CJCE, 23 novembre 1977, n° 38-77
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Enka BV
Défendeur :
Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen
LA COUR,
1 Attendu que, par ordonnance du 15 novembre 1976, arrivée au greffe de la Cour de justice le 4 avril 1977, la Tariefcommissie à Amsterdam a posé trois questions, relatives à l'interprétation de l'article 10, paragraphe 2, littera d), de la directive du Conseil n° 69-74 du 4 mars 1969 concernant l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives au régime des entrepôts douaniers (JO n° L 58 du 8.3.1969, p. 7) ;
2 Que ces questions sont posées à l'occasion d'un litige opposant l'administration douanière des Pays-Bas à un déclarant en douane à propos de la détermination de la valeur en douane, à sa sortie de l'entrepôt à Arnhem, d'un lot de câbles d'acier pour pneus, vendu par un fabricant irlandais à un acheteur établi au Grand-Duché de Luxembourg ;
3 Que selon l'administration douanière - défenderesse au principal - les frais d'entreposage de la marchandise ne peuvent pas, pour la détermination de la valeur en douane, être déduits du montant global facture par le vendeur a l'acheteur, tandis que selon la demanderesse au principal cette déduction doit être opérée ;
4 Attendu que l'article 10, paragraphe 2, littera d), de la directive n° 69-74 dispose que :'en ce qui concerne la prise en considération du prix paye ou a payer pour la détermination de la valeur en douane, les dispositions particulières suivantes s'appliquent :
a)...
b)...
c)...
d) ne doivent pas être incorporés dans la valeur en douane les frais d'entreposage et de conservation des marchandises pendant leur séjour dans les entrepôts supportés par un acheteur, lorsque le prix payé ou à payer par cet acheteur est retenu comme base de l'évaluation' ;
5 Qu'en vue d'assurer l'application dudit article 10, paragraphe 2, la réglementation néerlandaise, en l'occurrence l'article 16, littera g, du tariefbesluit 1960 a été modifiée par un arrêté Royal du 17 juin 1970 (Staatsblad 1970, p. 687), de telle façon que son texte se lit comme suit :
" pour la détermination de la valeur (en douane) de marchandises à la sortie d'un entrepôt... les dispositions particulières ci-après sont d'application pour la prise en considération du prix payé ou à payer...
c) le prix payé ou à payer, retenu comme base de l'évaluation, ne doit pas être ajusté en fonction des frais d'entreposage et de conservation des marchandises pendant leur séjour dans les entrepôts." ;
6 Que, selon la défenderesse au principal, cet article 16, littera g, et, en particulier, l'expression "ne doit pas être ajusté" (dient niet te worden aangepast), doit être interprétée en ce sens que lorsque - ainsi que le permet l'article 9 du règlement du Conseil n° 803-68 du 27 juin 1968, relatif à la valeur en douane des marchandises (JO n° L 148 du 28. 6. 1968, p. 6) - le prix payé ou à payer pour la marchandise est admis par l'administration douanière comme correspondant au prix 'normal' qui, selon l'article 1 du même règlement n° 803-68, détermine la valeur en douane, ce prix payé ou à payer ne doit pas être diminué des frais d'entreposage si ceux-ci y sont inclus et que ces frais ne doivent pas y être ajoutés, s'il n'y étaient pas compris ;
7 Que, tout en admettant que les termes de l'article 16, littera g, du tariefbesluit ne correspondent pas littéralement à ceux de la directive, l'administration néerlandaise soutient que l'essentiel de celle-ci est respecte et que, cette directive n'ayant pas d'effet direct, la demanderesse au principal ne pourrait faire état de la différence entre les deux rédactions pour faire prévaloir celle de la directive ;
Sur la première question
8 Attendu que, par la première question, il est demandé si les termes de l'article 10, paragraphe 2, littera d), de la directive du conseil n° 69-74 du 4 mars 1969 sont de nature si spécifique que cette disposition peut être considérée comme directement obligatoire, en d'autres mots comme produisant un effet direct ;
9 Attendu que la Cour a déjà constaté dans l'arrêt rendu le 1er février 1977 dans l'affaire 51-76 (Verbond van Nederlandse Ondernemingen / Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen, Recueil, p. 113) que, dans les cas où les autorités communautaires ont, par voie de directive, oblige les Etats membres à adopter un comportement déterminé, l'effet utile d'un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales empêchées de le prendre en considération en tant qu'élément du droit communautaire ;
