CJCE, 24 janvier 1978, n° 82-77
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministère public du Royaume des Pays-Bas
Défendeur :
Jacobus Philippus van Tiggele
LA COUR,
1. Attendu que, par ordonnance du 30 juin 1977, parvenue à la Cour le 5 juillet suivant, le Gerechtshof d'Amsterdam a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, deux questions relatives à l'interprétation, d'une part, des articles 30 a 37 du traité concernant l'élimination des restrictions quantitatives dans les échanges entre les Etats membres et, d'autre part, des articles 92 à 94 du traité concernant les aides accordées par les Etats ;
2. Que ces questions sont posées à l'occasion de poursuites pénales engagées contre un négociant en vins et spiritueux qui est accusé d'avoir vendu des boissons alcooliques à des prix inférieurs aux prix minimaux fixes par le " Produktschap voor Gedistilleerde Dranken " en vertu de l'arrêté royal du 18 décembre 1975 (Staatsblad nr. 746) ;
3. Attendu que le règlement du Produktschap du 17 décembre 1975 relatif aux prix de boissons distillées, approuvé par le ministre des Affaires économiques le 19 décembre 1975, a institué, pour la vente au détail à l'intérieur du pays, un régime de prix minimaux fixés différemment pour chaque catégorie de boissons distillées ;
4. Que pour les boissons des types " genièvre jeune " et " vieux ", le prix minimum est calculé sur base du prix-catalogue unitaire du fabricant, majoré de 0,60 florin et de la TVA, ce prix ne pouvant en aucun cas être inférieur à un montant déterminé de 11,25 florins le litre ;
5. Que pour les boissons du type " vieux genièvre ", le prix minimum est fixé à 11,25 florins le litre ;
6. Que pour toutes les autres boissons distillées, le prix minimum est égal au prix d'achat effectif, majoré de la TVA ;
7. Qu'en vertu de l'article 7 du règlement, le prix minimum, fixé initialement à 11,25 florins, a été porté à 11,70 florins en raison de l'évolution des coûts ;
8. Que l'article 8 autorise le président du Produktschap à accorder des exemptions de l'application des dispositions du règlement dans certains cas ou groupes de cas ;
9. Que, de l'exposé des motifs de l'arrêté royal du 18 décembre 1975, il ressort que l'autorisation donnée au Produktschap d'édicter une telle réglementation visait à favoriser l'adaptation du commerce des vins et spiritueux aux conditions d'une concurrence normale et qu'elle devait être limitée à une durée de trois ans ;
Sur la première question
10. Attendu que, par la première question, il est demandé en substance si les articles 30 a 37 du traité doivent être interprétés en ce sens que l'interdiction qu'ils énoncent vise une réglementation de prix du genre de celle en cause ;
11. Que l'article 30 interdit, dans le commerce entre Etats membres, toute mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative ;
12. Qu'aux fins de cette interdiction il suffit que les mesures en question soient aptes à entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les importations entre Etats membres ;
13. Que si une réglementation nationale de prix applicable indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés ne saurait, en général, produire un tel effet, il peut en aller autrement dans certains cas spécifiques ;
14. Qu'ainsi une entrave à l'importation pourrait résulter notamment de la fixation, par une autorité nationale, de prix ou de marges bénéficiaires à un niveau tel que les produits importés seraient défavorisés par rapport aux produits nationaux identiques, soit parce qu'ils ne pourraient pas être écoulés profitablement dans les conditions fixées, soit parce que l'avantage concurrentiel résultant de prix de revient inférieurs serait neutralisé ;
15. Que c'est à la lumière de ces considérations qu'il convient de prendre position sur la question posée, étant donné qu'il s'agit dans le cas d'espèce d'un produit pour lequel il n'existe aucune organisation commune de marché ;
16. Attendu, en premier lieu, qu'une disposition nationale qui interdit indistinctement la vente au détail de produits nationaux et de produits importés à des prix inférieurs au prix d'achat payé par le détaillant ne saurait produire des effets préjudiciables à l'écoulement des seuls produits importés et qu'elle ne saurait, des lors, constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation ;
17. Qu'en outre, la fixation de la marge bénéficiaire minimale à un montant déterminé, et non pas à un pourcentage du prix de revient, applicable indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, ne saurait non plus avoir pour effet de défavoriser les produits importés, éventuellement moins chers, dans un cas comme celui de l'espèce, ou le montant de la marge bénéficiaire constitue une part relativement faible du prix de détail définitif ;
18. Que, par contre, il en va autrement en ce qui concerne le prix minimum fixé à un montant déterminé qui, tout en s'appliquant indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, est susceptible de défavoriser l'écoulement de ces derniers dans la mesure où il empêche que leur prix de revient inférieur se répercute sur le prix de vente au consommateur ;
19. Que cette conclusion s'impose même si l'autorité compétente est habilitée à accorder des exemptions du prix minimum fixe et si cette habilitation est utilisée libéralement en faveur des produits importés, la nécessité pour l'importateur ou pour le négociant de se soumettre aux formalités administratives inhérentes à un tel régime pouvant, en elle-même, constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative ;
20. Que le caractère temporaire de l'application des prix minimaux fixes n'est pas un élément de nature à justifier une telle mesure dès lors qu'elle est incompatible, pour d'autres raisons, avec l'article 30 du traité ;
21. Qu'il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens que la détermination, par une autorité nationale, d'un prix minimum de vente au détail, fixe à un montant déterminé et applicable indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, constitue, dans des conditions du genre de celles prévues par le règlement du Produktschap voor Gedistilleerde Dranken du 17 décembre 1975, une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, interdite par cet article ;
Sur la deuxième question
22. Attendu que par la deuxième question il est demandé en substance si les articles 92 à 94 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'une réglementation de prix comme celle en cause constitue, aux termes de ces articles, une aide accordée par l'Etat ;
23. Que l'article 92 déclaré incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure ou elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ;
24. Que, quelle que soit la définition qu'il convient de donner à la notion d'aide au sens de cet article, il ressort des termes mêmes de la disposition qu'une mesure qui se caractérise par la fixation de prix minimaux au détail, dans le but de favoriser les distributeurs d'un produit à la charge exclusive des consommateurs, ne saurait constituer une aide au sens de l'article 92 ;
25. Que les avantages qu'une telle intervention dans la formation des prix comportent pour les distributeurs du produit ne sont pas accordes en effet, ni directement ni indirectement, au moyen de ressources d'état au sens de l'article 92 ;
26. Qu'il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que l'article 92 du traité CEE doit être entendu en ce sens que la fixation, par une autorité publique mais à la charge exclusive des consommateurs, de prix minimaux pour la vente au détail d'un produit ne constitue pas une aide d'Etat aux termes de cet article ;
Sur les dépens
27. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
28. Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Gerechtshof d'Amsterdam, par ordonnance du 30 juin 1977, dit pour droit :
1) l'article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens que la détermination, par une autorité nationale, d'un prix minimum de vente au détail, fixé à un montant déterminé et applicable indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, constitué, dans des conditions du genre de celles prévues par le règlement du Produktschap voor Gedistilleerde Dranken du 17 décembre 1975, une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, interdite par cet article.
2) l'article 92 du traité CEE doit être entendu en ce sens que la fixation, par une autorité publique mais à la charge exclusive des consommateurs, de prix minimaux pour la vente au détail d'un produit ne constitue pas une aide d'état aux termes de cet article.