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Décisions

CA Rouen, 2e ch., 8 novembre 2001, n° 00-00362

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Parson Company (Sté)

Défendeur :

Raclot (Consorts), Caisse Maladie Régionale de Haute-Normandie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bignon

Conseillers :

M. Perignon, Mme Brumeau

Avoués :

Me Couppey, SCP Theubet Duval

Avocats :

Mes Pieraggi, Deboeuf

T. com. Pont-Audemer, du 10 déc. 1999

10 décembre 1999

Faits et procédure:

Le 10 juillet 1997, M. David Raclot, qui exploite un fonds de commerce sous l'enseigne "SOS pizza", a commandé, pour les besoins de son activité professionnelle, à la société Parson Company (société Parson) une armoire réfrigérée.

Le 27 septembre 1997, alors qu'il prenait des aliments conservés dans l'armoire réfrigérée, M. David Raclot a heurté de la main gauche une plaque en acier tranchante, dépourvue de toute protection. Les deux tendons de sa main gauche ont été sectionnés.

M. Guy Raclot, père de M. David Raclot, s'est occupé du fonds de commerce de ce dernier pendant sa période d'incapacité.

Par ordonnance du 4 juin 1998, le juge des référés a ordonné l'expertise technique de l'armoire et l'expertise médicale de M. Raclot.

Par actes des 3 et 4 mai 1999, MM. David et Guy Raclot ont assigné la société Parson en déclaration de responsabilité, en résolution de la vente, en réparation des préjudice et la société Réunion des assureurs maladie de Haute-Normandie (RAM) en déclaration de jugement commun.

Par jugement rendu le 10 décembre 1999, le Tribunal de commerce de Pont-Audemer a:

- prononcé la résolution de la vente de l'armoire réfrigérée,

- condamné la société Parson à payer à M. David Raclot la somme de 14 351,40 F en remboursement du prix d'achat de l'armoire litigieuse et celle de 24 000 F en réparation de son préjudice corporel,

- donné acte à M. Raclot de ce qu'il tient l'armoire litigieuse à la disposition de la société Parson,

- condamné la société Parson à payer à M. Guy Raclot la somme de 16 113,26 F en remboursement du coût de l'embauche d'un salarié et celle de 533,76 F en remboursement de ses frais de déplacement,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Parson à payer, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 2 500 F à M. David Raclot et celle de 1 500 F à M. Guy Raclot,

- déclaré le jugement commun à la RAM.

La société Parson a interjeté appel de cette décision.

Prétentions et moyens des parties:

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 18 mai 2000, la société Parson soutient que les dispositions de l'article 1147 du Code civil ne sont pas applicables à l'action introduite par M. David Raclot et que le matériel vendu est conforme aux spécifications de la commande. Elle soutient que l'action en garantie des vices cachés constituait l'unique fondement possible de l'action introduite par M. David Raclot et que, faute de l'avoir exercée dans le bref délai imparti par l'article 1648 du Code précité, cette action ne peut qu'être rejetée.

Subsidiairement, elle conclut à la réduction du montant des sommes allouées en réparation du préjudice corporel et, faisant valoir qu'elle n'est que venderesse, demande que la société Fricee soit condamnée à la relever de toute condamnation.

Elle invoque l'article 1165 du Code civil pour soutenir que M. Guy Raclot ne peut se prévaloir du contrat conclu avec M. David Raclot et conteste l'existence d'un préjudice direct du fait du comportement ou d'une faute qu'elle a commise. Elle conclut donc au rejet des demandes présentées par ce dernier.

Elle demande, enfin, la condamnation solidaire de MM. David et Guy Raclot à lui payer la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 18 avril 2001, MM. David et Guy Raclot soutiennent, d'une part, que la responsabilité du vendeur est engagée sur le fondement du manquement à l'obligation de sécurité, c'est-à-dire sur celui de l'article 1147 du Code civil, et en tant que de besoin sur le fondement de l'article L. 221-1 du Code de la consommation. Ils font valoir qu'une telle action n'est pas soumise au bref délai imparti par l'article 1648 du Code civil.

