CA Paris, 15e ch. A, 20 mars 2001, n° 1998-22818
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Crédit Lyonnais (SA)
Défendeur :
Cauzette-Rey (ès qual.), Alsanice (Sté), Société Fermière de la Maison d'Alsace (Sté), Marcel (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chagny
Conseillers :
M. Le Fevre, Mme Giroud
Avoués :
SCP Hardouin, SCP Monin, SCP Mira-Bettan
Avocats :
Mes Courrege Gachucha, Deur, Le Goff.
LA COUR,
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 28 septembre 1998 qui a notamment condamné solidairement la société d'économie mixte La Fermière de la Maison de l'Alsace, franchiseur, et le Crédit Lyonnais, prêteur de deniers, à payer à Maître Hélène Cauzette-Rey ès qualité de mandataire liquidateur de la société Alsanice, franchisée et emprunteuse, la somme de 1 000 000 F de dommages et intérêts outre 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, débouté Monsieur et Madame Marcel, dirigeants et associés de la SARL Alsanice, de leur demande de dommages et intérêts, accordé 5 000 F à la Maison d'Alsace à ce dernier titre outre 5 000 F de dommages et intérêts et a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire;
Vu l'appel du Crédit Lyonnais, celui de la société Fermière de la Maison d'Alsace et l'ordonnance de jonction du 29 novembre 1999;
Vu les conclusions du 30 décembre 1999 du Crédit Lyonnais qui demande à la cour d'infirmer le jugement, débouter Maître Cauzette-Rey, la condamner à lui payer 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, soutenant qu'il a consenti ses concours à la société Alsanice après analyse du dossier de demande de crédit comportant notamment des études détaillées du projet économique; que l'examen du curriculum vitae de Monsieur Jean-Pierre Marcel, chef d'entreprise, des études de marché, des prévisionnels, de la structure du financement et de son coût, permettait de conclure que l'opération envisagée était bien conçue et viable; que l'octroi des crédits n'est pas fautif; que Maître Cauzette-Rey n'apporte pas la preuve de l'existence du passif invoqué ni du lien de causalité pouvant exister entre la faute alléguée et le préjudice invoqué, que les premiers juges n'ont ni motivé ni justifié le montant de l'indemnité à laquelle ils ont condamné le Crédit Lyonnais;
Vu les conclusions du 12 février 2001 de la société Fermière de la Maison d'Alsace qui demande à la cour d'infirmer le jugement, débouter Maître Cauzette-Rey, fixer à 103 351,16 F sa créance sur la société Alsanice, condamner Monsieur et Madame Marcel à lui payer 25 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive, les mêmes et Maître Cauzette-Rey à lui payer 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, contestant avoir commis des fautes, soutenant que le projet de Monsieur Marcel est apparu sérieux, que Monsieur Marcel a eu une attitude déloyale à son égard et abusé de sa confiance; que Maître Cauzette-Rey, en tant que représentant des créanciers, ne s'était pas opposée au plan de redressement, ce qui prouve bien que la situation de la société était considérée comme viable; que sa responsabilité ne saurait être engagée ni sur le plan contractuel ni sur le plan délictuel; que la loi du 31 décembre 1989 "posant" l'obligation d'information précontractuelle n'étant pas encore applicable, elle n'était tenue que d'un engagement contractuel d'assistance et de fournir à son futur franchisé l'ensemble des éléments d'information utiles à l'implantation de la franchise, contestant aussi le quantum du préjudice invoqué et le lien de causalité avec la faute prétendue;
Vu les conclusions du 26 janvier 2001 de Maître Hélène Cauzette-Rey, de Monsieur Jean-Pierre Marcel et de Madame Danièle Mahe épouse Marcel qui demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité solidaire de la Maison d'Alsace et du Crédit Lyonnais dans la faillite de la SARL Alsanice, les condamner solidairement à payer à Maître Cauzette-Rey ès qualité 3 456 398,52 F, montant du passif vérifié d'Alsanice, réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur et Madame Marcel de leur demande de dommages et intérêts, condamner solidairement la Maison d'Alsace et le Crédit Lyonnais à payer à Monsieur Marcel 1 290 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 1996, la même somme à Madame Marcel, débouter les appelants, les