CA Aix-en-Provence, 17e ch., 19 mars 2002, n° 00-15205
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Oury
Défendeur :
Société Nationale des Produits Naturels (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Zavaro
Conseillers :
MM. Rajbaut, Bourgeois
Avocats :
Mes Huet, Poli.
Exposé du litige
M. Jack Oury a été engagé le 1er septembre 1992 par l'EURL Société nationale des produits naturels en qualité de VRP exclusif et a fait l'objet, le 14 août 1998, d'une rupture de son contrat de travail.
Par jugement contradictoire du 23 juin 2000, le Conseil de prud'hommes de Grasse a dit que le contrat de travail entre M. Jack Oury et l'EURL Société nationale des produits naturels est rompu et que cette rupture est imputable à M. Jack Oury et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, déboutant l'EURL Société nationale des produits naturels de sa demande reconventionnelle.
M. Jack Oury a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 24 juillet 2000 et, dans le dernier état de ses conclusions, conclut à son infirmation, réclamant à l'EURL Société nationale des produits naturels les sommes suivantes:
- 3 119,48 euro brut au titre de la rémunération minimale prévue à l'article 5 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 14 août 1998,
- 2 867,14 euro brut au titre des indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 19 octobre 1998,
- 4 431,03 euro au titre de l'indemnité spéciale de rupture prévue à l'article 14 de l'accord précité, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 19 octobre 1998,
- 5 793,06 euro à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 19 octobre 1998,
- 2 300 euro au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Il réclame également la remise d'un bulletin de paie, d'une attestation ASSEDIC et d'un certificat de travail rectifiés et l'envoi d'une copie certifiée conforme de l'arrêt à intervenir à l'ASSEDIC conformément à l'article L. 122-14-4, alinéa 2 du Code du travail.
Il fait valoir que le principe de sa demande de rémunération minimale n'est pas contesté, que ses frais professionnels étaient bien remboursés au forfait de 30 % et que son employeur a gravement manqué à ses obligations contractuelles, la rupture du contrat de travail lui étant dès lors imputable.
Dans le dernier état de ses conclusions l'EURL Société nationale des produits naturels conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de M. Jack Oury à lui payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en faisant valoir que l'accord national du 3 octobre 1975 ne s'applique pas à M. Jack Oury qui ne produit aucune carte de VRP et que, subsidiairement, M. Jack Oury fait état, dans ses calculs de rappel de salaires, d'une déduction forfaitaire de 30 % pour frais professionnels alors qu'il n'avait aucun frais de ce type et que c'est bien M. Jack Oury qui a pris l'initiative de la rupture du contrat de travail qui ne saurait être imputée à l'employeur et, très subsidiairement, qu'il ne justifie d'aucun préjudice.
A l'audience du lundi 18 février 2002 à 8 h 45 min., M. Jack Oury présente sa carte professionnelle de VRP, l'EURL Société nationale des produits naturels, qui a eu connaissance de cette pièce, fait oralement valoir que cette carte n'est valable que jusqu'au 8 novembre 1997.
Motifs de l'arrêt
Attendu que le dossier ne contient pas d'éléments qui conduiraient la cour à soulever d'office l'irrecevabilité de l'appel.
I - Sur l'application de l'article 5 de la convention collective interprofessionnelle des VRP du 3 octobre 1975 :
Attendu que la convention collective interprofessionnelle des VRP du 3 octobre 1975 s'applique aux représentants statutaires qui, en outre, rendent compte de leur activité, que la garantie minimale de ressources prévue par son article 5 s'applique aux VRP statutaires exerçant leur activité pour un seul employeur et travaillant à temps plein.
Attendu qu'en application des dispositions de l'article L. 751-1 du Code du travail, bénéficie du statut professionnel de VRP toute personne physique exerçant la représentation comme activité professionnelle sans avoir d'autres activités professionnelles, sans faire d'opérations commerciales à titre personnel et en étant lié à son employeur par des engagements qui déterminent l'objet de la représentation, un secteur concédé et les modalités pré-établies de la rémunération, qu'en vertu de l'article L. 751-4 du dit Code, en l'absence de contrat écrit, tout représentant est présumé satisfaire aux conditions du statut et qu'il appartient à l'employeur de prouver que le représentant ne satisfait pas aux conditions d'attribution du statut.
