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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 23 octobre 2002, n° 2001-01841

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fiat Auto France (SA)

Défendeur :

Crozat (ès qual.), Aube Automobiles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Chevillier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Schrimpf, Guillin Valérie

T. com. Troyes, du 10 juin 1996

10 juin 1996

Par suite de la fusion-absorption de la société Alfa Roméo France par la société Fiat Auto France, un nouveau contrat de vente de véhicules automobiles et de pièces de rechange "Alfa Roméo" a été conclu le 2 janvier 1992 entre la société Fiat Auto France, distributeur de la marque, et la société Aube Automobiles implantée à Troyes et déjà concessionnaire de cette marque par contrat signé le 1er juin 1989 avec la société Alfa Roméo France.

Le 29 juillet 1992 la société Fiat Auto France invoquant des manquements graves à l'exécution du contrat notamment des impayés, a par application de l'article 7-2 de ce contrat notifié à la société Aube Automobiles sa résiliation immédiate à ses "torts et griefs".

Estimant que la société Alfa Roméo France puis la société Fiat Auto France avaient à l'occasion des relations entretenues avec la société Aube Automobiles commis des fautes causant un préjudice aux créanciers, Maître Crozat a en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Aube Automobiles assigné la société Fiat Auto France devant le Tribunal de commerce de Troyes qui par jugement du 10 juin 1996 a:

- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par Fiat,

- dit que la société Fiat a abusivement résilié le contrat de concession et soutenu l'activité de son concessionnaire,

- condamné en conséquence cette société à verser à Maître Crozat en sa qualité de représentant des créanciers à titre de dommages et intérêts et après compensation avec sa créance sur Aube Automobiles la somme de 1 million de francs,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Fiat Auto France à payer la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par arrêt du 10 mars 1991 la Cour d'appel de Reims visant la clause attributive de compétence au profit du Tribunal de commerce de Paris prévue à l'article 10 du contrat de concession a:

- "infirmé" le jugement déféré,

- renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Paris.

La société Fiat Auto France prie la cour vu notamment l'article 1134 du Code civil de:

- dire Maître Crozat "ès qualités" de mandataire liquidateur de la société Aube Automobiles irrecevable et mal fondé en ses demandes et l'en débouter,

- confirmer subsidiairement le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la compensation, à due concurrence, entre la créance d'un montant de 1 756 507,65 F soit 267 777,86 euro et toute dette qui pourrait être mise à sa charge au profit de Maître Crozat,

- condamner en tout état de cause Maître Crozat à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

Maître Crozat en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Aube Automobiles demande à la cour vu les dispositions de l'article 1382 du Code civil de:

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société Fiat Auto France avait abusivement résilié le contrat de concession et soutenu l'activité du concessionnaire et condamner la société Fiat à lui payer à ce titre la somme de 422 284 euro,

- le réformer en ce qu'il a prononcé la compensation entre sa créance de dommages et intérêts et la créance de la société Fiat Auto France produite au passif de la société Aube Automobiles et condamner l'appelante à lui payer à titre de complément de dommages et intérêts une somme équivalente à la valeur du fonds de commerce de la concession, estimée à dire d'expert sur la base de la valeur qui était la sienne avant "les agissements prédateurs du concédant"

- condamner subsidiairement la société Fiat Automobiles France au cas où la cour ne retiendrait pas la résiliation abusive, à lui payer la somme de 2 198 213 F (soit 335 115,40 euro) à titre de dommages et intérêts, somme équivalente au montant total des créances déclarées au passif de la société Aube Automobiles,

- condamner en toute hypothèse la société Fiat Automobiles France à lui payer la somme de 50 000 F (soit 7 625 euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Cela était exposé

I) Sur la recevabilité des demandes formées par Maître Crozat

Considérant que pour soutenir l'irrecevabilité des demandes de la partie adverse la société Fiat Automobiles France fait valoir que Maître Crozat invoque cumulativement et sur la base d'une unicité de faits les responsabilités contractuelles et délictuelles;

Mais considérant que Maître Crozat réplique à bon droit que liquidateur judiciaire de la société Aube Automobiles, il trouve dans les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi en vue de la défense de l'intérêt collectif des créanciers (articles 148-3 et 148-4 de la loi du 25 janvier 1985) qualité pour exercer une action en dommages et intérêts contre toute personne coupable d'avoir contribué, par ses agissements fautifs à la diminution de l'actif ou à l'aggravation du passif;

Que le liquidateur judiciaire agissant dans l'intérêt exclusif des créanciers, son action ne peut donc avoir qu'un fondement délictuel, que la responsabilité de la société Fiat Automobiles France soit éventuellement engagée au titre des deux fautes alléguées et commises successivement à savoir le soutien abusif puis la résiliation abusive ou au seul titre du soutien abusif;

Que les demandes formées par Maître Crozat seront donc déclarées recevables;

II) Sur le fond

Considérant que Maître Crozat fait grief à la société Fiat Automobiles France:

