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Décisions

CJCE, 14 novembre 1984, n° 323-82

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Intermills (SA), Intermills-Industrie Andenne (SA), Intermills-Industrie Pont-de-Warche (SA), Intermills-Industrie Steinbach (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Goffin, De Backer, Lodomez.

CJCE n° 323-82

14 novembre 1984

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 décembre 1982, la SA Intermills, établie à Andenne (ci-après : la requérante), a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision 82-670-CEE de la Commission, du 22 juillet 1982, concernant les aides du Gouvernement belge en faveur d'une entreprise du secteur papetier (JO L 280, p. 30).

2. Le recours a été appuyé par les trois sociétés SA Intermills-Industrie Andenne, SA Intermills-Industrie Pont-de-Warche et SA Intermills-Industrie Steinbach, admises à intervenir au litige par ordonnance de la Cour du 22 juin 1983. Ces sociétés sont désignées ci-après par l'expression " les intervenantes ", l'expression " les requérantes " étant utilisée pour désigner cumulativement la requérante au principal et les intervenantes.

3. Pour autant qu'il est possible d'établir les faits sur base de la décision litigieuse et des données figurant au dossier, la restructuration financée grâce à une aide accordée par l'Etat belge à travers la région Wallonne a consisté dans une réorientation de la production des requérantes, par l'abandon de la fabrication de papiers de masse et par le transfert de l'activité vers la fabrication de papiers à haute valeur ajoutée. Dans le cadre de cette restructuration, deux sièges d'exploitation ont été fermés, à savoir le siège de Saint-Servais et l'usine de Huizingen (cette dernière située en région flamande et dépendant d'une autre société du groupe); parallèlement, la production des sièges d'Andenne, de Pont-de-Warche et de Steinbach a été réorganisée et confiée à des sociétés industrielles dotées chacune d'une personnalité juridique propre.

4. Le contenu de la décision litigieuse peut être résumé comme suit :

Au cours de l'année 1980, il est venu à la connaissance de la Commission qu'une entreprise du secteur papetier a bénéficié, de la part des autorités belges, d'une aide sous forme de prêts (un prêt bonifié de 1 076 millions de BFR et des avances récupérables de 510 millions de BFR), liés à la réalisation d'opérations de restructuration de l'entreprise intéressée, et d'une aide sous forme d'une prise de participation de l'exécutif de la région Wallonne de 2 350 millions de BFR, qui auraient eu principalement pour effet de sauver l'entreprise d'une situation financière très difficile.

Par une communication du 23 juillet 1980, la Commission a attiré l'attention du Gouvernement belge sur les obligations qui découlent des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE, en matière de notification préalable de projets d'aide. C'est par lettre du 6 février 1981 que le Gouvernement belge a procédé à la notification de l'aide en question. Il résulte de cette notification que la décision relative à l'octroi de l'aide avait déjà été prise le 17 juillet 1980 par l'exécutif de la région Wallonne. La Commission ayant décidé d'ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, elle a donné au Gouvernement belge un délai jusqu'au 10 avril 1981 pour présenter ses observations. Ce n'est qu'après un rappel que le Gouvernement belge a fait finalement parvenir ses observations à la Commission, le 4 août 1981. Dans le cadre de la procédure d'investigation prévue par l'article 93, les Gouvernements de trois Etats membres ont fait connaître leurs objections contre l'aide instituée par les autorités belges ; la Commission a également enregistré l'opposition de deux organisations professionnelles et d'une entreprise qui ont attiré l'attention sur la surcapacité qui régnait dans le secteur en question.

La Commission considère qu'en l'espèce, l'aide apportée par les autorités belges, est de nature à altérer les conditions des échanges entre Etats membres et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Elle estime que l'entreprise concernée se trouvait dans une situation financière très difficile, qui semblait exclure toute possibilité d'appel au marché des capitaux non subventionnés ; à son avis, l'effet de la prise de participation de 2 350 millions de BFR a eu pour but de résoudre les problèmes financiers de l'entreprise. Selon la Commission, l'interdiction des aides énoncée à l'article 92, paragraphe 1, peut s'appliquer également aux apports en capital effectués soit par l'Etat, soit par des collectivités territoriales ou d'autres instances publiques.

