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Décisions

CA Rouen, 2e ch., 23 mai 2002, n° 00-03003

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alfagomma Sud-SPA (Sté)

Défendeur :

La Fondiaria SPA (Sté), Compagnie Industrielle du Caoutchouc Manufacture & des Plastiques (Sté), Assitalia (Sté), Generali France Assurance (Sté), Location de Matériels Industriels (Sté), Caoutchouc Butyl (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bignon

Conseillers :

MM. Perignon, Bloch

Avoués :

SCP Colin Voinchet Radiguet Enault, Me Couppey, SCP Hamel Fagoo, SCP Galliere Lejeune Marchand Gray, SCP Greff-Curat, SCP Lissarague Dupuis & Associés, SCP Theubet Duval

Avocats :

Mes Chaigne, Dubosc, Aussant, Swennen, Devin, Alterman, Sagon

T. com. Le Havre, du 26 mai 2000

26 mai 2000

Faits et procédure :

Le 9 mars 1994, la société de caoutchouc butyl (ci-après société Socabu) a loué un compresseur d'air, muni d'un flexible en caoutchouc noir, à la société de Location de matériel industriel (ci- après société LMI), pour les besoins de sa chaîne de fabrication du produit "vistalon".

Le flexible de caoutchouc faisait partie d'un lot d'environ 2 000 mètres fabriqué par la société de droit italien Alfagomma sud, assurée par les sociétés de droit italien Assitalia et la Fondiaria, vendu le 27 août 1993 à la société la société Compagnie industrielle du caoutchouc manufacture et des plastiques (ci-après société CJCMP), assurée auprès de la société Générali France, qui en avait revendu 40 mètres à la société LMI le 10décembre 1993

Après la mise en service du compresseur, le 14 mars 1994, le flexible s'est avéré défectueux, des morceaux de caoutchouc noirs s'étant détachés de l'intérieur du tuyau et ayant pollué la production de la société Socabu.

Par ordonnance rendue le 12 décembre 1994, le juge des référés a ordonné une expertise.

Après dépôt du rapport, la société Socabu a assigné en référé les sociétés LMI, Alfagomma et Assitalia en déclaration de responsabilité et réparation du préjudice. La société LMI a appelé en garantie la société CICMP, laquelle a appelé en garantie son assureur, la société Générali France. La société Alfagomma sud a appelé en garantie la société d'assurance la Fondiaria.

Le juge des référés a constaté l'existence de difficultés sérieuses et renvoyé l'affaire devant les juges du fond.

Après avoir entendu les parties à l'audience du 13 mars 1998, le Tribunal de commerce du Havre a, par jugement rendu le 26 mai 2000:

- condamné la société LMI à payer à la société Socabu la somme de 315 682,28 euro (2 070 740 F), avec les intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 1994,

- condamné la société CICMP à garantir la société LMI des condamnations prononcées à son encontre,

- condamné la société Générali France à garantir son assurée la CICMP,

- condamné solidairement la société Alfagomma, Assitalia et La Fondiaria à garantir la société Générali France de toutes les condamnations prononcées,

- ordonné l'exécution provisoire,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné solidairement les Sociétés Alfagomma, Assitalia et la Fondiaria à payer les dépens, et en ceux, les frais d'expertise,

- condamné la société LMI à payer à la société Socabu la somme de 3 048,98 euro (20 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Codede procédure civile,

- condamné la société CICMP à payer à la société LMI la somme de 1 524,49 euro (10 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Codede procédure civile,

- condamné solidairement les sociétés Alfagomma, Assitalia et la Fondiaria et Générali France à payer à la société CICMP la somme de 1 524,49 euro (10 000F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Codede procédure civile,

- condamné solidairement les sociétés Alfagomma, Assitalia et la Fondiaria à payer à la société Générali la somme de 762,25 euro (5 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Codede procédure civile.

La société Alfagomma a interjeté appel de cette décision.

Les sociétés Assitalia, la Fondiaria, CICMP et Générali France assurances ont formé appel incident.