condamner au paiement de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, invoquant les articles 1147 et 1382 du Code civil, soutenant que la Maison d'Alsace a commis une faute en encourageant son franchisé à intégrer son réseau de franchise, en lui présentant des documents faisant état de chiffres d'affaires prévisionnels exagérés par rapport aux réelles capacités de développement de la SARL Alsanice; que le Crédit Lyonnais a manqué à son obligation de conseil en octroyant trois prêts d'un montant global de 2 500 000 F sans vérifier le sérieux des documents prévisionnels d'exploitation remis au franchisé par le franchiseur et en acceptant d'octroyer des concours bancaires d'un montant largement supérieur à ceux traditionnellement octroyés en matière de franchise, qu'il y a un lien de causalité entre les fautes de la Maison d'Alsace et du Crédit Lyonnais et le préjudice subi par la SARL Alsanice;
Considérant que par conclusions de procédure du 13 février 2001, le Crédit Lyonnais demande à la cour d'écarter des débats 47 pièces communiquées par Maître Cauzette-Rey le 12 février 2001; que l'ordonnance de clôture est intervenue le 13 février et que l'affaire a été plaidée le 19 février; que les appelants n'ont pas eu le temps d'étudier ces pièces et d'y réagir; qu'il y a lieu de faire droit à la demande;
Considérant que lorsque la Maison d'Alsace et Monsieur Jean-Pierre Marcel ont conçu dans le courant de l'année 1988 le projet d'établir une maison de l'Alsace à Nice, l'apport en fonds propres de Monsieur Jean-Pierre Marcel devait être de 1 020 000 F et l'emprunt de 1 200 000 F, les fonds propres devant provenir à hauteur de 600 000 F de la vente du fonds de commerce de la société Sodivin qu'exploitait alors Monsieur Marcel; qu'une telle situation très favorable en apparence a été certainement déterminante dans la décision initiale de la Maison d'Alsace de mener à bien le projet; que la Maison d'Alsace reproche à juste titre à Monsieur Marcel de lui avoir dissimulé la situation critique de Sodivin qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire peu de temps après la signature, le 21 septembre 1988, du contrat de franchise, la valeur du fonds de commerce étant réduite à néant, Monsieur Marcel étant en outre condamné pour banqueroute, élément aussi ignoré de la Maison d'Alsace; que celle-ci a toutefois été informée de l'inexactitude des déclarations initiales de Monsieur Marcel quant à ses possibilités de financement personnel puisqu'elle a établi deux tableaux de financement prévisionnels rectificatifs, l'un mentionnant 600 000 F d'apports personnels et 1,450 KF d'emprunt et le dernier seulement 450 KF d'apport personnel et 2 090 KF d'emprunts; que l'investissement lors de la constitution de la société a été finalement financé par un apport de 350 KF de Monsieur Marcel et de 2 200 000 F d'emprunts; que la Maison d'Alsace a voulu maintenir le projet malgré la dégradation des conditions de sa mise en place; mais qu'outre que cette dégradation est du seul fait de Monsieur Marcel, il n'est pas démontré que le financement prévisionnel soit fantaisiste et irréaliste compte tenu de l'allongement de 8 à 12 ans de la durée d'amortissement des prêts et des prévisions de chiffre d'affaires; que Monsieur Marcel, qui avait déjà dirigé une entreprise commerciale, était parfaitement capable de l'apprécier;
Considérant que la prévision quant au chiffre d'affaires avait été effectuée après une étude de marché d'un cabinet Procos, établie à l'initiative de la Maison d'Alsace, qui paraît être de bonne qualité, analysant la structure de la population de la zone concernée, Nice et ses environs, son pouvoir d'achat, les spécificités liées aux transports et à la circulation automobile, les projets de voirie urbaine et suburbaine, la situation et les perspectives des centres commerciaux;qu'il n'est pas démontré que la prévision d'un chiffre d'affaires de 2 298 KF figurant dans les premiers budgets prévisionnels ait été déraisonnable;que le chiffre de 2 601 KF dans le troisième budget prévisionnel est certes artificiel dans la mesure où il inclut une somme de 303 KF au titre d'un "chiffre d'affaires bar" alors que seule une licence III, ne permettant pas le service de boissons alcoolisées hors des repas, était prévue; mais que cette somme, de l'ordre de 12 % du chiffre d'affaires prévisionnels, n'apparaît pas déterminante;
