CCE, 15 janvier 2002, n° 2003-216
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Aide d'État mise à exécution par la République française en faveur du Crédit Mutuel
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 88, paragraphe 2, premier alinéa, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62, paragraphe 1, point a), après avoir invité les intéressés à présenter leurs observations conformément aux dits articles (1) et vu ces observations, considérant ce qui suit:
I. PROCÉDURE
(1) Par lettre du 6 février 1998 la Commission a informé les autorités françaises de sa décision d'ouvrir la procédure prévue par l'article 88, paragraphe 2, du traité concernant les avantages accordés par l'État au Crédit Mutuel au titre du mécanisme d'épargne du Livret bleu. Le Crédit Mutuel s'est vu accorder depuis 1975 la mission exclusive de distribution de ce livret d'épargne par les autorités françaises. Cette décision d'ouvrir la procédure faisait suite au dépôt, le 25 janvier 1991, d'une plainte de l'Association française des banques (AFB), de la Chambre syndicale des banques populaires (CSBP) et du Crédit Agricole concernant les aides accordées par l'État français au Crédit Mutuel. La Commission avait sollicité les premières informations relatives au Livret bleu par un courrier du 27 mai 1991.
(2) Les autorités françaises ont présenté à la Commission, dans une correspondance en date du 8 avril 1998, un dossier de réponse aux questions posées dans la lettre d'ouverture de la procédure.
(3) La décision de la Commission d'ouvrir la procédure a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes (2). La Commission a invité les intéressés à présenter leurs observations sur l'aide en cause.
(4) Le Crédit Mutuel a adressé le 18 juin 1998 à la Commission un courrier présentant des arguments visant à rejeter la qualification d'aides d'État pour les mesures visées par l'ouverture de procédure, ainsi qu'un dossier de comptabilité analytique concernant le Livret bleu. De nombreuses parties intéressées ont également fait parvenir leurs observations à la Commission (section III).
(5) Les plaignants ont adressé à la Commission quatre mémoires ampliatifs par correspondances en date des 29 octobre 1999, 16 mai 2000, 16 octobre 2000 et 19 janvier 2001.
(6) Au vu du dossier présenté par le Crédit Mutuel, notamment des travaux de comptabilité analytique relatifs au Livret bleu concluant que le mécanisme du Livret bleu non seulement ne donnait lieu à aucune surcompensation des coûts à la charge du Crédit Mutuel, mais au contraire s'était traduit par un coût net pour le Crédit Mutuel, la Commission a décidé de faire effectuer un audit de la comptabilité analytique du Livret bleu. Elle a pour cela recruté sur appel d'offres un consultant britannique, Littlejohn Frazer (ci-après dénommé "le consultant"), spécialisé dans les travaux de comptabilité et d'audit, associé avec deux cabinets d'expertise comptable français, Auditec et Scacchi. Les travaux d'audit ont débuté en novembre 1998 et se sont prolongés jusqu'au 13 décembre 1999. Le Crédit Mutuel a adressé à la Commission une note du 21 juillet 1999 contestant les conclusions provisoires formulées par le consultant. Le rapport final du consultant a été soumis pour examen aux autorités françaises et au Crédit Mutuel le 10 janvier 2000. Le 7 février 2000, une réunion technique de concertation a été organisée entre les services de la Commission, assistés par son consultant, les autorités françaises et le Crédit Mutuel au sujet de ce rapport d'audit.
(7) La Commission a en outre reçu le 7 décembre 1998 un courrier conjoint de la Banque Nationale de Paris, du Crédit Commercial de France et de la Société Générale soumettant une copie du mémorandum de requête que ces trois banques ont déposé en France devant le Conseil d'État contestant la vente du Crédit Industriel et Commercial (CIC) au Crédit Mutuel par le groupe d'assurances public GAN. Dans ce courrier, les trois banques demandent l'élargissement de la présente procédure au regard de l'usage qu'aurait fait le Crédit Mutuel des aides dont il aurait bénéficié au titre du Livret bleu, qui lui ont notamment permis de se porter acquéreur du CIC en avril 1998. La Commission note que les faits mentionnés dans ce mémorandum n'apportent aucun élément nouveau permettant, soit de déterminer si le mécanisme du Livret bleu donne lieu à des aides au Crédit Mutuel, soit, le cas échéant, d'apprécier leur compatibilité avec le traité. La Commission n'a, dès lors, pas donné suite à cette demande d'extension de la présente procédure.
(8) Par lettre du 14 septembre 1999, les services de la Commission ont demandé aux autorités françaises de préciser les missions d'intérêt général dont est chargé le Crédit Mutuel. Par trois correspondances en date des 21 février 2000, 3 novembre 2000 et 5 février 2001, les services de la Commission ont transmis pour observations aux autorités françaises diverses pièces versées au dossier par les plaignants au sujet de l'effet de "produit d'appel" du Livret bleu, notamment deux études statistiques du cabinet Glais, et les ont questionnées au sujet de la modification du régime fiscal du Livret bleu suite à la décision du Conseil d'État du 5 janvier 2000 relative à l'illégalité du régime fiscal du Livret bleu. Les autorités françaises ont répondu par courrier du 1er février 2001.
(9) En avril 2000, donc après l'ouverture de la procédure, la Fédération bancaire de l'Union européenne (FBUE) a déposé une plainte contre les aides accordées par l'État français au Crédit Mutuel sous la forme de l'exclusivité de distribution du livret d'épargne défiscalisé Livret bleu. La plainte a été complétée par un mémoire ampliatif du 22 janvier 2001 qui reprend notamment la plupart des pièces déjà versées au dossier par l'AFB, en précisant le statut fiscal relatif aux intérêts sur le Livret bleu à la lumière de la décision du Conseil d'État du 5 janvier 2000.
(10) En mai 2000, la Confédération nationale du Crédit Mutuel a mandaté le cabinet d'audit Arthur Andersen pour une mission comprenant la revue de la méthodologie des travaux de comptabilité analytique du Crédit Mutuel et l'établissement du compte d'exploitation du Livret bleu. Cette mission s'est conclue en septembre 2000 par la remise d'un rapport détaillé sur le compte d'exploitation du Livret bleu, qui a évalué le résultat de comptabilité analytique du Livret bleu à une perte avant impôt de 498 millions de francs français (MF). L'évaluation finale d'une perte est basée sur la prise en compte de correctifs contestables. Une réunion de discussion sur les résultats de ce rapport a été organisée le 2 février 2001. Suite aux observations formulées par les services de la Commission, le Crédit Mutuel a demandé à Arthur Andersen de transmettre une note datée du 8 février 2001 justifiant la méthode employée dite "de correction de la surpondération de l'activité IARD", qui avait notamment fait l'objet de critiques des services de la Commission.
(11) La Commission a procédé en avril 2001 à une extension du contrat du consultant afin qu'il identifie les écarts entre les deux études comptables et détermine les modifications de données ou de méthodologie qui pourraient le cas échéant être légitimement retenues et intégrées à son évaluation antérieure. Le rapport final a été remis le 23 juillet 2001. Il évalue le résultat de comptabilité analytique du Livret bleu à un bénéfice cumulé non capitalisé de 1074 MF. Le rapport a été transmis le jour même aux autorités françaises. Une réunion de concertation avec les autorités françaises, le Crédit Mutuel et Arthur Andersen a été organisée le 26 juillet 2001. Le Crédit Mutuel et Arthur Andersen ont fait part de leur désaccord avec les conclusions finales du consultant de la Commission. Arthur Andersen a maintenu ses conclusions antérieures dans un document daté du 13 septembre 2001 transmis en annexe d'une note des autorités françaises du 15 septembre 2001. Les autorités françaises ont adressé à la Commission une nouvelle note d'analyse juridique du Livret bleu au regard du droit communautaire de la concurrence le 26 octobre 2001 ainsi qu'une note du 7 janvier 2002 relative aux coûts de la mission de service public qui rappelle sans nouvel élément les chiffrages présentés par le Crédit Mutuel.
(12) En raison des différents éléments apportés par les plaignants faisant état de l'existence d'effets de produit d'appel procurant au Crédit Mutuel un avantage dynamique d'attraction de clientèle, la Commission a étendu la mission de son consultant en septembre 2000 puis avril 2001 respectivement à l'évaluation des effets de produit d'appel du Livret bleu. Le consultant a fait état de difficultés majeures rencontrées dans l'obtention auprès du Crédit Mutuel des données nécessaires à une étude aussi délicate techniquement. Il n'a pour cette raison pas été en mesure de mettre en œuvre la méthodologie envisagée à l'origine. La Commission n'a pas été à même d'obtenir des résultats concluants dans le cours de cette procédure.
(13) Trois des plaignants, l'AFB, le Crédit Agricole et la CSBP ont enjoint la Commission d'agir par une lettre du 25 septembre 2001. Une lettre antérieure du 10 avril 2001 avait démenti les allégations parues dans la presse française selon lesquelles les plaignants ne souhaitaient plus maintenir leur plainte.
II. DESCRIPTION DU MÉCANISME DU LIVRET BLEU
1. Introduction
(14) Le Crédit Mutuel a été investi d'une mission de distribution du Livret bleu liée à des strictes prérogatives et sujétions. Les prérogatives consistent en la distribution exclusive au grand public d'un produit d'épargne défiscalisé, le Livret bleu (section II, point 3) et le versement d'une commission de collecte par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Les obligations portent sur l'utilisation des ressources collectées à l'aide du Livret bleu. Ces obligations ont évolué dans le temps: dans un premier temps le Crédit Mutuel avait l'obligation d'affecter 50 % des ressources (part ensuite relevée à 65 %) à des emplois dits d'intérêt général (notamment financement des collectivités locales et autres organismes publics), le solde étant à la libre disposition de la banque. À compter de 1991, une part croissante de l'encours a été affectée au financement du logement social, par centralisation des ressources auprès de la CDC. Aujourd'hui la totalité des encours est centralisée à la CDC. Celle-ci verse au Crédit Mutuel, uniquement au titre des encours centralisés, une rémunération correspondant au taux d'intérêt brut fixé par les pouvoirs publics rétrocédée aux épargnants, ainsi qu'une commission d'intermédiation égale à 1,3 %.
La Commission examinera dans quelle mesure la distribution du Livret bleu a été susceptible de conférer au Crédit Mutuel des avantages économiques provenant de la commission de collecte versée par la CDC. Si la commission de collecte excède les coûts nets du système, c'est-à-dire la différence entre les produits tirés des autres emplois (emplois libres, emplois d'intérêt général) et des coûts réels de collecte et gestion, en tenant compte d'une marge de rentabilité normale, cela constituerait une surcompensation qualifiée d'aide d'État.
2. Le Crédit Mutuel
(15) Le Crédit Mutuel est un groupe bancaire décentralisé constitué d'un réseau national de caisses de Crédit Mutuel ayant le statut de sociétés coopératives. Les 1850 caisses locales doivent adhérer à une fédération régionale et chaque fédération à la Confédération nationale du Crédit Mutuel, "organe central" du réseau aux termes de la loi bancaire du 24 janvier 1984. Les Caisses de Crédit Mutuel sont détenues par 5,7 millions de sociétaires. Les Caisses Fédérales sont actionnaires de la Caisse Centrale du Crédit Mutuel, qui est l'organisme financier national assurant la liquidité financière des groupes régionaux. Le groupe présente les caractéristiques d'une entreprise unique soumise à une comptabilité consolidée. L'État est représenté dans les instances par un commissaire du Gouvernement qui siège au conseil d'administration et aux assemblées générales de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel.
(16) Le Crédit Mutuel est la cinquième banque française pour les dépôts et la troisième par son réseau d'environ 3300 guichets (fin 1999). Après la fusion avec le CIC, le groupe Crédit Mutuel avait fin 1999 un effectif de 27500 salariés, un bilan consolidé de 941 milliards de francs français (MdF) et dégageait pour l'exercice 1999 un résultat net part du groupe de 4,1 MdF. Les marges financières élevées du groupe s'expliquent notamment par un coefficient d'exploitation (le ratio entre les frais généraux et le produit net bancaire) relativement bas (66,7 % en 1996), ce qui situe le Crédit Mutuel parmi les banques françaises ayant les charges les moins élevées. Ce niveau demeure toutefois sensiblement supérieur à celui des banques européennes les plus rentables. Le montant de ses fonds propres part du groupe a presque triplé au cours des années 90 pour atteindre 61 MdF en 1999. Son coefficient de solvabilité (ratio "Cooke") était de 15,8 % en 1997, soit un niveau très supérieur au minimum réglementaire (3) de 8 %, et supérieur à celui de ses principaux concurrents.
(17) Le groupe bancaire CIC a été privatisé en avril 1998, et l'État a choisi le Crédit Mutuel parmi plusieurs groupes bancaires qui s'étaient portés candidats à la reprise. À la suite de cet achat, le groupe constitué par le Crédit Mutuel et le CIC est devenu l'un des principaux groupes bancaires français, disposant avec 4880 guichets au total du deuxième réseau bancaire d'agences sur le territoire français et d'un total de bilan de près de 1300 MdF.
(18) Le Crédit Mutuel est une banque à réseau présentant la caractéristique d'être structurellement collectrice: ses dépôts (408 MdF en 1998) sont supérieurs aux crédits qu'elle octroie (345 MdF en 1998). Cet excédent des ressources sur les emplois pour son activité bancaire propre rend cet établissement structurellement prêteur sur les marchés. Cela s'explique par son statut mutualiste et l'importance de sa clientèle de particuliers, dont l'épargne nette est positive. Le Crédit Mutuel joue un rôle important dans le financement des professionnels, artisans et commerçants, des agriculteurs, des collectivités locales et des associations. Outre son activité d'établissement de crédit, le Crédit Mutuel est également très actif dans l'activité d'assurances, dans laquelle il a réalisé un produit net de 23 MdF en 1998 (assurance vie et dommages) et qui contribue de façon significative à ses résultats. Il dispose également d'un savoir-faire reconnu et exporté dans le traitement informatique des moyens de paiement et la "monétique" (émission de cartes de paiement et traitement des paiements par carte chez les commerçants).
3. Le Livret bleu
(19) Le Livret bleu est un produit d'épargne réglementé, destiné au grand public, dont le Crédit Mutuel s'est vu accorder par les pouvoirs publics le droit de distribution en vertu de la loi n° 75-1242 du 27 décembre 1975. Le taux de rémunération par le Crédit Mutuel des dépôts sur le Livret bleu est fixé par l'État. Le taux d'intérêt commercial affiché net d'impôt versé aux épargnants est identique à celui de son principal produit concurrent d'épargne populaire, le Livret A (distribué par les Caisses d'épargne et La Poste), le montant des dépôts ne peut excéder le plafond fixé aussi pour le Livret A (4). Le Livret bleu a joué un rôle important pour le Crédit Mutuel, dont il a constitué le produit phare pour sa clientèle de particuliers pendant près de deux décennies vis-à-vis de ses concurrents. Son importance relative, en termes quantitatifs, tend toutefois à s'atténuer depuis quelques années. La part du Livret bleu dans les dépôts du Crédit Mutuel, qui était de 70 % en 1975 et encore de près de 60 % en 1985, a baissé à un niveau inférieur à 25 % depuis 1997.
(20) Jusqu'à fin 1999, le mécanisme du Livret bleu faisait l'objet d'un traitement fiscal dérogeant aux règles générales applicables à la fiscalité de l'épargne. En effet, le Crédit Mutuel versait officiellement à l'État le tiers de la fiscalité normalement due au titre du prélèvement libératoire sur les revenus de l'épargne et des prélèvements sociaux, quelle que soit la situation fiscale des épargnants (5). Le montant de cet impôt n'était, en tout état de cause, pas répercuté sur l'épargnant. Le 5 janvier 2000, le Conseil d'État, saisi par l'AFB, a déclaré illégal le système d'exonération partielle du Livret bleu au regard des règles fiscales nationales relatives au prélèvement libératoire. Les autorités françaises ont décidé, le 13 janvier 2000, de relever le taux avant impôt du Livret Bleu afin de maintenir inchangée la rémunération nette pour les déposants. Il apparaît en tout état de cause qu'à partir de l'entrée en vigueur de l'arrêté du 27 septembre 1991 le Crédit Mutuel a bénéficié d'un mécanisme de "neutralisation" des prélèvements fiscaux versés au titre du système décrit ci-dessus. En d'autres termes, l'État ou la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) ont versé au Crédit Mutuel une somme correspondant aux prélèvements en question, de sorte que le Livret bleu a été, dès cette année, un produit totalement défiscalisé, aussi bien pour le consommateur que pour le Crédit Mutuel, tout au moins au titre des encours centralisés à la CDC.
(21) Les fonds collectés sur le Livret bleu, dont le montant a fluctué au cours des années 90 de 80 à 100 MdF, ont depuis l'origine fait l'objet de plusieurs affectations possibles.
(22) Une part croissante de ces fonds a été affectée obligatoirement à compter de 1991 au financement du logement social, ces fonds étant soit "centralisés", c'est-à-dire versés en compte de dépôt à la CDC, soit affectés par le Crédit Mutuel lui-même au même type d'emplois que ceux de la CDC. La CDC rémunère le Crédit Mutuel par une commission de collecte fixe de 1,3 % pour les encours centralisés (s'ajoutant au taux d'intérêt net versé à l'épargnant). Le niveau de la commission n'a pas changé depuis le début des opérations de centralisation, donc depuis 1991. La CDC consacre les fonds affectés au financement du logement social à des prêts aux organismes de HLM (habitations à loyer modéré), à l'instar de l'utilisation des fonds du Livret A des Caisses d'épargne et de la Poste. Depuis l'arrêté du 27 septembre 1991, la totalité de la nouvelle collecte sur Livret bleu est désormais affectée au financement du logement social, et l'encours existant au 31 décembre 1990 devait être progressivement centralisé à la CDC par tranche annuelle de 10 % jusqu' en 2000.
(23) Une autre partie de ces fonds faisait l'objet d'emplois définis par un arrêté du 1er mars 1976, appelés "emplois d'intérêt général" (EIG). La moitié est consacrée obligatoirement au financement des collectivités locales, l'autre moitié à la souscription de valeurs émises par l'État, ses établissements publics, et accessoirement aux prêts complémentaires aux prêts à taux préférentiels au titre de l'épargne logement. Il ne pouvait s'agir de prêts à des sociétés commerciales. Aux termes de la loi du 27 décembre 1975, la part des fonds consacrés à ces emplois devait être 50 % de l'encours. Cette proportion a été relevée à 65 % (et 80 % de la collecte nouvelle) à partir de l'entrée en vigueur de deux arrêtés du 31 octobre 1983 (et cela jusqu'en 1991) (6).
(24) Enfin le restant de ces encours, initialement la moitié, 35 % de 1983 à 1991 (7), puis une part décroissante dans la suite des années 90, pouvait être librement employé par le Crédit Mutuel pour compte propre, qui pouvait donc de la sorte adosser ses activités bancaires concurrentielles à une partie de l'encours du Livret bleu.
(25)
Tableau 1
Emplois correspondant aux encours du Livret bleu
>EMPLACEMENT TABLE>
Source:
Crédit Mutuel et Arthur Andersen.
(26) Ainsi qu'il était affirmé par les pouvoirs publics, ce mécanisme a été conçu à une époque donnée dans le but de favoriser le développement du Crédit Mutuel en lui permettant, grâce à des ressources bon marché, de développer ses propres activités bancaires, qui se trouvaient adossées à une partie importante de l'encours du Livret bleu.