- d'avoir soutenu l'activité de la société Aube Automobiles, en pleine connaissance de la dégradation de sa situation financière,

- d'avoir en juillet 1992 abusivement résilié le contrat de concession en se prévalant de difficultés auxquelles elle avait directement contribué pour avoir :

1) dissimulé aux concessionnaires l'importance de la restructuration engagée au sein de son groupe et les conséquences financières négatives en découlant notamment en matière de prime et avoir néanmoins fait signer à la société Aube Automobiles un nouveau contrat de concession sans respecter les dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989,

2) délibérément compromis la nécessaire restructuration financière de la société Aube Automobiles l'exposant inéluctablement aux difficultés survenues en juillet 1992,

Que la société Fiat Automobiles France réplique:

- en premier lieu que le crédit qui a été accordé n'est pas artificiel dès lors qu'il a été utilisé par le concessionnaire pour les besoins de son activité et non pour préserver sa propre dette qui au contraire s'est accrue, que Maître Crozat ne démontre pas qu'elle ait eu connaissance de l'état de cessation des paiements du concessionnaire, ni que les aides accordées à ce dernier par les deux concédants successifs aient été la cause exclusive d'engagements pris par des tiers et non tenus par la société Aube Automobiles enfin que ce sont les manquements contractuels de la société Aube Automobiles notamment le non-renouvellement de la caution bancaire qui ont entraîné une modification des relations et non les difficultés rencontrées par le concessionnaire en elles-mêmes,

- en second lieu que Maître Crozat ne prouve pas qu'il a commis des fautes en résiliant le contrat dans la mesure où les concessionnaires avaient eu connaissance de la fusion-absorption qui n'a pas entraîné de modification du contrat ni du régime des primes, où elle ne saurait être tenue pour responsable de la baisse affectant les ventes des véhicules Alfa Roméo ni de celle des primes de la société Aube Automobiles, où le nouveau contrat de concession n'a pas modifié les éléments déterminants du premier ce qui équivaut à un renouvellement de contrat la dispensant donc de fournir les informations précontractuelles prévues à la loi Doubin, où elle a dû obtenir une caution hypothécaire en raison de l'impossibilité pour la société concessionnaire de lui remettre une garantie/caution bancaire conforme aux stipulations contractuelles, où enfin elle a dû résilier le contrat sans préavis par application de l'article 7-2, la société Aube Automobiles ayant cesse depuis plus d'un an de procéder au paiement à l'échéance des sommes dues et ses dettes s'étant accrues malgré les mesures mises en place ;

Considérant qu'en ouvrant les 5 septembre 1991 et 8 avril 1992 à la société Aube Automobiles un crédit d'un montant respectif de 600 000 et 400 000 F garanti par une hypothèque de premier rang consentie sur leur bien immobilier par Monsieur Bouchereau gérant de cette société et son épouse, et en procédant le 29 novembre 1991 au rachat d'une partie du stock de pièces de rechange à hauteur de 300 000 F pour le refacturer et se le faire payer par dix traites mensuelles de 30 000 F tout en mettant à disposition de son concessionnaire cinq véhicules neufs en dépôt-vente et en revoyant à la baisse les objectifs donnant lieu à versement de primes, le concédant a eu pour seul objectif la poursuite de l'activité de l'entreprise au moindre risque pour lui alors qu'il savait qu'il ne pourrait pas pour autant en assurer la pérennité;

Qu'en effet il avait eu connaissance depuis au moins le 15 mars 1991 de la nécessité dans laquelle se trouvait la société Aube Automobiles pour tenter de rétablir une situation financière qui s'aggravait, d'obtenir un prêt d'environ 500 000 F destiné à financer la perte de ses exercices et à "renforcer ses fonds propres" (courriers des 15 mars, 19 juin, 29 août et 14 septembre 1991) ainsi que de l'impossibilité pour elle de l'obtenir sauf à ce qu'il lui consente lui même - il avait sérieusement envisagé l'octroi d'un "prêt de restructuration (courriers des 19 juin et 21 novembre 1991) - ou prenne divers engagements envers la BNP seule banque susceptible d'en accorder un (courriers des 29 août et 14 septembre 1991);

Qu'en dépit de ces impératifs, de ses promesses et des relances insistantes de son concessionnaire (courriers des 14 septembre et 21 novembre 1991), il n'a délibérément accompli aucune diligence pour favoriser l'obtention du prêt rendant ainsi inéluctable la cessation de paiement qui a été fixée au 1er juillet 1991 par jugement du Tribunal de commerce de Troyes prononcé le 3 janvier 1994 ;

Que Maître Crozat est donc bien fondé à faire valoir que la société Fiat Auto France a fautivement soutenu l'activité de la société Aube Automobiles;