La Commission a également examiné la question de savoir si une dérogation pouvait être reconnue en faveur de l'aide en question sur base des dispositions de l'article 92, paragraphe 3, du traité. Considérant que cette disposition permet l'octroi d'aides " destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques ", elle estime que l'aide accordée sous forme de crédits bonifiés et d'avances remboursables peut être reconnue comme compatible avec les exigences du traité ; ces crédits seraient en effet liés à la réalisation d'un programme d'investissement conforme à l'intérêt de la Communauté, en ce qu'il vise à la réduction de la production de papier de masse et à la réorientation de l'entreprise vers la production de papiers spéciaux comportant une valeur ajoutée élevée.

Par contre, la Commission estime que l'aide octroyée par les autorités belges sous forme de prise de participation dans le capital ne saurait bénéficier d'une dérogation au titre du paragraphe 3 de l'article 92, en ce que cette partie de l'aide ne serait pas directement liée à la restructuration de l'entreprise ; il s'agirait en effet d'une " aide de sauvetage ", destinée à permettre à l'entreprise de faire face à ses engagements financiers. La Commission fait remarquer a ce sujet " qu'une telle aide destinée à permettre le maintien en activité de capacités de production est de nature à porter une atteinte particulièrement grave aux conditions de concurrence, car le libre jeu des forces du marché exigerait normalement la fermeture de l'entreprise, ce qui permettrait aux concurrents plus compétitifs de se développer ".

Sur base de ces considérations, la Commission a décidé, aux termes de l'article 1, que les aides sous forme d'un crédit bonifié et d'avances remboursables sont considérées comme compatibles avec le Marché commun, alors que les aides sous forme de prise de participation sont incompatibles avec l'article 92 du traité.

A l'article 2 de la décision, il est disposé que le Royaume de Belgique informe la Commission, dans un délai de trois mois, " des mesures qu'il a prises pour éviter que les aides sous forme de prise de participation continuent à avoir des conséquences conduisant à une distorsion de concurrence dans l'avenir ".

5. La recevabilité du recours n'est pas contestée par la Commission. Bien que la décision litigieuse soit adressée au Royaume de Belgique, la Commission reconnaît qu'elle concerne directement et individuellement la société requérante, au sens de l'article 173, alinéa 2, en SA qualité de bénéficiaire de l'aide en question.

6. La requérante fait valoir, à l'encontre de la décision litigieuse, en dehors de divers moyens de caractère formel, un ensemble de moyens tirés d'une appréciation inexacte des faits au regard des critères de l'article 92, paragraphes 1 et 3, ainsi que d'une contradiction et d'une insuffisance des motifs.

7. Les trois sociétés intervenantes ont repris, en substance, les mêmes moyens, en faisant valoir, au surplus, que la Commission aurait méconnu le fait qu'à la suite, précisément, de la restructuration financée par l'aide litigieuse, elles auraient acquis, chacune, une identité juridique distincte de la société Inter Mills, visée par la décision du 22 juillet 1982. Or, ce fait aurait été méconnu par la Commission.

8. La solution de cette question formant le préalable de l'appréciation des divers moyens formules par les parties intéressées, il y a lieu d'examiner, en premier lieu, quelle est la qualité des requérantes au regard de la décision litigieuse.

Sur la structure du groupe Intermills

9. Les requérantes font valoir que la Commission aurait donné une représentation inexacte de la situation des sociétés intéressées, en considérant que l'aide en cause, sous forme de prêts, d'avances récupérables et de participations, aurait profité à la seule requérante au principal. Or, dès avant l'intervention de la décision attaquée, à savoir en juin 1980, auraient été constituées, dans le cadre du plan de restructuration financé par les aides, trois nouvelles sociétés d'exploitation indépendantes, qui auraient bénéficié d'une prise de participation de l'exécutif de la région Wallonne, à concurrence d'un montant de 850 millions de BFR, à valoir sur le chiffre de 2 350 millions figurant dans la décision. Depuis la constitution des nouvelles sociétés, la requérante au principal n'aurait plus d'activité industrielle propre. Il serait donc erroné de qualifier globalement l'apport en capital comme étant destiné à faire face aux engagements de l'ancienne société Intermills, afin de lui permettre de sortir d'une situation financière précaire.