Prétentions des parties:

Les moyens des parties seront examinés dans les motifs de l'arrêt.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 31 octobre 2000, la société Alfagomma conclut à l'infirmation des dispositions du jugement l'ayant condamné à réparer les dommages subis par la société Socabu. Elle demande qu'il soit constaté que sa responsabilité n'est pas établie, que la société Socabu ne justifie pas du fondement juridique sur lequel elle entend engager sa responsabilité, qu'elle n'est tenue que par ses conditions générales de vente envers sa cocontractante, la société CICMP, que sa responsabilité se limite au remplacement du matériel défectueux ou à l'indemnisation financière de celui-ci à hauteur de 50,24 euro (331,50 F), que l'existence et l'étendue du préjudice de la société Socabu ne sont pas établis, que la société Socabu a contribué à l'aggravation du préjudice.

Subsidiairement, elle demande qu'il soit constaté que l'origine de la dégradation du flexible n'est pas établie, que les conditions d'utilisation du flexible ne sont par rapportées, que le préjudice financier invoqué par la société Socabu n'est pas justifié et que l'expert saisi aurait dû s'adjoindre un sapiteur pour procéder à son évaluation. Elle demande en conséquence qu'il soit ordonné un complément d'expertise.

Elle conclut à la condamnation de la société Socabu à lui payer la somme de 15 244,90 euro (100 000 F) à titre de dommages-intérêts et la même somme sur le fondement de l'article 700 du nouveau Codede procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 25janvier 2002, la société Assitalia conclut à l'infirmation du jugement entrepris, à l'incompétence du Tribunal de commerce du Havre pour connaître des litiges la concernant et concernant son assurée, la société Alfagomma et au renvoi de l'affaire devant le tribunal civil de Rome. Elle conclut à la nullité de l'assignation qui lui a été délivrée par la société Socabu, et subsidiairement à la prescription des demandes des sociétés Socabu, Alfagomma, LMI et Générali présentées à son encontre. Encore plus subsidiairement, elle conclut au rejet des demandes, ou encore à la limitation de sa condamnation à 50 % de la somme réclamée en application de la police. Enfin, elle demande la condamnation solidaire des sociétés Socabu et Alfagomma à lui payer la somme de 7 622,45 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Codede procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 8 novembre 2000, la société la Fondiaria, qui dénie devoir sa garantie, conclut à l'infirmation des dispositions du jugement l'ayant condamnée à garantir la société Générali, au rejet des demandes présentées à son encontre et à sa mise hors de cause.

Elle demande la condamnation conjointe et solidaire des sociétés Alfagomma et Générali à lui payer la somme de 7 622,45 euro (50 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Codede procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 5 février 2002, la société CICMP conclut à l'irrecevabilité et au rejet des demandes présentées à son encontre par les sociétés Socabu, LMI, Assitalia, la Fondiaria et Générali, à la nullité du jugement entrepris pour inobservation des dispositions des articles 450 et 455 du nouveau Codede procédure civile, et à l'infirmation de ses dispositions ayant retenu sa responsabilité dans la survenance du sinistre en la condamnant à garantir la société LMI. Sur ce dernier point, elle conclut à l'irrecevabilité de la demande en garantie de la société LMI. Elle demande la confirmation des dispositions du jugement ayant condamné la société Générali à la garantir. Elle conclut à la condamnation de la société Alfagomma à la garantir. Sur le préjudice financier, elle conclut à un complément d'expertise au motif que l'expert désigné n'avait aucune compétence pour l'évaluer. Elle conclut, enfin, à la condamnation in solidum des sociétés Socabu, LMI, Assitalia, la Fondiaria et Générali à lui payer la somme de 6 098 euro (40 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Codede procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 10 septembre 2001, la société Générali, qui conteste que la responsabilité de son assurée, la société CICMP, soit établie, conclut au rejet des demandes présentées à son encontre. Subsidiairement, elle soutient que sa garantie doit être limitée à la somme de 3 048,98 euro (20 000 F), encore plus subsidiairement, que le préjudice de la société Socabu n'est pas démontré et qu'il doit, en toute hypothèse, être limité à la somme de 73 097,32 euro (479 487 F), et que les sociétés Alfagomma, Assitalia et la Fondiaria doivent être condamnées à la garantir. Enfin, elle demande la condamnation de tout succombant à lui payer la somme de 3 048,98 euro (20 000 F) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Codede procédure civile. Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 8 novembre 2001, la société LMI demande qu'il soit constaté que sa responsabilité n'est pas engagée dans le sinistre dont se plaint la société Socabu et au rejet des demandes présentées par cette dernière, qu'à défaut la société Socabu doive conserver à sa charge pour partie au moins égale à la moitié, la charge financière des dommages qu'elle a subis et qu'il soit ordonné qu'elle justifie de l'ampleur de son préjudice.