(27) Le système a donc été profondément réformé à partir de 1991 pour l'aligner progressivement sur le système du Livret A, les autorités françaises étant manifestement conscientes des distorsions de concurrence qui en résultaient. Techniquement, l'ensemble des ressources est désormais réputé être affecté aux EIG, le financement du logement social prenant une place plus grande au sein de ces EIG (8). En pratique, tous les nouveaux dépôts collectés sur le Livret bleu semblent avoir été affectés au financement du logement social. La réaffectation de l'encours existant devait être échelonnée sur dix ans de 1991 à 2000, de façon à permettre au Crédit Mutuel une restructuration de ses actifs qui portait sur [...] de son bilan (fin 1990). En contrepartie, tout contrôle administratif sur les ouvertures ou fermetures de guichets était entièrement supprimé en 1991. De plus, le paiement du prélèvement libératoire forfaitaire au titre des intérêts versés aux épargnants sur les dépôts en Livret bleu était officiellement "neutralisé" (9), c'est-à-dire remboursé au Crédit Mutuel par la CDC ou par l'État.
(28) Lorsque la Commission a décidé d'ouvrir la présente procédure, la situation qui prévalait était une situation transitoire: les fonds nouvellement collectés sur le Livret bleu semblaient avoir été affectés au logement social, mais l'encours du passé ne l'a été qu'avec un grand retard par rapport à l'accord initial conclu entre le Crédit Mutuel et l'État (qui prévoyait de transférer 10 % de l'encours chaque année). Sur la décennie passée, les emplois libres sont demeurés très importants (environ [...]) comme le montre le tableau 1. La centralisation des encours à la CDC a toutefois été accélérée en 1997. Un élément nouveau est en effet intervenu accélérant et modifiant la réforme des emplois du Livret bleu. À la suite de l'ouverture de la présente procédure par la Commission en décembre 1997 et de la vente du CIC au Crédit Mutuel en avril 1998, l'État a renégocié avec le Crédit Mutuel l'accord de 1991. Il a alors été décidé de centraliser l'ensemble des encours Livret bleu auprès de la CDC à la fin de l'année 1998. La centralisation a en réalité été entièrement accomplie au second semestre 1999.
(29) Dans la communication relative à l'ouverture de la présente procédure, la Commission a souligné que des aides d'État étaient susceptibles d'être accordées au Crédit Mutuel au titre du mécanisme du Livret bleu pour les motifs suivants.
(30) Premièrement, les ressources de la CDC, qui est une institution publique, sont au sens de l'article 87 du traité des ressources d'État (10). Le niveau de la commission d'intermédiation de 1,3 % devait dès lors être justifié afin de vérifier l'absence de surcompensation des charges de collecte et de gestion afférentes au Livret bleu pour le Crédit Mutuel.
(31) Deuxièmement, la composante relative à la défiscalisation du livret peut, comme l'octroi par l'État d'avantages fiscaux, constituer, selon la jurisprudence de la Cour (11), une ressource d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité CE. La Commission a indiqué, dans la communication relative à l'ouverture de la présente procédure, que les bénéficiaires de l'aide fiscale étaient les épargnants et non pas le Crédit Mutuel. Elle a toutefois souligné qu'il convenait de vérifier que le Crédit Mutuel ne s'appropriait pas cet avantage fiscal par le biais du mécanisme en question.
(32) La troisième composante de l'avantage identifié (la marge nette d'intermédiation réalisée par le Crédit Mutuel sur l'encours non centralisé du Livret Bleu, après déduction des frais de gestion y afférents) est également susceptible de mobiliser des ressources d'État s'agissant des EIG. La plupart des produits des EIG résultent de prêts obligatoires à des administrations publiques (État ou collectivités locales) ou entreprises publiques à des conditions de taux réglementées par l'État qui ne sont pas nécessairement des conditions de marché. L'État est donc en mesure de contrôler parfaitement la rémunération qu'il choisit d'accorder au Crédit Mutuel au titre de ces EIG. En raison de son caractère obligatoire, ce volet fait partie intégrante du bilan de coûts et revenus du système Livret bleu. Il en résulte que le Crédit Mutuel a pu retirer des encours non centralisés des produits qui excèdent les coûts réels de collecte et de gestion des dépôts.
(33) Quatrièmement, la Commission avait mentionné lors de l'ouverture de la procédure, sans prendre position faute d'éléments suffisamment précis au dossier, l'argument des plaignants faisant état des effets avantageux d'attraction de clientèle procurés par le Livret bleu, mécanisme que l'on désignera par simplification sous le vocable d'effets de "produit d'appel". Selon les plaignants, le droit exclusif de distribution d'un produit d'épargne attractif par sa défiscalisation serait susceptible de permettre au Crédit Mutuel d'attirer et de fidéliser une clientèle à laquelle le réseau est ensuite en mesure de vendre d'autres produits ou services bancaires (prêts, placements, assurances, gestion de moyens de paiement). Le même raisonnement que pour la troisième composante pourrait être appliqué au sujet de cet avantage: l'État pourrait tenir compte des bénéfices résultant le cas échéant de ces effets de produit d'appel en réduisant le montant de la commission qu'il verse dans le cadre de la collecte des encours.
III. OBSERVATIONS DES INTÉRESSÉS
1. Les arguments des plaignants
(34) Les arguments des plaignants ont été présentés par la Commission dans sa communication relative à l'ouverture de la procédure au titre de l'article 88, paragraphe 2, du traité. Les mémoires ampliatifs transmis depuis lors présentent les nouveaux arguments suivants.
(35) Une note (actualisée fin février 1999) et communiquée en octobre 1999 sur l'effet de produit d'appel du Livret bleu évalue à l'avantage financier procuré par le produit d'appel à 17 MdF, en supposant que l'accroissement des parts de marché du Crédit Mutuel sur tous les segments pendant la période 1986-1997 provient exclusivement de la distribution du Livret bleu.
(36) Une autre note datée de mai 1998 et communiquée en octobre 1999 évalue le manque à gagner fiscal pour l'État à 2,9 MdF au cours de la même période. Il s'agit autrement dit du coût qu'aurait supporté le Crédit Mutuel s'il avait souhaité distribuer ce produit sans l'exonération fiscale en offrant aux épargnants la même rémunération nette d'impôt.
(37) Une étude réalisée par la Caisse Nationale du Crédit Agricole communiquée en mai 2000 analyse l'évolution du nombre de guichets du Crédit Mutuel. Il apparaît que le nombre global de guichets permanents a décru de 1991 à 1994 puis augmenté progressivement pour retrouver en 1998 le niveau de 1990. L'évolution est différente selon les régions: le nombre de guichets a baissé essentiellement en Pays de Loire (- 21 %), Normandie (- 8 %) et dans une faible mesure Nord-Pas-de-Calais (- 3 %). Ce phénomène est accentué par la décroissance entre 1994 et 1998 du nombre de guichets non permanents en Pays de Loire et en Bretagne et, dans une moindre mesure, en Alsace. En conclusion, le nombre des guichets permanents puis non permanents a diminué dans les régions de forte implantation historique du Crédit Mutuel (Pays de Loire, Bretagne, Alsace), alors qu'il a progressé dans les autres régions. Il est donc probable que le Crédit Mutuel a réduit son implantation dans les zones rurales pour renforcer sa présence en zone urbaine. Ces données semblent démentir les allégations du Crédit Mutuel selon lesquelles il a été contraint de maintenir une forte implantation en zone rurale au cours des années 90. Elles montrent aussi que le Crédit Mutuel est en mesure de maintenir un réseau exceptionnellement dense même après la levée de tout contrôle des pouvoirs publics.
(38) Un mémoire du cabinet Glais daté d'août 2000 apporte des éléments statistiques quant à l'avantage concurrentiel conféré au Crédit Mutuel par le droit exclusif du Livret bleu. L'examen des séries temporelles montre que les encours de dépôts sur Livret bleu ainsi que les encours des autres dépôts ont enregistré une forte croissance jusqu'au tournant des années 1985-1987. La croissance des crédits aux ménages se poursuit au-delà de cette date et demeure plus forte pour le Crédit Mutuel que pour ses principaux concurrents. L'expert du cabinet Glais en déduit que "l'effet Livret bleu semble donc avoir joué par attrait de clientèle [...] et à partir du milieu des années 80, l'effet positif semble s'être perpétué sans croissance des dépôts. C'est la clientèle initialement fidélisée qui paraît donc avoir alimenté la stratégie expansionniste du Crédit Mutuel à partir de cette période." L'expert observe ensuite que l'activité du Crédit Mutuel (essentiellement de crédit) semble être déconnectée de l'évolution moyenne du marché bancaire, notamment en construisant un indicateur de persistance des chocs économiques aléatoires sur les variables d'activité et en modélisant une équation simple de demande de crédit. Une explication logique à ce phénomène est, selon l'expert, le fait que la clientèle du Crédit Mutuel soit plus fortement fidélisée, par exemple par l'intermédiaire du Livret bleu, que celle des autres réseaux bancaires.
(39) Le second mémoire du cabinet Glais (daté de décembre 2000) propose une nouvelle analyse économétrique du degré de captivité de la clientèle de chaque réseau bancaire. La modélisation de la demande de crédit en fonction des taux d'intérêt réels permet de construire un indicateur de sensibilité de la demande de crédit aux taux. Le choix du modèle VAR (vectoriel autorégressif) permet de tenir compte à la fois des délais d'ajustement et des liens de causalité multiples pouvant exister entre les variables. Il apparaît à un très haut seuil de confiance statistique que la demande de crédit adressée au Crédit Mutuel est en valeur absolue très peu sensible au niveau des taux d'intérêt (0,26), et insensible (0,01) au niveau des taux de la concurrence (en l'espèce le taux de référence choisi est celui du Crédit Agricole). Les niveaux de sensibilité obtenus pour les autres réseaux s'échelonnent respectivement de 0,86 à 2,93 et de 0,66 à 3,74, à l'exception notable des Caisses d'épargne (respectivement 0,37 et 0,47) qui distribuent le Livret A, le livret d'épargne dont les caractéristiques reproduisent celles du Livret bleu. Ces résultats corroborent, selon l'expert, l'hypothèse selon laquelle les deux réseaux disposent de moyens leur permettant de fidéliser leur clientèle beaucoup mieux que ne le font les autres réseaux. Mais il est impossible de déterminer si la distribution d'un livret d'épargne défiscalisé ou bien l'utilisation d'un réseau dense de succursales dans des régions différentes (deux instruments communs dont disposent ces réseaux) sont à l'origine de cette fidélisation plus forte de la clientèle.
2. Observations des tiers intéressés
(40) En réponse à la publication au Journal officiel de la communication de la Commission relative à l'ouverture de la présente procédure, la Commission a reçu les commentaires de nombreuses parties intéressées.
(41) Les concurrents du Crédit Mutuel ont unanimement souligné le préjudice qu'ils considèrent subir du fait de la concession au Crédit Mutuel du monopole de distribution du Livret bleu. Les banques ont pour la plupart considéré que l'effet d'appel de ce produit défiscalisé leur causait un préjudice en leur faisant perdre des clients attirés par le Livret bleu, et ont souhaité la disparition de ce monopole. De tels commentaires ont été adressés à la Commission par les établissements suivants:
Banque Dupuy de Parseval
Banque Natexis
Banque de Picardie
Banque Populaire de Bourgogne
Banque Populaire Bretagne Atlantique
Banque Populaire du Centre
Banque Populaire Centre-Atlantique
Banque Populaire de Champagne
Banque Populaire de la Côte d'Azur
Banque Populaire du Dauphiné et des Alpes du Sud
Banque Populaire de Franche-Comté, du Maconnais et de l'Ain
Banque Populaire du Haut-Rhin
Banque Populaire de La Loire
Banque Populaire de Lorraine
Banque Populaire de Lyon
Banque Populaire du Midi
Banque Populaire du Massif Central
Banque Populaire de l'Ouest
Banque Populaire Provençale et Corse
Banque Populaire des Pyrénées Orientales, de l'Aude et de l'Ariège
Banque Populaire du Quercy et de l'Agenais
Banque Populaire Savoisienne
Banque Populaire de la Région Économique de Strasbourg
Banque Populaire du Sud-Ouest
Banque Populaire du Tarn et de l'Aveyron
B.P.ROP Banque Populaire
Banque de Savoie
Crédit Commercial de France
Crédit Commercial du Sud-Ouest
Crédit Lyonnais
Société Générale
Union des Banques à Paris.
(42) L'un des plaignants, l'AFB, a adressé à la Commission un courrier en date du 4 juin 1998, affirmant que la rémunération de 1,3 % versée par la CDC sur les emplois centralisés était excessive, que sa différence avec la commission de 1,2 % versée aux Caisses d'épargne sur la collecte du Livret A n'était pas justifiée. L'AFB indique dans ce courrier qu'elle a proposé au début de l'année 1997 aux autorités françaises d'assurer la collecte du Livret bleu, dans les mêmes conditions de centralisation des fonds à la CDC, moyennant une rémunération de 1 % seulement, mais que le Gouvernement n'a pas répondu à cette offre. L'AFB a notamment souligné que le rapport d'avril 1998 de M. Douyère, député, sur la modernisation des Caisses d'épargne, a indiqué que le coût de collecte d'une Caisse d'épargne moyenne comme celle de Bourgogne est de 0,96 % de ses encours et qu'il n'y avait pas de raison que le Crédit Mutuel ait des coûts de gestion plus élevés. Le Crédit Mutuel n'est pas assujetti comme les Caisses d'épargne à des contraintes techniques rendant la gestion du livret plus onéreuse (la gestion du Livret A n'a pas encore été dématérialisée dans le courant des années 90, alors que cela a été le cas du Livret bleu lequel est entièrement électronique).
(43) En marge de la présente procédure, la Commission a également reçu un mémoire complémentaire présenté par les plaignants, considérant que l'achat par le Crédit Mutuel, en avril 1997, du Crédit Industriel et Commercial (CIC), lors de la privatisation de cet établissement bancaire précédemment détenu par le groupe public d'assurances GAN, avait été possible grâce aux aides dont il a bénéficié au titre du Livret bleu, lui ayant permis de faire passer sa part de marché des dépôts de 2 % en 1969 à environ 6,9 % en 1997. Les fonds propres de l'entreprise ont connu selon les plaignants une croissance rapide grâce aux aides en question, passant de 650 MF en 1974 à 47,3 MdF en 1997.
(44) Par ailleurs, outre les observations en défense du Crédit Mutuel, présentées à la section III, point 3, la Commission a reçu les observations des tiers suivants en faveur du mécanisme du Livret bleu:
M. Bertholet, député de la Drôme
M. Blondel, conseiller général du Nord
M. Cabot, directeur du Centre régional Information Jeunesse de Toulouse
M. Cormorèche, maire de Montuel
M. Cornelis, conseiller général du Nord
M. Chavannes, maire d'Angoulême
M. Crépeau, député de la Charente-Maritime
M. Debavelaere, sénateur du Pas-de-Calais
M. Decool, maire de Brouckerque
M. Delevoye, sénateur du Pas-de-Calais
M. Delnatte, député du Nord
M. Dolez, député du Nord
M. Ewald, délégué régional de l'Association pour le droit à l'initiative économique
M. Fronton, Union départementale des associations familiales de Haute-Garonne
M. Foy, sénateur du Nord
M. Galiègue, président de la Caisse de Crédit Mutuel de Solesmes
Mme Gournay, maire de Caestre
Mme Armelle Guinebertière, député au Parlement européen
M. Hervé, maire de Rennes
M. Humez, président du Comité départemental de lutte contre la mucoviscidose du Pas-de- Calais
Mme Ingelaere, présidente de Flandr'action
M. Juppé, député-maire de Bordeaux
M. Lapalu, président de l'association Animation et gestion d'organismes privés
M. Lazaro, député du Nord
M. Lebreton, président du Conseil général des Côtes d'Armor
M. Ledieu, maire de Cateau-Cambrésis
M. Leleu, administrateur du Crédit Mutuel Nord
M. Maille, président de la Communauté urbaine de Brest
M. Masclet, conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais
M. Méhaignerie, président du Conseil général d'Ille-et-Villaine
M. Mio, conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais
Mme Novak, présidente de l'Association pour le droit à l'initiative économique
Mme Permuy, conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais
M. Albert Rivaux, conseiller général du Pas-de-Calais
M. de Rohan, président du Conseil régional de Bretagne
M. Valla, conseiller général de l'Ardèche
M. Vanlerenberghe, maire d'Arras
M. Villain, maire de Cambrai
M. de Villiers, député de la Vendée.
(45) La très grande majorité des tiers a souligné le rôle joué, notamment au niveau régional, par le Crédit Mutuel dans le financement de l'économie sociale, et en particulier des associations sans but lucratif. Ils ont également souligné le rôle d'accompagnement du Crédit Mutuel auprès des classes populaires dont émane une partie importante de sa clientèle. Plusieurs élus locaux ont souligné le rôle du Crédit Mutuel dans la création d'entreprises et d'emplois, et le développement des initiatives locales, en liaison avec les collectivités locales. D'autres ont considéré que le Crédit Mutuel, par ses structures décentralisées, répondait mieux que les établissements centralisés aux besoins locaux et à la nécessité d'un développement équilibré du territoire.
3. Observations du Crédit Mutuel
(46) Le Crédit Mutuel a adressé le 11 juin 1997 à la Commission un courrier apportant ses commentaires en réponse à l'ouverture de la présente procédure. Le Crédit Mutuel considère, à titre principal, que les conditions de collecte et de gestion du Livret bleu ne se traduisent pas par des aides d'État. Il ajoute, à titre subsidiaire, que, quand bien même il s'agirait d'une aide d'État au sens de l'article 87 du traité, celle-ci pourrait bénéficier de l'exemption prévue à l'article 86, paragraphe 2, du traité. Le cas échéant, seules les caisses locales du Crédit Mutuel bénéficieraient juridiquement de cette aide.
(47) Ces arguments ont été repris et développés par le Crédit Mutuel dans un dossier détaillé daté du 18 juin 1998.
(48) Le Crédit Mutuel a justifié la liberté d'affectation dont il avait bénéficié dans le passé pour le tiers des ressources du Livret bleu (12) par le fait qu'il a pris en charge à hauteur d'un tiers la fiscalisation des intérêts versés aux épargnants. Il en a déduit que ceci justifiait que le tiers de l'encours du livret bleu soit considéré comme hors du champ de la présente procédure. Le Crédit Mutuel a précisé que la règle d'affectation des deux tiers des encours à des emplois d'intérêt général était à mettre en relation avec la défiscalisation aux deux tiers de l'épargne du Livret bleu. Le Crédit Mutuel a par ailleurs indiqué qu'il prenait en charge le risque d'illiquidité, en cas de collecte nette (des retraits) négative.
(49) Le Crédit Mutuel a considéré que le mécanisme en question ne mobilisait pas de ressources d'État et ne pouvait dès lors donner lieu à des aides d'État au sens visé par l'article 87, paragraphe 1, du traité. Il a en particulier souligné que l'avantage fiscal en question, en raison de ses particularités précédemment soulignées, ne grevait pas le budget de l'État. Il a notamment contesté les calculs figurant dans les annexes intitulées "Voies et moyens" de la loi de finances, évaluant le coût fiscal de l'exonération partielle apportée par le mécanisme en question et présentant une approche exhaustive pour l'État du coût du Livret bleu. En contrepartie de la défiscalisation d'une partie de la population des épargnants, il a souligné que la fiscalisation d'une population normalement non fiscalisée ou fiscalisée à un plus faible taux générait des recettes pour l'État, qui devaient être prises en compte dans le bilan fiscal net du mécanisme, sachant que le Crédit Mutuel aurait versé un impôt équivalent au tiers du prélèvement libératoire. Le Crédit Mutuel a souligné que, selon ses estimations, le régime fiscal du Livret bleu sur la période 1975-1996 avait généré une ressource nette de [...] au bénéfice de l'État.
(50) Le Crédit Mutuel a contesté qu'il puisse s'approprier l'avantage fiscal des épargnants puisqu'il reverse chaque année à l'État le prélèvement à la source du tiers de la fiscalité normalement applicable, de sorte que le taux réel du Livret bleu avant impôt était en réalité le taux facial perçu par l'épargnant augmenté de cette fiscalité prélevée à la source par le Crédit Mutuel. Le Crédit Mutuel a souligné qu'il avait ainsi reversé à l'État environ [...] de 1975 à 1996.