10. En outre, les intervenantes tirent argument d'une atteinte au principe de l'article 222 du traité CEE, relatif au régime de la propriété dans les Etats membres, du fait que la Commission, en ignorant la création des nouvelles sociétés d'exploitation, prétendrait, en réalité, interdire à la région Wallonne de participer au capital de sociétés créées sur son territoire.

11. Il résulte des informations fournies par les requérantes elles-mêmes qu'à la suite de la restructuration, tant la société Intermills que les trois sociétés industrielles sont contrôlées par la région Wallonne et qu'à la suite du transfert des installations de production aux trois sociétés nouvellement constituées, la société Intermills reste intéressée dans celles-ci. Il convient donc de constater qu'en dépit du fait que les trois sociétés industrielles possèdent chacune une individualité juridique distincte de l'ancienne société Intermills, toutes ces sociétés forment ensemble un groupe unique, en tout cas au regard de l'aide accordée par les autorités belges. La Commission était donc justifiée à considérer l'ensemble du groupe comme une " entreprise " unique au regard de l'application de l'article 92 du traité.

12. Au surplus, il y a lieu de noter que les requérantes, en insistant sur le fait que la restructuration réalisée grâce à l'aide litigieuse constitue un tout cohérent, du point de vue industriel et financier, ont implicitement reconnu l'unité économique formée par l'ancienne société et les nouvelles sociétés d'exploitation.

13. Enfin, il ne saurait être fait grief à la décision de la Commission de méconnaître l'article 222, aux termes duquel " le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les Etats membres ". En effet, l'application des règles du traité relatives aux aides publiques ne porte en rien préjudice au statut juridique donné, par la région Wallonne, aux nouvelles sociétés industrielles créées avec son aide.

14. Il en résulte que le moyen tire de la méconnaissance, par la Commission, du statut juridique de la requérante et des intervenantes doit être rejeté.

Sur les moyens de caractère formel

15. Du point de vue des formes et procédures, les requérantes font valoir, en premier lieu, qu'elles n'auraient pas été nommément mises en demeure de présenter leurs observations avant qu'une décision soit prise sur la compatibilité avec le traité des aides qui leur ont été accordées, contrairement aux prescriptions de l'article 93, paragraphe 2. L'avis publié au Journal officiel le 20 mars 1981 (C 61, p. 3), conçu en termes génériques, ne répondrait pas à ce qu'exige cette disposition.

16. Aux termes de l'article 93, paragraphe 2, la Commission statue sur les aides " après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations ". Il est à remarquer que les " intéressés " visés par cette disposition sont non seulement l'entreprise ou les entreprises favorisées par une aide, mais tout autant les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroi de l'aide, notamment les entreprises concurrentes et les organisations professionnelles. Il s'agit, en d'autres termes, d'un ensemble indéterminé de destinataires.

17. Il résulte de cette considération que l'article 93, paragraphe 2, n'exige pas une mise en demeure individuelle de sujets particuliers. Son seul objet est d'obliger la Commission à faire en sorte que toutes les personnes potentiellement intéressées soient averties et reçoivent l'occasion de faire valoir leurs arguments. Dans ces circonstances, la publication d'un avis au Journal officiel apparaît comme un moyen adéquat en vue de faire connaître à tous les intéressés l'ouverture d'une procédure.

18. En l'occurrence, les spécifications contenues dans l'avis cité, qui visait " l'octroi d'aides en Belgique en faveur d'une entreprise dans le secteur papetier disposant de six sièges d'exploitation en Belgique et dont la production principale se situe au niveau du papier impression-écriture ", avaient une précision suffisante pour que les sociétés intéressées - qui étaient, à cette époque, parfaitement au courant de l'aide qui leur avait déjà été accordée - puissent reconnaître sans doute possible qu'elles étaient visées par l'enquête.