Elle conclut au rejet des demandes tendant à la nullité du jugement, à la confirmation du jugement ayant condamné la société CICMP à la garantir.

Subsidiairement, elle invoque les dispositions de la Convention de Bruxelles et du nouveau Code de procédure civile, et du Code des assurances pour conclure au rejet de l'exception d'incompétence soulevée par la société Alfagomrna, au rejet du moyen soulevé par la société Assitalia quant à la prescription biennale et à la condamnation in solidum des sociétés Alfagomma et Assitalia à la garantir. Elle demande, enfin, la condamnation in solidum des sociétés Socabu, CICMP, Alfagomma et Assitalia à lui payer la somme de 2 286,74 euro (15 000 F)sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le il mars 2002, la société Socabu conclut à la confirmation du jugement. Invoquant une omission de statuer, elle conclut à la condamnation in solidum des sociétés LMI, CICMP, Alfagomma, Assitalia et Générali à lui payer la somme de 315 682,28 euro (2 070 740 F), avec les intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 1994, et celles de 3 048,98 euro (20 000 F) et de 7 622,45 euro (50 000 F) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, pour les frais engagés en première instance et en cause d'appel.

Sur ce, la cour,

I - Sur la nullité du jugement:

Attendu que les sociétés Alfagomma et CICMP concluent à la nullité du jugement aux motifs, en premier lieu, que, d'une part, les premiers juges se seraient contredits en énonçant, d'un côté, que "la société Socabu sera déboutée de son action sur le plan délictuel", et d'un autre côté, que la société Alfagomma... (est la seule) dont la responsabilité délictuelle peut être mise enjeu", et d'autre part, que les premiers juges n'ont pas motivé leur décision avec pertinence, et en second lieu, d'une part, que le jugement mentionne à tort que le juge rapporteur aurait informé les parties à l'audience du 13 juillet 1998 que le jugement serait prononcé le 26 mai 2000 et, d'autre part, que ce jugement n'a pas été rendu dans un délai raisonnable;

Attendu, cependant, en premier lieu, d'une part, que le grief de contradiction de motifs n'est recevable que si la contradiction alléguée existe entre deux motifs de fait ; que la contradiction entre deux motifs de droit n'est pas susceptible d'être critiquée par un grief de contradiction, dès lors que l'un des deux motifs apparaît nécessairement comme surabondant; que, d'autre part, le moyen tiré de l'absence de pertinence de la motivation ne saurait être critiquée par un grief de défaut de motifs;

Attendu, en second lieu, que, d'une part, à la supposer établie, la circonstance que le jugement mentionnerait, à tort, que le juge rapporteur a informé les parties, à l'audience de plaidoiries du 13 juillet1998, que le jugement serait rendu le 26 mai 2000, ne constituerait qu'un vice de forme qui, en lui-même, n'aurait causé aucun grief de nature à entraîner la nullité du jugement ; qu'en outre, les énonciations du jugement selon lesquelles, à l'audience de plaidoiries du 13 juillet1998, le juge rapporteur a informé les parties que le jugement serait rendu à l'audience publique du 26 mai 2000 font foi jusqu'à inscription de faux ; que les sociétés Alfagomma et CICMP n'ayant pas formé une demande en inscription de faux, le grief est inopérant;

Que, d'autre part, l'inobservation du principe du droit à un jugement rendu dans un délai raisonnable ne peut servir de fondement à l'annulation d'une décision judiciaire et peut seulement fonder une demande en réparation du préjudice subi de ce fait ;

D'où il suit que le moyen tiré de la nullité du jugement doit être écarté;

II - Sur le fond:

1° Sur le sinistre :

Attendu que le 14 mars 1994, vers 15 heures 26 mn, après la mise en service, à 15 heures 09, du compresseur loué à la société LMI, des points noirs ont été observés par le contrôleur de la chaîne de fabrication de la société Socabu; que, dans l'après-midi, les responsables de la fabrication ont détecté que la pollution provenait de l'un des deux flexibles de raccordement du compresseur, entre le compresseur et la chaîne n° 1 qu'après démontage, l'intérieur du flexible est apparu fortement dégradé;

