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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 23 septembre 1999, n° 98-04897

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Madonna (ès qual.), Drôme Bureau (SA)

Défendeur :

Ronéo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beraudo

Conseillers :

Mme Landraud, M. Baumet

Avoués :

SELARL Dauphin & Neyret, SCP Grimaud

Avocats :

Mes Tumerelle, Blattes, Matteoli.

T. com. Romans, du 30 sept. 1998

30 septembre 1998

Sur ce :

I.- Responsabilité de Ronéo envers les créanciers de Drôme Bureau :

Attendu que, parmi plusieurs personnes responsables de la poursuite d'activité d'une entreprise en état de cessation des paiements, le représentant des créanciers est maître du choix d'agir dans les conditions qui lui semblent les plus opportunes et efficaces ; Que l'absence d'action contre les dirigeants sur le fondement de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 n'interdit pas l'action du représentant des créanciers, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, contre un partenaire économique à qui il reproche un comportement fautif;

Attendu que, le 22 mai 1992, un contrat de partenariat, conçu et établi par la société Ronéo, a été conclu entre la société Drôme Bureau et la société Ronéo;

Que ce contrat indique que l'activité de Drôme Bureau consiste en totalité dans l'achat et la vente de meubles et d'équipement de bureau ; Qu'il est stipulé que Drôme Bureau devra s'approvisionner pour 75 %, au moins, auprès de la société Ronéo;

Qu'il résulte des pièces du dossier que Drôme Bureau effectuait la presque totalité de ses achats auprès de Ronéo;

Que le contrat de partenariat stipule que Drôme Bureau met à la disposition de Ronéo "les informations relatives aux :

"- liasses fiscales,

"- bilan,

"- compte d'exploitation,

"- gestion".

Attendu que le "crédit manager" de la société Ronéo a commandé un audit financier de la société Drôme Bureau, en janvier 1993 ; Que cet audit financier qui conclut à une probabilité de défaillance de 80 % mentionne, entre autres, que l'entreprise "doit résoudre d'importants problèmes de solvabilité", que "le montant des crédit-fournisseurs a augmenté de manière non négligeable", que "le risque liquidatif est plus élevé qu'à l'issue de l'exercice précédent" et que "l'entreprise est en proie à l'importantes difficultés qui font qu'elle n'est pas rentable".

Attendu qu'après cet audit, la société Ronéo a fait signer par la société Drôme Bureau, le 15 mars 1993, un protocole d'accord dont les termes visaient à organiser l'apurement de sa créance :

" Préalablement à l'objet des présentes, il a été rappelé ce qui suit :

* La société Drôme Bureau est redevable à la société Ergam Ronéo de factures représentant un total de 1 113 902,83 F (un million cent treize mille neuf cent deux francs quatre-vingt trois cts)

Ceci étant rappelé, il a été décidé ce qui suit :

Article 1

La société Drôme Bureau s'engage à procéder au règlement de la somme de 213 902,83 F (deux cent treize mille neuf cent deux francs quatre vingt trois cts) par chèque bancaire au plus tard le 15 mai 1993.

La société Drôme Bureau s'engage à procéder au règlement de la somme de 900 000 F (neuf cent mille francs) en 36 mensualités successives de 25 000 F (vingt cinq mille francs) chacune.

La première mensualité interviendra en avril 1993 et la dernière en mars 1996.

Ces règlements seront effectués le 15 de chaque mois par prélèvement bancaire.

Article 2

Il est expressément convenu que, pendant le cours de l'échéancier prévu à l'article 1, toutes les commandes émanant de la société Drôme Bureau seront payables à réception de facture sous déduction d'un escompte de 4 %.

Article 3

L'encours permanent accordé par la société Ergam Ronéo, dans le cadre du respect des règlements prévus aux articles 1 et 2, à la société Drôme Bureau est de 150 000 F (cent cinquante mille francs).

Que, dans une lettre du 25 janvier 1994, le dirigeant de la société Drôme Bureau a recensé les paiements faits en exécution du protocole :

" Vous déclarez que les "nombreux engagements que nous avons pris" n'ont jamais été tenus : Nous ne comprenons pas à quoi vous vous référez poux alléguer de semblables contrevérités. A l'inverse de vos déclarations mensongères nous sommes en mesure de vous apporter la preuve que nos règlements, depuis la reprise par nous mêmes de la société Drôme Bureau, s'élèvent à la somme de 939 385,60 F, constituée telle que suit :

- le 09/04/93 : 43 912,70 F

- le 30/05/93 : 104 419,04 F

- le 16/06/93 : 24 246,28 F

- le 01/07/93 : 88 862,63 F

- le 08/07/93 : 44 881,78 F

- le 15/07/93 : 63 657,94 F

- le 13/09/93 : 51 816 F

- le 23/09/93 : 67 845,63 F

- le 27/09/93 : 100 350,73 F

- le 28/09/93 : 9 867,48 F

- le 05/10/93 : 110 350,73 F

- le 23/11/93 : 52 473,82 F

- le 23/11/93 : 151 327,35 F

- le 30/11/93 : 25 000 F (correspond à la première échéance du moratoire).