Attendu qu'en l'espèce aucun contrat de travail écrit n'a été établi, qu'il est constant que M. Jack Oury a bien fait de la représentation commerciale au service de l'EURL Société nationale des produits naturels, qu'il est donc présumé remplir les conditions du statut de VRP, que pour lui contester cette qualité, l'EURL Société nationale des produits naturels n'invoque que le fait qu'il ne posséderait pas la carte professionnelle de représentant statutaire mais qu'il convient de rappeler que si la délivrance de cette carte est subordonnée au statut de VRP, elle n'en conditionne pas l'application et que sa non détention est indifférente dès lors que les conditions d'application de ce statut sont remplies.
Attendu dès lors que M. Jack Oury, qui rendait compte de son activité et qui ne travaillait à temps plein que pour l'EURL Société nationale des produits naturels, remplit bien les conditions d'application du statut de VRP et a notamment droit à la garantie minimale de ressources prévue par l'article 5 sus-visé.
Attendu que cette rémunération minimum s'élève, sous déduction des frais professionnels, à 520 fois le taux horaire du SMIC en vigueur au dernier jour du trimestre, qu'elle est à valoir sur les rémunérations contractuelles des trois trimestres suivants, étant éventuellement récupérée sur la partie des rémunérations de ces trois trimestres dépassant cette ressource minimale, cette part excédentaire s'entendant à l'exclusion de toutes les sommes n'ayant pas le caractère de salaire, dont les remboursements de frais professionnels.
Attendu que l'employeur doit donc verser au VRP un complément de rémunération lorsque les commissions perçues au cours d'un trimestre civil n'atteignent pas le seuil de 520 fois le taux horaire du SMIC.
Attendu que l'EURL Société nationale des produits naturels affirme que M. Jack Oury n'avait aucun frais professionnel en faisant valoir qu'il effectuait ses tournées avec le véhicule de l'époux de la gérante et que l'entreprise réglait directement les dépenses exposées dans l'accomplissement de ses tâches.
Mais attendu qu'il ne s'agit que d'allégations pour lesquelles aucune justification n'est produite alors surtout que sur l'ensemble des bulletins de paie de M. Jack Oury il est mentionné un abattement de 30 % pour frais professionnels pour le calcul du salaire brut fiscal, qu'ainsi il est établi que les commissions versées à M. Jack Oury incluaient bien ses frais professionnels forfaitairement évalués à 30 % du montant de ses commissions.
Attendu qu'il convient donc de retenir les chiffres de M. Jack Oury qui tiennent compte de l'existence de frais professionnels évalués à 30 % du montant des commissions perçues, qu'il en résulte qu'il lui est dû pour le troisième trimestre 1992 la somme de 1 433,90 F (218,60 euro) et pour le quatrième trimestre 1992 celle de 9 621,71 F (1 466,82 euro).
Attendu que le solde du premier trimestre 1993 (6 151,71 F ou 937,82 euro) doit s'imputer sur la part excédentaire du quatrième trimestre 1993 (7 126,29 F ou 1 086,40 euro), que celui du deuxième trimestre 1993 (6 001,71 F ou 914,95 euro) doit s'imputer à la fois sur la part excédentaire du quatrième trimestre 1993 (à hauteur de 974,58 F ou 148,57 euro) et sur celle du premier trimestre 1994 (à hauteur de 5 027,13 F ou 766,38 euro sur 12 126,29 F ou 1 848,64 euro), que celui du troisième trimestre 1993 (8 763,71 F ou 1 336,02 euro) doit s'imputer à la fois sur la part excédentaire du premier trimestre 1994 (à hauteur de 7 099,16 F ou 1 082,26 euro) et sur celle du second trimestre 1994 (1 664,65 F ou 253,77 euro).
