35. En l'espèce, rien dans le dossier n'indique qu'il était nécessaire que le pain précuit, tel qu'importé en Italie, soit adapté pour respecter cette exigence.
36. Dans ces circonstances, une exigence de conditionnement préalable ne concernant que la commercialisation du pain résultant de la cuisson finale du pain précuit est, en principe, de nature à échapper au domaine d'application de l'article 30 du traité, à condition qu'elle ne constitue pas, en réalité, une discrimination envers les produits importés.
37. À cet égard, s'il n'y a pas de production du produit concerné dans l'État membre d'importation, une telle exigence, bien qu'indistinctement applicable, désavantagerait uniquement les produits importés, en ce qu'elle découragerait leur importation ou les rendrait moins attrayants pour le consommateur final. Si tel était le cas, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de déterminer, ladite exigence constituerait une entrave à l'importation et tomberait donc sous le coup de l'interdiction prévue à l'article 30 du traité, à moins qu'elle ne puisse être justifiée par un but d'intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises.
38. Ainsi qu'il ressort du libellé de la troisième question préjudicielle, la seule cause de justification invoquée dans l'affaire au principal est celle tenant à la protection de la santé et de la vie des personnes au sens de l'article 36 du traité.
39. Ni la juridiction de renvoi ni le Gouvernement italien n'ont fourni d'indications démontrant que le fait que le pain vendu par M. Morellato n'a pas été conditionné avant sa mise en vente représente un risque pour la santé.
40. S'agissant plus particulièrement du Gouvernement italien, ce dernier a explicitement reconnu, en réponse à une question que lui avait posée la Cour, que les modifications apportées à l'article 14 de la loi n° 580-1967 n'étaient pas motivées par des exigences de sécurité alimentaire ni par des considérations tenant à la protection du consommateur, mais seulement par le fait que le pain précuit, surgelé ou non, commercialisé après l'achèvement de sa cuisson était trop compétitif par rapport au pain produit selon des méthodes artisanales.
41. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, à supposer qu'une entrave soit constatée dans l'espèce au principal, elle ne saurait être justifiée par des raisons tenant à la protection de la santé et de la vie des personnes au sens de l'article 36 du traité.
42. Il convient donc de répondre aux première à troisième questions que ne constitue pas une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité l'exigence d'un conditionnement préalable à laquelle le droit d'un État membre soumet la mise en vente de pain obtenu en achevant, dans cet État membre, la cuisson de pain partiellement cuit, surgelé ou non, importé d'un autre État membre, pourvu qu'elle soit indistinctement applicable aux produits tant nationaux qu'importés et qu'elle ne constitue pas en réalité une discrimination envers les produits importés.
Si la juridiction nationale devait, en procédant à cette vérification, constater qu'une entrave à l'importation résulte de ladite exigence, celle-ci ne saurait être justifiée par des raisons tenant à la protection de la santé et de la vie des personnes au sens de l'article 36 du traité.
Sur les quatrième et cinquième questions
43. Par ses quatrième et cinquième questions, la juridiction nationale demande en substance si les juridictions nationales ont l'obligation de garantir le plein effet de l'article 30 du traité en écartant de leur propre initiative les dispositions internes incompatibles avec cet article.
44. Il résulte clairement de la jurisprudence de la Cour qu'il doit être répondu par l'affirmative aux questions ainsi reformulées (voir, notamment, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106- 77, Rec. p. 629, point 21, et du 13 mars 1997, Morellato, C-358-95, Rec. p. I-1431, point 18).
45. Il convient donc de répondre aux quatrième et cinquième questions que les juridictions nationales ont l'obligation de garantir le plein effet de l'article 30 du traité en écartant de leur propre initiative les dispositions internes incompatibles avec cet article.
Sur les dépens
46. Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale civile di Padova , par décision du 16 octobre 2000, dit pour droit:
1) Ne constitue pas une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) l'exigence d'un conditionnement préalable à laquelle le droit d'un État membre soumet la mise en vente de pain obtenu en achevant, dans cet État membre, la cuisson de pain partiellement cuit, surgelé ou non, importé d'un autre État membre, pourvu qu'elle soit indistinctement applicable aux produits tant nationaux qu'importés et qu'elle ne constitue pas en réalité une discrimination envers les produits importés.
Si la juridiction nationale devait, en procédant à cette vérification, constater qu'une entrave à l'importation, résulte de ladite exigence, celle -ci ne saurait être justifiée par des raisons tenant à la protection de la santé et de la vie des personnes au sens de l'article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE).
2) Les juridictions nationales ont l'obligation de garantir le plein effet de l'article 30 du traité en écartant de leur propre initiative les dispositions internes incompatibles avec cet article.