(51) Par ailleurs, le Crédit Mutuel a contesté, au cas où la Commission retiendrait l'existence d'aides, tout effet sur les échanges entre États membres: il s'agit d'un produit, souligne le Crédit Mutuel, qui ne représente que 5,8 % de la collecte d'épargne en France et 0,72 % en Europe. Le Crédit Mutuel est un opérateur de dimension très relative. Les caisses locales ne peuvent, en l'absence d'un statut européen de société coopérative, développer leur activité hors de France. L'ouverture de comptes sur Livret bleu à des non-résidents ne représentait en 1997 qu'un nombre minime de livrets, de l'ordre de 8 600, soit 0,16 % de l'encours du Livret bleu. En tout état de cause, souligne le Crédit Mutuel, avant la mise en application en 1993 de la deuxième directive bancaire(13), l'inachèvement du marché intérieur bancaire était une entrave aux échanges.
(52) Le Crédit Mutuel a contesté tout manque à gagner pour le budget de l'État dû à l'absence d'appel d'offres lui ayant valu l'exclusivité de distribution de ce produit (en comparaison avec la situation dans laquelle un appel d'offre aurait permis à l'État de sélectionner un organisme apportant le même service à un moindre coût). Il a souligné que, dès lors que l'État décidait de collecter par le mécanisme en question des ressources affectées à une mission d'intérêt général, il était libre de désigner pour le faire le Crédit Mutuel dont le réseau correspondait aux conditions de collecte recherchées pour canaliser l'épargne populaire.
(53) Le Crédit Mutuel a considéré que la différence entre le taux de commission de 1,2 % versé par la CDC aux caisses d'épargne sur le Livret A et la commission de 1,3 % au Crédit Mutuel sur le Livret bleu (également versée par la CDC) s'expliquait par l'effet de taille, en raison de la masse des encours du Livret A(14). Les données de comptabilité analytique qu'il a présentées à la Commission aboutissent aux conclusions selon lesquelles le coût moyen de gestion des dépôts du Livret bleu a baissé de [...] en 1993 à [...] en 1997 et il était resté avant 1997 en permanence supérieur à la marge de commissionnement de 1,3 % que lui sert la CDC sur les emplois centralisés.
(54) Le Crédit Mutuel a considéré que l'argument des banques de l'AFB selon lequel le Livret bleu pourrait être collecté à un moindre coût, pour une commission d'intermédiation de seulement 1 %, devait être apprécié au regard d'une sélection que les banques auraient l'intention d'opérer selon le montant des dépôts sur les livrets. Ce refus de la péréquation des coûts par les banques de l'AFB remettrait en cause l'équilibre global de gestion de ce mécanisme.
(55) Le Crédit Mutuel a soumis à la Commission un rapport présentant des travaux d'analyse de comptabilité analytique du mécanisme du Livret bleu. Ces travaux aboutissent pour la période 1991-1997 à la conclusion selon laquelle la collecte et la gestion du Livret bleu ont généré des coûts supérieurs aux revenus, et que le mécanisme n'a atteint l'équilibre que certaines années. Le Crédit Mutuel parvient à la conclusion que, sauf en 1991-1992, la marge sur Livret bleu a été inférieure à la marge qu'il réalise sur le reste de ses activités. Le Crédit Mutuel a également adressé à la Commission une certification comptable de ces travaux de comptabilité analytique par un cabinet d'expertise comptable français, Mazars et Guérard.
(56) Le Crédit Mutuel a contesté qu'il puisse bénéficier par l'intermédiaire du Livret bleu d'un avantage commercial, dans la mesure où:
- les gains de parts de marché de l'entreprise au cours de la période concernée s'expliqueraient par ses performances, notamment sa productivité élevée, et non par l'attrait du Livret bleu, dont la part dans les ressources de la banque est allée en décroissant avec le temps. Le Crédit Mutuel a indiqué que le nombre moyen de clients gérés par salarié était ainsi de 364 au Crédit Mutuel en 1996, au lieu de 150 dans les autres établissements de crédit français. De 1991 à 1997, le Crédit Mutuel a gagné 1,1 % de part du marché des dépôts, alors que les banques ont connu une perte de part de marché de 0,6 %. Le Crédit Mutuel a souligné que les Caisses d'épargne, qui ont avec le Livret A un produit comparable, avaient connu comme les banques, au cours de la période concernée, une évolution défavorable de leur part de marché pour les dépôts, ce qui démentirait le lien de causalité établi par les plaignants entre le Livret bleu et l'évolution des parts de marché du Crédit Mutuel,
- d'autres produits d'épargne réglementés, tels que les Codevi institués par les pouvoirs publics en 1983, le Plan d'Épargne Populaire ou le Livret Jeune, sont distribués par les banques et représentent une alternative réelle au Livret bleu, à tel effet que les différentes possibilités offertes par ces produits permettaient en 1997 à un célibataire de plus de 25 ans de constituer une épargne défiscalisée de 1 130 000 francs (à comparer avec le plafond de 100 000 francs du Livret bleu).
(57) Le Crédit Mutuel a souligné que l'attrait du Livret bleu auprès de sa clientèle avait eu pour effet de diminuer considérablement le montant des dépôts à vue non rémunérés de la banque, qui représentaient en 1997 15,8 % de ses dépôts contre une proportion de 36,6 % à 40,8 % chez ses principaux concurrents. Cette substitution aurait eu un effet négatif sur sa rentabilité et ses marges. De sorte que le coût moyen des dépôts du Crédit Mutuel serait sensiblement supérieur à celui des banques de l'AFB.
(58) Le Crédit Mutuel a également contesté que ce soit l'ensemble du groupe du Crédit Mutuel qui bénéficie des aides le cas échéant retenues, et a souligné que seules les caisses locales, juridiquement indépendantes, qui distribuent le Livret bleu, pourraient dans cette éventualité être les bénéficiaires des aides.
(59) Le Crédit Mutuel a considéré qu'en adoptant en 1975 les dispositions législatives (15) instaurant le Livret bleu, l'État avait institué un mécanisme d'intérêt général de collecte d'une épargne populaire et de son affectation à des emplois financiers d'intérêt général. L'implantation du Crédit Mutuel en milieu rural et l'importance de sa clientèle à revenus modestes aurait joué un rôle important dans ce choix. En 1998, 58 % de la clientèle du Crédit Mutuel vivait dans des communes de moins de 20 000 habitants et 77 % déclarait un revenu net mensuel inférieur à 10 000 francs.
(60) Le Crédit Mutuel a souligné les limitations auxquelles il avait été assujetti:
- l'État aurait imposé au Crédit Mutuel le maintien de [...] guichets implantés dans des communes de moins de 2 000 habitants, dont le coût serait estimé à [...] MF par an,
- le maintien de "comptes spéciaux sur Livret bleu" dont le coût de gestion serait supérieur à la rémunération de 1,3 % versée par la CDC. Si ces comptes, d'un faible montant moyen, étaient fermés, [...] des livrets bleus représentant seulement [...] des encours pourraient disparaître. De sorte que le Crédit Mutuel réaliserait une économie estimée à [...] MF par an. Le Crédit Mutuel a estimé que la gestion des petits comptes se traduisait par un surcoût de [...] de leur encours, eu égard à leurs caractéristiques, sachant que plus le solde est faible, plus le nombre d'écritures est important,
- jusqu'en 1991, les ouvertures de guichets ont été réglementées, de sorte que la banque n'aurait pas pu se développer dans les zones les plus attractives, en dehors de ses zones d'implantations traditionnelles (l'Est, le Nord et la Bretagne),
- le Crédit Mutuel a également considéré, d'une manière non spécifique et non chiffrée, que d'autres surcoûts afférents aux emplois d'intérêt général du Livret bleu devraient être pris en compte,
- le Crédit Mutuel a enfin considéré qu'il existait un risque de transformation à sa charge qui lui faisait encourir le risque sur une variation de la marge de taux entre le taux de court terme (réglementé) s'appliquant aux ressources du Livret bleu et les taux de moyen et long terme s'appliquant aux emplois.
(61) Sur base de ces éléments, le Crédit Mutuel a considéré que, sans le Livret bleu, il n'aurait pu s'acquitter des missions d'intérêt général qui lui ont été imparties. Il a souligné que la part de l'encours du Livret bleu dont l'affectation était libre avait permis d'assurer l'équilibre du système, compte tenu des marges insuffisantes réalisées sur les emplois d'intérêt général.
(62) Le Crédit Mutuel a en outre fait valoir sa confiance légitime à l'égard d'un mécanisme remontant à 1975. Il a considéré que la longueur de la procédure d'instruction d'une plainte remontant à 1991 était de nature à violer cette confiance légitime.
(63) Dans une note du 13 décembre 2000, le Crédit Mutuel critique la méthode suivie dans le premier mémoire du cabinet Glais. Il met l'accent sur le fait que d'autres causes peuvent expliquer les phénomènes statistiques observés, tels le fait que le Crédit Mutuel disposait au début de la période de référence d'un réseau plus dense que ses concurrents (en terme de PNB par agence). Il retient que de 1987 à 1998 le Crédit Mutuel a gagné moins de parts de marché que le Crédit Agricole (dont le bilan est plus important), et que le Crédit Mutuel a gagné deux points de marché crédit contre quatre points pour l'ensemble des banques AFB (ce qui a contrario confirme le spectaculaire développement du Crédit Mutuel).
(64) Une note de mars 2000 émanant du Crédit Mutuel Midi Atlantique met l'accent sur le caractère arbitraire du chiffrage de comptabilité analytique retenu par le consultant de la Commission, les données quantitatives étant l'objet d'évaluations contradictoires, les aspects qualitatifs (charge occasionnée par le maintien du réseau en zone rurale, effet de produit d'appel) étant difficiles à apprécier. Le Crédit Mutuel affirme accepter la banalisation du Livret bleu, c'est-à-dire la généralisation de sa distribution aux autres réseaux, mais se montre hostile à tout remboursement d'aide jugé pénalisant pour plus de cinq millions de sociétaires.
IV. COMMENTAIRES DES AUTORITÉS FRANÇAISES
(65) Dans leur courrier du 8 avril 1998, les autorités françaises ont en premier lieu considéré que le régime du Livret bleu n'avait aucun coût fiscal appréciable pour l'État, ce dernier ayant opté pour une fiscalisation uniforme des déposants, d'un tiers du prélèvement libératoire sur les revenus de l'épargne, renonçant de cette façon aux deux tiers restants du prélèvement libératoire, mais percevant en contrepartie le tiers restant sur une population normalement non imposable. Elles ont sur cette base contesté toute application possible de l'article 87, paragraphe 1, du traité en raison de l'absence de ressources d'État mobilisées par le mécanisme en question.
(66) Les autorités françaises ont, par ailleurs, souligné que la commission d'intermédiation versée par la CDC au Crédit Mutuel sur les encours du Livret bleu centralisés constituait non pas une aide, mais la rémunération d'une prestation effectuée par la banque dont le prix avait été fixé contractuellement en 1991 à 1,3 %. Elles ont insisté sur l'importance des coûts de gestion du Livret bleu en raison du nombre de livrets dont l'encours est inférieur à 5000 francs. Elles se sont référées aux travaux de comptabilité analytique réalisés par le Crédit Mutuel pour conclure que ce montant était pleinement justifié.
(67) Les autorités françaises ont contesté toute affectation possible des échanges jusqu'à l'achèvement du marché unique des activités bancaires et financières, consécutif à l'adoption de la deuxième directive bancaire du 15 décembre 1989 et à sa transposition en droit français le 1er janvier 1993. Au-delà de cette date, les autorités françaises ont considéré que, en raison de l'absence de statut européen de la société coopérative, et des limitations que cette situation entraînait pour l'expansion transfrontalière des sociétés à statut coopératif comme le Crédit Mutuel, les caisses du Crédit Mutuel n'avaient pas d'activité au-delà des frontières nationales. Les comptes du Livret bleu ouverts à des non-résidents représentent qui plus est moins de 0,1 % de l'encours. Les autorités ont également considéré que les établissements bancaires étrangers en France visaient un marché très différent de celui du Crédit Mutuel. Elles contestent sur cette base toute possibilité d'affectation des échanges intra-communautaires dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
(68) Les autorités françaises ont souligné que tout avantage que comporterait le Livret bleu pour le Crédit Mutuel devrait être examiné en contrepartie de charges liées à un objectif d'intérêt économique général. Elles ont notamment souligné l'affectation croissante de l'encours du livret à des emplois financiers d'intérêt général: cette proportion est successivement passée de 50 % de l'encours du Livret bleu de 1975 à 1983, à 65 % de 1983 à 1991. Elles ont souligné que, au terme de la réaffectation des encours conclue avec le Crédit Mutuel en 1991, 100 % de ceux-ci seraient affectés à partir de l'an 2000 à des emplois financiers d'intérêt général. Elles ont indiqué qu'elles envisageaient d'accélérer la mise en œuvre de l'accord de 1991 de sorte que l'achèvement de la centralisation des encours du livret pourrait intervenir plus tôt que prévu, dès la fin de 1998.
(69) Les autorités françaises ont par ailleurs souligné que, bien que l'ouverture de guichets dans le reste du secteur bancaire avait été libéralisée au 24 novembre 1986, le Crédit Mutuel était demeuré astreint à un régime administratif d'autorisations jusqu'en 1991 en vertu de la décision du Conseil national du crédit (CNC) du 10 janvier 1967. Ce n'est qu'au 1er juillet 1991 qu'a été levée pour le Crédit Mutuel l'obligation d'autorisation du Comité des établissements de crédit préalablement à toute ouverture, transformation, transfert ou cession de guichets. Les autorités françaises ont considéré que, jusqu'en 1991, les contraintes relatives à l'implantation géographique du Crédit Mutuel en dehors des grandes agglomérations résultaient d'un choix politique des pouvoirs publics et s'étaient traduites par un retard de développement dans les zones urbaines.
(70) Sur la base de ces éléments, les autorités françaises ont conclu que le Crédit Mutuel ne bénéficiait d'aucune aide d'État au titre du Livret bleu et, à titre subsidiaire, qu'en tout état de cause une telle aide devrait être déclarée, le cas échéant, compatible avec le traité en vertu de l'article 86, paragraphe 2, du traité en raison des missions d'intérêt général assignées au Crédit Mutuel. Elles ont souligné la confiance légitime dans laquelle s'était trouvé le Crédit Mutuel jusqu'au dépôt de la plainte à la Commission en 1991.
(71) Dans une note adressée le 1er février 2001, les autorités françaises ont affirmé de manière ambiguë, au sujet de la modification réglementaire intervenue après la décision du Conseil d'État du 5 janvier 2000, que la mise en conformité juridique avec cette décision n'a entraîné aucune modification du régime fiscal du Livret bleu. L'épargnant continuerait à percevoir un taux de rémunération net identique à celui du Livret A. Le Crédit Mutuel acquitterait toujours le prélèvement libératoire au Trésor public.
(72) Les autorités françaises ont enfin précisé que la centralisation complète à la CDC des fonds collectés sur le Livret bleu a été formalisée par un protocole du 31 décembre 1998 entre le ministre de l'Economie et le Président de la confédération nationale du Crédit Mutuel, et entièrement accomplie au 31 mars 1999.
(73) Enfin, dans une note du 26 octobre 2001, les autorités françaises ont rejeté la qualification de ressources d'État au sujet des emplois d'intérêt général, estimé que la condition d'affectation des échanges n'était pas remplie avant la transposition de la deuxième directive bancaire, que l'aide instituée dans un marché initialement fermé à la concurrence devait être considérée comme une aide existante. Elles ont aussi repris le chiffrage présenté par le Crédit Mutuel et Arthur Andersen.
V. APPRÉCIATION DES MESURES DE COMPENSATION
(74) La Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante de la cour, les aides doivent être appréciées selon leurs effets. Avant de formuler des conclusions sur le caractère d'aide des mesures examinées, il conviendra donc d'examiner les effets du mécanisme en question sur les résultats du Crédit Mutuel.
(75) Certaines conditions doivent être réunies pour identifier une mesure en tant qu'aide d'État: l'aide doit être accordée par l'État ou au moyen de ressources d'État; elle doit conférer un avantage concurrentiel à l'entreprise bénéficiaire; elle doit avoir un effet sur le commerce intracommunautaire. On examinera d'abord le dernier point pour préciser ensuite l'analyse sur les autres points. L'évaluation de l'aide sera enfin présentée.
1. La distorsion de concurrence et l'effet sur les échanges entre les États membres
1.1. L'effet de l'aide sur les échanges dès 1975
(76) En 1979, la part de marché des banques étrangères atteint 8 % pour les activités de crédit (4 % pour les succursales sans personnalité juridique, 4 % pour les sociétés filiales en forme juridique française), 4,5 % pour les activités de dépôt (2 % et 2,5 % respectivement). La part des banques européennes non françaises par rapport à l'ensemble des banques étrangères est de 50 % pour les crédits, 70 % pour les dépôts. Ces parts ont peu évolué entre 1975 et 1979(16). Le Crédit Mutuel a donc été confronté dès les années 70 à la concurrence des réseaux étrangers sur le territoire français. Le nombre de banques sous contrôle étranger à Paris a rapidement augmenté depuis 1968 passant de 47 établissements à 86 en 1975 et 111 en 1979.
(77) Selon une jurisprudence constante, l'effet sur les échanges est considéré comme suffisant si la position de l'entreprise est renforcée par rapport à ses concurrents dans le cadre du commerce intracommunautaire(17). Il n'est pas nécessaire que le bénéficiaire ait une activité exportatrice: l'aide à l'entreprise nationale est susceptible de réduire les opportunités d'exportation pour les entreprises des autres États membres(18). Plusieurs indices montrent que dans le cas présent la condition d'effet sur les échanges est remplie.
a) La nécessité de prendre en compte l'ensemble des activités du Crédit Mutuel, en particulier de crédit
(78) Le Crédit Mutuel a eu la possibilité jusqu'en 1999 d'utiliser une partie des dépôts du Livret bleu pour des opérations bancaires d'actifs très diverses. La distorsion de concurrence ne s'est donc pas limitée au marché des dépôts, mais a concerné au moins aussi le marché du crédit. Les informations obtenues par la Commission sont pour l'essentiel relatives à la fin des années 80 et aux années 90. En 1975, les opérations d'actif du Crédit Mutuel semblent être essentiellement des crédits et achats de titres publics. La collecte du Livret bleu a joué un rôle important dans le développement des opérations de crédit du Crédit Mutuel. La collecte des dépôts du Livret bleu permettait au Crédit Mutuel de réaliser des crédits de volume global identique à celui de la collecte. La croissance de la collecte ayant été très rapide pendant la seconde moitié des années 70, les encours de dépôts proviennent à 60 % du Livret bleu jusqu'au milieu des années 80. Le Livret bleu a permis à la banque de développer son offre sur le marché du crédit dès la mise en place du système en concurrence avec les banques étrangères.
b) Le critère de la libération partielle des mouvements de capitaux
(79) Au sujet du marché des dépôts, il convient de rappeler que les transferts de paiement et mouvements de capitaux étaient possibles et du reste courants (par exemple pour les travailleurs immigrés) avant la transposition de la directive 88-361-CEE du Conseil (JO L 178 du 8.7.1988, p. 5), dite de libération complète des mouvements de capitaux. D'après les informations obtenues par la Commission, le contrôle des mouvements de capitaux a été libéralisé en France dès 1968 (19). Dès 1975, les résidents français pouvaient déposer et ont déposé des fonds à l'étranger. La réglementation a prévu, semble-t-il, un régime de déclaration administrative ex ante à la Banque de France durci temporairement à partir de 1981 dans un contexte de fuite des capitaux. Il a été ensuite pour l'essentiel aboli en 1986 (20). Réciproquement, les résidents d'autres États membres pouvaient placer leurs dépôts en France, notamment sur le Livret bleu(21).