Ils soutiennent, d'autre part, que l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer l'exécution défectueuse du contrat lorsque, comme en l'espèce, elle leur a causé un dommage.

Ils concluent donc à la confirmation du jugement.

Invoquant le caractère abusif de l'appel, ils concluent à la condamnation de la société Parson à leur payer la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts.

Ils sollicitent, enfin, une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Caisse régionale d'assurance maladie des artisans et commerçants de Haute-Normandie n'a pas constitué avoué mais a fait connaître le montant de ses débours, soit la somme de 9 633,80 F.

Sur ce, LA COUR ;

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise qu'une tôle en métal mince, formant un bandeau de 9 cm, est fixée en partie supérieure de l'armoire réfrigérée, sur toute la longueur intérieure ; que le bas du bandeau peut se situer à 11 cm de la première étagère si celle-ci est en position haute ; que la tôle, non ébavurée de ce bandeau, dont l'épaisseur est inférieure à 1 mm, est très tranchante;

Que c'est en prélevant des ingrédients dans cette armoire que M. David Raclot a touché, de la main gauche, le bord de la tôle qui forme le bandeau et qu'il s'est coupé profondément la main;

Que le bord tranchant de la tôle, dépourvue de protection, formant le bandeau à l'intérieur de l'armoire frigorifique, dans la zone voisine des étagères supérieures sur lesquelles sont déposés les produits alimentaires, constitue un danger permanent pour les personnes qui effectuent le service ou le nettoyage ainsi que pour les biens;

Attendu, de surcroît, que l'expert a constaté que d'autres parties métalliques de cette armoire sont également très tranchantes;

Attendu que l'armoire frigorifique litigieuse présente, en raison de sa conception et sa fabrication, un risque permanent d'accidents pour les personnes et les biens, notamment en raison des bords métalliques qu'elle contient et qui sont dépourvus de protection;

1- Sur l'indemnisation du préjudice corporel subi par M. David Raclot :

1-1 Sur le fondement de l'indemnisation:

Attendu que le vendeur professionnel est tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens;

Que l'indemnisation des dommages causés par la chose dangereuse vendue à la personne ou aux biens de l'acquéreur relève de la responsabilité contractuelle de droit commun;

Attendu que l'action en responsabilité contractuelle exercée contre le vendeur pour manquement à son obligation de sécurité n'est pas soumise au bref délai imparti par l'article 1648 du Code civil;

Attendu, en l'espèce, qu'il est établi que la mauvaise conception et le défaut de fabrication de l'armoire sont la cause de l'accident survenu à M. David Raclot et des blessures qui en sont résultées;

Que la société Parson ayant manqué à son obligation de sécurité en vendant une telle armoire, c'est à juste titre que le tribunal a condamné la société Parson à réparer le préjudice subi par M. David Raclot sur le fondement de l'article 1147 du Code civil;

1- 2 Sur le montant de l'indemnisation:

Attendu que, lors de l'accident, M. Raclot, âgé de 25 ans, exerçait une activité indépendante de fabrication de pizza à emporter; qu'il a subi la section des tendons extenseurs des 3e et 4e doigts de la main gauche au niveau de l'extrémité distale des métacarpiens;

Que, selon l'expert, M. Raclot a subi une incapacité temporaire totale de travail du 27 septembre au 20 octobre 1997 ; que son état est consolidé depuis le 5 décembre 1997;

Qu'il subsiste une incapacité permanente partielle de 2 %;

Que les souffrances endurées sont qualifiées de très légères à légères (1,5/7) ;

Que le préjudice esthétique est très léger (1/7);

Qu'en considération de ces éléments, le préjudice subi par M. David Raclot doit être évalué comme suit:

A) le préjudice soumis au recours des tiers payeurs:

a) le préjudice subi pendant la période d'incapacité temporaire totale:

