CJCE, 6e ch., 10 septembre 2002, n° C-172/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ferring Arzneimittel GmbH
Défendeur :
Eurim-Pharm Arzneimittel GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Macken
Avocat général :
M. Geelhoed
Juges :
MM. Gulmann, Puissochet, Skouris, Cunha Rodrigues
Avocats :
Mes Hess, Epping
LA COUR (sixième chambre),
1. Par ordonnance du 14 avril 2000, parvenue à la Cour le 10 mai suivant, le Landgericht Köln a posé, en vertu de l'article 234 CE, quatre questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 28 CE et 30 CE.
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Ferring Arzneimittel GmbH (ci-après "Ferring") à Eurim-Pharm Arzneimittel GmbH (ci-après "Eurim-Pharm") au sujet de l'importation parallèle en Allemagne par cette dernière société d'un médicament produit par Ferring.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3. En vertu de l'article 28 CE, les restrictions quantitatives à l'importation et les mesures d'effet équivalent sont interdites entre les États membres. Toutefois, selon l'article 30 CE, les interdictions ou restrictions à l'importation qui sont justifiées par des raisons, notamment, de protection de la santé des personnes sont autorisées, dès lors qu'elles ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.
4. Selon l'article 3, premier alinéa, de la directive 65-65-CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux médicaments (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée par la directive 93-39-CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 214, p. 22, ci-après la "directive 65-65"), aucun médicament ne peut être mis sur le marché d'un État membre sans qu'une autorisation de mise sur le marché (ci-après une "AMM") ait été délivrée par l'autorité compétente de cet État.
5. L'article 4 de la directive 65-65 définit en détail la procédure, les documents et renseignements nécessaires aux fins de l'octroi d'une AMM.
6. L'article 5 de la directive 65-65 dispose que l'AMM sera refusée lorsque, après vérification des renseignements et des documents énumérés à l'article 4, il apparaît que le médicament est nocif dans des conditions normales d'emploi, ou que l'effet thérapeutique du médicament fait défaut ou est insuffisamment justifié par le demandeur, ou que le médicament n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée.
7. Selon l'article 29 bis de la deuxième directive 75-319-CEE du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13), telle que modifiée par la directive 93-39, les États membres établissent un système de pharmacovigilance qui, notamment, impose des obligations au détenteur de l'AMM en ce qui concerne l'enregistrement et la notification de tous les effets indésirables des médicaments sur l'homme. À cet effet, des rapports doivent être soumis aux autorités compétentes à intervalles réguliers, lesquels doivent être accompagnés d'une évaluation scientifique.
La réglementation nationale
8. Selon l'article 105 de l'Arzneimittelgesetz (loi relative aux médicaments de 1976, ci-après l'"AMG"), les médicaments qui étaient déjà sur le marché allemand lors de l'entrée en vigueur de cette loi, à savoir le 1er janvier 1978, pouvaient être commercialisés en Allemagne sans autorisation expresse, mais sur la base d'une autorisation dite "fictive", moyennant une déclaration auprès de l'autorité compétente. Toutefois, ces médicaments anciens ne pouvaient rester sur le marché allemand que si, au plus tard le 30 avril 1990, une demande appropriée de prorogation de l'autorisation fictive (ci-après la "demande de réautorisation") avait été présentée.
9. Selon l'article 31, paragraphe 1, point 2, de l'AMG, une AMM s'éteint par renonciation écrite. En vertu du paragraphe 4 de ladite disposition de l'AMG, dans sa version initiale, le médicament concerné pouvait encore, nonobstant une telle renonciation, être vendu pendant une période de deux ans, afin de permettre la liquidation des stocks. Cette règle s'appliquait aussi pour les médicaments bénéficiant d'une autorisation fictive. La huitième loi portant modification de l'AMG a cependant supprimé, avec effet au 11 septembre 1998, la possibilité de bénéficier d'un délai biennal de liquidation des stocks en cas de renonciation à une autorisation fictive. En revanche, en vertu de l'article 105, paragraphe 5, sous c), de l'AMG, il était possible d'obtenir le report de l'extinction de l'autorisation fictive au 31 décembre 2004 en retirant la demande de réautorisation.