Que, vers 18 heures, la chaîne a été arrêtée pour nettoyer l'équipement; que la société Socabu a remplacé le flexible de raccordement par un flexible en inox; que, pendant la période de nettoyage de la chaîne n° 1, les autres chaînes ont continué à tourner et à alimenter le sécheur et le convoyeur;

Que la société Socabu ayant décelé l'origine de la pollution et remplacé le flexible par un tuyau en inox, la production a redémarré vers 0 heures 30 ; que, dès le démarrage, il s'est avéré que la pollution persistait sur les équipements communs aux différentes chaînes ; que le service de production estimant que les premiers lots permettraient d'éliminer les résidus de caoutchouc restant dans les tuyauteries, la fabrication a été poursuivie jusqu'au 15 mars à 8 heures;

Que, du 15 au 21 mars, la présence de quelques points noirs a encore été constatée une à deux fois par jour ; que le 22 mars, la décision a été prise de démonter totalement la chaîne n° 1, et notamment, les tuyauteries pour les décaper avec une pompe haute pression;

Attendu qu'il constant que le flexible litigieux a été fabriqué par la société Alfagomma et qu'il faisait partie d'un lot d'environ 2 000 mètres vendu le 27 août 1993 à la société CICMP ; qu'une couronne de 40 mètres a été livrée à la société LMI le 10 décembre 1993 ; que la société LMI a partagé cette couronne en longueurs de 10 mètres qu'elle a équipé de brides au cours des mois de janvier et février 1994 ; que c'est ainsi que le flexible litigieux a équipé le compresseur installé chez la société Socabu au mois de mars 1994;

Attendu que pour procéder à ses investigations, l'expert a eu recours aux services du Laboratoire central du caoutchouc et les plastiques (ci-après le Laboratoire) ; que ce Laboratoire a analysé plusieurs échantillons : un morceau de flexible d'origine n'ayant jamais servi (mais dont le procédé de fabrication s'est révélé ne pas être identique à celui du tuyau litigieux), un morceau de flexible dans la partie détériorée (1 mètre sur une longueur de 10 mètres), et un morceau de la partie non détériorée de ce même flexible, des copeaux récupérés lors du nettoyage de l'installation;

Que trois blocs du produit fabriqué par la société Socabu (le vistalon), de 10 cm de côté, ayant des inclusions de débris noirs ont été étudiés ;

Qu'il résulte des analyses effectuées que les copeaux récupérés lors du nettoyage et les débris polluant les blocs de vistalon ont la même origine et proviennent de la partie interne du flexible de caoutchouc noir;

Qu'il résulte ainsi des opérations d'expertise que la pollution provoquée dans la production de vistalon a pour origine la dégradation du tuyau de caoutchouc placé à la sortie du compresseur;

Attendu que, selon le Laboratoire, le tuyau litigieux a été fabriqué par enroulement spiralé de bandes de caoutchouc, selon un procédé, dit de "rubanage" ; que l'observation de la partie détériorée a montré que le délaminage avec arrachements de fragments s'est opéré dans le même sens que celui du rubanage et qu'un certain manque de cohésion des plis de caoutchouc superposés s'avère le point critique de la résistance mécanique du tube intérieur ;

Que, selon le Laboratoire, le défaut révélé par l'incident litigieux survient principalement dans deux cas : un échauffement anormal provoqué par le fluide transporté, ou une action chimique néfaste de produits véhiculés entraînant la fragilisation du caoutchouc ; que ces causes de détérioration résultent d'utilisations anormales de ce tuyau, uniquement conçu pour véhiculer de l'air comprimé;

Attendu que, selon l'expert, le tuyau n'a pas pu être détérioré par l'utilisation faite du compresseur par la société Socabu ; qu'en effet, s'agissant d'un compresseur sans huile, une détérioration par transport d'air trop chaud aurait conduit à une dégradation du caoutchouc dès le départ du compresseur et n'aurait pas été aussi localisée que celle qui a été constatée; qu'il a pu vérifier que l'autre tuyau monté en parallèle sur le compresseur et provenant d'un autre fournisseur n'a pas été détérioré;