(80) Le droit communautaire concerne la libération de certains mouvements de capitaux et paiements. La première directive du Conseil portant application de l'article 67 du traité fait référence à la libération la plus rapide possible des mouvements de capitaux. Cette directive et celles qui l'ont modifiée par la suite (22) ont progressivement libéralisé de manière inconditionnelle ces mouvements de sorte que la directive 88-361-CEE fait référence à la "libération complète" (considérant 7). La jurisprudence montre que la libération des mouvements de capitaux et des paiements a été dès l'origine étroitement liée à la liberté de mouvements des personnes, marchandises et services et la liberté d'établissement (23).
c) L'effet sur les échanges entre États membres en l'absence de libéralisation
(81) L'effet sur les échanges entre États membres a été reconnu par la Cour même en l'absence de libéralisation du marché, ainsi qu'il résulte de l' arrêt rendu dans l'affaire Van Eycke (24), relative à une réglementation nationale datant de 1983 et 1986 qui fixait en pratique le niveau de taux d'intérêt de certaines catégories de dépôts d'épargne donnant droit à avantages fiscaux. À l'égard de l'article 85, la Cour n'a pas exclu qu'il pouvait y avoir une infraction à l'article 85, en se fondant implicitement sur le fait que la mesure était susceptible d'avoir un effet sur les échanges intracommunautaires au sens de l'article 85 du traité. Le régime communautaire applicable était celui de la première directive du Conseil du 11 mai 1960, et non de la directive 88-361-CEE. Cette interprétation est confirmée par les conclusions de l'Avocat général Mancini: en réponse au plaignant qui invoquait l'absence d'effets sur les échanges, l'avocat général a observé "qu'il n'y a pas de doutes que les règles de la concurrence s'appliquent au secteur bancaire" (point 3).
(82) On pourrait aussi mentionner le cas antérieur Züchner (25), dans lequel une juridiction nationale souhaitait savoir si des frais bancaires sur un chèque tiré le 17 juillet 1979 sur une banque allemande en faveur d'un bénéficiaire résidant en Italie était susceptible d'être contraire à l'article 85 du traité. La Cour a refusé d'écarter l'application des règles de concurrence en raison de l'article 90, paragraphe 2, et des articles 104 et suivants du traité, considérant donc que cette pratique était susceptible d'avoir un effet sur les échanges.
(83) La Commission affirme dès le second rapport sur la politique de la concurrence de 1972 (paragraphes 50 à 53) que les règles de la concurrence s'appliquent en principe au secteur bancaire. Le rapport précise que la Commission avait déjà examiné un cas bancaire à la lumière de l'article 85 et qu'elle était en cours d'examen des accords de coopération européens entre les banques de différents États membres (26).
(84) S'il existait un effet sur les échanges dans tous ces cas au sens de l'article 85, il convient d'en déduire qu'il y avait aussi un effet sur les échanges au titre des règles relatives aux aides d'État.
1.2. L'achèvement de la libéralisation du secteur bancaire dans l'Union européenne depuis la fin des années 70 et le renforcement de la concurrence
(85) Si l'achèvement du marché intérieur date de la deuxième directive bancaire de 1989, il convient de noter que le marché a été progressivement libéralisé et la concurrence s'est progressivement renforcée dès les années 70.
(86) La libéralisation complète du marché bancaire unique de l'Union européenne a été accomplie sur une période de plus de trente ans. La première directive bancaire 77-780-CEE du Conseil (JO L 322 du 17.12.1977, p. 30) pose les premières règles d'harmonisation des réglementations nationales relatives aux conditions d'exercice des succursales d'un établissement de crédit dans les autres États membres. Il faut rappeler que la liberté d'établissement des filiales existait déjà dans les pays de la Communauté européenne, et la plupart des grandes banques disposaient de filiales à l'étranger, comme du reste de succursales sans personnalité juridique (même en l'absence d'une réglementation uniforme à l'échelle de l'Union). Les filiales et succursales en France des banques des autres pays de l'Union européenne ont donc pu subir la concurrence déloyale du Crédit Mutuel avant la date d'entrée en vigueur de la première ou de la seconde directive bancaire.
(87) Une étape décisive en vue du marché unique bancaire a été franchie avec la libération des mouvements de capitaux par la directive 88-361-CEE, transposable par les États membres au plus tard au 1er juillet 1990. Concrètement, cette mesure a fortement amplifié les flux transfrontaliers de dépôts ou placements des investisseurs. Ces flux de capitaux ont pu être auparavant contrôlés de manière transitoire par l'administration, ne serait-ce que par le biais du contrôle des changes. La France a transposé la directive de libération des mouvements de capitaux par les décrets 89-938 et 90-58 entrés en vigueur respectivement le 30 décembre 1989 et le 16 janvier 1990. La levée du contrôle des changes instauré en 1981 a eu lieu dès 1986.
(88) La liberté d'établissement dans le secteur bancaire a été parachevée en France en juillet 1992 avec la transposition de la deuxième directive bancaire 89-646-CEE (27). L'article 6, paragraphe 2, de ladite directive dispose que "les États membres d'accueil ne peuvent exiger, comme condition d'agrément des succursales des établissements de crédit agréés dans d'autres États membres, une dotation initiale dont le montant soit supérieur à 50 % du capital initial exigé par la réglementation nationale pour l'agrément d'un établissement de crédit de même nature" (28). Cette mesure était transposable au plus tard le 1er janvier 1990. Le Conseil a entendu ainsi prévenir toute tentative d'un État membre de restreindre la liberté d'établissement d'une succursale par une réglementation abusive dès 1990.
(89) Il en résulte que progressivement, et tout particulièrement à partir de 1990, l'effet sur les échanges d'aides accordées à un établissement bancaire est devenu extrêmement sensible (29), puisque tout établissement peut exercer des activités bancaires dans les autres États membres par l'intermédiaire de succursales (dont l'ouverture n'est plus soumise à agrément) ou encore libre prestation de service transfrontalière.
1.3. La position du Crédit Mutuel sur le marché bancaire français
(90) La Commission a examiné les arguments présentés par le Crédit Mutuel sur la compétence territoriale limitée des caisses locales de Crédit Mutuel et de l'absence d'impact sur les échanges résultant d'un tel mécanisme. Elle relève toutefois que le Crédit Mutuel est un groupe doté d'une personnalité juridique et présentant une comptabilité consolidée, ainsi qu'une solidarité financière interne au niveau de la confédération qui assure la liquidité des fédérations régionales. Elle note que le groupe dispose de fonds propres importants qui facilitent son accès aux marchés des capitaux et que les agences de "rating" lui accordent une notation d'ensemble. Elle note que le Crédit Mutuel, et non pas chaque caisse locale, lui a adressé une réponse unique, dans le cadre de la présente procédure. Il ne fait aucun doute ni pour la Commission ni pour les principaux partenaires économiques du Crédit Mutuel et les marchés financiers que le Crédit Mutuel est une entreprise pouvant réallouer en son sein des aides versées à telle ou telle entité interne du groupe. Elle note que, vu sa taille, puisqu'il s'agit de l'un des principaux établissements français de crédit, le Crédit Mutuel est en mesure de se financer ou de placer ses fonds sur les marchés financiers.
(91) Le Crédit Mutuel est une entreprise rentable ayant réalisé d'importants profits au cours des années écoulées. Une éventuelle surcompensation des coûts nets de collecte et de gestion des missions d'intérêt économique général lui permettrait d'accroître ses profits et d'accumuler des capitaux propres supplémentaires. Or, la contrainte de solvabilité (en économie de marchés financiers) résultant de la réglementation bancaire européenne (30) introduit une obligation qui limite les capacités de croissance des institutions de crédit. Toute aide au fonctionnement, dans la mesure où elle renforce les fonds propres, présente un effet de levier considérable pour s'affranchir de ces contraintes. Il résulte de ces mécanismes de contrainte de solvabilité que l'appréciation d'une distorsion de concurrence est plus facile dans le cas d'aides à des établissements de crédit. Si les aides ont pour effet direct ou indirect une augmentation des fonds propres, alors la distorsion de concurrence peut se traduire par l'accroissement des activités de la banque.
1.4. Conclusion
(92) Les aides potentielles octroyées au Crédit Mutuel, compte tenu de leur caractère d'aides au fonctionnement, de la situation économique du secteur bancaire en Europe, des contraintes de solvabilité spécifiques au secteur bancaire, présentent un effet sur les échanges dès l'entrée en vigueur du Livret bleu et ont eu un effet de distorsion de la concurrence croissant au sein du secteur financier. Il faut, par conséquent, considérer que l'aide potentielle est une aide nouvelle lors de son introduction en 1975.
2. La qualification de ressources d'État
(93) Il est de jurisprudence constante que la notion d'aide d'État correspond à tout avantage provenant de ressources d'État consenti par les autorités publiques en faveur d'une entreprise, pourvu que cet avantage soit totalement ou partiellement accordé sans contrepartie financière, c'est-à-dire octroyé sans une rémunération ou moyennant une rémunération qui ne reflète le prix auquel peut être évalué l'avantage en question. Une telle définition recouvre donc aussi bien l'allocation de ressources à une entreprise, tout allégement des charges que celle-ci devrait normalement supporter ou encore tout avantage permettant à l'entreprise de réaliser une économie ayant une incidence sur ses coûts de production (31).
(94) En vertu de la jurisprudence de la Cour, seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d'État sont à considérer comme des aides au sens de l'article 87, paragraphe 1. La Commission vérifiera en premier lieu quelles sont les ressources d'État dont le Crédit Mutuel est susceptible d'avoir bénéficié: 1) l'avantage fiscal accordé aux épargnants; 2) la commission de collecte versée par la CDC; 3) les produits tirés des emplois d'intérêt général; 4) les avantages et les coûts éventuels indirects tirés du système du Livret bleu.
2.1. L'exonération fiscale
(95) Le système en vigueur jusqu'à la fin de 1999 établissait une dérogation au régime général d'imposition de l'épargne. Celui-ci prévoit normalement la possibilité pour l'épargnant de choisir entre recevoir un taux d'intérêt brut et intégrer les produits financiers à son revenu imposable ou bien recevoir un taux d'intérêt net du prélèvement libératoire (à la source). Dans le cas d'espèce, il ne lui était appliqué aucun prélèvement, le Crédit Mutuel prenant théoriquement en charge l'acquittement d'un impôt égal à un tiers du prélèvement libératoire.
(96) S'agissant de la réduction de l'impôt au tiers du prélèvement libératoire normal, le système implique la mobilisation de ressources d'État et l'adoption d'un régime plus favorable pour l'épargnant par rapport à la situation normale. Le système a un coût pour l'État, car celui-ci aurait pu éventuellement obtenir davantage de ressources fiscales s'il avait choisi d'appliquer la règle générale et de ne pas limiter à un tiers le prélèvement obligatoire. Il apparaît que cette aide bénéficie directement aux consommateurs individuels et non à la banque, on ne peut donc pas considérer que le Crédit Mutuel est le bénéficiaire direct de l'aide fiscale. Toutefois, cette aide fiscale à caractère social est associée à un produit distribué par un seul acteur, le Crédit Mutuel. L'aide ne remplit donc pas la condition de compatibilité posée par l'article 87, paragraphe 2, point a), du traité, qui prévoit que l'aide est accordée "sans discrimination liée à l'origine des produits" (32).
(97) S'agissant de l'acquittement par le Crédit Mutuel d'un impôt fixé au tiers du prélèvement libératoire normal, on peut considérer légitime que son montant soit enregistré par le Crédit Mutuel dans les charges liées au Livret bleu. Toutefois, les conclusions sous l'arrêt du Conseil d'État du 5 janvier 2000 déclarant illégal le système fiscal en vigueur confirment explicitement que le Crédit Mutuel a en pratique bénéficié à compter de 1991 de la "neutralisation" des impôts auxquels sont assujettis les intérêts perçus sur le Livret bleu, en d'autres termes le remboursement par l'État ou la CDC des prélèvements obligatoires acquittés par le Crédit Mutuel. En conclusion, ce ne sont pas les deux tiers, mais bien la totalité des intérêts sur le Livret bleu qui sont défiscalisés tout au moins à compter de l'arrêté du 27 septembre 1991 et s'agissant des encours centralisés.
2.2. La mission d'intérêt public attribuée au Crédit Mutuel
(98) Le Crédit Mutuel a été investi d'une mission de distribution du Livret bleu liée à de strictes prérogatives et sujétions. Les prérogatives consistent en la distribution exclusive du Livret bleu et le versement d'une commission de collecte par la CDC. Les obligations portent sur l'utilisation des ressources collectées à l'aide du Livret bleu. Ces obligations ont évolué dans le temps: dans un premier temps, le Crédit Mutuel avait l'obligation d'affecter 50 % des ressources (part ensuite relevée à 65 %) à des emplois dits d'intérêt général (notamment financement des collectivités locales et autres organismes publics), le solde étant à la libre disposition de la banque. Il est à noter que le Crédit Mutuel ne supportait pas d'obligation relative aux conditions des financements relatifs à l'encours libre, notamment en terme de taux. À compter de 1991, une part croissante de l'encours a été affectée au financement du logement social, par centralisation des ressources auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations. Aujourd'hui la totalité des encours est centralisée à la CDC. Celle-ci verse au Crédit Mutuel, uniquement au titre des encours centralisés, une rémunération correspondant au taux d'intérêt brut fixé par les pouvoirs publics rétrocédée aux épargnants, ainsi qu'une commission d'intermédiation égale à 1,3 %. Il est à noter que la CDC étant une entreprise publique bénéficiant de ressources publiques pour l'accomplissement de missions d'intérêt général, la commission de collecte doit être considérée comme une ressource d'État. Les intérêts sont versés aux épargnants, donc seule cette commission bénéficie au Crédit Mutuel. Cette commission fait partie intégrante de la mission de service public dont est chargé le Crédit Mutuel et est donc imputable à l'État.
2.3. Les produits des EIG
(99) Les obligations d'emplois d'intérêt général énumérées limitativement par le décret du 1er mars 1976 consistaient notamment en prêts aux collectivités locales et souscriptions de valeurs émises ou garanties par l'État (obligations d'État notamment), prêts à des organismes publics gestionnaires de logements sociaux. Sur la base des informations reçues, la combinaison du caractère obligatoire de ces emplois et du fait que les conditions de taux aient été réglementées par l'État et non librement déterminées par le marché confirme qu'il y a lieu de considérer que les EIG font partie intégrante du système du Livret bleu. Il sera montré ci-après que ces conditions réglementées ont permis au Crédit Mutuel de réaliser de très importants bénéfices sur ces encours. La définition de ces emplois d'intérêt général a été modifiée par l'arrêté du 27 septembre 1991: les emplois visés sont désormais exclusivement les prêts de financement du logement à caractère social et l'affectation en compte auprès de la CDC (voir la centralisation des dépôts susmentionnée). Mais ce n'est que très lentement au cours des années 90 que ces nouveaux emplois se sont substitués aux anciens: seule la nouvelle collecte a été immédiatement intégralement affectée à ces nouveaux emplois à partir de 1991.
3. L'avantage concurrentiel
(100) Si la compensation reçue par le Crédit Mutuel au titre de la mission de service public, sous la forme de la commission de collecte versée par la CDC, excède les coûts nets de ce service public (prenant en compte l'ensemble des bénéfices et coûts liés à l'accomplissement de cette mission), le Crédit Mutuel bénéficie d'un avantage concurrentiel sur les autres banques dans la mesure où il obtient des ressources supplémentaires qui ne sont pas accordées aux autres banques.
4. L'évaluation du montant de l'aide d'État
(101) Dans la mesure où les autorités françaises ont invoqué l'existence d'un service d'intérêt économique général lié au mécanisme du Livret bleu, la Commission doit s'attacher à obtenir un bilan des produits et des charges liées à l'accomplissement dudit service, pour déterminer le niveau justifié de la compensation payée par l'État.
(102) Sont exposées en premier lieu les modalités de la prise en compte de l'ensemble des produits et des charges dans le cas particulier du Livret bleu, en deuxième lieu les principes de la construction de la comptabilité analytique du Crédit Mutuel, en troisième lieu les points de désaccord résiduels entre les experts tranchés par la Commission et en quatrième lieu les résultats après prise en compte des coûts et des revenus susmentionnés, résultant de la comptabilité d'exploitation du Livret bleu.
4.1. Les modalités de la prise en compte de l'ensemble des produits et des charges liés aux encours du Livret bleu
a) Le solde des produits et charges liés aux encours du Livret bleu
(103) Le mécanisme financier relatif au Livret bleu du Crédit Mutuel doit être évalué au regard de l'économie d'ensemble de ce régime d'épargne, c'est-à-dire qu'il faut prendre en compte la totalité des coûts et des bénéfices résultant du système, en particulier des bénéfices tirés directement de l'utilisation des encours collectés grâce à la mission de distribution de ce produit d'épargne défiscalisé.
(104) Afin de rendre plus facile l'analyse des effets directs, il est utile de rappeler quelques éléments de l'économie comptable du Livret bleu pour le Crédit Mutuel. Adossés aux encours des dépôts sur Livret bleu (figurant au passif), on distingue trois types d'actifs:
- les encours versés à la CDC (conformément à la centralisation des encours à la CDC),
- les emplois d'intérêt général (EIG),
- les emplois libres.
Le système est caractérisé, pour les postes de passif du bilan, par des charges d'intérêts réglementés par l'État (taux fixes révisables donc relativement peu volatils), du côté de l'actif par des produits d'intérêts variables sur les emplois d'intérêt général (EIG) et sur les emplois libres, et la commission de collecte fixe versée par la CDC. Le tableau 2 résume de façon schématique les principaux éléments du compte de résultat du Livret bleu.
(105)
Tableau 2
Schéma du compte de résultat du Livret bleu
>EMPLACEMENT TABLE>
(106) La Commission a analysé le système dans sa globalité pour évaluer l'ensemble des avantages économiques obtenus par le Crédit Mutuel grâce au Livret bleu. L'État accorde tout d'abord via la CDC une commission de collecte au Crédit Mutuel pour l'accomplissement de la mission de collecte. Dans la mesure où le Livret bleu apporte au Crédit Mutuel des avantages économiques supplémentaires à la commission de collecte de la CDC, il faut aussi en tenir compte.
(107) Dans la mesure où la somme des avantages économiques qu'il est possible d'évaluer comptablement (commission de collecte plus produits de gestion) excède le cas échéant les coûts engagés (y compris une marge commerciale normale) par le Crédit Mutuel pour la collecte et la gestion des dépôts, l'État autoriserait une surcompensation des coûts de distribution du Livret bleu par le biais de la commission de collecte trop élevée. Pour parvenir à une telle évaluation, il est indispensable de prendre en compte l'ensemble des avantages économiques retirés de la distribution du Livret bleu ainsi que l'intégralité des produits et charges liés au système du Livret bleu et aux actifs auxquels les passifs sont adossés, et cela pour deux raisons essentielles.
(108) - Premièrement, la Cour rappelle qu'il convient d'évaluer les aides en se fondant sur leurs effets. Il faut observer que le Livret bleu génère des revenus qui ne se limitent pas aux produits générés par les EIG ou la centralisation à la CDC. Les dépôts du Livret bleu ont permis au Crédit Mutuel de se procurer une ressource dans des conditions plus avantageuses que cela n'aurait été le cas par un simple refinancement sur les marchés financiers, et de réaliser des profits en utilisant cette ressource, par exemple, pour des emplois d'intérêt général obligatoires ou pour toutes les activités libres (33). L'État a le devoir de réduire le montant des ressources qu'il verse pour l'accomplissement de cette mission, si le Crédit Mutuel en retire des bénéfices sur d'autres plans.
(109) Les revenus des EIG sont à prendre en compte en tout état de cause puisqu'ils font partie intégrante des obligations imposées par l'État dans le cadre du système Livret Bleu. Il est, en outre, à noter qu'exclure certains emplois bénéficiaires conduirait à une absurdité: l'État devrait compenser les pertes sur certains emplois alors même que des bénéfices suffisants seraient réalisés sur d'autres emplois à l'intérieur du système Livret bleu et ne seraient pas pris en compte.
