CJCE, 2 février 1989, n° 94-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Joliet, O'higgins
Avocat général :
M. Darmon.
Juges :
Sir Gordon Slynn, MM. Mancini, Schockweiler, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias, Zuleeg
LA COUR,
Par requête déposée au greffe de la Cour le 1er avril 1987, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant a faire constater que la République fédérale d'Allemagne, en ne se conformant pas à la décision 86-60 de la Commission, du 14 décembre 1985, relative à l'aide accordée par le land de rheinland-pfalz à un producteur d'aluminium de première fusion établi à Ludwigshafen (JO 1986, l 72, p. 30), a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.
Aux termes de l'article 1er de cette décision :
"l'aide, d'un montant de 8 millions de DM allemands, accordée en 1983 et en 1984 par le land de rheinland-pfalz, sous forme de subventions, à un producteur d'aluminium de première fusion établi à Ludwigshafen, est illicite, ayant été octroyée en violation des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté économique européenne. Elle est de surcroît incompatible avec le Marché commun au sens de l'article 92 dudit traité. En conséquence, l'aide sera retirée par voie de restitution."
En ce qui concerne les antécédents du litige, le déroulement de la procédure et les moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Il est constant que ni le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, ni l'entreprise bénéficiaire de l'aide n'ont introduit de recours en annulation de la décision en cause, en vertu de l'article 173 du traité.
Il est constant également qu'aucune mesure n'a été prise par la République fédérale d'Allemagne en vue d'obtenir la restitution de l'aide.
Le gouvernement défendeur fait valoir toutefois que la possibilité de récupérer l'aide se heurterait au principe de la confiance légitime, qui a trouvé notamment son expression dans l'article 48 du verwaltungsverfahrensgesetz (loi sur la procédure administrative) du land de rheinland-pfalz, applicable en l'espèce. Il soutient que le caractère définitif et obligatoire de la décision de la Commission ne s'étend pas à l'obligation de récupérer le montant de l'aide en question. A cet égard, l'article 1er de la décision devrait être interprété comme un simple rappel du principe selon lequel les aides illégales doivent être récupérées sous réserve des principes du droit interne, qui serait le droit applicable à la restitution. Au cas où la décision devrait être interprétée comme imposant la récupération de l'aide, le gouvernement défendeur fait valoir que l'exécution de cette obligation serait juridiquement impossible, compte tenu du principe de la confiance légitime mentionné ci-dessus.
Il convient de rejeter d'emblée l'interprétation de l'article 1er de la décision, invoquée par le gouvernement défendeur. En effet, l'obligation de récupération de l'aide est énoncée de façon inconditionnelle en termes dépourvus de toute ambiguïté non seulement dans la disposition précitée, mais également dans la motivation de la décision.
Par conséquent, l'obligation de récupération de l'aide imposée par la décision à un caractère définitif. Il résulte de la jurisprudence de la Cour, et notamment de l'arrêt du 15 janvier 1986 (Commission/Belgique, 52-84, Rec. p. 89) que, dans ces circonstances, le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué contre le recours en manquement est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision.
A cet égard, il convient de rappeler que, dans l'arrêt du 15 janvier 1986, précité, la Cour a souligné que le fait, pour l'Etat membre destinataire, de ne pouvoir soulever, contre un recours comme celui de l'espèce, d'autres moyens que l'existence d'une impossibilité d'exécution absolue, n'empêche pas qu'un Etat membre qui, lors de l'exécution d'une telle décision, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience des conséquences non envisagées par la Commission, soumette ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l'Etat membre doivent, en vertu de la règle imposant aux Etats membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l'article 5 du traité, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité, et notamment de celles relatives aux aides.
En l'espèce, le gouvernement défendeur s'est borne à faire part à la Commission des difficultés politiques et juridiques que présentait la mise en œuvre de la décision, sans entreprendre quelque démarche que ce soit auprès de l'entreprise en cause aux fins de la récupération de l'aide et sans proposer à la Commission des modalités de mise en œuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés en question.
Dans ces circonstances, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les arguments tirés par la partie défenderesse de l'applicabilité des règles de procédure nationales à la récupération des aides, force est de constater que le gouvernement défendeur n'est pas fondé à alléguer une impossibilité absolue d'exécuter la décision de la Commission.
Il convient d'ajouter que, dans la mesure ou la procédure prévue par le droit national est applicable à la récupération d'une aide illégale, les dispositions pertinentes du droit national doivent être appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible la récupération exigée par le droit communautaire et en prenant pleinement en considération l'intérêt de la communauté lors de l'application d'une disposition qui, comme celle invoquée par le gouvernement défendeur, soumet le retrait d'un acte administratif irrégulier à l'appréciation des différents intérêts en cause (voir, a cet égard, l'arrêt du 21 septembre 1983, deutsche Milchkontor, 205 a 215-82, rec. P. 2633 ).
Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de constater le manquement dans les termes résultant des conclusions de la Commission.
Sur les dépens
Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête :
1) en ne se conformant pas à la décision 86-60 de la Commission, du 14 décembre 1985, relative à l'aide accordée par le land rheinland-pfalz à un producteur d'aluminium de première fusion établi à Ludwigshafen (JO 1986, L 72, p. 30), la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.
2) la République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.