10. Selon une communication du Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (Institut fédéral des médicaments et des produits médicaux) du 17 avril 1996, relative à l'autorisation des médicaments faisant l'objet d'importations parallèles, les importateurs parallèles ont le droit, moyennant une simple notification à l'autorité compétente, de mettre sur le marché des médicaments qui s'y trouvent déjà sur la base d'une autorisation fictive, en indiquant le numéro de référence approprié (ci-après l'"autorisation d'importation parallèle"). Lorsque l'importateur bénéficie d'une telle autorisation, il n'est pas procédé à une vérification formelle de l'identité entre les médicaments importés et ceux commercialisés sur le marché allemand.
11. Selon ladite communication, dans le cas d'une demande de réautorisation présentée par le titulaire d'une autorisation fictive, la pratique administrative consiste à maintenir la possibilité d'effectuer des importations parallèles, pour autant qu'elles sont conformes au médicament de référence, jusqu'à ce que ladite procédure de réautorisation soit clôturée.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12. Ferring a commercialisé en Allemagne, sous le numéro de référence 10545, le médicament dénommé "Minirin Spray" (ci-après l'"ancienne version du médicament"), qui est un antidiurétique comportant la substance active dite "desmopressine", sur la base d'une autorisation fictive délivrée en vertu de l'article 105 de l'AMG.
13. Depuis juin 1996, Eurim-Pharm importe ce médicament d'un autre État membre et le commercialise en Allemagne sous le même numéro de référence 10545.
14. Par lettre du 14 juillet 1999, Ferring a renoncé à ladite autorisation fictive par voie de notification au Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte, au motif qu'elle commercialise actuellement un médicament dénommé "Minirin Nasenspray 5 ml" (ci-après la "nouvelle version du médicament") sur la base d'une AMM obtenue en conformité avec les nouvelles dispositions de l'AMG relatives aux AMM. La nouvelle version du médicament contient des excipients différents qui améliorent sa thermostabilité à la température ambiante, alors que l'ancienne version devait être conservée dans un endroit frais.
15. Par la suite, Ferring a assigné Eurim-Pharm devant le Landgericht Köln en vue d'obtenir la cessation de l'importation et de la commercialisation de l'ancienne version du médicament, en fondant sa demande sur le fait que, dès lors qu'elle a renoncé à son AMM, c'est sans autorisation que ladite version est mise sur le marché par cette société.
16. Le 25 octobre 1999, le Landgericht a rendu une ordonnance en référé interdisant à Eurim- Pharm d'importer l'ancienne version du médicament et de la mettre sur le marché allemand sous le numéro de référence 10545.
17. En ce qui concerne le fond du litige, le Landgericht constate, tout d'abord, que le délai de deux ans destiné à permettre la liquidation des stocks, prévu à l'article 31, paragraphe 4, de l'AMG dans sa version initiale, ne s'applique pas aux autorisations fictives. Ensuite, il relève que des considérations relatives au droit communautaire ne conduisent pas à lever l'interdiction d'importation décidée par le juge des référés, puisque la possibilité de s'appuyer sur des AMM existantes, qui découle de la dépendance entre le produit et l'autorisation, ne s'applique qu'aux autorisations qui sont en vigueur. En cas de défaut d'AMM, il n'existerait aucun fondement à l'action de l'importateur parallèle. Enfin, même une possibilité de commercialisation qui ne serait maintenue qu'à titre transitoire ne pourrait pas exister sans autorisation de référence, car la question de savoir si l'ancienne et la nouvelle version du médicament sont suffisamment similaires du point de vue thérapeutique devrait préalablement être examinée dans le cadre de la procédure engagée par Eurim-Pharm en vue de la délivrance de l'autorisation d'importation parallèle. Toutefois, le Landgericht considère qu'il est possible que la Cour s'oppose à une telle analyse.