(110) La situation est moins évidente pour les emplois libres, qui ont enregistré une perte d'environ 1 MdF sur la période examinée. Ils pèsent de ce fait sur le budget de l'État qui, en absence de ces emplois, aurait connu une situation équilibrée nécessitant une commission de collecte réduite d'autant. La Commission a estimé toutefois que les coûts nets des emplois libres sont à inclure.
(111) La mission du consultant indépendant a donc porté sur l'évaluation de la comptabilité analytique du Livret bleu (charges et aussi produits des emplois auxquels les ressources sont adossées) et l'analyse de la cohérence des données apportées par le Crédit Mutuel. Dans cette perspective, le consultant a été chargé d'identifier l'ensemble des avantages liés aux produits réalisés sur les actifs adossés au Livret bleu et aux coûts des ressources (différents de coûts normaux de marché). Après déduction d'une marge normale de rentabilité appelée "coût des fonds propres" (34) par les experts, le bénéfice résiduel (venant de la commission versée par l'État) peut être constitutif d'une aide d'État incompatible, car l'État aurait dû payer au Crédit Mutuel une rémunération moins élevée du service de la collecte correspondant aux coûts nets et non une surcompensation.
(112) - Deuxièmement, le Crédit Mutuel a mentionné dans le cours de la procédure un grand nombre de contraintes ou particularités dans la gestion du Livret bleu (voir la partie III pour la présentation des arguments du Crédit Mutuel). L'approche retenue par la Commission permet de trancher ces problèmes au vu de la comptabilité, donc sur la base de la pratique. Elle permet d'évaluer concrètement le poids financier réel de ces contraintes à partir des données passées de gestion comptable du Livret bleu.
b) Quelques précisions techniques
(113) La collecte d'épargne dans le cadre du Livret bleu présente en outre des caractéristiques économiques spécifiques qui la distinguent fondamentalement de la collecte normale de dépôts pour une banque.
(114) La nature et la fiscalité spécifique du Livret bleu permettent d'amortir l'impact de la variation des taux d'intérêt sur des mouvements de réallocation de l'épargne, et cette forme d'épargne s'avère moins volatile que les placements à des taux de marché. Le comportement des épargnants est en premier lieu influencé par le niveau du taux net du Livret bleu par rapport aux placements alternatifs présentant le même degré de risque ou liquidité: le taux net du Livret bleu est plus élevé que celui du Livret B (fiscalisé). Toutes choses égales par ailleurs, comme les placements à taux de marché sont frappés par l'impôt, ils doivent présenter un rendement brut sensiblement plus élevé pour être préférés au placement sur livret.
(115) Le comportement des épargnants obéit aussi en second lieu à des paramètres sociologiques et psychologiques tout à fait spécifiques dans le cas des livrets défiscalisés. Dans la mesure où le rendement du Livret bleu est fixé par l'État, les épargnants lui accordent une plus grande confiance. La sélection de ce type d'épargnants permet d'atteindre un résultat relativement paradoxal: alors qu'il s'agit du "placement rémunéré" le plus liquide, il s'agit aussi de l'un des moins volatils.
(116) Historiquement, cette confiance accordée par les épargnants a pu permettre aux pouvoirs publics de fixer des taux de rémunération nets d'inflation faibles. Même dans le contexte de rendements beaucoup plus élevés des placements de marché, le mouvement de décollecte a été d'une ampleur très limitée au cours des années 90 (35).
(117) En tout état de cause, la singularité de ce mode de collecte de ressources, comparé au refinancement sur le marché interbancaire ou les marchés financiers, nécessite d'évaluer concrètement les bénéfices retirés par le Crédit Mutuel de la gestion de l'ensemble de ces encours, ce qui ne peut être effectué qu'au travers de la comptabilité analytique du réseau.
(118) Les travaux du consultant de la Commission tiennent compte des différents coûts et produits du mécanisme pour le Crédit Mutuel, en séparant l'analyse en trois parties, selon l'affectation des ressources collectées: les ressources centralisées à la CDC, affectées aux EIG ou libres. La méthode retenue par le consultant permet de également répondre à l'argument du Crédit Mutuel, selon lequel le système comporte une charge (36) pour le Crédit Mutuel dans la mesure où il doit verser à l'État les revenus fiscaux (37). La méthode permet aussi de prendre en compte une rémunération normale des fonds propres.
c) La question des effets induits de produit d'appel
(119) L'analyse des effets du mécanisme du Livret bleu doit prendre en compte, pour déterminer les coûts nets et le niveau approprié de ressources versées en compensation par l'État, outre les avantages directs susmentionnés, les avantages et les coûts éventuels induits dérivés du mécanisme du Livret bleu, si ces effets ont une incidence significative.
(120) Le droit exclusif de distribution d'un produit d'épargne attractif par sa défiscalisation serait susceptible, selon les plaignants, de permettre au Crédit Mutuel d'attirer et de fidéliser une clientèle, à laquelle le réseau est ensuite en mesure de vendre d'autres produits ou services bancaires (crédits, placements financiers, assurances, etc.). La diffusion croissante des placements financiers et des produits d'assurance par les guichets bancaires montrerait les avantages dont ceux-ci disposent. Si, par ailleurs, le marché du produit était caractérisé par une asymétrie d'information entre le vendeur et l'acheteur, comme c'est notamment le cas pour les produits financiers, la notoriété de l'établissement pour la distribution de produits de qualité ou avantageux pour le client deviendrait déterminante. Dans cette situation, le fait de distribuer un produit avantageux, comme le Livret bleu, pour attirer le client pourrait constituer un avantage pour l'établissement, car cela permet de cibler plus facilement la clientèle (38). En d'autres termes, le droit pourrait engendrer les mêmes effets que de coûteuses actions de marketing ou la distribution d'un produit à perte destiné à attirer la clientèle.
(121) Les documents apportés par les plaignants présument de l'existence d'effets de produit d'appel, mais n'en démontrent pas formellement l'existence et ne parviennent pas davantage à évaluer précisément l'incidence financière de ces effets.
(122) S'agissant des études du cabinet Glais, la Commission observe que le Crédit Mutuel peut à bon droit affirmer que ces analyses statistiques n'apportent aucune preuve certaine quant à un effet de produit d'appel quantifiable.
(123) Trois évaluations subjectives ont été proposées dans les observations des plaignants. Tout d'abord, compte tenu du fait que les autres banques ont offert de distribuer le Livret bleu sur la base d'une commission de 1 %, les plaignants proposent un ordre de grandeur approximatif de cet avantage pour le présent et pour l'avenir (39) en calculant par différentiel avec le niveau de la commission perçue par le Crédit Mutuel, soit 0,3 %, ce qui correspond à environ 300 MF par an. Toutefois, rien ne permet de prouver que les concurrents du Crédit Mutuel peuvent accomplir cette mission dans les mêmes conditions à ce niveau de rémunération.
(124) Dans la deuxième méthode proposée par les plaignants, l'avantage dont le Crédit Mutuel a bénéficié dans le passé peut être mesuré en se référant à la croissance de ses parts de marché. Une telle méthode d'évaluation de l'aide ne peut être retenue, car elle se base sur le postulat que les gains de parts de marché sont uniquement dus au Livret bleu, ce postulat n'étant étayé par aucun élément objectif.
(125) La troisième évaluation du droit exclusif de distribution se fonde sur le manque à gagner fiscal induit par la défiscalisation du Livret bleu. Si le Crédit Mutuel avait souhaité distribuer sans défiscalisation un livret d'épargne en offrant quelle que soit la situation fiscale des épargnants le même rendement net que le Livret bleu, il aurait effectivement assumé un coût d'opportunité égal au montant de l'impôt notionnel (potentiellement) acquitté par les épargnants. Selon les plaignants, l'avantage fiscal cumulé de l'ordre de 4,5 MdF sur la période 1991-1997 doit être considéré comme ayant apporté au Crédit Mutuel des avantages induits du même montant. Ce raisonnement ne peut être retenu, car le Crédit Mutuel n'aurait très vraisemblablement pas distribué le Livret bleu dans les mêmes conditions s'il avait dû assumer intégralement le coût de la défiscalisation, qui bénéficie du reste directement aux sociétaires.
(126) Les avantages possibles en question sont difficiles à démonter et à quantifier. L'avantage économique direct retiré de l'exploitation du Livret bleu est directement mesurable à partir de la comptabilité du Livret bleu. En revanche, l'avantage économique induit par la vente d'autres produits ou services aux clients fidélisés par le Livret bleu serait observable dans la comptabilité analytique de ces autres produits, s'il était immédiatement possible de distinguer ce qui est vendu aux clients fidélisés ou attirés au Crédit Mutuel par le Livret bleu et ce qui est vendu aux clients venus au Crédit Mutuel pour d'autres motifs. Pour ces raisons, l'évaluation des effets induits n'a pu être réalisée par le consultant de la Commission en suivant la méthode comptable applicable pour évaluer l'ensemble des avantages économiques directs tirés du Livret bleu.
(127) Les tentatives d'évaluation plus sophistiquées par le consultant de la Commission n'ont pas été couronnées de succès. La Commission n'a pas pu obtenir une évaluation raisonnable de l'impact financier théorique de ces effets. La présente décision se fonde donc exclusivement sur les conclusions obtenues dans le cadre de l'évaluation de la comptabilité analytique du Livret bleu.
4.2. La construction de la comptabilité analytique du Livret bleu
(128) Avant de présenter les résultats de l'analyse menée par le consultant de la Commission, une remarque méthodologique s'impose. Les travaux d'estimation du consultant se sont heurtées à l'absence d'une véritable comptabilité analytique du Livret bleu et d'un traitement homogène de la comptabilité de chaque fédération du Crédit Mutuel. Ensuite, toute la reconstruction comptable est fondée sur la structure comptable d'une année (1996), les autres années ayant été extrapolées à partir de cette structure. Elle est fondée en second lieu sur un sondage sur un échantillon de fédérations, dont les ratios de gestion sont ensuite extrapolés au produit net bancaire de la confédération. C'est la meilleure estimation dont la Commission peut disposer à l'issue de quatre expertises contradictoires (voir la description de la procédure à la section I).
(129) Les experts ont rencontré des difficultés importantes pour la reconstitution de la comptabilité analytique du Livret bleu, ainsi qu'en témoignent les importants écarts d'estimation des premières expertises. Les données comptables se sont avérées peu homogènes entre les différentes fédérations, qui disposent d'une complète autonomie juridique et comptable. Le rôle de la confédération a été plus celui d'une instance de coordination politique que celui d'une instance de gestion, tout au moins jusqu'au début des années 90. En 1991, le système du Livret bleu a été profondément modifié et à partir de cette année les paramètres caractérisant l'activité et le périmètre du Crédit Mutuel sont suffisamment stables pour appliquer la même méthode d'analyse comptable sur toute la période 1991-2000.
(130) L'analyse juridique de la nature de l'aide provenant du Livret bleu a fait apparaître en cours de procédure qu'il s'agissait d'une aide nouvelle depuis la fin de 1975. S'est alors posée la question du calcul de l'aide pour la période couvrant les années 1976-1990. Deux facteurs ont dû être pris en compte pour la mise en œuvre pratique de cette évaluation:
- on peut considérer que la méthode utilisée pour les années 1991-2000, en dépit de ses faiblesses, présente une robustesse suffisante pour parvenir à une évaluation raisonnable de l'aide, mais il est impossible de l'extrapoler à la période antérieure aux années 90, car elle est fondée sur la structure des fédérations et des activités de l'année 1996. En effet, au cours des années 70 et 80, des fédérations ont vu leur périmètre se modifier, certaines ont pu aussi fusionner. La structure résultant du sondage de 1996 n'est donc pas applicable. Et plus on s'éloigne dans le temps de l'année 1996, plus ses résultats sont approximatifs,
- la seule alternative serait la mise en place d'un autre ou de plusieurs autres sondages pour la période ancienne. Cette possibilité semble en pratique déraisonnable: les données comptables pour des dates aussi anciennes sont difficiles à obtenir et à traiter, la mémoire des services comptables ayant en grande partie disparu. La vérification matérielle des pièces comptables est rendue très difficile. Or la technique du sondage ne peut donner de bons résultats que si les données sondées ne prêtent absolument pas à caution.
En conclusion, l'absence de comptabilité analytique au niveau de la confédération a conduit à limiter la reconstitution comptable à la période qui débute avec l'exercice comptable de 1991. Il est apparu que le calcul du résultat comptable du Livret bleu ne pourrait se fonder sur une méthode d'évaluation satisfaisante pour la période la plus ancienne (1976-1990). La Commission a donc limité le calcul de l'aide à la période 1991-2000.
(131) Les travaux du consultant de la Commission tiennent compte des différents coûts et produits du mécanisme pour le Crédit Mutuel, en séparant l'analyse en trois parties, selon l'affectation des ressources collectées: les ressources centralisées à la CDC, affectées aux EIG ou aux emplois libres. La méthode retenue par le consultant permet également de répondre à l'argument du Crédit Mutuel, selon lequel le système comporte une charge (40) pour le Crédit Mutuel dans la mesure où il doit verser à l'État des prélèvements fiscaux. La méthode permet aussi in fine de prendre en compte une rémunération normale des fonds propres.
(132) Il convient dans un premier temps de décrire succinctement le cadre méthodologique de construction de la comptabilité analytique du Crédit Mutuel. L'ensemble des activités du Crédit Mutuel est découpé en cinq métiers:
- l'épargne (à l'intérieur duquel on distingue trois activités: la collecte de dépôts sur Livret bleu, la collecte des autres dépôts, et les autres formes d'épargne),
- le crédit,
- l'assurance (IARD),
- la gestion des moyens de paiement,
- la gestion de la trésorerie et des opérations sur titre,
- le fonds de roulement.
(133) La construction de la comptabilité analytique revient à évaluer la part des produits, et ce qui est beaucoup plus difficile la part des frais généraux, que l'on peut affecter à chacun de ces métiers. Toute la construction est évidemment très sensible à des hypothèses relevant des choix d'affectation des résultats et des coûts de la banque. Dans ce cadre, le rôle du consultant et donc celui de la Commission se limite dans une large mesure à contrôler les incohérences internes de la construction proposée ou des correctifs ajoutés a posteriori à cette construction.
(134) Suite à la première évaluation du résultat de comptabilité analytique du Livret bleu fournie par le Crédit Mutuel (et "certifiée" par les auditeurs de Mazars et Guérard), une nouvelle estimation a été effectuée par le consultant de la Commission. Le Crédit Mutuel a sollicité les services des auditeurs d'Arthur Andersen pour une revue complète de la méthodologie et des données comptables permettant d'établir le compte d'exploitation du Livret bleu. Arthur Andersen a retenu la même construction du compte d'exploitation du Livret bleu. En revanche, deux modifications relatives au traitement et aux données utilisées ont été introduites par rapport aux études précédentes ainsi que trois correctifs ad hoc:
i) l'extension de l'échantillon d'origine utilisé par le Crédit Mutuel à deux nouvelles fédérations, [...] et [...];
ii) l'affinement des clefs d'affectation des frais (généraux) de relation commerciale après-vente;
iii) les correctifs ad hoc sont relatifs à la méthode de correction de la surpondération de l'activité IARD dans l'échantillon, la méthode de calcul du coût des fonds propres et l'introduction d'un coût de couverture de la responsabilité des sociétaires.
(135) Le consultant de la Commission avait déjà utilisé pour son évaluation un échantillon élargi au [...]. Il a, par conséquent, contrôlé les modalités d'incorporation des nouvelles données du [...] et a validé l'utilisation des données de l'échantillon élargi. Si l'échantillon constitué à l'origine par le Crédit Mutuel représentait [...] des frais généraux du groupe, après intégration des deux plus importantes fédérations régionales du Crédit Mutuel, l'échantillon représente désormais [...] des frais généraux du groupe.
(136) Un point de désaccord entre l'évaluation initiale du Crédit Mutuel et celle du consultant portait sur l'imputation des frais généraux au titre de la relation clientèle après-vente. Après certaines améliorations apportées par Arthur Andersen, le Crédit Mutuel et le consultant se sont accordés sur une méthode commune d'imputation des frais généraux.
(137) Au stade de la constitution de l'échantillon, du choix des données comptables et leur traitement dans le compte d'exploitation du Livret bleu, l'évaluation d'Arthur Andersen et celle du consultant de la Commission sont concordantes. Les seuls points de désaccord concernent les correctifs ad hoc susmentionnés retenus par Arthur Andersen. Dans un premier temps, la Commission tranchera les derniers points de désaccord ayant subsisté entre le consultant de la Commission et le Crédit Mutuel. Dans un second temps, elle présentera les différentes évaluations des résultats du compte du Livret bleu par type d'emploi des ressources collectées.
4.3. Les points de désaccord entre le consultant et le Crédit Mutuel
(138) La mission d'examen par le consultant de la Commission des travaux d'Arthur Andersen n'ayant pas pu aboutir à un accord entre le consultant et le Crédit Mutuel, il appartient à la Commission de trancher entre les propositions du consultant indépendant et celles des auditeurs d'Arthur Andersen mandatés par le Crédit Mutuel.
a) La méthode de correction de la surpondération de l'activité IARD dans l'échantillon
(139) Au stade de la description de l'échantillon final, Arthur Andersen propose deux statistiques visant à juger de la "représentativité" de l'échantillon en terme de proportion des frais généraux affectés aux différents métiers. En d'autres termes, il s'agit de contrôler si l'allocation des frais généraux aux différents métiers est dans l'échantillon conforme à celle de la population totale (c'est-à-dire de l'ensemble des fédérations du groupe Crédit Mutuel). Le postulat de base est que les métiers devraient être représentés dans les mêmes proportions (mesurées là encore en terme de frais généraux) que dans la population totale pour avoir un échantillon parfaitement "représentatif".
(140) La statistique construite consiste à comparer la part des frais généraux totaux dans l'échantillon [...] avec la part des frais généraux du métier épargne dans l'échantillon [...]. La différence entre les deux pourcentages peut apparaître suffisamment faible pour que cet écart soit considéré comme statistiquement admissible au titre de la fluctuation d'échantillonnage inhérente à la technique du sondage(41), et Arthur Andersen peut être fondé à juger cet écart "cohérent". Bien que le texte (42) d'Arthur Andersen ne soit pas très explicite, la statistique signifie que sur l'ensemble des frais généraux alloués au métier épargne, [...] sont affectés à (décomptés dans) l'échantillon de référence (43). Retenons donc la conclusion d'Arthur Andersen à ce stade: la construction de l'échantillon présente une structure acceptable pour ce qui est du métier épargne, donc a fortiori de l'activité Livret bleu. En conséquence, les statistiques construites pour le Livret bleu ne sont pas susceptibles d'être biaisées par des problèmes de structure de l'échantillon.
(141) Une statistique analogue est construite pour le métier IARD. "L'échantillon [...] qui représente [...] du total des frais généraux, représente [...] des commissions IARD perçues" (44). On peut être en accord avec la première partie du constat qu'en tire Arthur Andersen: le métier IARD semble surreprésenté dans l'échantillon et, partant de là, certaines statistiques relatives au métier IARD tirées de l'échantillon peuvent être biaisées.
(142) Arthur Andersen en déduit (45) que cette surreprésentation de l'activité IARD implique une allocation trop importante de frais de gestion à l'activité IARD dans l'échantillon (46), et qu'il convient de réduire ces frais en les réallouant aux autres métiers. La seconde déduction apparaît incorrecte: il est très probable que les frais de gestion alloués à l'IARD dans l'échantillon soient justement proportionnés par rapport aux produits du métier (47). Or, Arthur Andersen a effectivement relevé que les produits (commissions IARD) sont surreprésentés dans l'échantillon (considérant 141). Diminuer les frais IARD sans corriger les produits IARD a pour conséquence immédiate de fausser le compte d'exploitation de l'IARD de l'échantillon (pas assez de charges pour un même volume de produits) (48), mais aussi de biaiser le compte d'exploitation de l'épargne si une part des frais IARD sont réaffectés à l'épargne (trop de frais IARD et épargne pour un même volume de produits épargne).
