CA Paris, 5e ch. A, 17 octobre 2001, n° 1999-22875
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bournonville Pharma (SA), Union Pharmaceutique Belge (Sté)
Défendeur :
Novartis Santé Familiale (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Mira-Bettan, SCP Lecharny-Calarn
Avocats :
Mes Sultan, Josseran.
Vu l'appel interjeté par la société Bournonville Pharma venant aux droits de la société Union Pharmaceutique Belge "UNIPEBE", à l'encontre du jugement rendu le 30 juin 1999 par le Tribunal de commerce d'Evry qui a condamné la société Laboratoires Monal, devenue société Novartis Santé Familiale, à lui payer la somme de 1 064 878 FB, ou sa contre-valeur en francs français, avec intérêts au taux légal à compter du 8 juin 1993, a condamné la société Union Pharmaceutique Belge "UNIPEBE" à payer à la société Laboratoires Monal les sommes de 74 536 FF et de 7 699,53 FF, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 avril 1998, a débouté les parties du surplus de leurs demandes et mis par moitié les dépens comprenant les honoraires de l'expert à leur charge;
Vu les écritures de la société Bournonville Pharma, venant aux droits de la société Union Pharmaceutique Belge "UNIPEBE" par lesquelles poursuivant l'infirmation de ce jugement en ce qu'il l'a condamnée à paiement envers la société Laboratoires Monal, demande à la cour de condamner cette société à lui payer la contre-valeur en francs français de la somme de 2 129 755 FB à titre d'indemnité de résiliation ainsi que la contre-valeur en francs français de la somme de 11 479 546 FB à titre d'indemnité pour la mise sur le marché par l'intimée d'un produit concurrent sans lui en avoir offert la priorité, le tout assorti des intérêts au taux légal à compter du 8 juin 1993, date de l'assignation introductive d'instance outre celle de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les écritures de la société Novartis Santé Familiale anciennement dénommée Laboratoires Monal tendant, à titre principale, à voir prononcer la nullité des conclusions d'appel déposées par la société Bournonville Pharma et de la procédure subséquente, à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement entrepris sauf à la cour de débouter la société Bournonville Pharma de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat et de la condamner à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que par convention du 1er janvier 1969, la société de droit français Laboratoires Monal a concédé à la société de droit belge Union Pharmaceutique Belge "UNIPEBE" la licence exclusive de fabrication, de conditionnement de vente, de publicité et d'exploitation de ses spécialités pharmaceutiques présentes et à venir sous toutes leurs formes et ce, en Belgique, en Hollande, au Grand-Duché du Luxembourg et dans la République Fédérale du Congo (ex belge) ; qu'en réalité, la société UNIPEBE n'a jamais exploité cette licence et de fait le contrat s'est transformé en un contrat de concession, cette société se contentant d'acheter au prix de gros aux Laboratoires Monal des produits pour les revendre;
Que les 12 mars et 8 avril 1991, les parties ont signé un nouveau contrat avec effet au 1er janvier 1990 pour une durée indéterminée, reconductible par période de 5 ans, par lequel les Laboratoires Monal ont concédé à la société UNIPEBE l'exclusivité de vente des produits Prorhinel, sous deux conditionnements et Magneplus dragées, sur les mêmes territoires que ceux du précédent contrat sauf pour le Magneplus où il a été limité à la Belgique et au Grand Duché du Luxembourg;
Que par courrier du 29 décembre 1992, les Laboratoires Monal reprochant à son distributeur belge une baisse des ventes du Prorhinel et de ne pas avoir atteint ses objectifs, ont résilié le contrat avec effet au 31 décembre suivant ; que la société UNIPEBE estimant cette résiliation abusive, a saisi le Tribunal de commerce d'Evry pour voir condamner les Laboratoires Monal à lui payer la contre-valeur en francs français de la somme de 3 265 450 FB ;
Que par un premier jugement en date du 6 mars 1996, le tribunal a désigné Monsieur Serge Laviale comme expert afin notamment de déterminer les causes de la rupture et le montant des préjudices subis par les deux parties ; qu'à la suite du dépôt du rapport d'expertise, la société UNIPEBE a demandé que les Laboratoires Monial soient condamnés à lui payer la somme de 2 129 755 FB au titre de la brusque rupture du contrat et celle de 11 479 546 FB en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la concurrence déloyale que lui ont faite les Laboratoires Monial, que ceux-ci se sont opposés à ces prétentions et ont sollicité la condamnation de la société UNIPEBE à lui régler les sommes de 74 536 FF, 7 699,53 FF et 500 000 FF, au titre respectivement de sa perte de résultats, des pertes financières engendrées par les règlements tardifs et de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l'absence de prospection d'une partie du territoire ou d'une partie de la clientèle;
