CJCE, 20 mars 1984, n° 84-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
République fédérale d'Allemagne
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
LA COUR,
1. Par recours introduit le 9 mars 1982, le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a demandé à la Cour :
1) d'annuler, en application de l'article 173, alinéa 1, du traité, l'autorisation, limitée à la durée d'un an, donnée le 18 novembre 1981, par la Commission au Gouvernement du Royaume de Belgique, de mettre en vigueur le plan de restructuration de l'industrie belge du textile et de la confection, soumis à la Commission le 28 juillet 1980, pour violation de l'article 93, paragraphe 3, deuxième phrase, et de l'article 92, paragraphes 1 et 3, lettre c), du traité ;
2) à titre subsidiaire, de constater, en application de l'article 175 du traité, que la Commission a méconnu l'article 92, paragraphes 1 et 3, et l'article 93, paragraphe 3, deuxième phrase, de ce traité, dans la mesure où elle s'est abstenue, d'une part, d'engager la procédure d'examen principal visée à l'article 93, paragraphe 2, d'autre part, de déclarer par une décision formelle le plan belge incompatible avec le Marché commun.
2. Par lettres en date des 28 juillet et 11 août 1980, le Gouvernement belge a communiqué les lignes générales d'un plan de restructuration de l'industrie belge du textile et de la confection. Considérant ce projet d'aides comme notifié au sens de l'article 93, paragraphe 3, du traité, la Commission a, par lettre en date du 15 septembre 1980, demandé au Gouvernement belge de lui fournir des informations supplémentaires dont elle ne disposa qu'au début de l'année 1981.
3. Il ressort du dossier que l'examen préliminaire du projet d'aides en question donna lieu à de nombreux échanges entre la Commission et le Gouvernement belge qui aboutirent à l'élaboration d'un nouveau projet d'aides le 5 août 1981. Par lettre en date du 18 novembre 1981, adressée au Gouvernement belge, la Commission a déclaré ne pas s'opposer à la mise en vigueur pendant un an du plan de restructuration, sous réserve du respect des limites et conditions fixées par elle et acceptées par le Gouvernement belge.
4. Il n'est pas contesté que la décision attaquée a été prise après observations des autres Etats membres, consultés dans le cadre de réunions multilatérales tenues périodiquement et consacrées à l'ensemble des dossiers en suspens. Le Gouvernement fédéral, à cette occasion, a demandé à la Commission de ne pas autoriser la mise en vigueur de ce plan d'aides qui aurait pour seul effet de déplacer les problèmes de l'industrie belge vers l'industrie correspondante des autres Etats membres sur les conclusions principales tendant à l'annulation de la décision de la Commission du 18 novembre 1981.
5. Au soutien de ses conclusions en annulation, le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne invoque deux moyens, à savoir, d'une part, la violation des règles de procédure d'examen des aides posées par les paragraphes 2 et 3 de l'article 93 du traité, d'autre part, l'incompatibilité du plan belge de restructuration avec le Marché commun.
Sur la violation des règles de procédure ;
6. Selon le Gouvernement fédéral, la Commission était tenue d'ouvrir la phase contradictoire de la procédure d'examen des aides visée à l'article 93, paragraphe 2, du traité, et ne pouvait, comme elle l'a fait, s'en tenir à la phase préliminaire d'examen prévue par l'article 93, paragraphe 3.
7. A l'appui de ce moyen, le Gouvernement fédéral fait notamment valoir que les différentes étapes de la phase préliminaire d'examen conduite par la Commission et les termes de sa déclaration du 18 novembre 1981 démontrent que cette institution conservait des doutes quant à la compatibilité du régime d'aides en cause avec le Marché commun. En méconnaissant l'obligation, prévue en ce cas par l'article 93, paragraphe 3, deuxième phrase, du traité, d'engager la phase contradictoire de la procédure visée à l'article 93, paragraphe 2, la Commission a confondu l'objet et les caractéristiques des deux phases de la procédure d'examen des aides, a allongé excessivement le délai utile de la vérification à laquelle elle pouvait procéder dans la phase préliminaire et a violé l'obligation mise à sa charge par l'article 93, paragraphe 2, de consulter les autres Etats membres ainsi que les milieux économiques et sociaux intéressés de la Communauté.
