CJCE, 19 juin 1973, n° 77-72
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Carmine Capolongo
Défendeur :
Azienda Agricole Maya
LA COUR,
1. Attendu que, par ordonnance du 20 novembre 1972, parvenue au greffe de la Cour le 27 novembre 1972, le Pretore de Conegliano a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions tendant à l'interprétation des articles 92, paragraphe 1, 13, paragraphe 2, 30 et 86 du traité ;
2. Qu'il ressort du dossier que la facture litigieuse portant, en explication du poste " contribution ENCC " (Ente Nazionale per la Cellulose e per la Carta), la mention " contribution ENCC appliquée sur la valeur des produits ci-dessus décrits en provenance de l'Allemagne fédérale ", le Pretore a posé ces questions dans la supposition qu'il s'agissait d'une charge pécuniaire prélevée sur des emballages provenant d'un Etat membre à l'occasion de leur importation en Italie ;
3. Qu'il a notamment estimé nécessaire une réponse aux questions de savoir, si la contribution en cause devait être considérée comme une taxe d'effet équivalant à des droits de douane au sens de l'article 13, paragraphe 2, du traité, si l'interdiction de l'octroi d'aides, prévue à l'article 92, paragraphe 1, du traité devait être considérée comme directement applicable, si le fait de percevoir des contributions spéciales sur les produits importés des autres Etats membres était susceptible de constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, interdite par l'article 30 du traité et, enfin, si l'utilisation de ressources provenant d'une contribution à l'importation de produits des autres Etats membres, pour financer l'activité d'un organisme de droit pouvait constituer une violation de l'article 86 du traité ;
Quant aux première et deuxième questions
4. Attendu que, par ces questions, il est demandé si la disposition de l'article 92, paragraphe 1, du traité a un effet direct dans l'ordre juridique interne des Etats membres, de manière à pouvoir être invoquée devant les juridictions nationales ;
5. Attendu qu'aux fins de son interprétation, le premier paragraphe de l'article 92 ne peut pas être pris isolément, mais doit être considéré dans le cadre du système institué par l'ensemble des articles 92 à 94 ;
6. Que si, pour les projets tendant à instituer des aides nouvelles ou à modifier des aides existantes, l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, institue des critères procéduraux que le juge national peut apprécier, il n'en est pas de même des régimes d'aides existantes visés par l'article 93, paragraphe 1 ; qu'en ce qui concerne ces aides, les dispositions du paragraphe 1 de l'article 92 sont destinées à avoir effet dans l'ordre juridique des Etats membres, de manière à pouvoir être invoquées devant les juridictions nationales, si elles ont été concrétisées par les actes de portée générale prévus par l'article 94 ou par les décisions, dans les cas particuliers qu'envisage l'article 93, paragraphe 2 ;
Quant à la troisième question
7. Attendu qu'il est demandé si la perception d'une charge pécuniaire, sur la base d'un pourcentage calculé en fonction de la valeur du produit importé des autres Etats membres, constitue une violation de l'article 13, paragraphe 2, du traité ou d'une autre règle de celui-ci interdisant d'appliquer les impositions spéciales sur les importations en provenance des autres Etats membres ;
8. Attendu qu'à défaut d'informations précises relatives aux objectifs, à la nature et aux modalités de perception de la contribution litigieuse, il y a lieu de préciser que, dans l'exercice des pouvoirs conférés par l'article 177, la Cour, devant se borner à donner une interprétation des dispositions en cause du droit communautaire, ne peut apprécier les actes juridiques et les dispositions de droit national, au risque que la réponse ne corresponde qu'imparfaitement aux particularités de l'espèce ;
9. Attendu que, dans son premier paragraphe, l'article 13 prévoit que les droits de douane à l'importation appliqués entre les Etats membres au moment de l'entree en vigueur du traité sont progressivement supprimés au cours de la période de transition, dans les conditions prévues aux articles 14 et 15 ; que les articles 14 et 15 contiennent les prévisions nécessaires à cette fin, de sorte qu'à l'expiration de la période de transition, tout droit de douane à l'importation entre les Etats membres ait disparu ; que le deuxième paragraphe de l'article 13 constitue le complément du premier paragraphe en édictant que les taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation en vigueur entre les Etats membres sont progressivement supprimées au cours de la période de transition ;
10. Qu'ainsi les dispositions relatives à l'élimination des droits de douane entre les Etats membres, qui constituent la première section du chapitre premier, intitulé " l'Union douanière", tendent à assurer que, dès la fin de la période de transition, l'objectif énoncé à l'article 9 du traité sera réalisé ; que si ces dispositions admettent certains aménagements et tolérances pendant la période de transition, il résulte de leur texte que ces droits et taxes devaient en tout état de cause avoir été entièrement éliminés, au plus tard, au terme de ladite période ;
11. Que l'article 13, paragraphe 2, comporte donc, au plus tard à partir de la fin de la période de transition, en ce qui concerne l'ensemble des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, une interdiction claire et précise de percevoir lesdites taxes qui n'est assortie d'aucune réserve des états de subordonner sa mise en œuvre à un acte positif de droit interne ou à une intervention des institutions de la Communauté ; qu'elle se prête parfaitement, par sa nature même, à produire des effets directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et leurs justiciables ;
12. Attendu que cette interdiction vise toute taxe exigée à l'occasion ou en raison de l'importation et qui, frappant spécifiquement un produit importé à l'exclusion du produit national similaire, a pour résultat, en altérant son prix de revient, d'avoir sur la libre circulation des marchandises la même incidence restrictive qu'un droit de douane ; que même des charges pécuniaires destinées à financer l'activité d'un organisme de droit public peuvent constituer des taxes d'effet équivalent au sens de l'article 13, paragraphe 2, du traité ; que, par contre, ne sont pas à considérer comme des taxes d'effet équivalent les charges pécuniaires relevant d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères ;
13. Attendu que, dans l'interprétation de la notion " taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation", il peut y avoir lieu de tenir compte de la destination des charges pécuniaires perçues ; qu'en effet, lorsqu'une telle charge pécuniaire ou contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement aux produits nationaux imposés, il peut en résulter que la contribution générale prélevée selon les mêmes critères sur le produit importé et le produit national constitue néanmoins pour l'un une charge pécuniaire supplémentaire nette, tandis que pour l'autre elle constitue réellement la contrepartie à des avantages ou aides reçus ;
14. Attendu qu'en conséquence une contribution relevant d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères peut néanmoins constituer une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, lorsque cette contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement au produit national appréhendé ;
Quant aux quatrième et cinquième questions
15. Attendu que ces questions ayant évidemment un caractère complémentaire, les considérations précédentes rendent leur examen superflu ;
16. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement et que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ; la Cour, statuant sur les questions à elle soumises par le Pretore de Conegliano, conformément à l'ordonnance rendue par cette juridiction le 20 novembre 1972, dit pour droit : une contribution relevant d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement les produits nationaux et les produits importés selon les mêmes critères peut néanmoins constituer une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, lorsque cette contribution est exclusivement destinée à alimenter des activités qui profitent spécifiquement au produit national appréhendé.