19. Pour les raisons indiquées, ce moyen doit donc être rejeté.

20. La requérante fait valoir, en outre, dans le même ordre d'idée, que la Commission aurait, dans l'avis en question, préjugé publiquement sa décision en utilisant les expressions suivantes : " la Commission constate que cette aide est de nature à altérer les conditions des échanges entre Etats membres dans une mesure contraire à l'intérêt commun. "

21. Il est vrai que l'utilisation, par la Commission, du terme " constate " peut donner, à première vue, l'impression que la Commission aurait anticipé sur une constatation que l'article 93, paragraphe 2, ne lui permet de faire qu'après avoir mis les intéressés en mesure de présenter leurs observations ; il n'en reste pas moins que, replacé dans le contexte du déroulement de la procédure prévue par la disposition citée, l'avis n'avait pas et ne pouvait pas avoir d'autre portée que de faire connaître l'ouverture de la procédure d'investigation sur l'aide accordée par les autorités belges. Ceci apparaissait d'ailleurs clairement du fait que l'avis demandait aux intéressés de présenter leurs observations dans un délai déterminé. A ce stade, la Commission était d'ailleurs parfaitement en droit de faire connaître les réserves qu'elle avait à formuler à l'encontre du projet qui était venu a sa connaissance, de manière à avertir tous les intéressés de sa première réaction et de permettre ainsi à l'entreprise concernée d'assurer la défense de ses intérêts.

22. Ce moyen doit donc également être rejeté.

Sur les moyens tirés d'une appréciation inexacte des faits ainsi que d'une contradiction et d'une insuffisance des motifs

23. Les requérantes reprochent à la décision contestée - sans distinguer, à cet égard, entre l'application du premier et du troisième alinéa de l'article 92 - d'être basée sur une appréciation erronée des faits, de reposer sur des motifs contradictoires et d'être, sur certains points, insuffisamment motivée.

24. Elles font valoir, plus particulièrement, que l'aide accordée sous forme de prises de participation ne serait pas, comme le prétend la Commission, une simple " aide de sauvetage " destinée à résoudre les problèmes financiers de l'entreprise, mais que cette partie de l'aide - ensemble avec les prêts et avances que la Commission considère comme compatibles avec le traité - a servi à financer les charges de la fermeture d'une production non rentable et à réorienter l'activité des entreprises vers des productions offrant de meilleures chances de rentabilité. Les requérantes soulignent, à ce sujet, que les divers apports financiers auraient servi indistinctement à la réalisation de l'ensemble de ce plan de restructuration, sans qu'il soit possible de discerner, quant à leur utilisation, entre les apports de capital et les apports sous forme de prêts et d'avances.

25. En second lieu, les requérantes reprochent à la décision contestée de comporter une contradiction dans ses motifs. En effet, l'aide désignée comme incompatible avec le traité poursuivrait, précisément, un but de restructuration, à savoir l'abandon de la production de papier de masse et la réorientation de l'entreprise vers la production de papier spécialisé, que la Commission désigne, dans la même décision, comme étant un objectif économique qui mérite d'être poursuivi dans l'intérêt communautaire.

26. Enfin, les requérantes considèrent que la décision contestée comporte une insuffisance de motivation en ce que la Commission n'aurait démontré d'aucune manière que les échanges entre Etats membres auraient été affectés et que la concurrence dans le Marché commun aurait été faussée par l'octroi de l'aide litigieuse. En effet, cette aide, loin d'avoir entraîné un renforcement de la position de la requérante sur le marché, aurait visé à une réduction de la production et à une réorientation de celle-ci vers des secteurs de meilleure rentabilité économique. Les requérantes rappellent a cet égard l'arrêt du 17 septembre 1980 (730-79, Philip Morris, recueil 1980, p. 2671, alinéa 11), dans lequel la Cour n'aurait reconnu une atteinte à concurrence qu'au cas ou " une aide financière accordée par l'Etat renforce la position d'une entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires ".