(143) Postulant que trop de frais de gestion sont alloués à l'IARD et pas assez aux autres métiers, Arthur Andersen propose ensuite de corriger cette surreprésentation par une méthode ad hoc. Un échantillon fictif "hors IARD" est constitué sur la base du précédent en excluant totalement l'activité IARD. Le consultant a observé (sans être démenti) que les frais de gestion relatifs à l'IARD ont en pratique été pour la plus grande partie ventilés sur les autres métiers. Un échantillon "théorique" est constitué en combinant, avec une pondération variable selon l'année, l'échantillon vrai et l'échantillon "hors IARD", de façon à obtenir une structure IARD/non IARD identique à celle constatée sur la population totale (l'ensemble du groupe).
b) La Commission ne peut retenir la correction proposée pour trois raisons
i) Le constat d'un biais de surreprésentation du métier IARD dans l'échantillon ne signifie nullement que les frais de gestion alloués au métier épargne sont insuffisants
(144) En effet, la variable d'intérêt dans le cadre de la construction de la comptabilité analytique du Livret bleu est bien la répartition des frais de gestion au métier épargne, non à l'IARD (49). Or, Arthur Andersen conclut que la statistique qu'il a prise comme référence suggère qu'il n'y a pas de biais dans la répartition des frais de gestion au métier épargne dans l'échantillon. En d'autres termes, il est illogique de conclure que le biais de la surreprésentation du métier IARD doit conduire à réallouer des frais de gestion au métier épargne alors que le premier raisonnement concluait qu'il n'y avait pas de biais de surreprésentation du métier épargne.
(145) En réalité, il faut comprendre que s'il existe une plus forte représentation du métier IARD dans l'échantillon, ce sont les autres métiers (crédits, gestion des moyens de paiements, gestion titres) qui sont plus faiblement représentés dans l'échantillon que dans la population totale. Mais la première statistique a montré que tel n'était pas le cas du métier épargne.
ii) La méthodologie employée n'est pas valide d'un point de vue statistique
(146) Il peut être concevable d'améliorer d'un point de vue statistique la qualité des statistiques tirées de l'échantillon (en réduisant la variance des estimateurs) en calant l'échantillon sur la structure par métier de la population totale, que l'on considère la structure des produits nets bancaires (PNB) ou celle des frais de gestion. La méthode proposée par le Crédit Mutuel et retenue par Arthur Andersen (50) n'a en revanche aucun fondement statistique et introduit de multiples biais. Le professeur Tillé, consulté seulement sur la question de la structure de l'échantillon pour l'IARD (alors que ce qui nous intéresse est celle relative à l'épargne), avertit avec prudence des conséquences de la méthode proposée: "la modification de la procédure d'estimation modifie les proportions pour tous les métiers", donc la proportion de l'épargne. Il est clair que si initialement il n'y a pas surpondération ("biais") des frais pour l'épargne (comme semble le prouver la statistique proposée par Arthur Andersen), la correction introduit cette surpondération, et biaise au sens statistique propre la statistique de notre variable d'intérêt.
iii) La méthodologie employée a pour résultat de réallouer arbitrairement des frais de gestion au métier épargne
(147) Ainsi que l'a relevé le consultant, dans l'échantillon théorique hors IARD, les frais de gestion IARD ont été artificiellement attribués aux autres métiers alors que l'exercice de comptabilité analytique a précisément pour but d'identifier les frais relevant de l'un ou l'autre métier. Même combiné en proportion variable avec le véritable échantillon (51), le résultat atteint (et recherché) est d'allouer arbitrairement des frais de gestion du métier IARD aux autres métiers. En outre, il ne fait aucun doute que diminuer artificiellement les charges affectées à ce métier sans corriger dans la même proportion les produits qui correspondent au même échantillon de fédérations a pour effet de fausser le solde comptable des produits et charges.
(148) Il faut souligner que, si la méthodologie proposée était valide, elle aurait aussi dû être appliquée au métier épargne (lui aussi surreprésenté). Le résultat aurait été cette fois une minoration significative des frais de gestion alloués à l'épargne et, par voie de conséquence, une majoration du résultat du Livret bleu. Il n'est donc pas surprenant que le Crédit Mutuel ait préféré appliquer arbitrairement la correction au métier IARD. On peut aussi observer que la statistique d'origine utilisée par Arthur Andersen montrerait après correction une proportion de frais de gestion alloués au métier épargne encore plus forte dans l'échantillon (en utilisant évidemment les montants de frais de gestion résultant de la combinaison échantillon vrai et échantillon sans IARD décrite ci-dessus), donc une surreprésentation des frais de gestion épargne dans l'échantillon, cette fois à coup sûr plus importante que la surreprésentation des produits du métier épargne. Cette correction conduit donc à l'apparition d'un biais, cette fois parfaitement identifiable, dans le calcul du résultat de comptabilité analytique pour toutes les composantes du métier épargne.
(149) En conclusion, la Commission ne peut que rejeter, en suivant le consultant, la correction proposée dans la mesure où elle est non fondée et fausse le compte d'exploitation du Livret bleu.
c) La méthode de calcul de la rentabilité des fonds propres
(150) La construction de la comptabilité analytique permet de tenir compte de la réalisation d'une marge normale sur les différentes activités. Dans le cas du secteur bancaire où les marges par rapport au produit net bancaire (PNB) n'ont pas la même signification que dans celui d'autres types d'activités, le résultat est évalué dans le cas d'espèce à l'aide du concept de coût des fonds propres. L'expression de "coût" peut prêter à confusion: il ne s'agit pas d'une charge comptable, mais bien d'un coût (économique) d'opportunité (52) qui mesure la rentabilité d'une activité donnée. Pour calculer le bénéfice dégagé sur l'activité Livret bleu qui excède le résultat qui correspondait à une rentabilité normale de l'activité, il est donc nécessaire de retrancher du bénéfice un "coût des fonds propres" qui représente la réalisation d'une marge normale sur l'activité (53).
(151) La Commission considère que le niveau de rentabilité de [...] tel qu'il ressort de la comptabilité analytique interne du Crédit Mutuel(54), est le plus objectif dans le cas d'espèce. La Commission a accepté le taux de rentabilité que le Crédit Mutuel utilise en interne pour le calcul des coûts et des prix de ses produits. Cela signifie que l'État garantit au Crédit Mutuel la même marge de rentabilité sur l'activité Livret bleu au titre de cette mission de service public que la rentabilité visée par le Crédit Mutuel pour ses autres activités concurrentielles à risque. Ce taux de rentabilité ne fait pas intervenir l'impôt sur les sociétés payé ultérieurement et, le cas échéant, sur les bénéfices, car en comptabilité analytique seules les impositions enregistrées en charges (par exemple en charges d'exploitation) sont prises en compte et non l'impôt sur les bénéfices.
(152) Une activité de dépôts présente un moindre risque que les activités de crédit ou d'investissement. Le taux interne de rentabilité de l'activité de dépôts est nécessairement plus faible. Or, la Commission a accepté le même taux de rentabilité pour l'activité de dépôts et d'autres activités plus risquées, en l'occurrence [...]. La prise en compte d'un taux de rentabilité identique pour la collecte des dépôts et les autres activités a pour effet de majorer le taux de rentabilité interne accepté pour l'activité dépôts de manière disproportionnée par rapport aux risques encourus sur cette activité. En conséquence, il est impossible d'admettre l'argument du Crédit Mutuel, selon lequel ce taux de rentabilité serait trop faible dans le cas de l'activité Livret bleu.
(153) Il convient de rappeler à cet égard que le Crédit Mutuel n'est pas organisé en société anonyme mais a un statut mutualiste. Les sociétaires retirent en effet des bénéfices directs sous la forme de tarifs ou de services à la clientèle qui viennent réduire le taux apparent de rentabilité de la banque. Les sociétaires étant en même temps clients, ils ont, dans une telle configuration mutualiste, un intérêt évident à retirer un profit de l'activité du Crédit Mutuel par des tarifs plus intéressants plutôt que par des bénéfices taxés. Cette stratégie de gestion n'est pas celle des banques organisées en sociétés anonymes. Le Crédit Mutuel a une organisation spécifique, il peut donc choisir une politique de rémunération des fonds propres spécifique. La Commission rejoint donc la position du consultant, et celle du Crédit Mutuel à l'origine, qui consiste à retenir le coût économique réel des fonds propres du Crédit Mutuel.
(154) La Commission considère par conséquent que le consultant indépendant est fondé à retenir le coût des fonds propres proposé initialement par le Crédit Mutuel.
d) La couverture de la responsabilité des sociétaires
(155) Le consultant a considéré que le coût de garantie des sociétaires du Crédit Mutuel sur les encours du Crédit Mutuel, imputé par le Crédit Mutuel (dans son mémoire de juin 1998) en diminution de son résultat sur le Livret bleu, n'était pas justifié puisqu'il ne s'agit pas d'une donnée de comptabilité analytique d'exploitation et que le risque en question est totalement dissocié du mécanisme du Livret bleu. Cette correction impliquait une augmentation du résultat d'exploitation du Livret bleu de [...] sur la période 1991-1998.
(156) Le rapport présenté par Arthur Andersen propose un modèle d'évaluation de ce coût plus sophistiqué et aboutit à une réduction du "coût" de cette couverture de l'ordre de 80 % du coût évalué par le Crédit Mutuel ([...] contre [...] sur la période 1991-1998). La Commission a pris aussi note de la réserve exprimée par les auditeurs quant à la pertinence de la prise en compte de ces coûts(55).
(157) Le Crédit Mutuel a, dans une note adressée le 21 juillet 1999, reconnu qu'il n'y a pas de traduction comptable de cette couverture de responsabilité. Cependant le réseau affirme accumuler les fonds propres en quantité suffisante afin d'éviter toute mise en jeu de la responsabilité de ses sociétaires. La Commission considère que le maintien de fonds propres élevés, ainsi qu'en fait état le Crédit Mutuel, peut obéir à de toutes autres motivations, et aucun élément comptable ne permet d'identifier la part de ces fonds propres qui aurait effectivement été allouée à une telle couverture.
(158) La Commission relève qu'Arthur Andersen, dans la certification du compte du Livret bleu qui a été transmise à la Commission, a considéré que ce coût devait recevoir un traitement analogue aux charges d'exploitation parce que le Crédit Mutuel n'entend pas faire supporter ce risque à ses sociétaires dans l'hypothèse de sa survenance. L'obligation juridique dispose seulement qu'un tel coût serait à la charge de ses sociétaires. En d'autres termes, la Commission reconnaît qu'un tel risque de mise en jeu de la responsabilité des sociétaires existe, mais elle résulte des statuts et doit être comme telle acceptée par toute personne souhaitant en devenir membre comme contrepartie aux avantages découlant de l'adhésion.
(159) Une telle prise en charge de la responsabilité des sociétaires relève donc d'une décision discrétionnaire du Crédit Mutuel. L'obligation juridique est supportée par les sociétaires, le Crédit Mutuel n'a pour sa part aucune obligation de garantir ses sociétaires. Il n'est en réalité pas dans l'esprit de ses statuts que cette responsabilité soit prise en charge par l'organisme mutualiste puisque c'est précisément ce mécanisme de responsabilité qui fait sa spécificité(56).
(160) Le Crédit Mutuel a invoqué le texte de la loi bancaire du 24 janvier 1984, mais celle-ci porte sur les mécanismes de péréquation des pertes entre les fédérations de l'établissement mutualiste, et la couverture de la responsabilité personnelle des sociétaires n'est nullement visée (57). Ces obligations n'ont aucun rapport avec les contraintes de rentabilité et de fonds propres mentionnées à cet égard par les autorités françaises dans leur note du 26 octobre 2001. Arthur Andersen justifie, dans une note du 13 septembre 2001, la réalité des mécanismes de solidarité au titre de la responsabilité des sociétaires par le fait que le Crédit Mutuel aurait versé aux caisses déficitaires près de [...] sur la période considérée. Ces transferts entre centres de profit qui ne sont pas propres au Crédit Mutuel mais inhérents à toute grande société nationale ou multinationale n'illustrent absolument pas une mise en jeu concrète de la responsabilité des sociétaires, mais la mise en jeu d'une péréquation entre fédérations qui se substitue à la responsabilité des sociétaires. Toutefois, la mise en œuvre de cette péréquation entre fédérations serait très insuffisante pour garantir les sociétaires contre les gros risques, ce qui prouve encore la différence de nature entre les mécanismes de péréquation et le modèle de couverture de responsabilité présenté. La Commission observe en tout état de cause que les résultats d'exploitation, le cas échéant déficitaires, des fédérations bénéficiant de ce mécanisme de péréquation sont d'ores et déjà pris en compte dans la comptabilité analytique du Livret bleu. Par conséquence, la comptabilisation d'un coût supplémentaire de mutualisation des pertes aboutirait à un double compte des pertes d'exploitation éventuelles de ces fédérations.
(161) En conclusion, la Commission considère en suivant en cela son consultant, que le Crédit Mutuel n'a pas l'obligation juridique de couvrir les risques assumés par ses sociétaires par des opérations autres que celles résultant de la mutualisation des pertes entre fédérations (58), qu'aucun élément comptable ne prouve la mise en place d'une telle couverture et que, dès lors, les coûts allégués de couverture de la responsabilité des sociétaires sont purement fictifs et ne peuvent être retenus.
e) Conclusion
(162) Après examen de ces trois points de désaccord entre le consultant et le Crédit Mutuel, la Commission considère qu'il convient de retenir l'évaluation effectuée par le consultant indépendant recruté pour l'accomplissement de la mission d'évaluation de la comptabilité analytique du Livret bleu.
f) Autres précisions
(163) Conformément à la politique suivie généralement par la Commission, l'évaluation du montant de l'aide d'État ne prend pas en compte l'impôt sur les sociétés dans le calcul final du montant de l'aide.
(164) Le taux utilisé pour la capitalisation des résultats chaque année sera le taux de référence de la Commission pour la France au 1er janvier de l'année.
(165)
Tableau 3
Taux de référence annuels de la Commission pour la France
>EMPLACEMENT TABLE>
4.4. Les résultats du compte d'exploitation du Livret bleu
(166) Il convient de rappeler, pour information, les résultats des différentes expertises intermédiaires (59) effectuées avant l'évaluation finale du consultant qui a été retenue par la Commission.
a) Les ressources centralisées auprès de la CDC
(167) Selon le Crédit Mutuel, la commission d'intermédiation de 1,3 % est devenue nécessaire parce que l'affectation des ressources à la CDC laissait à la banque les charges de gestion du Livret bleu alors que les produits de l'emploi des mêmes ressources n'existaient plus. La justification donnée pour la commission versée par l'État est que les bénéfices d'autres emplois ne devraient pas suffire à couvrir les coûts du système de Livret bleu. Selon des calculs récemment produits par le Crédit Mutuel, le coût de gestion global du Livret bleu se serait situé entre [...] et [...] de l'encours entre 1990 et 1993 puis se serait réduit progressivement à [...] en 1997. Une telle commission ne paraît pas excessive, selon le Crédit Mutuel, compte tenu des commissions plus élevées reconnues par l'État aux banques gérant les Codevi et à La Poste pour la gestion du Livret A (1,5 %). S'il est vrai que les Caisses d'épargne gèrent elles-mêmes le Livret A pour une commission inférieure (1,2 %), celle-ci pourrait être justifiée par l'effet d'économies d'échelle dont les Caisses d'épargne peuvent bénéficier, l'encours du Livret A géré étant près de quatre fois plus élevé que celui du Livret bleu.
(168) À cet égard, il y a lieu de noter que l'État n'a pas assigné cette mission au mieux disant par une procédure d'appel d'offres, mais directement par négociation avec le Crédit Mutuel, ce qui ne donne a priori aucune garantie quant au niveau approprié ou non de la rémunération. Le taux de commissionnement moins élevé accordé aux Caisses d'épargne pourrait être justifié par la plus grande masse d'épargne mobilisée par le Livret A, mais, en revanche, la dématérialisation du Livret bleu, à la différence du Livret A, pourrait induire un coût de gestion moindre. En outre, il n'est pas démontré que l'État accorde aux Caisses d'épargne la rémunération correcte du service de collecte qu'elles accomplissent. En tout état de cause, l'objet de la présente décision porte sur la question de savoir si le Crédit Mutuel a reçu une aide d'État, non sur les autres systèmes de collecte d'épargne des autres banques.
(169) Les travaux du consultant de la Commission montrent que sur la période 1991-1998 cette partie de l'encours a généré des revenus bruts de plus de [...]. Après déduction des coûts y afférents, le consultant conclut que le bilan de cette activité est redevenu bénéficiaire en 1998 (de 26 MF) après des pertes tout au long des années 90. On peut déduire de ces résultats que l'évaluation du consultant a été pour le moins "conservatrice", car il est peu concevable que le Crédit Mutuel ait accepté en 1991 de poursuivre à long terme la collecte d'épargne sur le Livret bleu uniquement en vue de la centralisation des dépôts à la CDC si la commission de collecte ne lui avait pas semblé suffisante. A contrario, la cohérence des estimations du Crédit Mutuel et, dans une moindre mesure, d'Arthur Andersen est manifestement sujette à caution en ce qui concerne ce type d'emplois.
(170)
Tableau 4
Résultats nets du Livret bleu sur les emplois centralisés auprès de la CDC pour la période 1991-1998 (marge nette en millions de FRF et en pourcentage)
>EMPLACEMENT TABLE>
Source:
Arthur Andersen et Littlejohn Frazer.
(171) S'il apparaît que la commission de 1,3 % a pu être relativement insuffisante en soi au cours des années 90, elle a plus que compensé, à partir de 1998, les frais de gestion de cette partie de l'encours du Livret bleu pour le Crédit Mutuel. Compte tenu du fait que le travail du consultant s'arrête en 1998 et que le Crédit Mutuel pourra profiter dans le futur de gains de productivité sur la gestion du Livret bleu, il y a lieu de s'interroger sur la possibilité que cette commission soit excessive dans le contexte de la centralisation complète. On notera à cet égard que la marge a régulièrement progressé depuis 1996, c'est-à-dire avec l'accélération de la centralisation des encours du Livret bleu à la CDC. La centralisation complète peut, par économie d'échelle, avoir amélioré la rentabilité de l'activité pour le Crédit Mutuel.
b) Les emplois d'intérêt général
(172) Les emplois d'intérêt général ont dégagé des produits bruts de près de [...] sur la période 1991-1998. Après déduction des coûts y afférents, la marge résiduelle pour le Crédit Mutuel avoisine [...]. Il est à noter que l'évaluation initiale du Crédit Mutuel proposait une évaluation très supérieure.
(173)
Tableau 5
Résultats nets du Livret bleu sur les emplois d'intérêt général pour la période 1991-1998 (marge nette en millions de FRF et pourcentage)
>EMPLACEMENT TABLE>
Source:
Arthur Andersen et Littlejohn Frazer.
