CJCE, 12 octobre 1978, n° 156-77
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Belgique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Van Gerven, Derom.
LA COUR,
1. Attendu que, par recours déposé le 21 décembre 1977, la Commission demande à la Cour de constater que " le Royaume de Belgique, en ne s'étant pas conformé à la décision de la Commission du 4 mai 1976 relative à l'aide du Gouvernement belge à la société nationale des chemins de fer belges (SNCB) pour les tarifs directs internationaux ferroviaires de charbon et d'acier, dans les délais impartis par celle-ci, a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu du traité ";
2. Attendu que, dans sa décision du 4 mai 1976 (JO 1976, n° L 229, p. 24), la Commission a constaté, à l'article 1, que l'aide financière accordée par le Royaume de Belgique à la SNCB au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1107-70 du Conseil du 4 juin 1970, relatif aux aides accordées dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable, modifié par le règlement (CEE) n° 1473-75 du 20 mai 1975 (JO 1975, n° L 152, p. 1), n'est compatible avec le Marché commun que dans la mesure où elle serait accordée au titre de l'article 4 dudit règlement ;
3. Qu'elle a aussi décidé que le Royaume de Belgique prendra les mesures nécessaires, dans les meilleurs délais et au plus tard dans les trois mois, soit pour mettre fin à l'aide en cause, soit pour en modifier la base juridique, afin que cette aide soit accordée au titre et dans les conditions de l'article 4 du règlement n° 1107-70 ;
4. Que, le Royaume de Belgique ne s'étant pas conformé à cette décision, la Commission a saisi la Cour de justice du présent recours, en application de l'article 93, paragraphe 2, alinéa 2, du traité ;
Sur la recevabilité
5. Attendu que le Royaume de Belgique excipe de l'irrecevabilité du recours, au motif qu'il ne trouverait pas de base légale dans l'article 93, paragraphe 2, alinéa 2, du traité ;
6. Qu'à l'appui de cette exception, il soutient que les compensations dont il est question tant à l'article 3, paragraphe 2, qu'à l'article 4 du règlement n° 1107-70, constituant des aides au sens de l'article 77 du traité, sont sous traités, en vertu de cette disposition, au champ d'application de l'article 92 du traité, ou il est expressément précisé, au paragraphe 1, qu'il s'applique " sauf dérogations prévues par le présent traité ";
7. Que l'intervention en l'espèce de la Commission ne pouvant donc pas se justifier dans le cadre de l'article 92 du traité, l'article 93 ne saurait fournir aucune base juridique valable au présent recours ;
8. Attendu que, même si dans son mémoire en défense le Gouvernement belge a présenté cette exception comme " une simple remarque " faite non " en guise de moyen de défense mais uniquement afin de mieux cerner les problèmes du fond ", il y a lieu cependant d'en examiner le bien-fondé ;
9. Attendu que, par cette exception, le Royaume de Belgique fait substantiellement valoir l'existence d'un vice d'incompétence dont la décision du 4 mai 1976 de la Commission serait affectée, vice qui, relevant de ceux visés à l'article 173 du traité, ne peut, pour les raisons ci-dessous exposées, être examiné dans le cadre de la présente procédure ;
10. Qu'au surplus, l'application de l'article 77 du traité, qui admet la compatibilité avec le traité d'aides aux transports seulement dans des cas bien déterminés et ne portant pas préjudice aux intérêts généraux de la Communauté, ne peut avoir pour effet de soustraire les aides aux transports au régime général du traité concernant les aides accordées par les états et aux contrôles et procédures y prévus ;
11. Qu'en ce sens, le règlement n° 1107-70, énumérant à l'article 3, paragraphe 1 - non modifié par ledit règlement n° 1473-75 - les cas et conditions dans lesquels une aide accordée au titre de l'article 77 du traité peut se justifier, en vertu de cette disposition, précise, à son article 2, que " les articles 92 à 94 du traité sont appliqués aux aides accordées dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable ";
12. Que l'intervention en l'espèce de la Commission ayant été motivée par la constatation que l'aide en question relève de l'interdiction de l'article 92 du traité, le recours formé à la suite de cette intervention trouve sa base légale dans l'article 93, paragraphe 2, alinéa 2, du traité ;
Que, des lors, l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Royaume de Belgique n'est pas fondée ;
Sur le fond
13. Attendu que le Royaume de Belgique fait essentiellement valoir que l'ouverture d'une procédure sur la base de l'article 93 du traité, à l'encontre de l'aide litigieuse, est d'autant moins justifiée en l'espèce que la Commission n'a pas établi que cette aide réunit les conditions d'incompatibilité énoncées à l'article 92, paragraphe 1 ;
14. Qu'ainsi, le Royaume de Belgique conteste le bien-fondé du présent recours en remettant en cause la légalité de la décision du 4 mai 1976, par laquelle la Commission a constaté l'incompatibilité avec le Marché commun de l'aide en question ;
15. Que la Commission soutient que le Gouvernement belge, n'ayant pas introduit un recours en annulation contre ladite décision dans le délai de deux mois prévu par l'article 173, alinéa 3, du traité, est désormais forclos pour en contester la légalité dans le cadre de la présente procédure ;
16. Attendu que l'article 93 du traité, conférant à la Commission le pouvoir nécessaire pour veiller à l'application et au respect des principes de l'article 92, établit, au paragraphe 2, une procédure particulière permettant à cette institution de se prononcer, en dehors du cas exceptionnel et particulier vise à l'alinéa 3 de cette disposition, sur la compatibilité avec le traité tant des aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat que, en vertu du paragraphe 3, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides, et d'en décider éventuellement la suppression ou la modification ;
17. Qu'à ces fins, l'alinéa 2 du paragraphe 2 dispose que si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide n'est pas compatible avec le Marché commun, aux termes de l'article 92, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, " elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine ".