Attendu que, compte tenu de la durée de la période d'incapacité temporaire totale, de la perturbation dans la vie domestique et d'agrément, le tribunal a fait une juste évaluation du préjudice subi en allouant à M. David Raclot une indemnité de 3 000 F;

b) le préjudice résultant de l'incapacité permanente partielle :

Attendu que les blessures initiales laissent persister une limitation de la flexion complète des 3e et 4e doigts de la main gauche et des douleurs lors de la palpation ou lors des changements de conditions atmosphériques;

Attendu que, compte tenu de l'âge de la victime à la date de l'accident, et de la répercussion de son incapacité dans sa vie familiale et professionnelle, le préjudice sera justement compensé par l'octroi d'une somme de 8 000 F à titre de dommages-intérêts;

Attendu que le montant du préjudice corporel subi par M. David Raclot, soumis au recours des tiers payeurs, s'élève à la somme de 9 000 F;

Attendu que la créance de la Caisse régionale d'assurance maladie des artisans et commerçants de Haute-Normandie, soit la somme de 9 633,80 F, doit être déduite de l'indemnité réparant le préjudice corporel;

Que, déduction faite de la créance de la Caisse (9 633,80 F), il reste dû à M. David Raclot la somme de 1 366,20 F sur le montant de l'indemnité réparant son préjudice corporel soumis au recours des tiers payeurs;

B) le préjudice personnel subi par M. Raclot:

a) les souffrances endurées:

Attendu que la nature des lésions initiales (section des deux tendons de la main gauche) a nécessité une intervention chirurgicale pour suture sous anesthésie générale des deux tendons, puis le port d'une attelle et la prise d'anti-inflammatoires lors des poussées douloureuses;

Que les premiers juges ont fait une juste évaluation du préjudice subi en allouant à M. Raclot une indemnité de 6 000 F au titre des souffrances endurées;

b) le préjudice esthétique:

Attendu que le préjudice esthétique, caractérisé par deux cicatrices assez visibles sur le dos de la main, justifie l'octroi d'une indemnité d'un montant de 3 000 F;

Attendu que le préjudice personnel subi par M. Raclot s'élève à la somme de 9 000 F;

Attendu que le préjudice global subi par M. David Raclot s'élève à la somme de 20 000 F;

Que les dispositions du jugement ayant condamné la société Parson à payer à M. David Raclot la somme de 24 000 F doivent donc être infirmées;

Attendu que, déduction faite de la créance de la Caisse, il reste dû à M. David Raclot la somme de 10 366,20 F que la société Parson sera condamnée à lui payer;

II- Sur l'action en résolution de la vente:

Attendu que les défauts de conception et de fabrication de cette armoire frigorifique vendue par la société Parson, dangereuse pour la sécurité des personnes et des biens, la rendent impropre à un usage normal; que cette impropriété résulte non pas de ce que cette armoire est différente de celle qui a fait l'objet de la commande, mais de ce qu'elle est affectée de vices au sens de l'article 1641 du Code civil;

Attendu que si la réparation des dommages causés par une chose dangereuse à la personne ou aux biens de l'acquéreur relève de la responsabilité contractuelle de droit commun, la réparation des dommages causés à la chose elle-même relèvent exclusivement de la garantie légale des vices cachés;

Attendu que la garantie des vices cachés constitue l'unique fondement possible de l'action en résolution de la vente de l'armoire litigieuse exercée par M. David Raclot;

Que c'est donc à tort que les premiers juges ont accueilli l'action exercée par M. David Raclot sur le fondement de l'article 1147 du Code civil;

Attendu que l'accident est survenu au mois de septembre 1997 ; que, bien que connaissant le caractère dangereux de l'armoire vendue, M. David Raclot a assigné la société Parson en référé plus de huit mois plus tard;

Que l'action n'a manifestement pas été introduite dans le bref délai imparti par l'article 1648 du Code civil;