10 Qu'il en est notamment ainsi lorsque le justiciable invoque une disposition d'une directive devant la juridiction nationale, dans le but de faire vérifier par celle-ci si les autorités nationales compétentes, dans l'exercice de la faculté qui leur est réservée quant a la forme et aux moyens pour la mise en œuvre de la directive, sont restées dans les limites d'appréciation tracées par celle-ci ;
11 Attendu qu'il ressort de l'article 189, alinéa 3, du traite que la compétence laissée aux Etats membres en ce qui concerne la forme et les moyens des mesures a prendre par les instances nationales, est fonction du résultat que le Conseil ou la Commission entendent voir atteindre ;
12 Qu'en ce qui concerne le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière douanière, en vue d'assurer une application uniforme du tarif douanier commun, il peut s'avérer nécessaire de réaliser une identité rigoureuse de celles qui règlent le traitement à réserver aux marchandises importées dans la Communauté, quel que soit l'Etat membre à travers la frontière duquel cette importation est effectuée ;
13 Attendu que, selon le sixième considérant du règlement n° 803-68 précité,'il importe que la valeur en douane soit déterminée d'une manière uniforme dans les Etats membres, de sorte que le niveau de la protection matérialisée par le tarif douanier commun soit le même dans toute la Communauté, et que soient ainsi empêchés tous détournements de trafic et d'activités et toutes distorsions de concurrence qui pourraient naître de l'existence de dispositions nationales divergentes' ;
14 Qu'en vue de réaliser cet objectif, les articles 1 a 8 de ce règlement déterminent de façon précise ce qu'il y a lieu d'entendre par 'prix normal' de la marchandise en tant que base de la détermination de la valeur en douane, et l'article 9 ce qu'il y a lieu d'entendre par 'prix paye ou à payer', lequel prix peut, sous certaines conditions, être admis comme correspondant au prix normal ;
15 Attendu que l'article 10, paragraphe 2, littera d), de la directive n° 69-74 constitue, en réalité, une mesure d'application dudit article 9, pour le cas particulier de marchandises qui, avant leur dédouanement, ont résidé en entrepôt sur le territoire communautaire ;
16 Que, sous peine de provoquer des distorsions et des détournements de trafic, cette disposition doit, dès lors, recevoir une application identique dans tous les Etats membres ;
17 Qu'il faut en conclure que, en ce qui concerne le contenu de la notion de 'prix payé ou à payer' visée à l'article 9 du règlement n° 803-68, la directive ne ménage pas de marge d'appréciation aux instances nationales, de sorte que les termes de la directive doivent prévaloir sur les dispositions qui seraient incompatibles avec elle dans chaque Etat membre ;
18 Qu'il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 10, paragraphe 2, littera d), de la directive n° 69-74 du 4 mars 1969 est de nature à pouvoir être invoqué par les justiciables, dans le but de faire vérifier si les mesures nationales édictées en vue de sa mise en œuvre lui sont conformes, et que les juridictions nationales doivent le faire prévaloir sur les mesures nationales qui s'avéreraient incompatibles avec ses termes ;
Sur la deuxième question
19 Attendu que, pour le cas où il serait répondu affirmativement à la première question, il est ensuite demandé si la rédaction de l'article 16, littera g, du Tariefbesluit 1960 constitue une reproduction adéquate de l'article 10 de la directive n° 69-74 ;
20 Attendu que, dans le cadre de l'article 177 du traité, la Cour n'est compétente ni pour interpréter des dispositions du droit national, ni pour se prononcer sur leur éventuelle incompatibilité avec le droit communautaire ;
21 Qu'elle peut cependant, dans le cadre de l'interprEtation du droit communautaire, fournir a la juridiction nationale les éléments qui permettront àcelle-ci de trancher le litige dont elle est saisie, notamment en ce qui concerne une éventuelle incompatibilité entre des dispositions nationales et communautaires ;
22 Que la réponse à la troisième question est de nature a fournir à cet égard les indications nécessaires ;
Sur la troisième question
23 Attendu que, par la troisième question, il est demandé si l'article 10, paragraphe 2, littera d), de la directive n° 69-74 doit être interprété en ce sens que le prix paye ou a payer, qui sert de base pour l'évaluation de la valeur en douane d'une marchandise, doit être diminué des frais d'entreposage de la marchandise dans la Communauté ;
24 Attendu que tous les Etats membres sont parties contractantes à la Convention sur la valeur en douane des marchandises, signée a Bruxelles le 15 décembre 1950 et entrée en vigueur le 25 juillet 1953 ;