18. Dans ces conditions, le Landgericht Köln a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Les articles 28 CE et 30 CE s'opposent-ils à ce qu'une législation nationale interdise la commercialisation d'un médicament X
- pour lequel il existait jusqu'alors une autorisation fictive dans l'État membre A, à présent supprimée du fait que le titulaire de l'autorisation y a renoncé,
- qui était jusque-là et depuis plusieurs années déjà importé de façon parallèle de l'État membre B dans l'État membre A où il était commercialisé sous le couvert de ladite autorisation fictive,
- que le fabricant et titulaire de l'autorisation remplace par une nouvelle préparation Y qui est mise sur le marché de l'État membre A sous le couvert d'une autorisation spécifique, et
- lorsque la préparation Y ne se différencie de la préparation X que par des excipients modifiés, qui sont destinés à améliorer la thermostabilité du produit et rendent, ainsi, la conservation dans un réfrigérateur superflue?
2) Revêt-il de l'importance aux fins de la décision en l'espèce que le titulaire de l'autorisation qui n'existe plus désormais disposait d'un moyen juridique pour renoncer à cette autorisation en faisant en sorte que le produit reste encore commercialisable pendant une certaine période (transitoire)?
Dans l'affirmative, au regard de quels critères ledit titulaire est-il tenu de prendre en compte, dans le choix de sa conduite, la libre circulation des marchandises dans la Communauté?
3) Revêt-il de l'importance aux fins de la décision en l'espèce de savoir si le médicament Y, dans sa nouvelle formule, n'est mis sur le marché que dans l'État membre A, ou s'il se trouve également sur le marché dans d'autres États membres?
4) Revêt-il de l'importance aux fins de la décision en l'espèce que la coexistence de l'une et l'autre versions dans l'État membre A comporte le risque d'une mauvaise conservation du médicament X?"
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
19. Selon les principes énoncés dans la directive 65-65, aucun médicament ne peut être mis en vente pour la première fois dans un État membre sans qu'une AMM ait été délivrée conformément à cette directive par l'autorité compétente de cet État et les demandes d'AMM des médicaments introduites par le responsable de la mise sur le marché doivent contenir les renseignements et être accompagnées des documents énumérés à l'article 4 de ladite directive, même lorsque le médicament concerné bénéficie déjà d'une AMM délivrée par l'autorité compétente d'un autre État membre (arrêt du 16 décembre 1999, Rhône-Poulenc Rorer et May & Baker, C-94-98, Rec. p. I-8789, point 23).
20. Toutefois, ces principes admettent des exceptions découlant, d'un côté, de la directive 65- 65 elle-même et, de l'autre, des règles du traité CE relatives à la libre circulation des marchandises.
21. Ces dernières règles, telles qu'interprétées par la Cour, impliquent notamment qu'un opérateur, qui a acheté un médicament légalement commercialisé dans un État membre sous une AMM délivrée dans cet État, puisse importer ce médicament dans un autre État membre où il bénéficie déjà d'une AMM, sans être tenu d'obtenir une telle autorisation conformément à la directive 65-65 et sans avoir à fournir les informations relatives au contrôle de l'efficacité et de l'innocuité du médicament prévu par ladite directive. En effet, il n'est pas nécessaire, pour protéger la santé des personnes, de soumettre les importateurs parallèles à de telles exigences étant donné que les autorités compétentes de l'État membre d'importation disposent déjà de toutes les informations indispensables à l'exercice dudit contrôle (voir notamment arrêts du 20 mai 1976, De Peijper, 104-75, Rec. p. 613, points 21 et 36, ainsi que du 12 novembre 1996, Smith & Nephew et Primecrown, C-201-94, Rec. p. I-5819, point 22).
22. Dans de tels cas, l'importation parallèle est autorisée dans l'État d'importation par référence à l'AMM délivrée conformément à la directive 65-65 (ci-après l'"AMM de référence").
23. Il découle de ce qui précède que, au cas où l'AMM de référence est retirée à la demande de son titulaire et, plus particulièrement, dans une situation telle que celle en cause au principal, l'autorisation d'importation parallèle soulève un problème spécifique lorsque:
- ce retrait est motivé par le fait que le titulaire a remplacé l'ancienne version du médicament par une nouvelle version, pour laquelle il a obtenu une nouvelle AMM, qui ne se différencie toutefois de l'ancienne version que par les excipients qu'elle contient, et que
- cette ancienne version est toujours légalement commercialisée dans un autre État membre sous une AMM qui n'a pas été retirée par son titulaire.