Que l'expert en conclut que le tuyau était déjà dégradé lorsqu'il a été utilisé par la société Socabu, en sorte que cette dernière ne peut être considérée comme étant à l'origine de la dégradation du flexible de caoutchouc et de la pollution consécutive de sa production;

Que, selon l'expert et le Laboratoire, il apparaît que la qualité du flexible et son mode de fabrication "aurait" présenté une certaine fragilité;

Que, toutefois, le Laboratoire et l'expert indiquent aussi que les conditions d'utilisation du flexible litigieux antérieures à la mise à la disposition du compresseur de la société Socabu sont demeurées inconnues ; que l'expert précise qu'il n'est nullement établi que la société LMI utilisait uniquement des flexibles neufs sur les compresseurs qu'elle mettait à la disposition de ses utilisateurs et qu'il est tout à fait possible que ce flexible ait déjà pu servir dans d'autres conditions demeurées indéterminées ; qu'il ajoute que la société LMI n'a pas été en mesure de prouver que le flexible n'avait pas reçu d'autre utilisation avant la livraison du compresseur à la société Socabu;

Qu'enfin, l'expert indique qu'il a été impossible de déterminer les lots dans lesquels des tuyauteries similaires auraient été prélevées, en sorte que les dires des parties selon lesquels d'autres sociétés les ayant utilisées n auraient rencontré aucune difficulté ne peuvent pas être prises en considération ;

2° Sur les responsabilités

A) Sur la responsabilité de la société LMI:

Attendu que, pour conclure à l'infirmation des dispositions du jugement ayant retenu sa responsabilité et écarté celle de la société locataire Socabu, la société LMI fait valoir que, selon ses conditions générales de vente, le matériel loué est présumé être en bon état; qu'elle prétend que, pour connaître le degré d'implication de la qualité du tuyau incriminé dans la survenue des dommages, il convient de s'interroger sur la destination du compresseur que lui en a donnée le locataire et qu'en l'absence de protestation ou de réserve du locataire, le bailleur est censé avoir délivré un matériel en parfait état de fonctionnement ; qu'elle soutient qu'il incombait à la société Socabu de lui fournir toutes spécifications et précautions particulières dans l'emploi envisagé, de manière à lui permettre d'exercer utilement son devoir de conseil et de vérifier l'état apparent de l'appareil qu'elle aurait pu endommager lors de sa mise en service sur la chaîne de montage ; qu'elle fait valoir, encore, que la société Socabu aurait dû se conformer aux conditions générales de location qui lui faisaient obligation de prendre toutes les mesures utiles pour protéger les intérêts du bailleur, au lieu de maintenir la chaîne de production en activité, alors que si le nettoyage avait été correctement réalisé dès la survenue des points noirs, ou si elle avait appelé la société CICMP pour avis, la production déclassée eût pu être évitée ; qu'elle reproche ainsi à la locataire d'avoir contribué à augmenter son propre préjudice en n'arrêtant pas la chaîne de production dès le 15 mars à 8 heures ; qu'elle fait valoir que, compte tenu de l'importance prévisible des désordres dans un contexte de production industrielle intensive, la société Socabu aurait dû faire application du principe de précaution et stopper immédiatement ses machines et la chaîne; que la société LMI en conclut que, ayant participé à son propre préjudice, la société Socabu doit en conserver une partie à sa charge qui ne peut être inférieure à la moitié ;

Attendu, cependant, que la clause du contrat stipulant que le matériel loué est réputé être en bon état de marche et d'entretien n'interdit pas à la société locataire Socabu de se prévaloir de la garantie des vices cachés dont le bailleur est tenu;

Attendu qu'en l'espèce, il est établi que le vice affectant le flexible, antérieur au contrat de location, était caché, puisque situé à l'intérieur de ce tuyau, et qu'il s'est révélé à l'usage;

Que, contrairement aux allégations de la bailleresse, les opérations d'expertise ont établi que l'utilisation du flexible par la locataire a été sans incidence dans la survenue des dommages et que le tuyau litigieux était dégradé avant l'utilisation du compresseur par la société Socabu;