Sur la demande tendant à la nullité des conclusions d'appel de la société UNIPEBE :
Considérant que ces conclusions auxquelles était annexée la liste des pièces communiquées intitulée "Inventaires des dossiers", contenaient les prétentions de l'appelante et les moyens de fait et de droit sur lesquelles chacune de ses prétentions étaient fondées de telle sorte que la société Laboratoires Monial, a pu y répliquer ; que dans ces conditions, sa demande tendant à la nullité de ces conclusions doit être rejetée;
Sur le fond:
Considérant que les parties reprennent l'une et l'autre devant la cour l'ensemble des prétentions qu'elles avaient formulées en première instance ainsi que les moyens qu'elles avaient développés ; que la société UNIPEBE conteste les griefs invoqués contre elle par les Laboratoires Monal, lui reprochant de ne pas avoir observé les modalités de la résiliation telles que prévues au contrat et de lui avoir fait une concurrence déloyale avec le produit Nesi Physio Spray dont elle aurait dû à tout le moins lui proposer en priorité la distribution
Considérant que dans son courrier du 29 décembre 1992, par lequel les Laboratoires Monal dénonçait le contrat conclu entre les parties les 12 mars et 8 avril 1991 au 31 décembre suivant, ils reprochaient à la société UNIPEBE l'insuffisance de ses résultats relatifs au Prorhinel, son absence de délégués pharmaceutiques et ses retards dans le paiement de ses factures, qu'ils prétendent que les fautes contractuelles suivantes justifiaient la résiliation du contrat de concession:
- défaut de prospection du territoire concédé,
- défaut de prospection de l'intégralité des prescripteurs du Prorhinel, notamment des pharmaciens,
- refus de mise en œuvre des moyens nécessaires pour le développement des ventes,
- insuffisance des résultats,
- retard de règlement des factures,
Qu'ils prétendent également avoir respecté les modalités de résiliation prévues au contrat et contestent que le produit Nesi Physio Spray, qui n'était pas un produit identique au Prorhinel, ait pu concurrencer son distributeur belge;
Considérant, sur les modalités de la résiliation, que l'article XIII du contrat prévoit qu'"en cas d'inexécution ou de contravention par l'une des parties à l'une des clause du présent contrat, l'autre partie pourra, après mise en demeure restée infructueuse, dans un délai d'un mois, résilier purement et simplement le présent contrat sans autre formalité judiciaire et ce, sans préjudice de dommages et intérêts qui pourraient lui être dus de ce chef";
Qu'il est constant que les Laboratoires Monal en dénonçant le contrat le 29 décembre 1992 pour le 31 décembre suivant, n'ont pas respecté la formalité de mise en demeure préalable;
Considérant qu'ils prétendent que cette mise en demeure serait intervenue, le 12 août 1992, lors d'une réunion au cours de laquelle ils ont précisé à UNIPEBE qu'ils procéderaient à la résiliation du contrat si elle ne respectait pas ses obligations notamment celles relatives à la prospection et aux résultats;
Qu'ils se prévalent à cet effet du compte-rendu de cette réunion établi par UNIPEBE, dans lequel elle a mentionné:
"Dès le début, la réunion a été assez tendue. En tout cas, dans le chef du docteur Lemoine qui a immédiatement manifesté le mécontentement de Monal vis-à-vis des performances par UNIPEBE avec le Prorhinel. Il a clairement indiqué que si une amélioration importante des ventes n 'est pas réalisée, il pourrait envisager de nous retirer la distribution du produit et la confier à une autre société qui semble être Biocodex";
Que toutefois, ces indications données par le directeur des Laboratoires Monal à son distributeur belge lors de la réunion précitée, ne sauraient constituer la mise en demeure prévue à l'article susvisé ;
Considérant, concernant les griefs invoqués par les Laboratoires Monal, qu'il est établi par les pièces versées aux débats et les constatations de l'expert judiciaire que la vente du Prorhinel a baissé de 1987 à 1990 puis s'est stabilisée jusqu'en 1992 pour atteindre un niveau faible ;que selon l'expert judiciaire, cette baisse est due à la concurrence de nouveaux produits dont le conditionnement était plus attractif et à une absence de promotion concertée entre les parties ;que cette baisse qui s'était précisément stabilisée en 1992, alors qu'elle était plus importante lors de la conclusion en mars 1991 du second contrat, ne constitue pas une faute contractuelle susceptible de justifier la résiliation brutale du contrat;