24. Une situation analogue a déjà fait l'objet de questions préjudicielles soumises à la Cour dans l'affaire Rhône-Poulenc Rorer et May & Baker, précitée. Toutefois, dans cette affaire, il s'agissait de vérifier si, compte tenu du fait que les autorités du Royaume-Uni avaient admis que des autorisations d'importation parallèle d'une ancienne version d'un médicament soient annexées à l'AMM délivrée pour une nouvelle version de celui-ci, les importations de l'ancienne version pouvaient être considérées comme des importations parallèles, en sorte que la procédure normale d'autorisation prévue par la directive 65-65 ne s'appliquait pas.
25. En revanche, dans l'affaire au principal, le retrait de l'AMM de référence implique, conformément au droit allemand tel qu'exposé par la juridiction de renvoi, qu'il n'est plus possible pour l'importateur parallèle de continuer ses importations de l'ancienne version du médicament, le simple fait que l'AMM de référence soit retirée impliquant le retrait automatique de l'autorisation d'importation parallèle.
26. Pour répondre aux questions préjudicielles, qu'il convient d'examiner ensemble, il importe ainsi de vérifier si les articles 28 CE et 30 CE s'opposent à une réglementation nationale selon laquelle le retrait de l'AMM d'un médicament à la demande de son titulaire implique que l'autorisation d'importation parallèle de ce même médicament cesse automatiquement d'être valide et si les aspects évoqués aux deuxième, troisième et quatrième questions sont pertinents à cet égard.
Observations présentées devant la Cour
27. Ferring soutient que, à la suite de la suppression de l'AMM dont il était titulaire pour l'ancienne version du médicament, la base juridique pour la mise sur le marché de celle-ci a disparu. Eurim-Pharm devrait donc demander une nouvelle autorisation d'importation parallèle en se référant à la nouvelle AMM. Dans le cadre de cette procédure, l'autorité nationale compétente devrait vérifier si l'ancienne et la nouvelle version du médicament comportent des effets thérapeutiques différents. Jusqu'à la décision de ladite autorité, l'ancienne version ne pourrait pas être commercialisée.
28. Ensuite, Ferring fait valoir qu'il n'est pas légitime de la forcer à maintenir, dans l'intérêt d'importateurs parallèles, une autorisation fictive ou à faire usage de la faculté qu'elle avait de retirer la demande de réautorisation, ce qui aurait eu pour conséquence que l'ancienne version aurait pu être mise sur le marché jusqu'au 31 décembre 2004. Selon elle, commercialiser aussi vite que possible des médicaments sur la base de nouvelles AMM conformes au droit communautaire est une question de bon sens.
29. Enfin, Ferring souligne que si les deux versions du médicament en cause au principal coexistaient sur le marché, des risques de confusion ne sauraient être exclus, dès lors que l'ancienne version pourrait être conservée à la température ambiante nonobstant un éventuel avertissement figurant sur l'emballage du produit destiné à inciter le consommateur à garder ce médicament au frais.
30. Tout en soulignant qu'une justification de la cessation de l'importation parallèle par la protection de la santé est exclue dans l'affaire au principal, Eurim-Pharm fait valoir que l'ancienne version du médicament doit à tout le moins pouvoir être commercialisée pendant une période transitoire. S'agissant de la pharmacovigilance, elle relève que les autorités allemandes disposent en effet de tous les renseignements produits dans le cadre des différentes procédures d'autorisation. En outre, elles peuvent s'adresser aux autorités d'autres États membres, dans lesquels l'ancienne version du médicament est encore commercialisée.
31. Lors de l'audience, le Gouvernement suédois a soutenu que les règles régissant la commercialisation des médicaments ne peuvent être interprétées d'une manière plus stricte que ce qu'exige la protection de la santé publique. Cela impliquerait qu'il n'y a aucune raison de restreindre la libre circulation d'un médicament qui a fait l'objet d'un précédent examen par les autorités compétentes de l'État membre d'importation et pour lequel une AMM a été délivrée, pour autant que la pharmacovigilance est maintenue.