Et vous osez parler d'engagements non tenus ! "

Que ce décompte n'a pas été contredit par la société Ronéo ;

Attendu que le créancier, fournisseur presque exclusif d'une entreprise, qui met en place un échéancier pour le remboursement de sa seule créance puis consent un moratoire à la même fin, prolonge l'activité déficitaire de l'entreprise dont il sait par un audit financier précis et motivé qu'il a lui-même diligenté, qu'elle n'est pas rentable et travaille à perte;

Que cette prolongation d'activité a causé une perte aux autres créanciers, notamment sociaux et fiscaux qui ont été trompés par le crédit consenti, sous forme d'encours, par ce même fournisseur;

Que les agissements de la société Ronéo ont tendu à obtenir un paiement au détriment de la collectivité des créanciers;

Qu'il s'agit donc d'un comportement fautif dont Me Madonna est fondé à demander réparation;

Attendu, sur le préjudice, qu'à la date de l'audit financier, la société Drôme Bureau n'était déjà plus solvable ; Que les créanciers antérieurs au 14 janvier 1993 n'ont donc pas souffert du comportement de la société Ronéo;

Qu'en revanche, les créances nées après cette date n'auraient pas vu le jour si, au vu des conclusions du rapport d'audit, la société Ronéo avait assigné en déclaration de cessation des paiements la société Drôme Bureau;

Que le préjudice causé par la société Drôme Bureau à la collectivité des créanciers est donc constitué par les créances nées après le 15 janvier 1993;

Que l'état des créances produit aux débats n'est pas renseigné sur la date des créances admises;

Qu'il y a lieu d'inviter Me Madonna à informer la cour sur ce point;

II.- Concurrence déloyale :

Attendu qu'il est de fait que Monsieur Perissel, ancien Directeur de Drôme Bureau, signataire au nom de celle-ci du contrat de partenariat du 22 mai 1992, a été recruté ultérieurement par la société Ronéo ;Que celle-ci connaissait donc bien les clients de la société Drôme Bureau;

Qu'en outre, la société Ronéo a fait connaître à Me Sapin, par lettre du 8 mars 1994, son intention de vendre directement à une quarantaine de clients de Drôme Bureau"si Drôme Bureau n'entend pas les travailler en offres actives exclusives de mobilier Ronéo" ; Que Me Sapin n'a pas eu le temps de transmettre la réponse de Drôme Bureau à la lettre de Ronéo que Drôme Bureau recevait de la société SPIT, client figurant sur la liste, la lettre suivante :

" Messieurs,

Nous venons de recevoir la commande n° 40063.

Suite à la visite de Messieurs Hauchecorne et de St-Amand de la société Ronéo nous ne voudrions pas que cette commande fasse l'objet d'une deuxième livraison.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs, nos salutations distinguées. "

Et qu'il est de fait que Ronéo a vendu à la Mgen des meubles pour la somme de 17 309 F, montant inférieur aux 300 000 F figurant sur l'accord pour permettre la facturation directe ;Qu'en outre, l'affaire ne saurait être qualifiée "d'importante", autre cas de facturation directe ;

Qu'enfin la notion de transfert de facturation ne se confond pas avec celle de vente ;

Qu'il s'ensuit que la société Ronéo a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Drôme Bureau lorsqu'elle était en redressement judiciaire ;

Que le préjudice souffert par la société Drôme Bureau est égal, selon les usages du commerce, à deux années du profit que retirait la société Drôme Bureau de ses affaires avec les clients que la société Ronéo a déclaré vouloir reprendre dans sa lettre du 8 mars 1994;

Que Me Madonna est invité à conclure sur ce point :

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré; Juge que la société Ronéo a commis des fautes à l'encontre de la collectivité des créanciers en prolongeant, dans son seul intérêt, l'activité déficitaire de la société Drôme Bureau; Juge que la société Ronéo a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Drôme Bureau, en redressement judiciaire, en vendant directement à des clients de cette société; Invite Me Madonna à produire les pièces nécessaires au calcul du préjudice subi par les créanciers et la société Drôme Bureau, ainsi qu'il est indiqué au dispositif; Fixe l'affaire à cette fin à l'audience de mise en état de la chambre commerciale du : jeudi 4 novembre 1999 à 14 heures 30; Réserve les frais irrépétibles et les dépens.