Qu'en effet, il est certain que la détérioration du flexible n'a pu se produire lors de son utilisation par la société Socabu puisque l'autre tuyau monté en parallèle, et provenant d'un autre fournisseur n'a pas été détérioré ; qu'ainsi qu'il a été rappelé plus haut, le défaut constaté intervient dans deux cas principaux soit en cas d'échauffement anormal provoqué par le fluide transporté, soit en cas d'action chimique néfaste de produits véhiculés entraînant la fragilisation du caoutchouc ; qu'or, en l'espèce, d'une part, le compresseur utilisé fonctionnait sans huile ; que, d'autre part' la détérioration par transport d'air trop chaud aurait conduit à une dégradation du caoutchouc dès le départ du compresseur et n'aurait pas été aussi localisée que celle qui a été constatée;

Que l'ensemble de ces éléments sont suffisants pour entraîner la conviction que le vice affectant le flexible n'est pas consécutif à un défaut d'utilisation par la société locataire, mais qu'il est antérieur à son utilisation par celle-ci;

Attendu que la société LMI ne peut prétendre que la locataire l'aurait privée de remplir son devoir de conseil en ne l'informant pas de l'utilisation qu'elle comptait faire du compresseur;

Qu'en effet, la bailleresse, qui a installé le compresseur, avait nécessairement connaissance de son utilisation par la société locataire qu'en outre, les sociétés LMI et Socabu sont en relation d'affaires depuis plusieurs années et que les procédures de mise à disposition de matériels tels que les compresseurs et flexibles, sont fixées par des contrats de location reconduits depuis plusieurs années et un cahier des charges ; qu'en l'espèce, la commande du 14 mars 1994, vise notamment le cahier des charges;

Attendu que, contrairement aux allégations de la société LMI, la société Socabu l'a immédiatement informée de l'incident survenu ; que, par la lettre du 16 mars 1994 que la société LMI invoque dans ses conclusions et dont elle ne conteste même pas le contenu, la société Socabu lui a écrit en les termes suivants:

"Nous tenons à vous confirmer les conséquences de l'incident survenu sur le flexible d'un compresseur d'air LMI en location (...). La décomposition interne du flexible en petits morceaux et l'entraînement dans le circuit d'air de transport du caoutchouc (...), a provoqué la pollution et le déclassement d'une quantité importante de notre production. Détendue exacte du dommage est en cours d'évaluation. Cette pollution a été détectée le 15 mars 1994 à neuf heures et vous a été aussitôt signalée. De plus, M. Leroux, accompagné de M. Jaouen, est venu constater l'après-midi du 15 mars l'étendue de l'incident...";

Que la société Socabu a donc immédiatement informé la société LMI de l'incident;

Que la société LMI ne peut d'ailleurs pas invoquer cette lettre pour reprocher à la société Socabu de n'avoir pas sollicité l'avis de la société CICMP avec laquelle la locataire n'avait aucun lien contractuel ;

Qu'il incombait à la société LMI, parfaitement informée de l'incident, de solliciter, le cas échéant, Cet avis auprès de la société CICMP, sa cocontractante;

Attendu que la société LMI ne peut pas davantage reprocher à la société Socabu de n'avoir pris aucune mesure de nature à limiter le préjudice;

Qu'en effet, les opérations d'expertise ont démontré que la société Socabu s'est montrée diligente dans la gestion du sinistre;

Qu'après que le contrôle visuel de la production a révélé l'incident, et que la cause en a été détectée, l'installation a été arrêtée et nettoyée et que l'arrêt de la production a duré 6 heures 30;

Qu'après avoir décelé l'origine de la pollution, effectué un nettoyage et changé le flexible, la société Socabu était fondée à estimer que cette action était suffisante pour mettre fin aux dommages ; que d'ailleurs, le tonnage de production ultérieurement déclassée s'est révélée faible (9,18 tonnes) ;

Que c'est en raison de la poursuite de pollutions aléatoires qu'un nettoyage complet de l'installation a été effectué, nécessitant un arrêt de production d'une durée de 33 heures;

Qu'il ne peut être sérieusement reproché à la société Socabu de n'avoir pas immédiatement procédé au nettoyage complet de l'installation et de s'être d'abord contenté d'un nettoyage partiel et du changement de flexible ; que l'expert et la société Socabu font pertinemment observer que si cette dernière avait immédiatement procédé au démontage complet de l'installation pour la nettoyer, il lui aurait été reproché d'avoir procédé à un arrêt de production d'une durée trop longue et de ne pas s'être bornée à envisager un simple nettoyage d'une durée de quelques heures;

