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Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 27 juin 2002, n° 2001-09652

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Libération (SARL), July, Douhaire

Défendeur :

Comité interprofessionnel du vin de champagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grellier

Conseillers :

Mmes Brongniart, Chaubon

Avoués :

Me Huyghe, SCP Hardouin, Avocats : Mes Escande, Levy.

TGI Paris, 1re ch., du 23 avr. 2001

23 avril 2001

Estimant avoir été victime d'un dénigrement, à la suite de la publication, dans le journal quotidien " Libération " d'un article de Samuel Douhaire, intitulé "Gueule de bois au champagne" , le Tribunal de grande instance de Paris a fait droit à la demande du CIVC - Comité interprofessionnel du vin de champagne - en condamnant solidairement M. Samuel Douhaire, la SARL Libération et M. Serge July, directeur de publication, à lui payer outre une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et à la publication d'un communiqué faisant état de cette condamnation;

Appelants, M. Serge July, directeur de publication, M. Samuel Douhaire, la SARL Libération concluent à l'infirmation du jugement et au rejet du CIVC de ses demandes, outre 2 286,74 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Le CIVC - Comité interprofessionnel du vin de champagne - conclut pour sa part à la confirmation du jugement sauf à y ajouter la condamnation solidaire des appelants à lui payer la somme de 15 244,90 euro à titre de dommages-intérêts ; il demande de plus leur condamnation sous la même solidarité à lui payer la somme de 6 097,96 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur quoi,

Se référant pour un plus ample exposé des faits, des moyens et prétentions des parties à la décision entreprise et aux dernières conclusions échangées en appel ;

Considérant que le journal "Libération" en page 44 de son édition des samedi 18 et dimanche 19 décembre 1999 a publié dans sa page "Guide Télévision Week-end" la critique d'un documentaire diffusé sur la chaîne "Arte", le dimanche 19 décembre à 22 h 15 intitulé "Les petites bulles du Diable"; que l'article sous titré "Gueule de bois au Champagne" un document compact sur le plaisir des bulles - A consommer avec modération", contient notamment les phrases suivantes "Le documentaire laisse entendre que tout le champagne n'est produit qu'à partir de raisins locaux. Or cela fait belle lurette que les vignerons de Côte d'Or, entre autres, fournissent à prix d'or leurs collègues champenois en Pinot noir et ou en Chardonnay. Pas un mot non plus sur les pratiques commerciales limites [de certaines grandes maisons] qui, en période de forte demande, commercialisent sous leur étiquette des bouteilles de qualité aléatoire achetées à des petits producteurs";

Considérant que pour solliciter l'infirmation du jugement, qui a retenu pour fondée l'analyse du CIVC selon laquelle de tels propos portent atteinte à la renommée de l'appellation d'origine contrôlée "champagne" et dès lors constituent une diffamation fautive gravement dénigrante par son inexactitude absolue en invitant les lecteurs à douter de la fiabilité de l'AOC Champagne, les appelants font valoir que le CIVC se prévaut d'une atteinte portée à la considération de l'ensemble des groupements de base adhérents au CIVC et à l'appellation d'origine "Champagne" ; qu'il s'agit bien là d'une atteinte à l'honneur et à la considération telle que prévue et définie par l'article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 et non d'un dénigrement fautif tel que prévu par l'article 1382 du Code civil; qu'ils font encore grief aux premiers juges d'avoir retenu une faute ayant consisté à proférer une accusation de fraude et de tromperie qui tend à discréditer l'ensemble de la profession des producteurs concernés, alors que l'accusation de fraude n'est pas assimilable à un dénigrement du vin de champagne;

Considérant que les appelants, observent encore, au soutien de leur action que l'article en cause s'inscrit dans l'exercice d'un droit de critique à l'égard du vin de champagne, sans porter atteinte aux qualités des producteurs de vin ; que M. Douhaire s'est contenté de critiquer leurs actes, comme l'admet la jurisprudence ; qu'enfin, le plaignant ne démontre en aucun cas l'étendue de la matérialité du dommage que les professionnels du champagne prétendent avoir subi;

Considérant que le CIVC persiste à faire valoir que l'article de M. Douhaire laisse croire aux lecteurs que les raisins servant à l'élaboration du vin de champagne sont notamment produits en Côte d'Or sur des cépages de Pinot noir ou de Chardonnay, puis sont livrés aux vignerons champenois et aux maisons de champagne qui les utiliseraient ainsi frauduleusement ; que ces allégations constituent de la part de M. Douhaire des actes de dénigrement qui portent atteinte à l'appellation d'origine champagne ; qu'il s'agit bien d'un dénigrement d'un produit, exclusif de toute diffamation;

Considérant que les propos litigieux imputent aux vignerons de champagne, pourtant soumis à un régime juridique strictement défini, d'être fournis en raisins provenant de Côte d'Or, département situé en dehors de l'aire géographique de l'appellation d'origine "Champagne";

Considérant que si le texte publié par le journal "Libération" peut ainsi être le siège d'un dénigrement du produit "Champagne" il s'analyse principalement et essentiellement en l'affirmation d'une tromperie à laquelle les vignerons producteurs de "Champagne" participent;

Considérant qu'une telle allégation de tromperie susceptible d'un débat et d'une preuve constitue l'imputation d'un fait portant atteinte à l'honneur et à la considération des vignerons de champagne comme l'exposent les appelants ;qu'il s'agit là d'une diffamation prévue exclusivement par la loi sur la presse;

Orconsidérant que les abus de la liberté d'expression, prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, seul invoqué en la cause par le CIVC pourtant légalement et statutairement habile à agir sur le fondement spécifique de la loi sur la presse exclusif du régime général de responsabilité civile de droit commun;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement sera infirmé et la CIVC déboutée de son action;

Considérant qu'il sera statué sur la demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dans la mesure énumérée au dispositif;

Par ces motifs, Infirme le jugement, Déboute le CIVC - Comité interprofessionnel du vin de champagne - de ses demandes ; Condamne le CIVC - Comité interprofessionnel du vin de champagne - à payer à M. Samuel Douhaire, la SARL Libération et M. Serge July, directeur de publication, la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne le CIVC - Comité interprofessionnel du vin de champagne - aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.