CA Douai, 1re ch., 10 novembre 1997, n° 96-07418
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Brout
Défendeur :
Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Corroller
Conseillers :
Mme Levy, M. Mericq
Avoués :
Mes Cocheme-Kraut, Quignon
Avocats :
Mes Wallon, Derouet
Faits et procédure :
La Cour d'appel de Douai est saisie d'un litige relatif à la vente, en date du 4 octobre 1994, par Serge Brout (en fait les époux Serge Brout - Evelyne Gosselin) à Alain Paris d'un immeuble à usage d'habitation sis à Boulogne-sur-Mer, 14 rue Monseigneur Haffreingue - l'acheteur invoquant des vices cachés (la présence d'un champignon mérule) qui, pourtant connus du vendeur, lui auraient été délibérément dissimulés.
Aux termes d'un jugement rendu le 11 juin 1996, auquel il est entièrement fait référence pour l'exposé des données de base du procès et des prétentions et moyens respectifs des parties, le Tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer, statuant notamment au vu d'un rapport d'expertise établi le 15 mai 1995 par M. Creuze, a :
* prononcé la résolution de la vente, avec toutes conséquences de droit (dont restitutions croisées du prix et de l'immeuble)
* condamné en sus Serge Brout à payer à Alain Paris des dommages-intérêts de 85 000 F.
Appel de ce jugement a été relevé le 4 juillet 1996 par Serge Brout.
Prétentions et moyens des parties :
Par conclusions en date des 21 janvier - 16 juin 1997 et tendant à l'infirmation (outre allocation de dommages-intérêts de 50 000 F pour procédure intempestive et d'une somme de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile), Serge Brout fait valoir que sa mauvaise foi n'est pas démontrée, lui-même n'ayant pas eu connaissance du vice affectant son immeuble (en toute hypothèse vétuste) et ayant effectué des travaux qui, même s'ils étaient susceptibles de relever d'une erreur d'appréciation, n'étaient pas destinés à quelque dissimulation que ce soit en sorte qu'il est fondé à revendiquer le bénéfice de la clause d'exclusion de garantie stipulée dans l'acte de vente.
Il conclut en conséquence au rejet de l'action formée contre lui, d'autant que les réclamations purement indemnitaires formulées désormais par Alain Paris sont irrecevables car nouvelles en cause d'appel.
De son côté, par conclusions signifiées les 28 février - 5 septembre 1997 et tendant pour l'essentiel à la confirmation, Alain Paris modifie, pour tenir compte de l'insolvabilité de Serge Brout, sa demande et sollicite, par le biais d'une action estimatoire (toujours fondée sur la garantie des vices cachés) , l'octroi de dommages-intérêts pour faire face aux nécessaires travaux de réfection et indemniser le préjudice subi - soit le chiffre global de 356 711,11 F, outre intérêts légaux depuis le 15 mai 1995 et somme de 6 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 9 septembre 1997.
Discussion :
1. Les dernières écritures prises quelques jours avant la clôture de la procédure par Alain Paris, qui ne font que répondre aux récents arguments de Serge Brout, ne méconnaissent pas le principe du contradictoire elles n'ont pas à être écartées des débats (ainsi que le sollicite l'appelant)
2. La demande actuellement formée par Alain Paris - c'est-à-dire une action estimatoire en réduction de prix et allocation de dommages-intérêts - procède du même fondement que l'action en résolution initialement engagée sur le fondement de la garantie des vices cachés, et tend à une fin identique - à savoir la réparation du préjudice éprouvé.
En outre, Alain Paris invoque une situation spéciale qui a été révélée depuis le jugement antérieur - à savoir l'insolvabilité de Serge Brout.
Cette situation, à propos de laquelle Serge Brout ne formule aucune contestation ou critique, rend recevables en appel les prétentions d'Alain Paris (application de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile)
3. Il n'est pas tiré de conséquences du fait que la vente litigieuse a été consentie par les époux Serge Brout - Evelyne Gosselin alors que l'action a été engagée contre le seul Serge Brout.
Cette circonstance, qui aurait pu poser difficulté pour prononcer la résolution de la vente, n'est pas un obstacle à l'action en paiement telle qu'aujourd'hui formée.
4. L'acte du 4 octobre 1994 comporte une clause d'exclusion de garantie des vices cachés en faveur du vendeur.
La licéité et la portée de cette clause ne sont pas contestées - pas plus que le fait qu'elle n'a pas vocation à jouer si le vendeur connaissait de fait les vices de son immeuble et les a dissimulés à l'acquéreur.
5. Le rapport de M. Creuze fait ressortir que l'immeuble acquis par Alain Paris est infesté, en plusieurs endroits, par le champignon mérule.