25 Que, selon l'article 1 de l'annexe i a cette Convention, le 'prix normal' d'une marchandise importée, qui constitue sa valeur en douane pour l'application des droits ad valorem, est déterminé en supposant que les marchandises sont livrées à l'acheteur au port ou au lieu d'introduction de la marchandise, et que dans ce prix sont inclus tous les frais de vente et livraison de la marchandise au port ou au lieu d'introduction, tandis qu'en sont exclus tous les droits et taxes exigibles dans le pays d'importation ;
26 Que l'article 1, paragraphe 2, du règlement n° 803-68 reproduit quasi textuellement cette règle en disposant que 'le prix normal des marchandises importées est déterminé en supposant que :
a) les marchandises sont livrées à l'acheteur au lieu d'introduction dans le territoire douanier de la Communauté ;
b) le vendeur supporte tous les frais se rapportant à la vente et à la livraison des marchandises au lieu d'introduction, ces frais étant, dès lors, compris dans le prix normal ;
c) l'acheteur supporte les droits et taxes exigibles dans le territoire douanier de la Communauté, ces droits et taxes étant, dès lors, exclus du prix normal.' ;
27 Qu'il ressort de l'article 9, paragraphe 1, littera c), dudit règlement que la même distinction s'impose lorsque le prix payé ou à payer pour la marchandise importée est admis comme valeur en douane puisque ce prix doit, le cas échéant, être ajusté pour tenir compte des éléments qui, dans la vente considérée, différeraient des éléments constitutifs du prix normal ;
28 Que l'article 10, paragraphe 2, de la directive n° 69-74 concerne l'application de cette règle au cas particulier des marchandises qui résident en entrepôt après leur introduction dans le territoire communautaire et prévoit, dès lors, que les frais d'entreposage ne doivent pas être incorporés dans la valeur en douane parce qu'ils sont, en vertu de la fiction légale relative à la formation du prix normal, censés être supportés par l'acheteur, c'est-à-dire être, au sens de l'article 1, paragraphe 2, littera c), du règlement n° 803-68, exigibles dans le territoire de la Communauté ;
29 Que cette interprEtation, conforme aux règles communautaires et aux Conventions internationales dont la disposition en cause assure l'application, exclut celle selon laquelle, suivant le cas où ces frais sont facturés à part ou compris dans le prix global fait a l'acheteur, lesdits frais seraient exclus ou inclus dans la valeur en douane ;
30 Que cette dernière interprEtation ne serait d'ailleurs pas compatible avec la règle du paragraphe 1, littera c), de l'article 9 du règlement n° 803-68, selon laquelle le prix paye ou a payer ne pourra être admis comme valeur en douane que pour autant que ce prix soit ajuste, si nécessaire 'pour tenir compte des éléments qui, dans la vente considérée, différeraient des éléments constitutifs du prix normal' ;
31 Qu'il y a donc lieu de répondre que l'article 10, paragraphe 2, littera d), de la directive n° 69-74 doit être interprété en ce sens que si, pour la détermination de la valeur en douane d'une marchandise, on prend comme base le prix payé ou à payer par l'acheteur, et que ce prix comprend, outre le prix des marchandises, un montant correspondant aux frais d'entreposage et de conservation des marchandises durant leur séjour en entrepôt dans le territoire de la Communauté, ce prix doit être ajusté de façon à ce que ces derniers éléments en soient exclus ;
Sur les dépens
32 Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes et le Gouvernement néerlandais, qui ont soumis des observations àla Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;
33 Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions qu'elle a soumises par la Tariefcommissie à Amsterdam par ordonnance du 15 novembre 1976, dit pour droit :
1) L'article 10, paragraphe 2, littera d), de la directive n° 69-74 du 4 mars 1969 est de nature a pouvoir être invoqué par les justiciables dans le but de faire vérifier si les mesures nationales édictées en vue de sa mise en œuvre lui sont conformes, et les juridictions nationales doivent le faire prévaloir sur les mesures nationales qui s'avéreraient incompatibles avec ses termes ;
2) L'article 10, paragraphe 2, littera d), de la directive n° 69-74 doit être interprété en ce sens que si, pour la détermination de la valeur en douane d'une marchandise, on prend comme base le prix payé ou à payer par l'acheteur et que ce prix comprend, outre le prix des marchandises, un montant correspondant aux frais d'entreposage et de conservation des marchandises durant leur séjour en entrepôt dans le territoire de la Communauté, ce prix doit être ajusté de façon à ce que ces derniers éléments en soient exclus.