(174) Ce niveau s'explique par le fait qu'il s'agit d'emplois à long terme octroyés à des taux nominaux élevés et fixes qui ont ensuite bénéficié de la chute des taux d'intérêts ainsi que de la garantie de l'État. Un second facteur explicatif non négligeable tient au fait qu'il s'agit d'emplois sans risque puisque bénéficiant de la garantie de l'État, la rentabilité de ces emplois n'est donc pas affectée par un éventuel besoin de provisionnement lié à l'insolvabilité des bénéficiaires. Le Crédit Mutuel s'oppose à la prise en compte de ces bénéfices dans la mesure où ils résulteraient de produits sur des prêts effectués ou des obligations achetées avant 1991. Rappelons que la Commission considère que, eu égard aux importants bénéfices réalisés à partir de 1991 sur ces emplois, l'État aurait dû ajuster le montant des ressources d'État qu'il choisit d'accorder via la CDC au Crédit Mutuel (60).
c) Les emplois libres
(175) Le Crédit Mutuel et les autorités françaises ont considéré que ces emplois, étant libres, ne génèrent pas pour la banque des produits qui ont le caractère de ressources d'État, de sorte que la Commission pourrait ne pas les retenir dans le cadre de la présente procédure. Toutefois, ces emplois sont, en comptabilité analytique, adossés à une ressource spécifique: les dépôts collectés grâce au monopole de distribution du Livret bleu. Dans des conditions de marché concurrentielles, il est probable que le Crédit Mutuel n'aurait pas été en mesure de se procurer cette ressource au même coût, de sorte que ces emplois et ces ressources correspondantes doivent être pris en compte dans l'économie globale du système Livret bleu. En tout état de cause, le taux de collecte pour les fonds destinés aux emplois libres étant imposé par l'État, il est logique de prendre en considération ce coût.
(176) Il peut apparaître paradoxal que les emplois libres aient généré des marges négatives pour le Crédit Mutuel. Le consultant a obtenu un résultat de même sens, même s'il a estimé un résultat négatif inférieur en valeur absolue à celui déclaré du Crédit Mutuel. Cette situation est en principe due au fait que les emplois ont dégagé un taux de rentabilité insuffisant par rapport au taux de rémunération et aux frais de gestion du Livret bleu. La Commission considère que ces données illustrent à nouveau le caractère extrêmement conservateur de l'estimation du consultant, qui en intégrant certaines corrections proposées par Arthur Andersen, parvient à l'estimation d'une perte plus forte que celle évaluée initialement par le Crédit Mutuel.
(177)
Tableau 6
Compte d'exploitation du Livret bleu sur les emplois libres pour la période 1991-1998 (marge nette en millions de FRF et en pourcentage)
>EMPLACEMENT TABLE>
Source:
Arthur Andersen et Littlejohn Frazer.
d) Synthèse: le résultat global du compte d'exploitation
(178) La synthèse des évaluations par métier donne l'évaluation finale suivante du compte d'exploitation du Livret bleu. La présente décision de la Commission évalue le montant de l'aide cumulée sur la période 1991-1998 à 1074 MF.
(179)
Tableau 7
Compte d'exploitation du Livret bleu par emplois pour la période 1991-1998 (marge nette en millions de FRF et en pourcentage)
>EMPLACEMENT TABLE>
Source:
Arthur Andersen et Littlejohn Frazer.
(180) Dans la mesure où la somme des avantages économiques comptables apportés par l'exploitation du Livret bleu (commission de collecte, bénéfices de la gestion des EIG, bénéfices de la gestion pour compte propre des fonds, c'est-à-dire emplois libres) excède les coûts engagés par le Crédit Mutuel pour la gestion de la collecte et des encours, il y a transfert de ressources publiques constitutif d'aide d'État. Ce montant ne prend pas en compte:
- les résultats du compte d'exploitation au titre des années 1999 et 2000 qu'il est aisé d'obtenir en appliquant la méthodologie comptable définie par les experts pour les années 1991-1998,
- la capitalisation des résultats au taux de référence de la Commission à la date exacte de récupération de l'aide par les autorités françaises.
(181) Pour obtenir le montant de la surcompensation relative à la période 1991-2000, il appartiendra aux autorités françaises d'ajouter à ce montant le solde comptable des années 1999 et 2000 à l'aide de la méthode validée par Arthur Andersen et le consultant de la Commission et de capitaliser ce montant année par année au taux de référence de la Commission jusqu'à la date de récupération de l'aide incompatible.
5. Examen de la compatibilité des aides au Crédit Mutuel avec le traité
5.1. Examen de la comptabilité avec l'article 87 du traité
(182) Bien que le régime en cause de collecte et d'allocation d'une épargne partiellement défiscalisée comprenne un mécanisme de soutien à caractère social octroyé aux bénéficiaires des EIG du Livret bleu, les mesures en question ne consistent pas, dans le cas d'espèce, en une aide à caractère social octroyée à des consommateurs individuels, ni en une aide destinée à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun; il ne s'agit pas non plus d'une aide destinée à remédier à une grave perturbation économique.
(183) Comme il ne s'agit pas non plus d'une aide destinée à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas, ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ni d'une aide destinée à faciliter le développement de certaines régions françaises, les dérogations prévues à l'article 87, paragraphe 3, point a), et point c), première partie, du traité ne pourront être prises en considération.
(184) Dans la mesure où le Crédit Mutuel est un établissement rentable, ne faisant l'objet d'aucun plan de restructuration ou de sauvetage, la dérogation prévue à l'article 87, paragraphe 3, point c), première partie de la première phrase, ne pourra être prise en considération.
(185) Au terme de la présente procédure, la Commission conclut que les aides en question sont des aides au fonctionnement. Il convient de rappeler que les aides au fonctionnement ont un caractère particulièrement distorsif et qu'aucune dérogation n'existe dans le dispositif prévu à l'article 87 du traité permettant pour le cas présent de les déclarer compatibles avec le marché commun. Les autorités françaises n'ont au demeurant soumis aucune information à la Commission, dans le cadre de la présente procédure, permettant de considérer que ces aides pourraient bénéficier de l'une des dérogations prévues à l'article 87.
5.2. Examen de la compatibilité avec l'article 86, paragraphe 2, du traité
(186) Ainsi que la Commission l'a noté lors de l'ouverture de la présente procédure, en l'absence d'une dérogation possible au titre de l'article 87 du traité, la seule possibilité de compatibilité des aides en question avec le marché commun réside dans une éventuelle dérogation à l'interdiction des aides au titre de l'article 86, paragraphe 2, du traité, au regard d'une mission d'intérêt économique général qui serait attribuée au Crédit Mutuel au titre du mécanisme du Livret bleu.
(187) Il convient, pour que la dérogation prévue à l'article 86, paragraphe 2, du traité puisse s'appliquer, que le soutien d'État soit proportionné à l'objectif visé: il est en effet prévu audit article que les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (...) sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans la limite où l'application en droit ou en fait de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Dans sa communication de 1996 sur les services d'intérêt général en Europe, la Commission a indiqué que, le cas échéant, les exceptions aux règles de l'article 86, paragraphe 2, du traité étaient assujetties au respect du principe de proportionnalité, qui consiste à vérifier que les moyens employés sont bien proportionnés aux fins d'intérêt général recherchées (61).
a) Existence de missions d'intérêt économique général afférentes au mécanisme du Livret bleu
(188) Il convient tout d'abord d'identifier les différentes missions d'intérêt général dont serait investi le Crédit Mutuel. En insistant sur le caractère d'un service d'intérêt économique général, le Crédit Mutuel et les autorités françaises ont fait référence à trois missions distinctes: i) collecte de dépôts destinés à des financements d'intérêt général, ii) maintien de guichets dans certaines zones pour des objectifs d'aménagement du territoire, et iii) incitation à l'épargne populaire. La Commission ne se prononcera pas sur la mission d'incitation à l'épargne (62), dont la prise en compte ou non ne modifie pas le sens de la décision.
i) Le mécanisme de collecte sur le Livret bleu des dépôts destinés à des financements d'intérêt général
(189) La Commission peut admettre (63) que la mission de collecte de dépôts sur le Livret bleu (et en particulier l'affectation de tout ou partie de ces ressources aux emplois tels que les EIG ou le transfert de ces dépôts à la CDC) peut constituer, prise dans sa globalité, une mission d'intérêt général impartie par l'État(64).
ii) Le maintien de guichets en zone rurale
(190) La Commission note que le Crédit Mutuel a considéré dans sa réponse à l'ouverture de la présente procédure, que, en raison d'une obligation de maintenir une présence locale dans les communes rurales, il avait dû faire face à des coûts de [...] à [...] par agence, soit un coût annuel qu'il estime à [...]. Le Crédit Mutuel considère que la collecte d'épargne par l'intermédiaire d'un réseau d'agences en milieu rural fait partie de la mission d'intérêt économique général qui lui est impartie. Cet argument du Crédit Mutuel est examiné en trois étapes: vérification de la réalité juridique de la contrainte de service public alléguée, examen de l'évaluation des coûts produite par le Crédit Mutuel, examen de l'évolution du réseau du Crédit Mutuel depuis 1991 à la suite de la suppression de tout contrôle de l'État (au 1er juillet 1991).
(191) La Commission observe que le réseau d'agences rurales du Crédit Mutuel existait déjà lors de la création du Livret bleu en 1975. Les autorités françaises, selon lesquelles la structure du réseau du Crédit Mutuel résultait des contraintes qu'elles lui auraient imposées, ont seulement fait référence à la loi relative à l'ouverture et à la fermeture des agences bancaires, qui a été abrogée en 1987. De 1987 à 1991, un régime de contrôle a toutefois été maintenu pour le Crédit Mutuel. La réglementation prévoit un régime d'autorisation et non un régime d'interdiction formelle des fermetures d'agences ou des restructurations, en particulier à partir de 1987. Ce régime de contrôle a été supprimé le 1er juillet 1991 dans le cadre plus général de la renégociation des relations contractuelles entre l'État et le Crédit Mutuel.
(192) L'existence d'un contrôle de l'État ne prouve pas l'existence de contraintes particulières. Or, les autorités françaises n'ont produit aucun acte juridique (cahier des charges, note faisant état des obligations de couverture géographique) prouvant les contraintes de service public portant sur l'allocation géographique du réseau du Crédit Mutuel au regard d'une mission d'intérêt économique général.De même, le Crédit Mutuel n'a produit aucun document prouvant que ce régime de contrôle réglementaire a contrarié ses projets de restructuration ou redéploiement du réseau (par exemple, sous la forme d'un refus de fermeture d'agence par le comité des établissements de crédit). En conclusion, la preuve de l'existence d'une contrainte de service public de non fermeture d'agences en zone rurale avant juillet 1991 n'a pas été produite. L'argument n'est donc pas recevable. À partir du 1er juillet 1991, aucune disposition légale n'encadrait la gestion du réseau d'agences du Crédit Mutuel. Les autorités françaises ne sont donc pas fondées à invoquer à cet égard l'existence de contraintes de service public à partir de 1991.
(193) En ce qui concerne à présent l'évaluation des "surcoûts" du réseau rural, le rapport d'Arthur Andersen ne fait pas mention de ces coûts dans son évaluation de la comptabilité analytique du Livret bleu. L'évaluation produite par le Crédit Mutuel retient sur la période 1991-1997 des coûts de maintien du réseau en zone rurale de l'ordre de [...]. Dans cette évaluation, la totalité des coûts fixes de ces guichets en zone rurale a été affectée au Livret bleu sans justification(65).
(194) À la suite des critiques formulées par le consultant de la Commission, le Crédit Mutuel a présenté oralement une autre évaluation, lors de la réunion du 7 février 2000, affichant un montant trois fois inférieur. Cette fois, le Crédit Mutuel suppose que les agences rurales ont une activité Livret bleu aussi importante que les autres agences, en termes relatifs par rapport à leurs autres activités. En réalité, une part marginale de l'activité de ces agences est relative au Livret bleu, et cette méthode consiste à affecter au Livret bleu la même part des coûts fixes que celle retenue pour des agences qui consacrent une part plus importante de leur activité au Livret bleu. Cette démarche est contraire à la construction d'une comptabilité analytique. C'est pour cette raison qu'elle n'a pas été retenue par Arthur et Andersen. De même, la Commission se fonde sur la comptabilité analytique et, conformément à la demande formulée par les autorités françaises le 7 janvier 2002, retient exactement "la part des coûts correspondant à celle de l'activité Livret bleu au sein des guichets", et non des coûts arbitrairement plus élevés comme dans l'évaluation du Crédit Mutuel.
(195) Le Crédit Mutuel fait aussi état pour la période 1991-1998 "d'un manque à gagner important provoqué par le contingentement des guichets jusqu'à 1991". La Commission observe que le régime juridique auquel il est fait référence n'est pas celui d'un contingentement mais d'un contrôle et qu'aucune preuve de contingentement n'a été apportée. Sachant que le Crédit Mutuel avait tout loisir de restructurer son réseau à partir de 1991, il est pour le moins paradoxal d'attribuer à l'État un retard pouvant aller jusqu'à sept ans dans la restructuration du réseau. À l'évidence, si le Crédit Mutuel a enregistré un manque à gagner dû à la restructuration tardive de son réseau (non prouvé), il ne le doit qu'à une décision de gestion autonome puisqu'il n'était assujetti à aucun contrôle quel qu'il soit.
(196) Enfin, l'évolution du réseau du Crédit Mutuel ne permet pas de montrer qu'il a réalisé une restructuration majeure à partir de juillet 1991, c'est-à-dire après la levée de tout contrôle. Le Crédit Mutuel a gardé un réseau rural de taille équivalente, alors même qu'il n'en a pas l'obligation. La comparaison effectuée dans la note du 7 janvier 2002 montre en outre que l'importance du réseau rural du Crédit Mutuel est toute relative. Comparé au Crédit Agricole (le principal concurrent du Crédit Mutuel en terme de positionnement sur le marché de la banque de particuliers), le Crédit Mutuel a une part moins importante de ses agences en zone rurale ([...] contre [...]) ou semi-rurale ([...] contre [...]). Le Crédit Mutuel est bien positionné sur le marché de la banque aux particuliers, notamment en zone rurale. Le réseau rural ne résulte pas d'une contrainte de service public mais bien d'une stratégie d'entreprise.
(197) Le Crédit Mutuel a aussi invoqué le fait que la quotité des encours de Codevi centralisée jusqu'en 1994 était plus importante pour le Crédit Mutuel que pour d'autres banques. Quand bien même il s'agit d'un autre livret défiscalisé, la distribution du Codevi est distincte de celle du Livret bleu. Il n'a pas été démontré que la nature des arrangements contractuels entre le Crédit Mutuel et l'État relatifs au Codevi ait un lien précis avec le Livret bleu.
b) Proportionnalité des aides aux coûts associés aux missions imparties au Crédit Mutuel
(198) Les développements précédents ont permis de parvenir à la conclusion selon laquelle le Crédit Mutuel a retiré du mécanisme du Livret bleu un bénéfice cumulé non capitalisé de 1074 MF qui a excédé les coûts (incluant une marge normale de profit) de la mission de distribution du Livret bleu conférée par l'État, même avant la prise en compte des résultats du Livret bleu au titre des années 1999 et 2000.
(199) La Commission souligne que la dérogation prévue à l'article 86, paragraphe 2, du traité doit faire l'objet d'une application rigoureuse, à caractère exceptionnel. Telle est d'ailleurs l'interprétation de la Cour qui précise que cette disposition fixe les conditions dans lesquelles les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général peuvent exceptionnellement échapper aux règles du traité(66). Cette stricte application paraît en toutes circonstances incompatible avec une situation de surcompensation des coûts afférents à un service d'intérêt économique général, que rien ne permet de justifier.
(200) Il convient donc de conclure que la dérogation prévue à l'article 86, paragraphe 2, n'est pas applicable dans un cas de surcompensation, comme le cas d'espèce, et que le bénéfice net retiré de l'exploitation du Livret bleu a le caractère d'une aide d'État incompatible avec le traité.
5.3. La question de la confiance légitime
(201) La Commission considère que l'invocation de la confiance légitime ne saurait, dans le cas d'espèce, permettre au Crédit Mutuel et aux autorités françaises de se soustraire aux règles normales de la concurrence. Des échanges continus de correspondance dans le courant de l'instruction à partir de 1991 et de nombreuses expertises menées à partir de l'ouverture de procédure excluent de reconnaître toute confiance légitime dans le cas d'espèce à partir du dépôt de la plainte. Ces échanges montrent à l'évidence que les autorités françaises et le Crédit Mutuel étaient pleinement informés de l'existence d'un problème de compatibilité avec les règles de la concurrence au moins dès 1991.
VI. CONCLUSION
(202) L'attribution au Crédit Mutuel du droit de distribution du Livret bleu contient des aides d'État au sens visé à l'article 87, paragraphe 1, du traité. Ces aides ne peuvent bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 87, paragraphes 2 et 3, du traité.
(203) La dérogation prévue à l'article 86, paragraphe 2, du traité ne peut que partiellement être appliquée, puisque, ainsi que démontré par l'audit effectué pour le compte de la Commission, les compensations octroyées sur la période ne sont pas strictement limitées aux surcoûts afférents à la mission d'intérêt économique général qui peuvent être pris en compte. Comme il s'agissait de la seule dérogation possible permettant d'exempter les mesures en question des obligations prévues par les règles de concurrence, et notamment de l'interdiction prévue à l'article 87, paragraphe 1, il en résulte que la fraction des ressources d'État accordées au Crédit Mutuel qui dépasse la couverture des coûts nets de gestion et collecte du Livret bleu compte tenu d'une marge normale de rentabilité constitue une surcompensation des coûts de la mission de service public, et de ce fait une aide d'État incompatible avec le marché commun,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
1. Les mesures prises par la France en faveur du Crédit Mutuel au titre de la collecte et de la gestion de l'épargne réglementée sous le mécanisme du "Livret bleu" comprennent des aides d'État incompatibles avec le marché commun.
2. Ces aides ne peuvent bénéficier d'aucune dérogation dans le cadre de l'article 87, paragraphes 2 et 3, du traité. Elles peuvent en partie bénéficier de la dérogation prévue à l'article 86, paragraphe 2, du traité, dans la mesure où elles sont indispensables en vue de l'accomplissement de la mission d'intérêt économique général impartie par l'État au Crédit Mutuel. Les aides excédant les coûts de collecte et de gestion du Livret bleu ne peuvent être considérées comme compatibles avec l'intérêt commun.
Article 2
1.
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Il convient d'ajouter à ce montant le résultat de comptabilité analytique du Livret bleu au titre des années 1999 et 2000, que les autorités françaises sont tenues d'évaluer suivant la méthode retenue par les auditeurs d'Arthur Andersen et compte tenu des corrections effectuées par le consultant de la Commission. Il appartiendra aux autorités françaises de capitaliser ces montants au taux de référence de la Commission jusqu'à la date de récupération de l'aide incompatible.
2. La France modifie le taux de rémunération des encours du Livret bleu versés par la Caisse des Dépôts et Consignations au Crédit Mutuel en vue de supprimer à l'avenir toute aide dépassant les coûts de gestion et de collecte pouvant être pris en considération.
3. Les autorités françaises enjoignent au Crédit Mutuel de mettre en place une comptabilité séparée du Livret bleu et de la publier.
4. Les autorités françaises adressent à la Commission le rapport annuel de la banque et un rapport triennal de la comptabilité du Livret bleu.
5. La Commission procède à toute vérification qu'elle juge utile en vue de contrôler que les aides au Crédit Mutuel sont strictement proportionnées à la mission d'intérêt économique général qui lui est impartie. Elle mandate si elle le juge nécessaire des consultants afin d'auditer la comptabilité analytique du Livret bleu.
Article 3
La France informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu'elle a prises pour s'y conformer.
Article 4
La République française est destinataire de la présente décision.
(1) JO C 146 du 12.5.1998, p. 6.
(2) Voir note 1 de bas de page.
(3) Ce niveau réglementaire a été fixé par la directive 89-647-CEE du 18 décembre 1989 relative au ratio de solvabilité des établissements de crédit (JO L 386 du 30.12.1989, p. 14).
(4) Le taux d'intérêt est à la date de la décision de 3 % net d'impôt sur le revenu ou prélèvement libératoire. Le plafond est de 100000 francs français (FRF) pour les particuliers.