8. De l'avis de la Commission, l'ouverture de la phase principale de la procédure n'est nécessaire, d'après l'article 93, paragraphe 3, que si, au terme de l'examen préliminaire, le plan notifié est considéré comme incompatible avec le Marché commun. Toutefois, le délai dans lequel elle est appelée à procéder à cet examen ne commencerait à courir qu'à partir du moment où elle est en mesure de prendre position sur le projet d'aides notifié, c'est-à-dire après avoir obtenu des compléments d'informations indispensables et établi, avec l'Etat membre intéressé, des contracts utiles, susceptibles, le cas échéant, d'aboutir à l'élaboration d'un régime d'aides modifié. Ce même délai commencerait à courir, par contre, dès la notification du projet d'aides, si la Commission gardait le silence.
9. Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 93, paragraphe 3, du traité : 'la Commission est informée, en temps utile, pour présenter ses observations des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le Marché commun, aux termes de l'article 92, elle ouvre, sans délai, la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale'.
10. En l'absence des règlements d'application de ces dispositions, que l'article 94 du traité a chargé le Conseil d'édicter, la Cour a été déjà conduite à préciser l'objet et la portée de l'article 93, paragraphe 3.
11. C'est ainsi que par ses arrêts du 11 décembre 1973 (Lorenz, 120-73, Recueil 1973, p. 1471; Markmann, 121-73, Recueil 1979, p. 1495; Nordsee, 122-73, Recueil 1973, p. 1511 ; Lorey, 141-73, Recueil 1973, p. 1527) la Cour a admis que la phase préliminaire d'examen des aides, instituée par l'article 93, paragraphe 3, a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale avec le traité des projets d'aides qui lui sont notifiés. L'objectif de cette disposition qui tend à prévenir la mise en vigueur d'aides contraires au traité implique que l'interdiction énoncée à cet égard, par la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, produise ses effets tout au long de la phase préliminaire. C'est pourquoi, en vue de tenir compte de l'intérêt des Etats membres à être fixés rapidement dans des domaines où la nécessité d'intervenir peut revêtir un caractère d'urgence, la Commission est tenue de faire diligence, faute de quoi, à l'issue d'un délai raisonnable, estimé par la Cour à deux mois, l'Etat membre peut mettre en vigueur les mesures en cause après avoir adressé un préavis à la Commission.
12. Selon la même jurisprudence, si, à l'issue de ce premier examen, la Commission acquiert la conviction que le régime d'aides notifié est compatible avec le traité, elle doit en informer l'Etat membre intéressé. L'aide en question, mise en vigueur après la notification de la décision positive de la Commission, deviendra une "aide existante" soumise comme telle à l'examen permanent prévu à l'article 93, paragraphe 1. Si, par contre, la Commission estime que le régime d'aides en question n'est pas compatible avec le Marché commun, elle est tenue d'engager, sans délai, la phase d'examen visée par l'article 93, paragraphe 2, qui comporte l'obligation que les intéressés soient mis en demeure de présenter leurs observations.
13. L'argumentation présentée en l'espèce par le Gouvernement fédéral conduit la Cour à préciser, en outre, qu'un des traits principaux qui différencie la phase d'examen de l'article 93, paragraphe 2, de la phase préliminaire de l'article 93, paragraphe 3, réside dans l'absence, lors de cette phase initiale, de toute obligation pour la Commission de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations avant de prendre sa décision. Une telle procédure, qui donne aux autre Etats membres et aux milieux concernés la garantie de pouvoir se faire entendre et qui permet à la Commission d'être complètement éclairée sur l'ensemble des données de l'affaire avant de prendre sa décision, revêt cependant un caractère indispensable dès que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si un projet d'aide est compatible avec le Marché commun. Il faut en déduire que la Commission ne peut s'en tenir à la phase préliminaire de l'article 93, paragraphe 3, pour prendre une décision favorable à un projet d'aides que si elle est en mesure d'acquérir la conviction, au terme d'un premier examen, que ce projet est compatible avec le traité. Par contre, si ce premier examen a conduit la Commission à acquérir la conviction contraire, ou même n'a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l'appréciation de la compatibilité de ce projet avec le Marché commun, la Commission a le devoir de s'entourer de tous les avis nécessaires et d'ouvrir, à cet effet, la procédure de l'article 93, paragraphe 2.