Attendu que le solde du quatrième trimestre 1994 (2 016 F ou 307,34 euro) doit s'imputer sur la part excédentaire du premier trimestre 1995 (14 084 F ou 2 147,09 euro).
Attendu que le solde du premier trimestre 1996 (3 670,86 F ou 559,62 euro) doit s'imputer sur la part excédentaire du troisième trimestre 1996 (6 869,71 F ou 1 047,28 euro), que celui du deuxième trimestre 1996 (3 720,57 F ou 567,20 euro) doit s'imputer sur la part excédentaire du troisième trimestre 1996 à hauteur de 3 198,85 F (487,66 euro), qu'il reste donc dû la somme de 521,72 F (79,54 euro).
Attendu que le solde du premier trimestre 1997 (961,71 F ou 146,61 euro) doit s'imputer sur la part excédentaire du quatrième trimestre 1997 (961,71 F ou 146,61 euro).
Attendu que le solde du troisième trimestre 1998 est de 2 173,83 F (331,40 euro), l'indemnité compensatrice de congés payés devant être comprise dans la détermination du salaire, qu'il est donc dû la dite somme.
Attendu que c'est donc la somme globale brute de 13 751,16 F (2 096,35 euro) qui est due à M. Jack Oury à titre de complément de salaire.
Attendu qu'il convient donc de réformer le jugement déféré qui a débouté M. Jack Oury de ce chef de demande et de condamner l'EURL Société nationale des produits naturels à lui payer la somme de 2 096,35 euro brut à ce titre avec intérêts au taux de l'intérêt légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, soit du 19 octobre 1998, la mise en demeure du 10 août 1998 ne concernant pas la rémunération conventionnelle minimum, que les intérêts échus depuis plus d'un an produiront à leur tour intérêts.
II - Sur la rupture du contrat de travail :
Attendu qu'il résulte des éléments de la cause que le contrat de travail a été rompu le 14 août 1998 par M. Jack Oury qui avait, le 10 août 1998, mis en demeure l'EURL Société nationale des produits naturels de lui régler son salaire du mois de juillet 1998 dans les 48 heures,en indiquant expressément qu'il considérait cette rupture comme imputable à l'employeur.
Attendu qu'il résulte de l'analyse précédente que l'employeur n'a pas régulièrement versé à son salarié la rémunération minimale à laquelle il avait droit en vertu de son statut et qu'il ne lui a pas versé en temps son salaire du mois de juillet 1998 malgré plusieurs demandes en ce sens,que le fait que M. Jack Oury ait pu être absent à compter du 27 juillet 1998 n'autorisait pas en effet l'employeur à différer sans justification le paiement du salaire du mois de juillet 1998 qui avait, pour le moins, été travaillé jusqu'au 27.
Attendu que l'employeur n'a donc pas exécuté son obligation contractuelle de verser en temps normal l'intégralité du salaire dû à son employé en paiement du travail fourni,que dès lors en mettant fin à sa prestation de travail le 14 août 1998 pour cette raison, M. Jack Oury ne saurait être considéré comme démissionnaire, la rupture du contrat de travail étant imputable à l'employeur et devant s'analyser en un licenciement qui est, de ce fait, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Attendu que le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail était imputable à M. Jack Oury et en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et que, statuant à nouveau, il convient de dire que cette rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de faire droit aux demandes indemnitaires en découlant.
Attendu que M. Jack Oury a droit à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois et à une indemnité compensatrice de congés payés sur ce préavis calculée sur la base de la rémunération moyenne des douze derniers mois soit à la somme de 18 807,19 F (2 867,14 euro) brut et à l'indemnité spéciale de rupture prévue par l'article 14 de la convention collective interprofessionnelle des VRP du 3 octobre 1975 calculée sur la base de la rémunération moyenne des douze derniers mois et en fonction de l'ancienneté, soit à la somme de 29 065,67 F (4 431,03 euro), que l'EURL Société nationale des produits naturels sera condamnée à lui payer les dites sommes avec intérêts au taux de l'intérêt légal à compter du 19 octobre 1998 et capitalisation annuelle des intérêts.