32. Selon la Commission, dans le cas où une AMM de référence est retirée à la demande de son titulaire, l'importation parallèle d'un médicament identique à celui pour lequel cette AMM a été délivrée devrait être permise, conformément à l'article 28 CE. En effet, les autorités compétentes de l'État membre d'importation disposeraient des documents nécessaires et, en particulier, de ceux concernant le procédé de fabrication ainsi que la composition qualitative et quantitative du médicament de référence. Le retrait de l'AMM de celui-ci en raison de la demande de son titulaire serait un acte purement formel qui ne changerait rien au regard du médicament concerné. Elle souligne qu'une autorisation d'importation parallèle ne peut dépendre de la volonté du titulaire de l'AMM du médicament de référence. En effet, un retrait arbitraire entraînant la déchéance de l'autorisation d'importation parallèle se traduirait par un cloisonnement du marché et irait dès lors à l'encontre du bon fonctionnement du marché intérieur.
Appréciation de la Cour
33. Il est constant que la cessation de la validité d'une autorisation d'importation parallèle consécutive au retrait de l'AMM de référence constitue une restriction à la libre circulation des marchandises contraire à l'article 28 CE, à moins qu'elle ne soit justifiée par des raisons tenant à la protection de la santé publique, conformément aux dispositions de l'article 30 CE.
34. Il appartient aux autorités nationales compétentes pour la gestion de la réglementation en matière de production et de commercialisation des médicaments - réglementation qui, ainsi qu'il est précisé dans le premier considérant de la directive 65-65, a comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique - de veiller au strict respect de celui-ci. Toutefois, le principe de proportionnalité qui est le fondement de la dernière phrase de l'article 30 CE exige que la faculté des États membres d'interdire les importations des produits en provenance d'autres États membres soit limitée a ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de protection de la santé légitimement poursuivis (voir arrêt du 14 juillet 1983, Sandoz, 174-82, Rec. p. 2445, point 18). En effet, une réglementation ou pratique nationale ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue audit article 30 CE lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires.
35. Or, dans une situation telle que celle au principal, dans laquelle, à la demande de son titulaire, une AMM de référence est retirée à des fins autres que la protection de la santé publique, il ne semble pas, ainsi que l'ont relevé notamment le Gouvernement suédois et la Commission, qu'il existe des raisons justifiant la cessation automatique de la validité de l'autorisation d'importation parallèle.
36. Tout d'abord, il convient de relever que le retrait d'une AMM de référence n'implique pas en soi que l'ancienne version du médicament est mise en cause en ce qui concerne la qualité, l'efficacité et l'innocuité de celle-ci. À cet égard, il convient de relever que cette version continue à être légalement commercialisée dans l'État membre d'exportation sous le couvert de l'AMM délivrée dans cet État.
37. Ensuite, il y a lieu de constater que, si les autorités compétentes de l'État membre d'importation peuvent, voire doivent, adopter les mesures nécessaires aux fins du contrôle de la qualité, de l'efficacité et de l'innocuité de l'ancienne version du médicament, il n'apparaît pas, selon les informations qui ressortent du dossier, que cet objectif ne puisse pas être atteint par d'autres mesures moins restrictives pour l'importation des médicaments que la cessation automatique de la validité de l'autorisation d'importation parallèle à la suite du retrait de l'AMM de référence.
38. En effet, si une surveillance adéquate de l'ancienne version du médicament demeure nécessaire et peut, le cas échéant, impliquer que des renseignements soient demandés à l'importateur, il convient de rappeler, à cet égard, qu'une pharmacovigilance respectant les exigences découlant de la directive 75-319 telle que modifiée peut, normalement, être assurée pour des médicaments importés parallèlement comme ceux en cause au principal par la voie d'une collaboration avec les autorités nationales des autres États membres grâce à l'accès aux documents et aux données produits par le fabricant ou par d'autres sociétés de son groupe pour l'ancienne version dans les États membres dans lesquels celle-ci est encore commercialisée sur la base d'une AMM en cours de validité (voir arrêt Rhône-Poulenc Rorer et May & Baker, précité, point 46).