Cette situation a été nécessairement vue par Serge Brout, lequel a entrepris de 1989 à 1993 des travaux importants de réfection dans de nombreuses pièces de l'habitation.
En effet, M. Creuze met en évidence que
- le champignon mérule est apparu dans le plancher de la salle de bain, à l'emplacement d'une ancienne baignoire (p. 6) , laquelle a été remplacée, dès 1989, par les soins de Serge Brout qui a posé un meuble de toilette à ce moment-là, le champignon était présent et visible (annexe photographique p. 6, où l'expert repère "des traces laissées par des fructifications qui ont été enlevées lorsque l'on a refait la salle de bains") ;
- dès lors, à partir de 1989, Serge Brout savait que le champignon mérule était présent dans l'immeuble ;
- or, durant les années suivantes - et jusqu'en 1993 -,il a encore réalisé de nombreux travaux d'embellissement, notamment sur des murs qu'il a mis à nu puis recouvert de lambris ou papiers peints a ces occasions, prévenu déjà par ce qu'il connaissait depuis 1989 de l'état de la maison, il a nécessairement vu les autres ou nouvelles fructifications de mérule et il en a nécessairement compris la gravité ;
- pourtant, aucune des réparations mises en œuvre n'a eu pour but (et moins encore pour effet) de traiter le champignon mérule, notamment parce qu'aucune mesure d'aération ou de traitement fongicide des endroits infestés n'a été prise même si les méthodes employées pouvaient pallier l'humidité excessive (lambris, polystyrène) , elles n'avaient aucun effet contre le champignon, qui a continue a proliférer ;
- il doit être ajouté que la présence généralisée de ce champignon mérule porte atteinte gravement à la pérennité de l'immeuble et à ses conditions d'habitation, en sorte que l'usage même de la maison est compromis.
6. En pareille situation, c'est à raison que les premiers juges ont retenu que
* Serge Brout connaissait exactement les vices affectant son immeuble,
* il les a délibérément dissimulés à son acheteur.
En l'état des considérations ci-dessus développées, l'action formée par Alain Paris est fondée en son principe.
7. Il reste à évaluer l'étendue du préjudice subi par Alain Paris, et/ou la réduction de prix qui doit être décidée en sa faveur.
Sur ce point, divers éléments sont à prendre en considération :
- l'immeuble a été acheté pour le prix de 270 000 F (outre équipements mobiliers), soit un prix modique qui implique, en tout état de cause, un état vétuste
- la réclamation actuellement formulée par Alain Paris dépasse le prix de la vente ... alors pourtant que l'immeuble va rester dans son patrimoine ;
- les travaux de réfection à entreprendre sont certes importants, mais ils ne peuvent, compte tenu de la vétusté globale de l'immeuble, être retenus en totalité ;
- certains défauts sont en lien avec des phénomènes d'humidité et de pourriture - mais sans champignon mérule - dont Alain Paris pouvait se convaincre lui-même lors de son achat ;
- l'immeuble ne peut être considéré comme inhabitable ... alors qu'il a été occupé pendant plusieurs années d'affilée, jusqu'à la vente, par les époux Brout ; en outre, la valeur locative de l'immeuble (acheté 270 000 F) ne saurait être fixée au chiffre de 4 000 F par mois tel que proposé par M. Creuze (p. 20) ;
- certains postes du préjudice évoqué ne sont plus d'actualité (par exemple indemnisation du déménagement alors qu'Alain Paris va rester dans les lieux)
En l'état des éléments ci-après décrits, la cour trouve au dossier éléments suffisants pour fixer la réduction du prix à laquelle peut prétendre Alain Paris et l'indemnisation du préjudice par lui subi (nécessaire réfection et troubles divers) au chiffre global de 50 000 F.
Les intérêts ne peuvent courir que du présent arrêt, qui fixe le principe et le montant de la créance.
8. Les éléments de la cause justifient l'octroi à Alain Paris d'une indemnité de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, - dit n'y avoir lieu d'écarter les écritures prises le 5 septembre 1997 au nom d'Alain Paris ; -dit recevable l'action estimatoire formée par Alain Paris ; - pour tenir compte de la nouvelle formulation de la demande d'Alain Paris, infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 juin 1996 par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer ; et, statuant a nouveau : - condamne Serge Brout à payer à Alain Paris les sommes de : - 50 000 F (cinquante mille francs) à titre de réduction du prix et dommages-intérêts, - 5 000 F (cinq mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ; - condamne Serge Brout aux dépens de la première instance (y compris coût du rapport d'expertise) et de l'instance d'appel, avec pour ces derniers faculté de recouvrement direct conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile au profit de Me Quignon, avoué.