Que s'il est également établi qu'UNIPEBE n'a pas prospecté la totalité du territoire concédé, puisqu'elle a prospecté ni la Hollande ni l'ex-Zaïre, il n'en demeure pas moins que cette situation qui existait depuis l'origine de leurs relations en 1969, n'avait suscité aucune réaction officielle de la part du concédant, pas plus d'ailleurs que les retards de paiement qui n'avaient fait l'objet d'aucune mise en demeure;
Qu'enfin, l'absence de promotion auprès des pharmaciens a été abordée pour la première fois entre les parties lors de la réunion du 12 août 1992, alors qu'auparavant il avait été mis l'accent sur la promotion médicale notamment lors d'une réunion qui s'était tenue le 20 juin 1989 ; que les reproches adressés à ce titre par le concédant n'étaient pas de nature à justifier la résiliation brutale du contrat quelques mois plus tard ;
Qu'il en résulte que les griefs adressés à son distributeur belge par les Laboratoires Monal n'étaient pas de nature, s'agissant de problèmes qu'ils connaissaient lors de la conclusions du second contrat, à savoir la baisse des ventes du Prorhinel, de justifier le résiliation du contrat que cette rupture brutale sans mise en demeure préalable est donc abusive;
Considérant qu'UNIPEBE est fondée dans ces conditions à obtenir la réparation de son préjudice correspondant à deux ans de marge sur les exercices dont elle a été privée soit 2 129 755 FB ;
Considérant, concernant la concurrence déloyale du produit Nesi Physio Spray, qu'aux termes de l'article XV 3, il était prévu que "Pour tout nouveau produit que Monal souhaiterait commercialiser sur le territoire défini à l'article II, Monal s'engage à en faire en priorité la proposition à UNIPEBE";
Considérant qu'il est constant qu'à compter du début de l'année 1992, a été lancé sur le marché belge par les Laboratoires Merck Belgolabo, le produit Nesi Physio Spray dont la composition est identique au Prorhinel;
Que les Laboratoires Monal expliquent qu'ils ont vendu la solution non brevetée entrant dans la composition du Prorhinel aux Laboratoires Merck Belgolabo qui l'ont diffusée sous leur propre nom et leur propre marque; que contrairement à leurs allégations, ce nouveau produit était en concurrence avec le Prorhinel et ce, bien qu'il soit un produit spécifiquement pédiatrique, étant ici observé que dans leur courrier du 29 décembre 1992, ils faisaient allusion comme concurrents en Belgique du Prorhinel au Sterimar et au Nesi Physio;
Considérant que les Laboratoires Monal n'ont produit aucune justification de leurs allégations sur la vente de la seule solution non brevetée entrant dans la composition du Prorhinel, ni des accords qu'ils ont pris avec les Laboratoires Merck Belgado, alors que l'expert judiciaire en page 4 de son rapport, a constaté la facturation par les Laboratoires Monal à Merck Belgado, de 401 478 unités, dans la période du 19 décembre 1991 au 29 juin 1995, de Nesi Physio Spray Alu Belge Code 01 01 03 04 ; que les Laboratoires Monal n'ont donné sur ce point aucune explication à l'expert et n'en ont pas plus donné aujourd'hui à la cour ;
Considérant qu'il résulte de cet ensemble d'éléments que les Laboratoires Monal n'ont pas respecté les stipulations de l'article XV 3 susvisées à tout le moins en ne proposant pas en priorité à UNIPEBE la distribution de leur nouveau produit Nesi Physio Spray Alu Belge ;que la société UNIPEBE est en conséquence bien fondée à obtenir l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi de ce chef, évalué par l'expert pour la durée restant à courir du contrat à la somme de 11 479 546 FB ;
Considérant que les sommes allouées à UNIPEBE s'agissant de dommages et intérêts seront assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt;
Considérant que les Laboratoires Monal dont la responsabilité contractuelle est engagée dans la résiliation du contrat, doivent être déboutés de l'ensemble de leurs demandes ;
Considérant qu'il serait contraire à l'équité de laisser à la charge de la société UNIPEBE devenue Bournonville Pharma la charge de ses frais non compris dans les dépens exposés à l'occasion de cette procédure ;
Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement dont appel et statuant à nouveau: Condamne la société Novartis Santé Familiale anciennement dénommée Laboratoires Monal à payer à la société Bournonville Pharma la contre-valeur en francs français au jour du paiement des sommes de 2 129 755 FB et de 11 479 546 FB et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute la société Novartis Santé Familiale de ses prétentions et la condamne à supporter les dépens de première instance et d'appel comprenant les frais d'expertise, Admet l'avoué concerné au bénéfice de dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.