14. L'application de ces principes aux faits de la cause conduit à constater, en premier lieu, que la Commission n'a pu accepter le plan belge tel qu'il lui avait été notifié, et a été amenée à engager avec le Gouvernement belge des négociations bilatérales approfondies visant à apporter au projet initial des modifications substantielles susceptibles de le rendre compatible avec le Marché commun. C'est ainsi que le Gouvernement belge a notamment accepté de modifier l'ensemble des modalités de financement de son plan, d'interdire aux bénéficiaires de ce plan tout cumul avec d'autres mesures d'aide, d'exclure de son champ d'application certains sous-secteurs de l'industrie belge du textile et de la confection, et de notifier préalablement à la Commission toutes les mesures d'aide envisagées en faveur d'entreprises appartenant à d'autres sous-secteurs dont la liste a été arrêtée d'un commun accord.
15. Il convient de relever, en second lieu, qu'en raison même de ces négociations, il s'est écoulé entre la notification du plan d'aides et la décision favorable de la Commission un délai de seize mois, qui excède notablement ce qu'implique normalement un premier examen opéré dans le cadre des dispositions précitées de l'article 93, paragraphe 3.
16. Il faut noter enfin que si la Commission a finalement accepté de reconnaître la compatibilité du plan belge modifié avec le Marché commun sous réserve du respect des conditions fixées, elle n'a pas estimé pour autant que toutes les difficultés soulevées par cette affaire se trouvaient résolues. En effet, dans la décision litigieuse du 18 novembre 1981, la Commission a déclaré qu'en dépit des modifications importantes apportées au plan initial, elle reste très préoccupée en ce qui concerne les effets que l'application du plan pourra avoir sur la concurrence à l'intérieur de la Communauté et elle a limité en conséquence sa durée d'application à une seule année.
17. Les divers éléments de fait relevés ci-dessus conduisent à reconnaître qu'en l'espèce la Commission a rencontré des difficultés sérieuses dans l'examen de la compatibilité avec le traité du plan de restructuration de l'industrie belge du textile et de la confection qui lui a été notifié les 28 juillet et 11 août 1980. La Commission avait, dès lors, l'obligation d'ouvrir la procédure de consultations prévue par l'article 93, paragraphe 2, avant de prendre sa décision.
18. S'il est vrai que la Commission avait informé les autres Etats membres de l'évolution de ses pourparlers avec le Gouvernement belge lors de réunions multilatérales, il résulte cependant des débats menés devant la Cour que ces consultations n'offraient ni pour les intéressés ni pour la Commission elle-même les mêmes garanties et les mêmes avantages que ceux qu'offrent les consultations formelles prévues par l'article 93, paragraphe 2.
19. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'admettre que la décision de la Commission du 18 novembre 1981 est entachée d'un vice de procédure substantiel, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête d'en prononcer, pour ce motif, l'annulation.
Sur les conclusions subsidiaires du recours en carence
20. Il convient d'observer que ces conclusions subsidiaires ont été présentées pour le cas où la Cour annulerait la décision litigieuse du 18 novembre 1981 pour violation des règles de procédure et ne se prononcerait pas sur le moyen de fond tiré de l'incompatibilité du plan belge de restructuration avec le Marché commun. Cette hypothèse s'étant réalisée, il y a lieu de statuer sur ces conclusions, malgré l'annulation de la décision attaquée.
21. La Commission estime que ce recours est irrecevable, les conditions posées à cet égard par l'article 175 du traité n'étant pas remplies.
22. Le Gouvernement allemand fait valoir que, d'une part, lors de la réunion du 4 décembre 1981, entre le ministre fédéral allemand de l'Economie et le membre de la Commission responsable des affaires de concurrence, il a indiqué à ce dernier qu'il s'attendait à ce que le plan belge de restructuration soit déclaré incompatible avec le Marché commun, et que, d'autre part, la lettre du 7 janvier 1982, par laquelle la Commission a communiqué à l'ensemble des Etats membres la lettre adressée le 18 novembre 1981 au Gouvernement belge, ne saurait être considérée comme une prise de position au sens de l'article 175 du traité.
23. Aux termes de l'article 175, alinéa 2, un recours en carence "n'est recevable que si l'institution en cause a été préalablement invitée à agir". Or, il ressort des pièces du dossier que si le Gouvernement fédéral a bien exprimé l'opinion que le plan belge était incompatible avec le Marché commun, il n'a adressé à la Commission aucune invitation expresse à agir. La première condition posée par l'article 175 n'est donc pas remplie.
24. Il y a lieu d'admettre, dès lors, que les conclusions subsidiaires en carence sont irrecevables, et doivent être rejetées.
Sur les dépens
25. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens.
26. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
déclare et arrête :
1) la décision de la Commission du 18 novembre 1981 est annulée.
2) le surplus des conclusions du recours du Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne est rejeté.
3) la Commission est condamnée au dépens.