Mais considérant qu'en absence de désignation des créanciers et d'éléments chiffrés sur l'état des créances au 1er juillet 1991 ainsi que de leur évolution entre cette date et le 24 mars 1994 date à laquelle il a dressé l'état des créances privilégiées et chirographaires échues, Maître Crozat ne démontre pas que les aides octroyées par le concédant aient incité les créanciers à poursuivre leurs relations avec la société Aube Automobiles et leur aient porté préjudice, observation étant faite que le montant global des créances était au 24 mars 1994 de 2 193 804,02 F dont 80 % représentant la créance de la société Fiat Automobile et le surplus pour l'essentiel, celles de la trésorerie principale, de l'URSSAF, des ASSEDIC, de la recette des impôts, de France Télécom et d'EDF-GDF dont le montant établit qu'il s'agissait des dettes courantes et non accumulées ;

Que Maître Crozat sera débouté de ses demandes au titre du soutien abusif;

Considérant que la société Aube Automobiles a conclu le 2 janvier 1992 un "contrat de concession de vente" avec la société Fiat Auto France (venant aux droits de la société Alfa Roméo) qui l'a résilié le 29 juillet 1992 par application de son article 7-2 stipulant que le concédant peut résilier à tout moment le contrat de plein droit sans être tenu à une indemnité ce, au cas où notamment le concessionnaire n'a pas procédé au paiement à l'échéance d'une somme qui lui est due;

Qu'à la date de la signature de ce contrat la société Aube Automobiles avait connaissance de la fusion des sociétés Alfa Roméo France et Fiat Auto France - par circulaire du 3 décembre 1991, le concédant faisant référence à une réunion du 28 novembre 1991 en avait alors officiellement informé ses concessionnaire - de plus le traité de fusion soumis aux formalités de publicité est du 28 octobre 1991 et a été déposé au greffe du tribunal de commerce accompagné des comptes de l'exercice 1990 notamment de Fiat Auto France faisant apparaître de mauvais résultats financiers ;

Que préalablement à la conclusion de ce contrat la société Aube Automobiles était membre du réseau distribuant les véhicules Alfa Roméo depuis plus de deux ans et demi par l'effet du contrat conclu le 1er juin 1989,que les modifications intervenues dans le second contrat sont purement formelles - elles tiennent compte de la modification juridique ayant affecté les sociétés absorbante et absorbée, les éléments déterminants tels l'objet, les conditions d'exclusivité consenties et le territoire concédé demeurant inchangés, étant de plus observé qu'il n'est pas fait état des primes dans l'un ou l'autre contrat - qu'il s'ensuit que le concessionnaire avant le 2 janvier 1992 avait connaissance des informations dont la communication est imposée par la "loi Doubin", a décidé compte tenu de ces éléments de conclure ce contrat et n'a donc subi aucun préjudice né d'un défaut d'information;

Que Maître Crozat ne démontre pas que la politique commerciale qu'a dû légitimement mettre en œuvre la société Fiat Auto France par suite de l'absorption des sociétés Alfa Roméo et Lancia a fait obstacle à l'exécution par elle de ses obligations découlant du contrat du 2 janvier 1992 et entraîné une modification préjudiciable des obligations de son concédant, ce d'autant que pour justifier l'aggravation de la situation de ce dernier notamment par une baisse substantielle des primes, il produit un document établi unilatéralement par la société Aube Automobiles dont les données sont contestées par la société Fiat Automobiles France, qu'à cette époque le secteur automobile, cette société ainsi que la marque Alfa Roméo subissaient une baisse sensible d'activité, que la société Aube Automobiles n'a jamais contesté le montant des primes qui lui étaient alloué, enfin que suivant le compte rendu de la réunion des concessionnaires en date du 13 février 1992 un rattrapage de celles-ci avait été prévu ;

Que par ailleurs c'est sous le régime du premier contrat que la société Aube Automobiles a commencé à présenter de graves difficultés financières et avant les aides contestées accordées par le concédant que la date de cessation des paiements a été fixée ;

Que Maître Crozat ne rapporte en conséquence pas la preuve d'une conclusion et exécution par la société Fiat Automobiles de mauvaise foi du contrat du 2 janvier 1992 ni de la mauvaise foi d'Alfa Roméo dans l'exécution du contrat du 1er janvier 1989 ni de tout autre faute du concédant les unes ou les autres de nature à faire obstacle au jeu de la clause résolutoire ;

Qu'il sera débouté de ses demandes

Considérant enfin que les conditions d'application de l'article 7-2 du contrat étaient réunies à la date de la résiliation, la société Aube Automobiles n'ayant pas réglé diverses factures à leur échéance par suite du retrait par la BNP des concours qu'elle lui avait accordés ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser la société Fiat Automobiles France supporter ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Que Maître Crozat qui succombe sera débouté de sa demande formée à ce titre ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant dans les limites de sa saisine, et réformant le jugement déféré, Déboute de ses demandes Maître Crozat pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Aube Automobiles, Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Maître Crozat pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Aube Automobiles aux dépens de première instance et d'appel, Admet l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.