18. Attendu qu'une telle décision est, aux termes de l'article 189, alinéa 4, du traité, " obligatoire en tous ses éléments pour les destinataires qu'elle désigne ";
19. Que, dans la mesure ou l'Etat membre destinataire estime ne pas pouvoir se conformer à cette décision, parce que juridiquement mal fondée, il peut en contester la légalité en se prévalant des voies de recours qui lui sont ouvertes par l'article 173 du traité, dans les conditions fixées par cette disposition ;
20. Que, compte tenu de ce que les délais de recours visent à sauvegarder la sécurité juridique, en évitant la remise en cause indéfinie des actes communautaires entraînant des effets de droit, il est exclu que l'Etat membre, qui a laissé s'écouler le délai péremptoire prévu à l'article 173, alinéa 3, sans contester, par la voie ouverte par cet article, la légalité de la décision de la Commission qui lui est adressée, puisse remettre en cause celle-ci par le biais de l'article 184 du traité, à l'occasion d'un recours formé par la Commission sur la base de l'article 93, paragraphe 2, alinéa 2, du traité ;
21. Que, d'une part, l'exception prévue à l'article 184 du traité est limitée, aux termes de cette disposition, aux litiges " mettant en cause un règlement du Conseil ou de la Commission " et ne saurait être invoquée en aucun cas par l'Etat membre qui a été destinataire d'une décision individuelle ;
22. Que, d'autre part, il ressort du texte de l'article 93, paragraphe 2, alinéa 2, du traité, notamment des termes " par dérogation aux articles 169 et 170 ", que le recours y visé ne peut avoir pour objet que le manquement de l'Etat membre intéressé de se conformer à une décision de la Commission lui imposant de supprimer ou de modifier une aide dans un délai déterminé, alors que, dans les cas des articles 169 et 170, le recours est dirigé contre tout manquement d'un Etat membre à une des obligations qui lui incombent en vertu du traité ;
23. Que, dans ces conditions, permettre à l'Etat membre destinataire d'une décision prise en vertu de l'article 93, paragraphe 2, alinéa 1, de remettre en cause la validité de celle-ci, à l'occasion du recours visé à l'alinéa 2 de cette même disposition, nonobstant l'expiration du délai prévu à l'article 173, alinéa 3, du traité, serait inconciliable avec les principes régissant les voies de recours instituées par le traité, et porterait atteinte à la stabilité de ce système ainsi qu'au principe de la sécurité juridique dont celui-ci s'inspire ;
24. Que, s'il est vrai que la validité d'un acte communautaire peut cependant être mise en cause, nonobstant l'expiration de délai fixé à l'article 173, alinéa 3, par le biais de la procédure à titre préjudiciel dont il est question à l'article 177 du traité, il n'en demeure pas moins qu'une telle procédure, prévue pour tous les actes des institutions et répondant uniquement aux besoins des juridictions nationales, obéit à des finalités et à des règles différentes de celles qui président aux recours visés à l'article 173 du traité, et ne saurait justifier une dérogation au principe de la forclusion découlant de l'expiration des délais de recours sans, par la même, vider l'article 173 de sa signification juridique ;
25. Attendu qu'en l'espèce le Royaume de Belgique ne conteste pas qu'il ne c'est pas conformé à la décision de la Commission du 4 mai 1976 ;
26. Que, des lors, le Royaume de Belgique a manqué à l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 93 combiné avec l'article 189 du traité ;
27. Que le pressent recours est donc fondé ;
Sur les dépens
28. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;
29. Que la partie défenderesse a succombé en ses moyens ;
LA COUR,
Déclare et arrête :
1) le Royaume de Belgique, en ne s'étant pas conformé à la décision de la Commission du 4 mai 1976 relative à l'aide du Gouvernement belge à la société nationale des chemins de fer belges (SNCB) pour les tarifs directs internationaux ferroviaires de charbon et d'acier, dans les délais impartis par celle-ci, a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu du traité.
2) le Royaume de Belgique est condamné aux dépens de l'instance.