Attendu, en conséquence, que la société LMI doit être déclarée tenue de réparer les conséquences dommageables de la défectuosité du flexible qu'elle a fourni avec le compresseur;

B) Sur la garantie des sociétés Alfagomma et CICMP:

Attendu que si la société Socabu, tiers au contrat de vente passé par la société LMI et la société CICMP et Alfagomma, est en droit de prévaloir de l'exécution défectueuse de ce contrat dès lors qu'elle lui a causé un dommage, il lui incombe, cependant, de rapporter la preuve de cette exécution défectueuse ;

Attendu qu'il appartient donc tant à la société LMI qu'à la société Socabu de démontrer que le tuyau litigieux était affecté d'un vice antérieurement à la vente;

Attendu que force est de constater que ces sociétés ne rapportent pas la preuve qui leur incombe;

Attendu, en effet, que selon l'expert, il apparaît que la qualité du flexible et son mode de fabrication "aurait" présenté une certaine fragilité;

Que cet avis ne repose que sur une conviction qui n'est pas étayée par une démonstration technique suffisante ; que si l'utilisation défectueuse par la société Socabu est exclue, aucune certitude n'existe quant à la cause de la désagrégation du tuyau;

Que la circonstance que le tuyau s'est désagrégé au contact de l'air pulsé par le compresseur au moment où la société Socabu a utilisé l'engin est insuffisante à établir que ce flexible était affecté d'un vice de fabrication dès lors qu'il est avéré que son utilisation dans des conditions contraires à un usage normal constitue la cause la plus habituelle de la détérioration telle qu'elle est survenue en l'espèce,qu'un délai de plus de trois mois s'est écoulé entre la vente du tuyau par la société CICMP à la société LMI ; que les conditions d'utilisation ou mêmes de stockage du flexible sont demeurées indéterminées, la société LMI n'ayant pas été en mesure d'en justifier;

Qu'il n'est pas techniquement démontré que le tuyau litigieux était affecté d'un vice de fabrication entraînant nécessairement sa détérioration pour son emploi normalement destiné à véhiculer de l'air comprimé;

Que les opérations d'expertise ont démontré que l'utilisation du tuyau, dans des conditions anormales, constituaient les causes principales de la dégradation du caoutchouc ; qu'en l'espèce, les conditions d'utilisation du flexible litigieux antérieures à la mise à la disposition du compresseur de la société Socabu sont demeurées inconnues; qu'il n'est nullement établi que la société LMI utilisait uniquement des flexibles neufs sur les compresseurs qu'elle mettait à la disposition de ses utilisateurs et qu'il est tout à fait possible que ce flexible ait déjà pu servir dans d'autres conditions demeurées inconnues; que la société LMI n'a pas été en mesure de prouver que le flexible n'avait pas reçu d'autre utilisation avant la livraison à la société Socabu;

Qu'enfin, il a été impossible de déterminer les lots dans lesquels des tuyauteries similaires auraient été prélevées, en sorte que les dires des parties selon lesquels d'autres sociétés les ayant utilisées n'auraient rencontré aucune difficulté ne peuvent pas être prises en considération;

Qu'en outre, la société Alfagomma fait observer, sans être démentie techniquement sur ce point, que la présence de néoprène a été constatée dans les débris interne du flexible, alors que le néoprène n'entre pas dans la composition du caoutchouc servant à la fabrication du flexible;

Attendu que la seule circonstance que la société CICMP a fourni à la société LMI des longueurs de tuyau de remplacement le 6 juillet1994 ne peut être considéré comme une reconnaissance de responsabilité et de l'existence d'un vice caché ;

Attendu que, compte tenu du temps écoulé depuis la fabrication du tuyau, il est inopportun d'envisager d'ordonner un complément d'expertise de nature à vérifier la qualité de fabrication et la fiabilité du tuyau fabriqué par la société Alfagomma ; qu'en effet, aucune des parties n'a été en mesure de fournir à l'expert et au Laboratoire, en 1994, un morceau de tuyau neuf ayant la même origine que celle du tuyau litigieux;