(5) Étant donné que le prélèvement libératoire est à taux fixe et que les épargnants ont la faculté de choisir de ne pas payer le prélèvement libératoire et intégrer en contrepartie les produits de placements financiers à leur revenu imposable au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), ils peuvent se trouver dans quatre situations distinctes: non assujettis à l'impôt au titre de ces produits financiers (s'ils ne sont pas imposables au titre de l'IRPP), imposés pour ces revenus au titre de l'IRPP à un taux inférieur ou égal au taux du prélèvement obligatoire, ou s'acquittant du prélèvement libératoire. En cas d'erreur de calcul de leur part, ils peuvent aussi être imposés pour ces revenus au titre de l'IRPP à un taux supérieur au taux du prélèvement obligatoire.
(6) En vertu de la loi de finances rectificative pour 1982 du 30 décembre 1982, la part consacrée au financement direct du budget de l'État ou à des besoins spécifiques croît au détriment des prêts aux collectivités locales. Le Crédit Mutuel intervient de façon ponctuelle pour la première fois en 1987-1988 dans le financement du logement social (à hauteur de 1,8 MdF) à l'occasion d'une opération de souscriptions de titres de la CDC.
(7) Avant prise en compte des réserves obligatoires et de liquidité sur ces encours.
(8) "La totalité des sommes inscrites aux comptes spéciaux sur livrets ouverts à leurs déposants par les caisses de crédit mutuel (...) sont affectés aux emplois d'intérêt général" (article 1er de l'arrêté du 27 septembre 1991). "Les emplois d'intérêt général visés à l'article 1er sont: 1. Pour une part déterminée par le Crédit Mutuel, des prêts visés (...) au Code de la construction et de l'habitation [logement social]; 2. Pour le solde, une affectation en compte auprès de la CDC" (article 2 de l'arrêté du 27 septembre 1991).
(9) "Il est procédé à la neutralisation pour le Crédit Mutuel des coûts suivants: 1. Prélèvements obligatoires acquittés par le Crédit Mutuel sur les produits des sommes inscrites aux comptes spéciaux visés à l'article 1er et employées dans les conditions prévues à l'article 2" (article 3 de l'arrêté du 27 septembre 1991).
(10) Voir l'arrêt du 12 décembre 1996 dans l'affaire T-358-94, Air France contre Commission, Recueil 1996, p. II-2109, points 55 à 69.
(11) Voir l'arrêt du 15 mars 1994 dans l'affaire C-387-92, Banco exterior de España, Recueil 1994, p. I-902, point 14.
(12) À partir de 1983; cette proportion est lentement réduite à partir de 1991.
(13) Directive 89-646-CEE du Conseil (JO L 386 du 30.12.1989, p. 1).
(14) L'encours des fonds du Livret A collectés par les Caisses d'épargne est environ 7 fois plus important que celui du Livret bleu.
(15) Loi n° 75-1242 du 27 décembre 1975, Loi de finances rectificative pour 1975, article 9.
(16) Les données de 1979 de la Commission de contrôle des banques en France sont utilisées, car il s'agit de la première année disponible pour des données détaillées relatives aux banques étrangères.
(17) Arrêt du 17 septembre 1980 dans l'affaire 730-79: Philip Morris contre Commission (Recueil 1980, p. 2671).
(18) Arrêt du 14 septembre 1994 dans les affaires jointes C-278-92, C-279-92 et C-280-92: Espagne contre Commission "Hytasa" (Recueil 1994, p. I-4103). De plus, ni l'importance relativement faible d'une aide, ni la taille modeste du bénéficiaire ou sa part très réduite sur le marché communautaire ni même l'absence d'activité à l'exportation de ce bénéficiaire ou le fait que l'entreprise exporte la quasi-totalité de sa production en dehors de la Communauté ne modifient ce constat.
(19) Avec le décret du 4 septembre 1968 sur la liberté des relations financières avec l'étranger.
(20) S'agissant des sorties de devises classées dans les opérations en capital dans la balance des paiements.
(21) Il s'agit d'une très faible minorité des épargnants, car le principal avantage réside dans la défiscalisation du produit, or un non-résident n'aura qu'exceptionnellement son centre d'intérêt économique en France, et ne sera donc qu'exceptionnellement fiscalisé en France.
(22) Directives 63-21-CEE du Conseil (JO 9 du 22.1.1963, p. 62-63), 85-583-CEE du Conseil (JO L 372 du 31.12.1985, p. 39) et 86-566-CEE du Conseil (JO L 322 du 26.11.1986, p. 22).
(23) Voir, par exemple, les arrêts du 24 octobre 1978 dans l'affaire 15-78: Koestler (Recueil 1978, p. 1971); du 11 novembre 1981 dans l'affaire 203-80: Casati (Recueil 1981, p. 2595); du 31 janvier 1984 dans les affaires jointes 286-82 et 26-83: Luisi et Carbone (Recueil 1984, p. 377); du 14 novembre 1995 dans l'affaire C-484-93: Svensson and Gustavsson (Recueil 1995, p. I-3955); du 9 juillet 1997 dans l'affaire C-222-95: Parodi (Recueil 1997, p. I-3899).
(24) Arrêt du 21 septembre 1988 dans l'affaire C-267-86: Van Eycke (Recueil 1988, p. 4769).
(25) Arrêt du 14 juillet 1981 dans l'affaire 172-80: Züchner (Recueil 1981, p. 2021).
(26) Le huitième rapport de 1978 (paragraphes 32 à 37) indique que les règles de la concurrence avaient déjà été appliquées dans des cas relatifs aux chèques de voyage en Belgique, Eurochèque en France, et dans le cas Sarabex (concernant le Foreign Exchange and Current Deposit Brokers' Association). Les accords de coopération européens évoquées en 1972 sont à nouveau mentionnés. Dans un tableau à la page 36 du rapport, on dénombre quarante banques concernées dont cinq françaises (Banque Nationale de Paris; Société Générale; Crédit Lyonnais; Crédit Commercial de France, et Crédit Agricole).
(27) Cette directive a été transposée en France par la loi 92-665 du 16 juillet 1992 (Journal officiel de la République française du 17.7.1992, p. 9576) et les règlements 92-11-12-13-14 du 23 décembre 1992 (Journal officiel de la République française du 9.1.1993, p. 512).
(28) Et cela avant même la suppression effective de l'agrément par le pays d'accueil des succursales de banques agréées dans d'autres États membres prévue à l'article 6, paragraphe 1, de la directive (transposable au plus tard le 1er janvier 1993).
(29) Voir, entre autres, les décisions de la Commission relatives aux Crédit Lyonnais, Banco di Napoli, Banco di Sicilia, à la Société Marseillaise de Crédit, et Westdeutsche Landesbank.
(30) Le niveau des fonds propres de base est fixé à un minimum de 4 % des actifs pondérés, et celui des fonds propres au sens large au minimum 8 %. Voir la directive 89-647-CEE du Conseil du 18 décembre 1989 relative à un ratio de solvabilité des établissements de crédit (JO L 336 du 3.12.1989, p. 14).
(31) Voir notamment les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 23 février 1961, dans l'affaire 30-59: De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg contre Haute Autorité (Recueil 1961, p. 3), et du 27 mars 1980, dans l'affaire 61-79: Denkavit italiana (Recueil 1980, p. 1205), et dans l'affaire 387-92: Banco exterior de España (Recueil 1994, p. I-902).
(32) En l'espèce, l'aide fiscale aux consommateurs n'est accordée qu'aux épargnants disposant d'un Livret bleu au Crédit Mutuel (ou encore d'un Livret A des Caisses d'Épargne et de la Poste).
(33) En d'autres termes, si le Crédit Mutuel avait dû se procurer des ressources analogues en terme de stabilité sur le marché interbancaire, il aurait supporté des charges de refinancement plus importantes. Le monopole de distribution du Livret bleu a donc eu aussi pour effet de réduire les charges normales de la banque. Il est donc nécessaire de prendre en compte l'ensemble des charges liées aux dépôts (majoration des charges due à la collecte, mais aussi minoration des charges normales due au coût inférieur de cette ressource), et l'ensemble des produits des actifs auxquels sont adossés les dépôts, y compris les encours libres.
(34) La prise en compte d'un coût des fonds propres mesurant la rentabilité des activités permet de distinguer dans les résultats du Livret bleu la part qui correspond à une rémunération normale des fonds propres (donc des sociétaires) de la part qui excède la rentabilité moyenne de la banque. Voir à la section V, titre 4.4, l'analyse du coût des fonds propres.
(35) Au cours des années 90, on observe une seule année de décollecte significative en 1993 pour le Livret bleu (- 4 %). La décollecte a été plus sensible pour le Livret A: en 1996 (- 10 %) et en 1999 (- 8 %). La collecte devrait être à nouveau positive en 2001.
(36) Le Crédit Mutuel affirme avoir contribué, entre 1975 et 1996, au budget de l'État au titre de la prise en charge pour le compte des épargnants de la fiscalisation partielle du Livret bleu à hauteur de [...] MdF. On sait que cette charge a été "neutralisée", en tout état de cause à partir de 1991, par la CDC.
(37) Il est à noter qu'un coût du même type est indirectement à la charge des autres banques qui, dans la fixation des taux d'intérêt (bruts) sur les dépôts doivent tenir compte des rendements des autres produits comparables et du fait que l'épargnant compare les taux nets d'impôt, ce qui a pour effet de pousser les banques à rehausser les taux bruts pour répondre à la concurrence des produits défiscalisés. Dans le nouveau régime de centralisation complète auprès de la CDC, les ressources collectées sur le Livret bleu sont entièrement défiscalisées.
(38) L'avis du Conseil de la concurrence n° 96-A-12 du 17 septembre 1996 reprend aussi l'argument selon lequel un livret défiscalisé "place les établissements qui le distribuent en situation privilégiée pour offrir d'autres produits".
(39) Dans un contexte de centralisation complète des encours du Livret bleu à la CDC. Ce raisonnement subjectif ne peut pas être transposé au passé, puisque les encours n'étaient pas intégralement centralisés à l'époque.
(40) Le Crédit Mutuel affirme avoir contribué, entre 1975 et 1996, au budget de l'État au titre de la prise en charge pour le compte des épargnants de la fiscalisation partielle du Livret bleu à hauteur de [...] MdF. On sait que cette charge a été en réalité "neutralisée", en tout état de cause à partir de 1991, par la CDC.
(41) Quand bien même il ne s'agit pas d'un "vrai" sondage aléatoire.
(42) "En ce qui concerne la part des frais généraux affectée au métier de l'épargne, on note que l'échantillon de référence représente de l'ordre de [...] du total des frais généraux, et environ [...] des frais généraux alloués à l'épargne, ce qui nous semble cohérent" (c'est nous qui soulignons), extrait du rapport d'Arthur Andersen "Mission Livret bleu", p. 29.
(43) Le complément d'information présenté par Arthur Andersen dans une note du 8 février 2001 mentionne à cet égard: "Par exemple sur l'année 1996, ces poids respectifs [de l'échantillon] sont les suivants: part de l'épargne (encours): [...]". Ce pourcentage que nous interprétons comme la part de l'encours d'épargne figurant dans l'échantillon est exactement identique à la part des frais généraux, ce qui suggérerait une parfaite adéquation dans l'échantillon entre le volume d'épargne et le volume des frais généraux affectés à cette épargne. Ajoutons qui plus est que la méthode de construction de l'échantillon suivie utilise des clefs de répartition pour la plupart fondées sur l'année 1996 (p. 4, ibid.). Il y a donc tout lieu de penser que cette proportion est très proche sinon la même pour les autres années.
(44) P. 32, ibid.
(45) "... [...] des commissions IARD reçues. D'où une certaine distorsion, qui, sans correction particulière, conduirait à allouer au métier IARD une part de frais généraux trop importante par rapport aux autres métiers" (p. 32, ibid.) On peut noter le flou de la rédaction.
(46) En réalité, cette première déduction n'a rien d'évident. On peut avoir des doutes quant au fait que la surreprésentation du métier assurance ait pour conséquence directe de biaiser le calcul du résultat de comptabilité analytique du métier assurance. Une allocation au métier assurance de frais généraux plus importante dans l'échantillon est la contrepartie de produits plus importants eux aussi (constatés par Arthur Andersen sous la forme de la part des commissions IARD ou chiffre d'affaire IARD). Certes, on peut concevoir que le résultat soit "amplifié" (majoré selon un facteur multiplicatif donné) puisque l'extrapolation de l'échantillon conduira à considérer que le Crédit Mutuel a une activité correspondant au métier plus importante qu'elle ne l'est en réalité. Mais il n'existe pas forcément de biais directionnel (au sens statistique), c'est-à-dire d'erreur sur le résultat dans un sens précis (majoration ou minoration systématique), dans la mesure où, si les frais de gestion sont majorés, les produits du métier en question peuvent aussi être majorés (par exemple, plus de primes d'assurance perçues).
(47) Dans le cas contraire, si des frais trop importants sont alloués par rapport aux produits, cela signifierait que la comptabilité analytique est fausse et a été mal construite.
(48) La note méthodologique du 13 septembre 2001 n'aborde à aucun moment cette question centrale. Ce que les experts cherchent à estimer c'est le solde du compte d'exploitation (produits - charges), non les charges prises isolément.
(49) Le Crédit Mutuel a transmis à la Commission un document d'Arthur Andersen du 13 septembre 2001 qui revient sur ce problème. Cette note omet de préciser qu'il s'agit de l'élaboration d'un compte d'exploitation (la question de l'allocation des produits correspondant aux charges sous forme de frais généraux n'est absolument pas envisagée), et que la variable d'intérêt est celle de l'allocation des frais généraux à l'épargne. Les deux experts concernés n'ont donc pas pu se prononcer au fond sur l'adéquation de la méthode statistique choisie par rapport à la variable que l'on cherche à estimer. Il faut observer qu'une méthode statistique de correction acceptable pour améliorer un estimateur est susceptible de dégrader la qualité d'un autre estimateur.
(50) Non sans précaution de langage: "cette méthodologie peut apparaître critiquable d'un point de vue théorique. Toutefois, l'absence de toute correction nous semble encore plus contestable". Nous ne commenterons pas la seconde partie de la phrase à la lumière des développements précédents.
(51) Selon des proportions calculées en fonction de la structure IARD de la population totale.
(52) Supposons que le résultat après déduction du coût des fonds propres soit négatif, cela signifie que la banque aurait avantage à abandonner l'activité pour adosser les fonds propres à celles de ses autres activités qui sont bénéficiaires après prise en compte du coût des fonds propres. Toute la difficulté est bien entendu de calculer quel est le niveau de rémunération de l'actionnaire qui sert de référence (benchmark).
(53) Arthur Andersen a proposé, dans son rapport d'audit de septembre 2000, une nouvelle méthode de calcul du coût des fonds propres, qui a pour effet de majorer de [...] le coût des fonds propres par rapport à l'évaluation initiale par le Crédit Mutuel. Arthur Andersen propose en effet d'utiliser un taux calculé comme le ratio entre le résultat avant impôt (et après retraitement des dotations et reprises de FRBG) et les capitaux propres. Ce taux reflète mieux, selon Arthur Andersen, la rentabilité globale de la banque, alors que le Crédit Mutuel avait retenu comme coût des fonds propres le montant des dividendes effectivement distribués.
Il est essentiel de prendre en considération le fait que la fixation de ce taux de rentabilité revêt un caractère politique pour la direction de la banque, puisque telle ou telle activité présentera ou non un caractère profitable selon le niveau de coût des fonds propres choisis. Arthur Andersen précise à cet égard que "[la méthode de calcul du coût des fonds propres dépend] non seulement de l'organisation des banques, mais également des objectifs de gestion fixés par la direction générale". Arthur Andersen ne critique pas dans son principe l'évaluation initiale du Crédit Mutuel jugée "globalement cohérente". La seconde méthode proposée par l'auditeur a sans ambiguïté le caractère d'une méthode alternative "préconisée" dans la mesure où la méthode du Crédit Mutuel "ne semble cependant pas complètement adaptée". Arthur Andersen abandonne complètement, dans la note du 13 septembre 2001, ces réserves de formulation. Cette note a été adressée par le Crédit Mutuel à la Commission à la suite d'une réunion lors de laquelle les services de la Commission et le consultant ont exposé les motifs pour lesquels leur évaluation se fonde sur l'évaluation initiale du Crédit Mutuel.
(54) Mémoire du 12 juin 1998.
(55) Arthur Andersen estime ne pas "pouvoir apporter d'argument déterminant dans un sens ou dans l'autre dans [le] débat [sur la pertinence de la prise en compte d'un tel coût]" (p. 45, ibid.) L'appréciation d'Arthur Andersen évolue aussi sensiblement sur ce point dans la note du 13 septembre: "il nous paraît inexact de considérer qu'il s'agit d'un coût purement théorique".
(56) Si on appliquait le même raisonnement à des sociétés anonymes, il en découlerait manifestement une absurdité: une SA n'a pas le devoir "moral" de couvrir le risque de perte des fonds engagés par ses actionnaires à hauteur du capital souscrit.
(57) Les organes centraux "prennent toutes mesures nécessaires, pour garantir la liquidité et la solvabilité de chacun de ces établissements comme de l'ensemble du réseau" (article 21). Ils peuvent décider d'introduire ou de limiter la distribution d'un dividende aux actionnaires ou d'une rémunération des parts sociales aux sociétaires des établissements de crédit ou des entreprises d'investissement qui leur sont affiliés.
(58) Dont l'impact comptable est déjà pris en compte par l'évaluation des experts.
(59) Est présentée la deuxième approche du Crédit Mutuel "qui assimile totalement le Livret bleu au Livret A en omettant sa fiscalisation partielle" certifiée par Mazars & Guérard (les éléments au dossier permettent effectivement de conclure que le Crédit Mutuel a été indemnisé par les pouvoirs publics pour compenser intégralement les effets de la fiscalisation partielle), c'est-à-dire l'hypothèse fourchette basse, parmi les deux scénarios élaborés par Arthur Andersen (qui est la plus favorable au Crédit Mutuel, sachant que la différence entre les deux scénarios est en tout état de cause marginale).
(60) Inversement, dans le cas où l'activité d'intérêt économique général aurait été déficitaire, le comblement du passif par l'État aurait été considéré comme une aide compatible au titre de la mission d'intérêt économique général.
(61) Les services d'intérêt général en Europe, Communication de la Commission (JO C 281 du 26.9.1996, point 21, repris dans la version actualisée du 20 septembre 2000).
(62) Il s'agit historiquement du premier objectif poursuivi par les pouvoirs publics. Le ministre de l'Economie et des Finances avait déclaré lors des débats précédant le vote de la loi de 1975 que "Fondé sur le principe de la mutualité, animé dans de nombreuses caisses par un personnel bénévole, [le Crédit Mutuel] représente une forme de mobilisation de l'épargne populaire que l'on doit encourager".
(63) Sur la question du service d'intérêt économique général, les autorités françaises ont écrit le 8 avril 1998: "si la Commission devait considérer [...] qu'il y a des éléments d'aide d'État dans le régime du Livret bleu, elle devrait le considérer comme compatible avec le traité au regard des objectifs poursuivis au travers de ce régime et de l'article [devenu] 86, paragraphe 2", en se réservant "le droit de développer l'argumentation nécessaire".
(64) La gestion des emplois libres ne relève pas en soi d'une mission d'intérêt général, mais comme les ressources adossées à ces emplois sont obtenues en vertu d'une telle mission, rappelons qu'il y a lieu de considérer globalement l'économie du mécanisme du Livret bleu dans toutes ses composantes.
(65) On a vu que l'obligation juridique du maintien des guichets en zone rurale n'est pas établie. De plus, l'activité Livret bleu est marginale dans l'activité totale de ces guichets. Seulement environ [...] de ces coûts seraient déjà pris en compte dans la comptabilité analytique du Livret bleu, ce qui signifierait que la comptabilité analytique du Crédit Mutuel en zone rurale affecte à tort au Livret bleu [...] des coûts liés aux autres activités.
(66) Arrêt du 27 octobre 1997 dans l'affaire C-159-94, Commission contre France, Recueil 1997, p. I-5815, point 48.