Considérant que les prêts initiaux de 1 800 000 F sur 12 ans au taux de 1,79 % et de 400 000 F au TEG de 9,88 avec différé d'amortissement de 3 mois entraînaient des mensualités de remboursement de 4 615,12 F et 22 574,55 F; que cette charge, quoique lourde, n'apparaît pas incompatible avec le chiffre d'affaires prévisionnel, même en excluant les 303 KF précités; que le Crédit Lyonnais a accepté en 1994 un réaménagement des prêts, réduisant à 2 045 F et 17 114 F le montant des mensualités; que le prêt de 300 000 F, accordé en octobre 1990, après deux ans d'activité de la société, donnant lieu à des mensualités de remboursement de 3 654,61 F n'était qu'une consolidation de son fonds de roulement", opération classique et d'un montant modéré;
Considérant que le compte de résultats du premier exercice de la société Alsanice, clos le 21 décembre 1989, fait apparaître un total de produits d'exploitation de 1 796 KF, inférieur de 20 % environ aux prévisions hors "chiffre d'affaire bar"; que la perte est très importante, 868 021 F mais avec des charges de personnel de 477 KF ce qui apparaît élevé, des charges financières de 24 827 F seulement encore compatibles avec le chiffre d'affaires effectivement réalisé; que le poste "autres dettes" du passif qui fait l'objet d'une controverse entre les parties est de 607 KF incluant seulement 350 KF pour le compte courant d'associés, la différence demeurant inexpliquée; qu'en tous cas, la perte a diminué au cours des exercices suivants, n'étant plus que de 361 000 F en 1990, 264 000 F en 1991, 180 000 F en 1992, 156 000 F en 1993 et 69 000 F en 1994, bien que le chiffre d'affaires ait diminué; que l'entreprise aurait apparemment pu être rentable avec un chiffre d'affaires inférieur aux prévisions; que ce n'est que le 18 mai 1995 que la société Alsanice a été déclarée en redressement judiciaire; que l'exercice 1995 a été positif, le bénéfice du 1er janvier 1995 au 31 juillet 1995 atteignant 99 151 F; qu'un plan de continuation a été homologué le 19 janvier 1996, sans que Maître Cauzette-Rey ne s'y oppose, le plan étant toutefois résolu et la société Alsanice déclarée en liquidation judiciaire le 25 octobre 1996; que la société a fonctionné pendant 8 ans sans qu'apparemment la déchéance du terme des prêts ait été prononcée; que le jugement arrêtant le plan faisait état de capacités d'autofinancement de 180 000 F pour 1996 et 225 000 F pour 1997; que le tribunal y remarquait que "selon le représentant des créanciers (Maître Cauzette-Rey), si les prévisionnels sont respectés, le plan peut être tenu" et déclarait que "le plan proposé paraît sérieux et de nature à assurer le redressement de l'entreprise dans de bonnes conditions...";
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas suffisamment établi que la société Fermière de la Maison d'Alsace ou le Crédit Lyonnais aient commis des fautes ayant entraîné directement pour la société Alsanice ou pour Monsieur ou Madame Marcel un préjudice identifiable;qu'il n'est pas pour autant établi que la procédure soit abusive de la part de Monsieur Marcel ni de quiconque; qu'il n'y a pas lieu d'accorder aux appelants des dommages et intérêts ni de maintenir la condamnation de première instance à leur profit; qu'il est équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles tant de première instance que d'appel; que le litige concernant essentiellement les rapports entre les appelants et la société Alsanice et Maître Cauzette-Rey en ayant pris l'initiative, cette dernière devra les dépens;
Considérant que la Maison d'Alsace verse aux débats copie de sa déclaration de créance, de factures détaillées, d'un relevé précis de ces factures au 31 décembre 1994; que ces pièces ne sont pas contestées, que la Maison d'Alsace justifie suffisamment de l'existence et du montant de sa créance; qu'il y a lieu de faire droit à la demande de fixation de créance;
Par ces motifs, Ecarte des débats les 47 pièces communiquées le 12 février 2001, Infirme le jugement entrepris, Fixe à 103 351,16 F la créance de la société Fermière de la Maison d'Alsace sur la société Alsanice, Déboute les parties de leurs autres demandes, Met à la charge de Maître Cauzette-Rey ès qualité les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.