Attendu que l'employeur ne justifie pas de ce qu'il emploierait moins de onze salariés alors surtout qu'il résulte des documents produits (en particulier des états de vente mensuels) que l'entreprise avait au moins une quinzaine de commerciaux, que M. Jack Oury a donc bien droit à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par l'article L. 122-14-4 du Code du travail égale aux six derniers mois de salaire, eu égard également à son ancienneté, soit à la somme de 37 799,93 F (5 762,56 euro), que l'EURL Société nationale des produits naturels sera condamnée à lui payer la dite somme avec intérêts au taux de l'intérêt légal à compter du présent arrêt déclaratif, s'agissant d'une demande de nature indemnitaire.
III - Sur les autres demandes :
Attendu qu'il convient d'ordonner la remise à M. Jack Oury des bulletins de paie, de l'attestation ASSEDIC et du certificat de travail rectifiés en fonction du présent arrêt.
Attendu que l'EURL Société nationale des produits naturels sera également condamnée à rembourser à l'ASSEDIC des Alpes-Maritimes les indemnités de chômage payées à M. Jack Oury du jour de son licenciement dans la limite de six mois d'indemnités.
Attendu qu'il est équitable, compte tenu au surplus de la situation économique de la partie condamnée, d'allouer à M. Jack Oury la somme de 1 000 euro au titre des frais par lui exposés tant en première instance qu'en cause d'appel et non compris dans les dépens.
Attendu que l'EURL Société nationale des produits naturels, partie perdante, sera condamnée au paiement des dépens de la procédure de première instance et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale. En la forme: Reçoit l'appel. Au fond : Infirme le jugement déféré et, statuant à nouveau Dit que M. Jack Oury est bien VRP statutaire. Dit qu'il est dû à M. Jack Oury des rappels de salaire au titre de la rémunération minimale prévue par l'article 5 de la convention collective interprofessionnelle des VRP du 3 octobre 1975. Dit que le contrat de travail de M. Jack Oury a été rompu le 14 août 1998, que cette rupture est imputable à l'EURL Société nationale des produits naturels et s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Condamne l'EURL Société nationale des produits naturels à payer à M. Jack Oury les sommes suivantes: - deux mille quatre-vingt seize euro trente-cinq cents (2 096,35 euro) brut à titre de complément de salaire avec intérêts au taux de l'intérêt légal à compter du 19 octobre 1998, - deux mille huit cent soixante-sept euro quatorze cents (2 867,14 euro) brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis avec intérêts au taux de l'intérêt légal à compter du 19 octobre 1998, - quatre mille quatre cent trente et un euro trois cents (4 431,03 euro) au titre de l'indemnité spéciale de rupture prévue par l'article 14 de la convention collective interprofessionnelle des VRP du 3 octobre 1975 avec intérêts au taux de l'intérêt légal à compter du 19 octobre 1998, - cinq mille sept cent soixante-deux euro cinquante six cents (5 762,56 euro) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux de l'intérêt légal à compter du présent arrêt. Dit que les intérêts échus depuis plus d'un an produiront à leur tour intérêts. Ordonne la remise par l'EURL Société nationale des produits naturels à M. Jack Oury des bulletins de paie, de l'attestation ASSEDIC et du certificat de travail rectifiés en fonction du présent arrêt. Condamne l'EURL Société nationale des produits naturels à rembourser à l'ASSEDIC des Alpes-Maritimes les indemnités de chômage payées à M. Jack Oury du jour de son licenciement dans la limite de six mois d'indemnités. Condamne l'EURL Société nationale des produits naturels à payer à M. Jack Oury la somme de mille euro (1 000 euro) au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel et non compris dans les dépens. Condamne l'EURL Société nationale des produits naturels aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.