Qu'il s'ensuit que l'action en résolution de la vente de l'armoire est tardive, et par là-même irrecevable;

Que les dispositions du jugement ayant prononcé la résolution de la vente et condamné la société Parson à payer à M. David Raclot la somme de 14 351,40 F en remboursement du prix d'achat de l'armoire réfrigérée doivent donc être infirmées;

III- Sur l'indemnisation de M. Guy Raclot:

Attendu que le tiers à un contrat est fondé à invoquer l'exécution défectueuse de celui-ci lorsqu'elle leur a causé un dommage;

Que, même si les dispositions du jugement ayant retenu la responsabilité de la société Parson sur le fondement de l'article 1147 du Code civil sont erronées, M. Guy Raclot fait justement valoir, en cause d'appel, être en droit de se prévaloir du manquement de la société Parson à son obligation de sécurité envers son fils David, sur le fondement de la responsabilité délictuelle;

Attendu qu'il est établi que M. Guy Raclot, qui exploite lui-même un fonds de commerce, est venu s'occuper de celui exploité par son fils pendant toute la période d'incapacité de ce dernier et jusqu'à la date de consolidation des blessures;

Que le contrat de travail à durée déterminé produit aux débats établit que M. Guy Raclot a embauché temporairement un salarié pour le remplacer dans le fonds de commerce lui appartenant; qu'il a exposé des frais de transport justifiés pour accompagner son fils à la clinique;

Que le préjudice financier subi par M. Guy Raclot a été justement apprécié par le tribunal qui a alloué à ce titre des indemnités d'un montant total de 16 646,02 F;

IV - Sur les demandes annexes:

Attendu que la cour n'est pas saisie d'un appel en garantie à l'encontre de la société Fricee ; que la demande présentée par la société Parson tendant à être relevée de toute condamnation par la société Fricee est donc sans objet;

Attendu que la société Parson triomphe partiellement en cause d'appel ; que son recours ne peut donc être considéré comme abusif; que MM. Raclot seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour appel abusif;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais qu'elles ont exposés dans la présente instance en marge des dépens ; qu'elles seront déboutées de leur demande respective fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs ; Infirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Pont-Audemer, sauf en celles de ses dispositions ayant déclaré la société Parson Company responsable, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, des conséquences dommageables de l'accident survenu le 27 septembre 1997 dont M. David Raclot a été victime, et condamné la société Parson Company à payer à M. Guy Raclot les sommes de 16 113,26 F et 533,76 F en réparation de son préjudice fmancier, et à payer diverses sommes à MM. Raclot sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens; Et statuant à nouveau pour le surplus: Déclare irrecevable l'action exercée par M. David Raclot en résolution de la vente de l'armoire réfrigérée; Fixe à la somme de 11 000 F le montant du préjudice corporel subi par M. David Raclot, soumis au recours de la Caisse régionale d'assurance maladie des artisans et commerçants de Haute-Normandie; Fixe à la somme de 9 000 F le montant du préjudice purement personnel subi par M. David Raclot; Condamne la société Parson à payer à M. David Raclot, déduction faite de la créance de la Caisse régionale d'assurance maladie des artisans et commerçants de Haute-Normandie, la somme de 10 366,20 F, en réparation de son entier préjudice; Déclare la société Parson Company responsable des conséquences dommageables pour M. Guy Raclot de l'accident dont son fils David a été victime le 27 septembre 1997 sur le fondement de l'article 1382 du Code civile; Dit sans objet la demande de la société Parson Company tendant à la condamnation de la société Fricee à la garantir; Déboute MM. David et Guy Raclot de leur demande de dommages-intérêts pour appel abusif; Déboute les parties de leur demande respective fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déclare l'arrêt commun à la Caisse régionale d'assurance maladie des artisans et commerçants de Haute-Normandie; Dit que les dépens de l'instance d'appel seront supportés par moitié entre d'une part la société Parson Company et d'autre part MM. David et Guy Raclot avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.