39. Enfin, il importe de relever également que, s'il ne saurait être exclu qu'il existe des raisons tenant à la protection de la santé publique qui exigent qu'une autorisation d'importation parallèle de médicaments soit nécessairement liée à une AMM de référence, de telles raisons ne ressortent pas des observations qui ont été présentées devant la Cour.
40. Au vu de ce qui précède, il convient de constater qu'une réglementation nationale selon laquelle le retrait d'une AMM d'un médicament de référence à la demande du titulaire de celle-ci implique que l'autorisation d'importation parallèle de ce médicament cesse automatiquement d'être valide ne respecte pas les exigences découlant de l'article 28 CE.
41. Compte tenu de cette réponse, il n'y a pas lieu d'examiner la deuxième question relative à l'importance éventuelle du fait que le titulaire de l'AMM relative à l'ancienne version du médicament disposait, selon le droit national, d'un autre moyen lui permettant de renoncer à cette autorisation en faisant en sorte que ladite version demeure commercialisable pendant une période transitoire.
42. S'agissant de la troisième question, il suffit de constater qu'il n'est fait état devant la Cour d'aucun élément susceptible d'établir que le fait que la nouvelle version du médicament est mise sur le marché du seul État membre d'importation ou se trouve également sur le marché d'autres États membres revêt de l'importance pour la réponse à la première question.
43. Pour ce qui concerne la quatrième question, relative à la circonstance que la coexistence de deux versions du même médicament sur le marché de l'État membre d'importation comporte le risque d'une mauvaise conservation de l'ancienne version de celui-ci, il y a lieu de constater que, s'il peut être démontré qu'il existe effectivement un risque pour la santé des personnes du fait de ladite coexistence, un tel risque peut justifier des restrictions à l'importation de l'ancienne version du médicament.
44. Toutefois, il importe de souligner que l'appréciation de l'existence et de la réalité du risque appartient, en premier lieu, aux autorités compétentes dudit État membre et que la simple allégation d'un tel risque faite par le titulaire de l'AMM de la nouvelle et de l'ancienne version du médicament ne suffit pas pour justifier l'interdiction de l'importation de celle-ci.
45. À cet égard, s'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur la question relative à l'existence et à la réalité d'un risque pour la santé publique, lié à la coexistence des deux versions du médicament en cause sur le marché allemand, il n'est pas exclu que le risque invoqué par Ferring soit d'une nature telle qu'il ne puisse être écarté de manière satisfaisante par un étiquetage approprié.
46. Il convient donc de répondre aux questions posées que:
- l'article 28 CE s'oppose à une réglementation nationale selon laquelle le retrait de l'AMM d'un médicament de référence à la demande de son titulaire implique que l'autorisation d'importation parallèle de ce médicament cesse automatiquement d'être valide;
- le fait que la nouvelle version du médicament est mise sur le marché du seul État membre d'importation ou se trouve également sur le marché d'autres États membres n'est pas de nature à modifier la réponse à la première question;
- s'il est démontré qu'il existe effectivement un risque pour la santé des personnes du fait de la coexistence de deux versions d'un même médicament sur le marché d'un État membre, un tel risque peut justifier des restrictions à l'importation de l'ancienne version du médicament à la suite du retrait de l'AMM de référence par son titulaire pour ce qui concerne ledit marché.
Sur les dépens
47. Les frais exposés par le Gouvernement suédois et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Landgericht Köln, par ordonnance du 14 avril 2000, dit pour droit:
1) L'article 28 CE s'oppose à une réglementation nationale selon laquelle le retrait de l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament de référence à la demande de son titulaire implique que l'autorisation d'importation parallèle de ce médicament cesse automatiquement d'être valide.
2) Le fait que la nouvelle version du médicament est mise sur le marché du seul État membre d'importation ou se trouve également sur le marché d'autres États membres n'est pas de nature à modifier la réponse à la première question.
3) S'il est démontré qu'il existe effectivement un risque pour la santé des personnes du fait de la coexistence de deux versions d'un même médicament sur le marché d'un État membre, un tel risque peut justifier des restrictions à l'importation de l'ancienne version du médicament à la suite du retrait de l'autorisation de mise sur le marché de référence par son titulaire pour ce qui concerne ledit marché.