27. La Commission justifie sa décision en faisant valoir qu'il serait " évident " qu'une prise de participation de 2 350 millions de BFR, par des instances publiques, dans une entreprise dont, par ailleurs, le capital et les réserves s'élèvent à 1 250 millions de BFR, ne pourrait s'analyser que comme une opération visant à sortir l'entreprise d'une situation financière précaire, le problème crucial que constitue l'importance des charges financières de l'entreprise étant ainsi résolu par l'apport de capitaux nouveaux dont l'entreprise ne supporte pas même les charges financières. L'aide ainsi octroyée réduirait les coûts fixes de l'entreprise et contribuerait donc à provoquer des distorsions de concurrence dans la Communauté. Lorsque l'apport en capital dépasse le montant de l'actif net de l'entreprise bénéficiaire, il s'agirait d'une opération de sauvetage destinée à maintenir sur le marché une entreprise autrement vouée à disparaître. Une telle mesure, spécialement dans un secteur en difficulté, signifierait, en réalité, l'exportation du chômage vers d'autres Etats membres.

28. La Commission admet, toutefois, que les coûts liés directement aux licenciements résultant de la fermeture de certaines installations peuvent être considérés comme faisant partie de coûts de restructuration proprement dits, en vue desquels l'entreprise a bénéficié d'aides considérées comme compatibles avec le Marché commun. La Commission n'ayant pas été informée du coût réel de ces licenciements, elle n'a pu en tenir compte et, en tout état de cause, ces frais n'auraient pas pu absorber la totalité des prises de participation.

29. L'article 92, paragraphe 1, dispose que, "sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure ou elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ".

30. Selon le paragraphe 3, lettre c), du même article, auquel il est fait référence dans la décision litigieuse, peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun les aides " destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques ", à condition cependant qu'elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

31. Il apparaît des dispositions citées que le traité vise les aides accordées par les états ou au moyen de ressources d'état " sous quelque forme que ce soit ". Il s'ensuit qu'une distinction de principe ne saurait être établie selon qu'une aide est accordée sous forme de prêts ou sous forme de participation au capital d'entreprises. Les aides sous l'une et l'autre de ces formes tombent sous l'interdiction de l'article 92 lorsque les conditions énoncées par cette disposition sont remplies.

32. Ainsi que la Commission l'a reconnu elle-même, l'octroi d'aides, spécialement sous forme de prises de participation de la part de l'Etat ou de collectivités publiques, ne saurait être considéré comme étant automatiquement contraire aux dispositions du traité. Quelle que soit donc la forme sous laquelle des aides sont accordées, que ce soit sous forme de prêts ou sous forme de participations, il appartient à la Commission d'examiner si de telles aides se trouvent en conflit avec l'article 92, alinéa 1, et, dans l'affirmative, d'apprécier si elles peuvent éventuellement être exemptées en vertu de l'alinéa 3 du même article, en motivant sa décision en conséquence.

33. Au regard de ces critères d'appréciation, les critiques soulevées par les requérantes apparaissent comme fondées dans la mesure où la décision litigieuse comporte effectivement des contradictions et qu'elle ne permet pas de reconnaître les motifs de l'action de la Commission sur certains points décisifs. Ces incertitudes et contradictions concernent tant la justification économique de l'aide que la question de savoir si cette aide a été de nature à fausser la concurrence dans le Marché commun.

34. En premier lieu, quant à la justification économique de l'aide, la Commission admet, dans les motifs de sa décision, que l'objectif de restructuration poursuivi par les requérantes correspond, en soi, à l'objectif que la Commission poursuit elle-même en ce qui concerne l'évolution de la papeterie européenne. Cette considération semble être le motif essentiel qui a déterminé la Commission à reconnaître la compatibilité, avec le traité, de l'aide accordée sous forme de prêts bonifiés et d'avances.