Attendu, en conséquence, que les sociétés Socabu et LMI ne rapportant pas la preuve de l'existence d'un vice de fabrication du tuyau, les dispositions du jugement doivent être infirmées;

Qu'elles seront déboutées de leurs demandes dirigées à l'encontre des sociétés Alfagomma et de ses assureurs, les sociétés Assitalia et la Fondiaria, CICMP et de son assureur, la société Générali France;

Que les actions en garantie exercés par les sociétés Alfagomma, CICMP et Générali sont donc sans objet;

3° Sur le préjudice:

Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise que 162,74 tonnes de produit ont été polluées par les particules noires de caoutchouc ; que le préjudice en résultant s'élève à la somme de 152 759,86 euro (1 002 039 F); que le sinistre a généré des pertes de production, la perte financière s'élevant à la somme de 136 576,64 euro (895884F); que les frais d'analyses en laboratoire se sont élevés à la somme de 12319,56 euro (80 811 F); que les frais de nettoyage se sont élevés à la somme de 6 869,81 euro (45 063 F);

Qu'en revanche, les frais d'expertise du Laboratoire central du caoutchouc (7 156,41 euro, soit 46 943 F) rendus nécessaires pour les opérations d'expertise, seront inclus dans ces frais;

Qu'ainsi le préjudice subi par la société Socabu s'élève à la somme de 308 525 euro;

Attendu que la société LMI soutient que le préjudice résultant de la pollution des produits a été mal calculé ; qu'elle fait valoir qu'après avoir constaté que "les lots produits depuis le démarrage portaient les numéros 145 à 175", l'expert a évalué la production perdue par référence aux lots 145 à 214;

Attendu, cependant, qu'il résulte d'un "procès-verbal de constatations relatives aux dommages" établi le 8 juin 1994, et signé par les sociétés Socabu, LMI et CICM7P, que 169 tonnes de produits ont été polluées, le vistalon contenant des pellicules noires ; qu'en annexe, il est mentionné que 70 tonnes étaient contenues dans les caisses "145 à 214" qu'en toute hypothèse, et peu important le numérotage des caisses indiqué dans l'exposé des faits par l'expert, ce dernier a constaté, en définitive, que seulement 162,74 tonnes de vistalon avaient été polluées;

4° Sur les demandes annexes:

Attendu que l'exercice d'une action en justice constitue un droit que la société Alfagomma, qui ne démontre aucune circonstance ayant fait dégénérer en abus l'exercice par la société Socabu de son droit d'agir en justice sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge de la société Socabu les frais qu'elle a exposés dans la présente instance en marge des dépens, à hauteur de la somme fixée dans le dispositif;

Attendu que l'équité ne commande pas d'accueillir les demandes des sociétés Alfagomma, CICMP, Assitalia, la Fondiaria et Générali ; qu'elles seront donc déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs : Rejette les demandes présentées par les sociétés Alfagomma sud et Compagnie industrielle du caoutchouc manufacture et des plastiques tendant à la nullité du jugement prononcé par le tribunal de commerce du Havre le 26 mai 2000; Infirme le jugement entrepris; Et statuant à nouveau: Condamne la société de Location de matériel industriel à payer à la société de Caoutchouc butyl (Socabu) la somme de 308 525 euro à titre de dommages-intérêts; Déboute les sociétés de caoutchouc butyl et Location de matériel industriel de leurs demandes dirigées à l'encontre des sociétés Compagnie industrielle du caoutchouc manufacture et des plastiques, Générali France, Alfagomma Sud, Assitalia et La Fondiaria; Dit sans objet les actions en garantie; Déboute la société Alfagomma sud de sa demande de dommages- intérêts pour action abusive dirigée à l'encontre de la société Caoutchouc butyl; Condamne la société de Location de matériel industriel à payer à la société de Caoutchouc butyl la somme de 4 573,47 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute les sociétés Alfagomma sud, Compagnie industrielle du caoutchouc manufacture et des plastiques, Générali France, Alfagomma Sud, Assitalia et La Fondiaria de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société de Location de matériel industriel à payer les dépens de première instance et d'appel, et en ceux les frais d'expertise et du Laboratoire central du caoutchouc, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.