35. Par contre, la Commission n'a donné aucune justification contrôlable de l'appréciation différente qu'elle porte sur la prise de participation des autorités publiques dans le capital de l'entreprise bénéficiaire. Elle se borne à affirmer, à ce sujet, que cette participation n'était " pas directement liée à la restructuration de l'entreprise " et qu'il s'agissait d'une " aide de sauvetage " purement financière, compte tenu des pertes que l'entreprise enregistrait depuis plusieurs exercices ; au cours de la procédure écrite, elle a précisé que le montant de la participation des instances publiques aurait dépassé le montant du capital et des réserves de l'entreprise. En portant ces jugements, sans aucune indication de motifs en dehors des affirmations qui viennent d'être rappelées, la Commission n'a pas dûment expliqué pourquoi l'appréciation de l'opération de restructuration en question - qui était simultanément industrielle et financière et qui, selon les requérantes, a formé un tout cohérent - appelait une distinction aussi tranchée entre l'effet de l'aide accordée sous forme de prêts préférentiels et l'effet des apports sous forme de participations.

36. Il convient de noter, a ce propos, qu'en cours de procédure, la Commission a reconnu que les prises de participation, bien que condamnées par elle en bloc, pourraient être compatibles avec le traité dans la mesure ou elles étaient destinées à couvrir les frais de licenciement liés à l'abandon de productions non rentables. Il apparaît ainsi que l'incidence du coût social de la reconversion, qui constitue un élément essentiel de l'opération, n'a pas été non plus dûment considérée.

37. Pour ce qui est de l'atteinte portée par l'aide litigieuse à la concurrence dans le Marché commun, la Commission s'est référée, d'une part, aux dispositions qui font l'objet du premier alinéa de l'article 92 et, d'autre part, à l'exigence formulée par le troisième alinéa, aux termes duquel une aide ne peut être exemptée que si son octroi n'altère pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

38. En ce qui concerne le premier aspect, les considérants y relatifs se bornent à faire état d'objections soulevées par les Gouvernements de trois Etats membres, deux organisations professionnelles et une entreprise du secteur intéressé. Sauf cette allusion, la décision ne donne aucune indication concrète sur la nature des atteintes portées à la concurrence.

39. Quant au second aspect, la Commission, après avoir constaté que l'aide accordée sous forme de prises de capital ne serait pas directement liée à la restructuration de l'entreprise, mais qu'il s'agirait d'une " aide de sauvetage ", déclaré qu'une telle aide " est de nature à porter une atteinte particulièrement grave aux conditions de concurrence, car le libre jeu des forces du marché exigerait normalement la fermeture de l'entreprise, ce qui permettrait aux concurrents plus compétitifs de se développer ". Il y a lieu de faire remarquer à ce sujet que le règlement de dettes anciennes, destiné à sauver l'existence d'une entreprise, n'a pas nécessairement pour effet d'altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun, comme il est dit à l'article 92, alinéa 3, lorsqu'une telle opération est, par exemple, accompagnée d'un plan de restructuration. En l'occurrence, il n'a pas été démontré pourquoi l'action de la requérante sur le marché, à la suite de la réorientation de sa production grâce à l'octroi de l'aide, était de nature à altérer les conditions des échanges à tel point que la disparition de l'entreprise aurait été préférable à son assainissement.

40. Pour ces motifs, il convient d'annuler la décision attaquée.

41. Compte tenu de ce qui précède, il n'apparaît pas nécessaire d'examiner les moyens tirés d'une appréciation inexacte des faits de la cause et de la circonstance que la décision litigieuse porterait atteinte aux droits civils des requérantes sans que le système juridictionnel du traité CEE permette aux intéressés d'exercer un droit de recours conforme aux exigences de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Sur les dépens

42. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux des parties intervenantes.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1) la décision 82-670-CEE de la Commission, du 22 juillet 1982, concernant les aides du Gouvernement belge en faveur d'une entreprise du secteur papetier, est annulée.

2) la Commission est condamnée aux dépens de l'instance, y compris ceux des parties intervenantes.